La Population de Paris

La bibliothèque libre.
Pour les autres utilisations de ce mot ou de ce titre, voir Paris.
La Population de Paris
Revue des Deux Mondes, période initialetome 20 (p. 729-739).

DE


LA POPULATION


DE PARIS.




Il n’est permis d’avoir confiance dans la statistique qu’à la condition de se défier beaucoup des statisticiens. Aucune classe d’hommes laborieux ne s’est plus égarée dans la recherche de la vérité, n’a fait passer, sous des apparences de précision, de plus nombreuses erreurs, et n’a été conduite, par la déduction logique des bases qu’elle a souvent posées, à de plus étranges conclusions. Il semble, au premier coup d’œil, que recueillir exactement des faits susceptibles d’être exprimés par des nombres soit une tâche facile ; mais, à l’épreuve, on voit la plupart du temps les collecteurs accuser réciproquement leur insuffisance par la diversité des résultats que leur fournit un même sujet d’observations. Quand ils ne se copient pas, ils sont presque aussi rarement d’accord que plusieurs médecins au chevet d’un malade. Néanmoins, de même que toutes les sciences d’observation, la statistique se perfectionne, c’est-à-dire s’avance dans la découverte, de la vérité, par chacun des faits qu’elle constate : ceux-ci font reconnaître la part de l’erreur dans les recherches corrélatives ; les points lumineux qui se multiplient au milieu de l’obscurité en rétrécissent sans cesse le domaine, et, dans quelques branches de l’administration, la masse des faits judicieusement observés sera bientôt assez considérable pour se systématiser, et fournir des règles de conduite sûres à l’esprit d’association et au gouvernement.

La connaissance de l’état de la population est certainement une de celles qu’il importe le plus d’acquérir. Il est peu de questions importantes dans la solution desquelles elle n’entre comme élément principal ; faute de cette base, la plupart des calculs à faire sur les besoins et les ressources du pays deviennent impossibles, et, dans les incertitudes où la plonge l’ignorance des limites entre lesquelles elle doit agir, la prévoyance elle-même devient insuffisante ou onéreuse.

Notre centralisation administrative, les tendances politiques de notre temps, la marche de notre industrie, le rapprochement de toutes les intelligences de notre pays, et l’on pourrait presque dire de l’Europe, le rayonnement des chemins de fer, qui, comme autant d’artères électriques, porteront bientôt d’heure en heure, aux extrémités du territoire, les moindres battemens du cœur du royaume ; ces circonstances, et mille autres qu’il serait trop long d’énumérer, attachent au tableau du mouvement de la population de Paris un immense intérêt. De nombreux recensemens ont été faits jusqu’à ce jour : aucun n’a offert le degré de certitude de celui dont MM. Husson et Pontonnier viennent de présenter le détail[1]. Ils ont exposé, au début de leur travail, les titres de ce document à la confiance du lecteur. Il suffira de rappeler ici que le dénombrement de 1846 est l’ouvrage de 193 commissaires, de 12 contrôleurs et de 4 vérificateurs, munis de tous les moyens de recherche et de contrôle dont peut disposer l’administration, et qu’il a sa base principale dans un état nominal de tous les habitans de Paris, recueilli, non pas maison par maison, mais appartement par appartement et ménage par ménage. On a pu, de la sorte, introduire dans les divisions de la population une très grande précision, et restreindre les erreurs dans de très étroites limites. Ce recensement servira de point de départ à des observations dont le secret appartient à l’avenir ; mais, quoique les recensemens qui l’ont précédé soient loin de présenter les mêmes garanties d’exactitude, il est permis d’y chercher des termes de comparaison qui ne se trouveraient nulle autre part, et qui d’ailleurs ne sauraient être très éloignés de la réalité.

On sait que, dans les recensemens généraux des populations des villes, on tient séparément compte, pour l’établissement des charges municipales, des domiciliés proprement dits et des résidens temporaires, c’est-à-dire des individus appartenant aux troupes de terre ou de mer, des détenus, des habitans des hospices, de ceux des collèges, pensions et séminaires : on distingue en outre la population agglomérée de celle des banlieues.

Considéré sous ce point de vue, l’effectif de la population comprise dans l’enceinte du mur d’octroi de Paris est le suivant :


Population fixe 945, 721
Population civile flottante 88, 475
Garnison 19, 701
Total 1, 053, 897

Pour approcher du chiffre de la population fixe, il faut réunir celles des douze villes les plus peuplées de nos provinces[2].

Cette population totale se répartit ainsi, suivant l’état civil des personnes :


Sexe masculin Garçons 315, 194
« Mariés 211, 235
« Veufs 17, 067 543, 496
Sexe féminin Filles 240, 251
« Mariées 212, 409
« Veuves 57, 741 510, 401
1, 053, 897

Cette population est répandue sur une superficie de 3, 450 hectares ; ainsi sa densité moyenne est de 305 individus par hectare : c’est à peu près le cinquième de celle de Toulon, et, si elle était également répartie, elle serait, sous ce rapport, placée dans de très bonnes conditions de salubrité. Il n’en est malheureusement pas ainsi : dans le quartier des Arcis, par exemple, 13, 046 individus, dont 2, 318 habitent des maisons garnies, sont entassés dans un espace de 7 hectares. On y compte donc 1, 863 individus par hectare, et, si l’on étudiait l’état de cette population, on y trouverait de très puissantes considérations hygiéniques et morales à l’appui des règlemens, trop souvent enfreints, qui limitent à Paris la hauteur à donner aux maisons. Pour bien apprécier l’état des quartiers où la population est ainsi pressée, il faudrait d’abord y déterminer la proportion de la mortalité ; mais leur contingent dans la mortalité des différens hôpitaux est si considérable, que cette recherche n’atteindrait pas, sans un assez long travail, un degré satisfaisant d’exactitude. La densité de la population est à Londres de 106 habitans, à Liverpool de 389 par hectare. Dans les quartiers les plus peuplés de ces deux villes, la densité est, pour la première, de 938 individus, pour la seconde de 1776 : ces quartiers sont ceux où la misère est la plus grande et la mortalité la plus forte.

La population de Paris s’accroît beaucoup plus rapidement que celle du reste de la France. Du recensement de 1831 à celui de 4846, l’une a passé de 774, 338 ames à 1, 053, 897, l’autre de 31, 726, 596 à 34, 346, 611. Ainsi, lorsque, dans cette période de quinze années, Paris gagnait 348 habitans par 1, 000, le progrès n’était au dehors que de 82. La supériorité habituelle du nombre des naissances sur celui des décès n’entre que pour une faible proportion dans cette augmentation de la population de Paris ; elle est surtout due aux immigrations des provinces et même de l’étranger.


Entre les deux derniers recensemens, l’accroissement total a été de 118, 536 ames
Pendant les cinq années 1842, 1843, 1844, 1845 et 1846 qui se sont écoulées entre ces deux recensemens, on a compté
Naissances 150, 067
Décès 137, 270
La différence à l’avantage des naissances étant de 12, 797
Il reste pour la part de l’immigration 105, 739 ames

Aucune ville n’appartient moins que Paris à ses indigènes ; elle appelle incessamment à elle tout ce que les provinces renferment d’éminent, d’habile, d’aventureux ; sa fortune est le patrimoine de tout le monde, et la plupart des positions élevées y semblent dévolues, par la nature des choses, à des hommes étrangers à la cité. On remarquait, à la Commission municipale qui fut portée à l’Hôtel-de-Ville par les journées de 1830, qu’elle ne comprenait pas un seul Parisien de naissance. Il en a presque toujours été à peu près de même depuis 1789 ; ce sont rarement des Parisiens qui ont exercé une influence prépondérante sur les destinées de Paris ; les habitans des provinces sont aujourd’hui plus que jamais appelés à recueillir les avantages qui naissent dans ce centre commun, et il est bon de le leur répéter quelquefois pour modérer le sentiment de jalousie que peut exciter en eux la prospérité de la capitale.

À aucune époque antérieure à 1830, la progression de la population de Paris n’a été aussi rapide que depuis. Pour nous borner à des faits récens, du recensement de 1831 à celui de 1836,


l’accroissement a été de 134, 788
de celui de 1836 à celui de 1841, de 26, 135
de celui de 1841 à celui de 1846, de 118, 536

Dans les cinq années qui viennent de s’écouler, Paris s’est accru d’une population presque équivalente à la population fixe de Bordeaux ; une nouvelle ville, qui serait la cinquième de France, est venue s’ajuster dans les interstices de l’ancienne. Elle ne pouvait pas s’y répartir dans d’égales proportions, et les termes réels de l’accroissement entre les douze arrondissemens ont été les suivans :


Arrondissement de la population de 1841
2e 24, 385 4/15.
1er 18, 999 7/33
8e 16, 638 4/23
5e 11, 290 2/15
9e 5, 521 2/27
10e 8, 741 1/11
12e 8, 323 1/11
7e 6, 349 1/11
11e 5, 539 1/11
3e 4, 879 2/25
6e 6, 166 2/31
4e 1, 803 1/25

Des quarante-huit quartiers entre lesquels se divisent les douze arrondissemens, quarante-trois sont en progrès, cinq ont rétrogradé. Ces derniers, tous situés au centre de Paris, sont ceux du Palais de Justice, du Mail, de la porte Saint-Denis, des Marchés, de Montorgueil. Le quartier Feydeau est celui qui a le plus gagné ; il a acquis 12, 530 nouveaux habitans, ce qui équivaut aux deux tiers de la population de 1841. Indépendamment des causes générales d’amélioration qui s’étendent à toute la ville, les divers quartiers s’élèvent ou s’abaissent par des causes locales variables, mais constamment dominées par les travaux de perfectionnement de la voie publique : partout où l’administration de la ville donne de l’air, de la propreté, partout où les rues s’élargissent, partout où les pentes s’adoucissent, partout où la circulation devient plus facile, les capitaux et les familles obéissent à l’appel qui leur est adressé, et les entreprises particulières prennent la route qui leur est ouverte par les entreprises d’utilité générale. L’effet contraire se produit dans les quartiers où des résistances inintelligentes, des coalitions d’intérêts aveugles, des difficultés inhérentes à l’état des lieux, mettent obstacle aux vues de l’administration. C’est ainsi que le commerce des soieries a déserté la rue Saint-Denis pour chercher de la lumière dans le quartier Feydeau, et que la création des nouveaux quartiers fera baisser la valeur de la propriété dans le vieux Paris. La diminution de la population n’est pourtant pas partout un signe de décadence ; elle en est un d’amélioration quand elle provient de l’élargissement de ces rues encombrées où les classes les plus abjectes de la population semblent fuir le jour, et la Cité ne perd certainement rien aux grands percemens qui, depuis quelques années, l’assainissent et la purgent de ses plus honteux habitans.

La division par arrondissemens ne se présente avec netteté qu’aux esprits des personnes familiarisées avec l’administration de la ville de Paris ; il en est une autre formée par la nature, saisissable au premier coup d’œil, et entraînant après soi des conséquences économiques dont l’exposé ne serait point ici à sa place ; c’est celle entre la rive droite et la rive gauche de la Seine.

Déduction faite de la garnison, la population était :


rive droite rive gauche.
en 1831, de 562, 478 211, 860
en 1846, de 771, 889 262, 297
ce qui constitue en quinze ans une augmentation de 209, 411 50, 437

L’augmentation est de 372 par 1, 000 sur la rive droite, et de 238 sur la rive gauche. Ce fait répond aux plaintes qui se sont élevées sur la prétendue décadence de la rive gauche. Beaucoup de villes considérées comme prospères lui porteraient envie, mais il n’en est pas moins certain que l’équilibre relatif entre les deux rives va s’altérant de plus en plus. La tendance de la population à se porter vers le nord se manifeste d’une manière bien plus saillante, quand on considère les communes limitrophes du mur d’enceinte de l’octroi, dont la presque totalité est aujourd’hui enveloppée dans l’enceinte bastionnée. Les dénombremens ont signalé, sur la rive droite,


en 1831 en 1846
à Bercy 3, 939 ames 9, 124
Charonne « 6, 017
Belleville 8, 179 27, 801
La Villette 4, 999 13, 485
La Chapelle 2, 472 14, 398
Montmartre 4, 630 14, 710
Les Batignoles 6, 850 19, 864
Neuilly 5, 602 13, 063
Passy 4, 545 8, 657
41, 216 127, 119

Et sur la rive gauche


en 1831 en 1846
à Gentilly 8, 616 ames 11, 693
Montrouge 3, 847 7, 813
Vaugirard 6, 695 13, 701
Grenelle 1, 647 5, 548
20, 805 38, 755

Ainsi, du côté du nord, la population a triplé ; du côté du sud, elle n’a pas doublé : il existe, entre le mur d’octroi et l’enceinte, au nord, plus de 120, 000 ames ; au midi, à peine 35, 000. Sans être aussi funeste qu’on le prétend sur la rive gauche, ce déplacement de Paris mérite la sérieuse attention de l’administration, et l’on est bien loin d’avoir épuisé tous les moyens de se rapprocher d’un équilibre qui, profitable à la capitale tout entière, importe beaucoup aux départemens situés au midi de Paris. Le plus simple et le plus efficace de ces moyens serait le rachat des péages des ponts de la Seine ; le centre des affaires et du mouvement étant sur la rive droite, les trois derniers arrondissemens ont le plus grand intérêt à en obtenir l’accès facile, et l’on peut reconnaître l’influence de ces péages par la comparaison entre les rues qui aboutissent aux ponts qui en sont grevés et celles qui aboutissent aux ponts gratuits. Au nombre des causes de l’infériorité de la rive gauche, on serait en droit de mettre, quoique, au premier coup d’œil, cela puisse paraître paradoxal, le trop d’espace occupé par ses établissemens publics. Il est au moins certain qu’elle recueillerait d’immenses avantages, si, par exemple, suivant la proposition d’un de ses membres les plus éclairés, l’administration des hospices consentait à vendre 50 millions les trente-trois hectares qu’occupe la Salpétrière, pour construire, à peu de distance de Paris, un établissement meilleur, qui ne coûterait pas 3 millions.

Les grandes agglomérations d’hommes sont ordinairement celles que la misère frappe avec le plus de rigueur ; c’est en effet là que de fausses espérances appellent le plus de malheureux, que les déceptions sont les plus fréquentes, les vices et les tentations les plus multipliées. Un accroissement de près de 300, 000 ames dans la population de Paris n’a point produit un effet qu’il était permis de craindre, un accroissement plus rapide dans le nombre des indigens : il était, en


1829 de 62, 705
1832 68, 986
1835 62, 530
1838 58, 500
1841 66, 487
1844 66, 148

Ces extraits des livres des administrations charitables donnent avec exactitude les nombres des personnes secourues, et, s’il existait des recensemens généraux de la population pour toutes les années auxquelles ils se rapportent, il ressortirait du rapprochement de ces documens qu’il n’y a point augmentation relative du nombre des pauvres. On trouve un indice de la réalité de ce fait rassurant dans la comparaison des effectifs des hospices et hôpitaux de Paris à deux époques entre lesquelles la ville a gagné au-delà de 118, 000 habitans. La population moyenne de ces établissemens était, en 1841, de 15, 828 individus ; elle n’a été, en 1846, que de : 15, 373.

On aurait pu, sans avoir lieu de s’alarmer, constater une augmentation. Il est vrai que la ville possède hors de son enceinte deux grands établissemens hospitaliers, Bicêtre et Villers-Cotterets ; mais le mouvement qui s’y est opéré n’affaiblit pas les conséquences à tirer de celui des établissemens intérieurs.

La remarque la plus triste à laquelle donne lieu le mouvement des hôpitaux de Paris, c’est celle du nombre des naissances et des décès qui surviennent dans leur enceinte. Dans les cinq années qui séparent les deux derniers dénombremens, 25, 268 naissances sur 150, 067 et 49, 103 décès sur 137, 270 ont eu lieu dans ces asiles de la misère et de la douleur. Ainsi, un sixième de la population de Paris naît, et plus d’un tiers meurt à l’hôpital.

Ces populations nouvelles qui naissent et se donnent rendez-vous dans l’enceinte de Paris, il faut, avant que l’industrie satisfasse à des besoins qui échappent à toute appréciation, les loger et les nourrir, et de cette nécessité résulte un immense mouvement imprimé à l’art des constructions d’une part, à l’agriculture de l’autre.

Sur les constructions, les renseignemens recueillis dans les deux derniers recensemens présentent les rapprochemens suivans :


1841 1846 augmentations en 1846
Le nombre des rues, places ou quais, était de 1, 727 1, 782 55
Celui des maisons habitées de 28, 699 30, 221 1, 555
Celui des maisons inhabitées, comprenant beaucoup de maisons neuves, de 387 381 «
Celui des maisons en construction de 250 355 «
Celui des locations occupées de 322, 669 356, 906 34, 237
Celui des locations vacantes de 18, 054 16, 017 «

Les réparations, embellissemens, agrandissemens d’anciennes maisons ne sont point compris, malgré leur importance, dans ce dénombrement. Quant à la masse des valeurs créées par tant de travaux, on pourrait l’évaluer à la longue par les bases qu’elle fournit à l’impôt, soit qu’il prélève sous forme de contribution directe une part du revenu, soit qu’il recueille des droits de mutation : mais les faits sont trop récens pour qu’une appréciation qui se ferait aujourd’hui pût inspirer quelque confiance.

À toutes les époques, l’alimentation de Paris a été le principal aiguillon du progrès de l’agriculture dans nos plus belles provinces et l’objet d’un immense commerce. A mesure que Paris s’agrandit, que les communications se perfectionnent et s’étendent, le rayon de cet approvisionnement s’allonge, et y fait concourir des contrées qui en étaient jusqu’alors exclues. Aujourd’hui Bordeaux, la Bourgogne, la Champagne, le bassin de la Loire tout entier, les côtes de la Méditerranée, abreuvent Paris de leurs vins ; il va chercher du bétail jusqu’aux portes de Lyon et de Bordeaux ; il fait valoir les pêcheries de l’Océan, et les départemens qui l’environnent ont peine à combler par leurs menues denrées l’immense débouché que leur ouvrent ses marchés. Quoi qu’on en ait dit dans un travail plus remarquable par la générosité des sentimens que par la justesse des vues, et malgré l’autorité dont l’a revêtu l’assentiment du conseil municipal de Paris, il n’est point exact qu’en s’étendant, l’approvisionnement de la ville ne se soit point amélioré. Il résulte de recherches aussi consciencieuses qu’intelligentes faites à la préfecture de police, et contrôlées au moyen des produits des perceptions opérées par l’octroi et sur les marchés de comestibles, qu’à considérer deux périodes, l’une des sept années qui se sont écoulées de 1818 à 1824, et l’autre des seize années de 1825 à 1840, la consommation annuelle et individuelle des habitans de Paris en substances animales peut être établie ainsi :


1re période 2e période
Viande de boucherie 51 kil. 640 55 kil. 266
Viande de porc 8, 901 9, 475
Poisson 7, 639 8, 279
Volaille et gibier 7, 817 9, 205
Beurre 4, 402 5, 289
Œufs 6, 058 6, 556
86 kil. 457 94 kil. 070

En même temps que la population s’accroissait, elle était mieux et plus abondamment nourrie. Le progrès de la consommation du sucre, qui ne se développe que lorsque des besoins plus réels sont satisfaits, donne lui-même une preuve de l’amélioration qui s’opère dans l’approvisionnement. Cette consommation ne peut pas, comme celles qui sont mentionnées plus haut, être contrôlée par le produit des perceptions municipales ; mais, s’il faut s’en rapporter à des investigations minutieuses faites par les personnes les plus compétentes, les ventes annuelles de sucre faites dans Paris, et dans lesquelles la part principale revient inévitablement à la ville, se sont élevées :


de 1815 à 1819, à 7, 000, 000 kilogr
de 1820 à 1823, à 11, 000, 000
de 1832 à 1835, à 20, 000, 000
de 1836 à 1840, à 22, 000, 000

L’emploi du sucre accompagne celui du lait, et témoigne ainsi d’une nouvelle addition aux substances animales dont s’alimente Paris. Pour l’approvisionnement en grains, il n’en est pas de mieux assuré par la production locale que celui du bassin de la Seine.

Tout vulgaires qu’ils sont, et précisément peut-être parce qu’ils sont vulgaires, ces faits ont une haute portée. La bonne alimentation du peuple, c’est pour lui la santé, la force, la capacité de travail, l’énergie physique et morale : c’est par ce motif que la fécondité de l’agriculture est la base réelle et solide de la puissance et du bonheur de la nation, le point d’appui de tout gouvernement qui voudra, dans l’ordre politique ou dans l’ordre moral, obtenir d’elle de grandes choses.

Les chemins de fer, qui sont destinés à accomplir dans le monde une révolution qui complétera celles qu’ont déjà faites l’invention de la poudre à canon et l’imprimerie, les chemins de fer font entrer aujourd’hui Paris et sa banlieue dans une ère nouvelle : toutes les conditions du mouvement de la population et de l’approvisionnement sont à la veille d’y changer. Quand Paris ne sera plus séparé que par un trajet de quelques heures des villes dont il était, il y a cinquante ans, à plusieurs journées, les circonstances qui détournaient les habitans de ces villes de profiter des avantages attachés au séjour de Paris s’affaibliront beaucoup ; les considérations d’économie qui les retenaient finiront peut-être même par disparaître. Les chemins de fer opèrent déjà, dans toutes les provinces qu’ils traversent, un nivellement dans les prix des denrées nécessaires à la vie ; la valeur de celles-ci augmentera dans les lieux de production, diminuera sur le marché central, et il ne serait pas impossible qu’au bout de quelques années, Paris ne devînt, par la puissance de la concurrence et de l’assortiment, la ville de France où les subsistances, le vêtement, le mobilier, seront le moins coûteux.

De nombreuses industries, qu’on croyait autrefois le patrimoine de certaines provinces, se sont déjà groupées dans l’enceinte ou sous les murs de la ville ; Paris a dès long-temps attiré à lui les intelligences ; les populations commencent à suivre, et, en ce court espace de cinq ans que nous avons plus d’une fois considéré dans cet exposé, ce mouvement s’est clairement manifesté dans le voisinage immédiat de Paris. Les départemens de Seine-et-Oise et de Seine-et-Marne, dont le territoire enveloppe celui du département de la Seine, avaient, au recensement de 1844, une population de 803, 508 ames ; à celui de 1846, elle était de 815, 167. L’augmentation est de 14 individus par mille. Dans cette même période, la population du département de la Seine est passée, avec une augmentation proportionnelle décuple, de 1, 194, 603 à 1, 364, 467. Il est probablement dans la nature de ce mouvement de s’étendre de proche en proche, et les chemins de fer, en s’allongeant, en atténuant l’effet des distances, agrandiront sans cesse le cercle d’attraction de Paris.

En présence de pareils faits, il serait oiseux d’examiner si la condensation sur un point central des principales forces vives de la nation a plus d’avantages que d’inconvéniens, ou plus d’inconvéniens que d’avantages. Si cette concentration est un fait impérieux, inévitable, il faut l’accepter courageusement et ne s’occuper que d’en conjurer les dangers, d’en étendre les bienfaits. Cet avenir est gros des questions politiques et sociales les plus graves ; il n’est pas d’homme d’état qui n’en doive faire l’objet de sa sollicitude, et peut-être les circonstances par lesquelles il se manifeste exigeraient-elles déjà quelques modifications dans les institutions qui régissent la capitale. Il ne faut pas léguer à ceux qui nous suivront l’éventualité d’une nouvelle commune de Paris ; quand le mal serait arrivé, il n’y aurait plus de force capable de l’extirper : le devoir de la génération actuelle est de le prévenir.

J.-J. BAUDE

  1. Rapport sur les résultats généraux du dénombrement de la population opéré en 1816 dans la ville de Paris et les autres communes du département de la Seine, par MM. Husson et Pontonnier.
  2. habitans
    Lyon Population fixe et agglomérée 159, 783
    Marseille « 133, 916
    Bordeaux « 120, 203
    Rouen « 91, 046
    Nantes « 82, 993
    Lille « 67, 775
    Strasbourg « 52, 186
    Saint-Étienne « 47, 302
    Nîmes « 47, 215
    Metz « 42, 976
    Orléans « 42, 507
    Amiens « 41, 332
    Total 929, 234