La Place royale/Notice

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La Place royale
Œuvres de P. Corneille, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxHachettetome II (p. 217-219).
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NOTICE.


Le succès de la Galerie du Palais, dû en grande partie, comme notre poëte l’a remarqué lui-même, au plaisir qu’éprouvaient les spectateurs en se voyant transportés dans un endroit qu’ils fréquentaient d’ordinaire, l’engagea à choisir pour théâtre d’une autre comédie la place Royale, qui, à cette époque, était la promenade à la mode, le lieu de réunion de la société la plus brillante, le centre des rendez-vous et des intrigues amoureuses.

Adieu, belle place où n’habite
Que mainte personne d’élite,


dit Scarron dans son Adieu au Marais et à la place Royale, composé en 1643[1] ; et la curieuse liste qui suit ces deux vers les justifie pleinement.

La prédilection de Corneille pour les titres empruntés à divers endroits fameux de la ville de Paris a été critiquée en ces termes par un de ses censeurs : « Il a fait voir une Mélite, la Galerie du Palais et la Place Royale, ce qui nous faisoit espérer que Mondory annonceroit bientôt le Cimetière Saint-Jean, la Samaritaine et la Place aux Veaux[2]. »

Quant à Claveret, il ne blâme point ce procédé, mais il accuse Corneille de le lui avoir dérobé : « Ce que ma plume a produit autrefois ne m’a point fait rougir de honte, et si du temps que j’écrivois, vous ne m’eussiez cru capable au moins de vous suivre, vous n’eussiez pas tâché malicieusement d’éteindre ce peu de lumière, avec laquelle j’essayois de me faire connoître, établissant le titre d’une de vos pièces sur le fondement d’une seule rime[3]. J’entends parler de votre Place Royale, que vous eussiez aussi bien appelée la Place Dauphine, ou autrement, si vous eussiez pu perdre l’envie de me choquer ; pièce que vous vous résolûtes de faire, dès que vous sûtes que j’y travaillois, ou pour satisfaire votre passion jalouse, ou pour contenter celle des comédiens que vous serviez. Cela n’a pas empêché que je n’en aye reçu tout le contentement que j’en pouvois légitimement attendre, et que les honnêtes gens qui se rendirent en foule à ses représentations n’ayent honoré de quelques louanges l’invention de mon esprit. J’ajouterois bien qu’elle eut la gloire et le bonheur de plaire au Roi étant à Forges[4], plus qu’aucune autre des pièces qui parut lors sur son théâtre[5]… »

La comédie de Corneille, jouée en 1635, ne fut imprimée qu’en vertu du privilége dont nous avons donné un extrait dans notre notice sur la Galerie du Palais ; l’achevé d’imprimer est du 20 février 1637. Le volume, de format in-4o, se compose de 4 feuillets liminaires et de 112 pages ; son titre exact est :

La Place Royalle, ou l’Amovrevx Extravagant. Comedie. À Paris, chez Augustin Courbé… M.DC.XXXVII. Auec priuilege du Roy.

Le sous-titre : ou l’Amoureux Extrauagant, a disparu dès l’édition de 1644.



  1. Cette date est facile à établir, car Scarron parle dans cette pièce de la fille de la duchesse de Rohan,

    À qui depuis deux ans en ça
    On offrit l’illustre Bassa.

    Or Ibrahim ou l’illustre Bassa, de Mlle de Scudéry, a paru en 1641.

  2. Lettre à *** sous le nom d’Ariste, p. 7.
  3. Ainsi je veux punir ma flamme déloyale.
    Ainsi…

    ALIDOR.

    Ainsi…Te rencontrer dans la Place Royale.

    (Acte I, scènes iii et iv, vers 177 et 178.)
  4. Claveret avait composé pour cette visite du Roi aux eaux de Forges une pièce que, de l’aveu d’un de ses apologistes, il ne put faire accepter. Nous lisons dans l’Ami du Cid à Claveret (p. 5) : « Votre Place Royale suit assez bien, et je vous confesse qu’elle fut trouvée si bonne à Forges, que Mondory et ses compagnons qui en avoient les eaux dans la saison du monde la plus propre pour les boire, n’en voulurent jamais goûter : tout le monde n’entendra pas ceci peut-être, c’est que vous avez fait une pièce intitulée les Eaux de Forges, que vous leur donnâtes, où il ne manquoit chose du monde, sinon que le sujet, la conduite et les vers ne valoient rien du tout. À cela près c’étoit une assez belle chose. » Dans la Réponse à l’Ami du Cid (p. 45 de l’Epître familière du Sr Mayret), Claveret est ainsi défendu : « Pour sa pièce intitulée les Eaux de Forges, vous avez bien raison de dire pour faire une mauvaise pointe que Mondory et ses compagnons n’en voulurent jamais goûter dans la saison du monde la plus propre pour les boire, mais non pas de vouloir conclure par là qu’elle ne vaut rien, puisqu’il est vrai qu’ils ne firent difficulté de la prendre que par la discrète crainte qu’ils eurent de fâcher quelques personnes de condition qui pouvoient reconnoître leurs aventures dans la représentation de cette pièce. »
  5. Lettre du Sr Claveret au Sr Corneille, soy disant Autheur du Cid, p. 10.