La Populace/À l’ouvrier honnête

La bibliothèque libre.
À Boire


U n honnête homme vit avec 1,800 francs,
Mais un « ouvrier » non. « Des nèfles. »
— Soyez francs,
Leur disais-je ; c’est peu, c’est près de la misère,
Mais on vit ! Nous vivons avec ça, nous. On serre
Sa culotte d’un cran ! On se dit : « il le faut ! »
On loge au premier en commençant par le haut.
On reprise son linge ! On boit de l’eau rougie…

Mais eux pétaient de rire, et leur gueule élargie
Sonnait, faisant crouler le plafond du débit :

Ah, mince ! Pas de jus de grenouille à Bibi !


À L’OUVRIER « HONNÊTE »


Ce sont ces voyous-là qui nous compromettent, nous les bons ouvriers…
(Paroles de Goujet dans l’Assommoir).


U rai travailleur, honnête ouvrier, paysan,
Tu te mets avec eux contre moi ! Conviens-en,
Parle franc, ne fais pas le finassier, avoue !
Quand un sale voyou me jette de la boue,
Tu jubiles, au fond, et ton secret bravo
Est pour le voyou : dis que non ? tête de veau !
C’est la fraternité de la blouse à la cotte.
Il ne te déplait pas, sournois, qu’on asticote
Le drap et le velours : ou est un aristo,
Pour toi, quand par hasard on porte un paletot !

Le paletot, voilà ton hic, ta bête noire,
Fût-il comme un gruyère ou comme une écumoire !
Tu préfères — l’ayant éprouvé, j’en réponds —
Aux chapeaux de Gibus la casquette à trois ponts !…
Que de fois j’en ai vu, des flemmards, des sangsues
Qui, pendant ton labeur, et tandis que tu sues,
Dorment à tes côtés ! sous ton outil !! pour eux
Tu n’as que tendre œillade et regards amoureux.
Moi — qui t’aurais aimé, malheureux ! — je t’encombre ;
Eux peuvent, étirant leurs abatis à l’ombre,
Se gausser de ton mal et de ta peine ; moi,
Si je viens à passer, tu m’outrages. Pourquoi ?
Pourquoi ? parce que ton inguérissable ulcère,
Ton mal immédiat, ton chancre nécessaire,
C’est ton respect humain. Oui ! ton respect humain.
Tu sais parfaitement qu’on te force la main.
Tu sais que l’on t’exploite, idiot ! fleur de cancre !
L’un avec sa salive et l’autre avec son encre,
L’un en journalisant, l’autre en rhétoriquant.
Te révolteras-tu, contre toi-même ? Quand ?
Bête brute, imbécile, animal, cœur de plâtre,
Ah, tu t’y plais, dans ton fumier, dans ton barathre !
Eh bien, restes-y donc ! chez tes sales amis !
Reste suspect, lépreux, entamé, compromis !
Reste ! Bien du plaisir ! reste avec ton engeance…

Mais ne proteste pas, le jour de la vengeance !