La Première lutte de Frédéric II et de Marie-Thérèse/06

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La Première lutte de Frédéric II et de Marie-Thérèse
Revue des Deux Mondes3e période, tome 50 (p. 5-39).
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VI.

L’EXPÉDITION DE MORAVIE. — LA QUERELLE DES DEUX MARÉCHAUX.


Une bonne fortune arrive rarement seule. Au même moment où une équipée chevaleresque rendait en quelques heures les Français maîtres de Prague, une révolution militaire à Saint-Pétersbourg enlevait en moins de temps encore à Marie-Thérèse son unique amie. A la régente Anne, gouvernant sous le nom du petit tsar Ivan, son fils, et dont les sympathies pour l’Autriche étaient connues, succédait brusquement, le 6 décembre 1741, la princesse Élisabeth, dernière fille du grand Pierre et de la première Catherine. Ce fut l’affaire d’une seule nuit et l’œuvre du vieil esprit russe luttant, comme il le fait encore parfois aujourd’hui, contre l’invasion des mœurs et surtout des fonctionnaires allemands. Informée du mécontentement sourd que causait dans les rangs inférieurs de l’armée l’influence exercée sur la régente par son mari le duc de Brunswick, et surtout par son amant le ministre de Saxe ; mise en relation par d’habiles intermédiaires avec les sous-officiers de la garde qui veillait à la porte du palais, Élisabeth n’eut qu’à s’y présenter un matin, avant le jour, en prononçant le nom de son père, pour que toutes les portes s’ouvrissent devant elle. Elle pénétra elle-même dans l’appartement de la régente, encore endormie, et du petit empereur, que de ses propres mains elle tira de son berceau. Dans la journée, enfant, mère, ministres et chambellans, tout ce qui portait un nom à désinence germanique fut envoyé, qui en Sibérie, qui en exil. Mais bien que l’aventure eût le caractère d’un réveil de patriotisme, personne ne doutait que ceux qui avaient formé le projet et conduit les coups étaient deux Français : l’un, l’ambassadeur même de Louis XV, le marquis de La Chétardie, l’habile homme qui avait su, un moment à Berlin, plaire à Frédéric ; l’autre, un assez médiocre médecin du nom de Lestocq, fils d’un réfugié qui était venu chercher fortune sur les. bords de la Neva. Tous deux avaient su gagner la confiance de la future impératrice, et même l’ambassadeur, si la chronique disait vrai, quelque chose de plus que son amitié. Frédéric, à la vérité, avec son cynisme habituel, se livre, dans l’Histoire de mon temps, à une insinuation qui serait moins flatteuse pour notre fatuité nationale. Il fait entendre assez clairement que, pour capter les suffrages de l’armée, la princesse n’avait pas craint de dispenser plus libéralement encore ses faveurs. Après quoi, il ajoute que, d’ailleurs, entre elle et la cousine qu’elle venait de déposséder, il n’y avait sur ce point guère de différence, excepté que l’une couvrait ses faiblesses du voile de la pruderie, tandis que l’autre allait donner aux siennes la forme plus populaire de la débauche[1].

Quoi qu’il en soit, la nouvelle souveraine s’étant mise tout de suite en rapports intimes avec la légation française, et ayant engagé avec la Suède des pourparlers pacifiques, toute la région du Nord se trouvait libre et les alliés en Bohême délivrés de toute inquiétude sur leurs derrières. Deux tours de force et d’adresse accomplis ainsi en quinze jours élevaient très haut le renom de la valeur, de la galanterie et de l’habileté françaises, et ce fut environné de cette auréole, que Belle-Isle, qui passait pour l’inspirateur de tous ces exploits, fit son entrée, encore porté en litière, dans la ville de Prague.

Il y trouvait beaucoup de besogne à faire pour un invalide, car l’heureuse nuit du 26 novembre avait plus accru que réparé la confusion des armées alliées : sans guide, comme sans union, elles restaient plus que jamais à la discrétion du hasard, qui pour une fois, les avait bien servies, mais qu’il était temps de remplacer par une direction plus sûre. Belle-Isle ne se croyait point, malgré ses infirmités, au-dessous de cette tâche. Sa nature ardente et nerveuse se retrempait par l’activité, et l’indomptable confiance qui était sa force et qu’il savait communiquer autour de lui se ranimait à la moindre apparence de succès. Persuadé qu’il avait tout fait et qu’il pouvait tout faire encore du fond de son lit ou de sa chambre, il expédiait ordre sur ordre et croyait sincèrement qu’à sa voix la discipline allait rentrer dans l’armée, en même temps qu’il sentait la vigueur renaître dans ses membres. « Vous êtes présentement instruit, écrivait-il au ministre, du succès de l’entreprise que mon passage à Dresde a opéré, et toutes choses sont si fort changées depuis que je suis ici, qu’il n’y a que sujet d’être tranquille et de bien espérer de toutes les affaires générales et politiques… Le repos d’esprit que je goûte depuis que je suis ici m’a considérablement rétabli. » Il n’oubliait qu’une chose, c’est qu’il avait écrit lui-même au même ministre, de Dresde, dans un jour de désespoir, que décidément la double tâche qu’il avait assumée excédait les forces humaines et qu’il reconnaissait son toit en l’expiant. La lettre, après laquelle il n’était plus temps de courir, était arrivée à son adresse, et la réponse fut l’annonce qu’un successeur, le maréchal de Broglie, lui était envoyé pour prendre le commandement de l’armée[2].

C’était une résolution aussi naturelle que raisonnable : le choix du remplaçant ne l’était pas moins. Depuis la mort de Berwick et de Villars, et en attendant que Belle-Isle eût réalisé tout ce qu’on attendait de lui, Broglie tenait, d’un commun aveu, un des premiers rangs parmi les officiers supérieurs de l’armée française. Sa conduite en Italie pendant la guerre précédente était justement appréciée ; à la vérité, à la suite d’un succès remporté sous les murs de Parme, il s’était laissé surprendre la nuit, par un parti d’Autrichiens, d’une manière qui avait prêté aux railleries des chansonnière de Versailles. Mais comme, dès le lendemain, il avait pris sa revanche par une victoire plus éclatante devant Guastalla, cette mésaventure, qui n’amusait plus que des plaisans de profession, n’ôtait rien à l’estime des connaisseurs. De plus, en sa qualité de gouverneur de Strasbourg, c’était lui qui avait dû présider à l’opération toujours délicate du passage du Rhin par une armée en campagne : toutes les troupes avaient défilé sous ses yeux homme par homme ; il avait pu connaître tous les officiers de leur état-major. Ses trois fils étaient sous les drapeaux, et l’aîné venait de prendre une part brillante au dernier fait d’armes. Il se trouvait donc chargé de la suite d’une opération dont une des phases importantes avait déjà passé par ses mains ; d’ailleurs il était plus ancien de grade et d’âge que Belle-Isle, ce qui réglait d’avance entre les deux maréchaux toutes les questions de préséance, sans mettre en jeu l’amour-propre d’aucun d’eux. Quelques inconvéniens (il y en a toujours) venaient compenser en partie ces avantages. D’abord le nouveau commandant en chef, né en 1672, allait achever sa soixante et dixième année, ce qui, même de nos jours et dans nos lois militaires, est regardé comme un âge un peu avancé pour un général, mais ce qui le paraissait bien plus encore à une époque où, la vie active commençant de meilleure heure, les forces physiques s’épuisaient plus tôt. Dans le cours de l’été précédent, il venait d’éprouver un de ces accidens de vieillesse que les amis et les familles déguisent, qu’on ne s’avoue pas à soi-même, mais qui avait l’apparence d’une première atteinte d’apoplexie. On remarquait que, depuis son rétablissement, son humeur, qui n’avait jamais été facile, prenait un caractère d’obstination intraitable et irascible, lui rendant difficile le maniement des hommes et des affaires. En outre, il avait été plusieurs années ambassadeur en Angleterre à une époque où prévalait la politique pacifique de Fleury, ce qui lui avait permis même de vivre presque dans l’intimité de Robert Walpole. Prétendant, à ce titre, joindre des connaissances diplomatiques à son expérience militaire, il ne se faisait pas faute de blâmer assez hautement aussi bien le but que la direction générale de la guerre actuellement engagée. Le bruit de ces critiques était-il parvenu jusqu’à Berlin ? Je l’ignore ; mais toujours est-il que ceux qui approchaient de Frédéric savaient qu’il s’exprimait habituellement assez mal et avec sévérité sur le compte du gouverneur de Strasbourg. Il gardait en particulier un très mauvais souvenir de la visite qu’il avait été obligé de lui faire lors de l’équipée de jeunesse que j’ai racontée[3]. Revenant volontiers sur cette aventure avec un singulier mélange de raillerie et de colère, il se plaignait tour à tour et que le maréchal eût voulu d’abord le faire arrêter et qu’ensuite, par ses politesses excessives, il eût trahi le secret de son incognito. Ceci, à la vérité, pouvait être ignoré à Versailles, et Fleury, eût-il connu ce détail, lui dont la rancune était le moindre défaut, n’eût jamais cru qu’on pût faire jouer à de pareilles puérilités un rôle quelconque dans les affaires sérieuses[4].

Mais Belle-Isle, très dépité d’avoir été pris au mot, trouvait dans ces inconvéniens réels du nouveau choix des motifs suffisans pour justifier et faire partager autour de lui le désappointement qu’il éprouvait. Trop habile pour réclamer contre une décision qu’il avait sollicitée, trop prudent pour mettre les premiers torts de son côté en décriant d’avance son collègue, il se borna à répondre que le choix était excellent, mais qu’il était à craindre que là non plus on ne trouvât pas une santé bien résistante. En tout cas, il allait s’arranger pour que le maréchal de Broglie trouvât à son arrivée tout mis en ordre et toutes les fautes réparées. Mais il est permis de supposer qu’il n’ignora pas absolument que des réclamations nombreuses étaient adressées par des officiers de son état-major faisant dire à Versailles que tout était perdu si on retirait à l’armée un chef adoré d’elle. L’électeur, de son côté, écrivait à Louis XV une lettre désolée où il se plaignait, comme un fils à son père, qu’on lui enlevât le conseiller de sa confiance, et il est à croire que Belle-Isle eut quelque connaissance de la démarche.

Fleury, toujours désolé de déplaire et qui comprenait à demi-mot, essaya vainement de panser la blessure par ses caresses accoutumées. « Rappelez-vous, écrivait-il à Belle-Isle, l’état où vous vous trouviez à Dresde, aussi bien que celui de notre armée de Bohême. La peur et le découragement l’avaient gagnée ; toutes les lettres, sans exception, ne parlaient plus que de désastres… Dans cette situation, pouvions-nous laisser nos troupes à l’abandon ? .. Nous étions à la veille de voir arriver tous les malheurs. Nous en voilà dehors, et si nous avions pu le deviner, nous aurions laissé les choses où elles étaient. Il faut tabler présentement sur la situation où nous sommes. Je vous prie d’être persuadé que j’ai écrit à M. le maréchal de Broglie comme je le dois et que je ne lui ai pas caché que le roi désirait que vous eussiez toujours la direction des affaires générales et qu’il ne pouvait se mêler que des opérations militaires, qu’il devait même les concerter avec vous auparavant, et je le pense véritablement plus que jamais. Tout l’honneur qui pourra nous en revenir vous est dû, et il n’est que juste de vous le donner. Quand vous serez libre et que vous n’aurez plus rien à faire à Francfort, ne croyez pas qu’on vous laisse inutile et servir en second. Je ne suis pas assez injuste pour le penser et je vous prie instamment d’être tranquille. Votre gloire et votre réputation me sont aussi chères qu’à vous-même. »

Satisfait ou non de ces assurances, Belle-Isle eut soin de ne pas les tenir secrètes et de laisser clairement entendre qu’au fond c’était toujours lui qui était le maître et qu’il ne tarderait pas à revenir. Pour s’y préparer, il engagea ou du moins il autorisa les officiers avec qui il était en rapport d’amitié à l’entretenir dans des correspondances privées de tous les mouvemens qui leur seraient commandés. Dans la disposition déjà malveillante des esprits, rien n’était mieux fait pour ruiner l’autorité morale de son successeur. Puis, dès que Broglie fut arrivé, il partit d’assez mauvaise grâce pour Francfort, où l’attendaient pourtant des lauriers diplomatiques de nature à lui faire prendre en patience l’ajournement momentané de ses espérances d’un autre genre[5].

Ce n’était pas seulement, en effet, ni la ville de Prague, ni même la couronne de Bohême qui avait été enlevée par escalade, mais bien la dignité impériale elle-même. La grande nouvelle était tombée en pleine diète à Francfort ; les électeurs ou leurs représentans y tenaient déjà séance depuis quelques jours sous la présidence de l’archevêque de Mayence lui-même ; mais ils n’avaient encore passé leur temps qu’à discuter les questions de préséance et d’étiquette qui ne manquaient jamais dans les réunions germaniques. Tout céda à l’instant devant l’arrêt de la fortune, et l’unanimité fut tout de suite assurée au protégé de la France. D’abord, par le fait même de la conquête de Prague, la question épineuse de l’admission ou de l’exclusion des représentans de Marie-Thérèse était réglée, car du moment que la Bohême reconnaissait en fait un nouveau roi, le moins qu’on pût faire, c’était de laisser son électorat en vacance. Des huit voix qui restaient, trois étaient assurées à Charles-Albert : la sienne propre, celle de la Saxe et du Brandebourg ; une quatrième, celle du Hanovre, était le prix de la neutralité promise au roi George. Les trois électeurs ecclésiastiques, n’ayant attendu que de savoir où était la force, n’avaient plus de raison pour balancer. Enfin l’électeur palatin, bien que cadet de la maison de Bavière, s’était bien fait prier quelque temps ; mais il se décidait à suivre la majorité depuis que, par la renonciation de Frédéric aux duchés de Berg et de Juliers, l’intégrité de sa succession était assurée à, son neveu, le margrave de Sultzbach, époux désigné d’une de ses petites-filles.

Ce fut même là, à Manheim, chez ce parent avec qui il avait jusque-là assez mal vécu, que Charles-Albert, laissant Belle-Isle aller mettre à Francfort la dernière main à son œuvre, vint attendre le résultat d’un vote qui n’était plus douteux. Il y devait prendre part aux fêtes d’une double noce : celle de l’héritier désigné de l’électorat, et celle de son propre frère, le duc Clément de Bavière, promis à une autre des princesses palatines. Ces fêtes, qui saluaient d’avance l’avènement d’un pouvoir nouveau, furent très brillantes, et si je n’avais déjà abusé de la patience du lecteur par le tableau des futilités ridicules des petites cours allemandes, je ne résisterais pas à la tentation de rapporter encore ici quelques détails burlesques dont un auteur comique ferait son profit. On me laissera bien raconter, par exemple, que, pendant toute la durée des réjouissances, le résident de France, M. de Tilly, et le futur empereur lui-même n’avaient que deux préoccupations. L’une était d’empêcher leur hôte de dépenser tous les revenus de son petit état, et même par anticipation ceux de son successeur, dans un luxe sans mesure d’habits et de luminaires, prodigalité dont quelques parcelles, sous forme de subsides, auraient fort accommodé le trésor de l’armée bavaroise ; l’autre était la crainte qu’en prenant lui-même aux divertissemens une part trop animée, le vieillard cacochyme ne déterminât quelque rechute d’une maladie grave dont il était atteint ; son trépas inopportun, arrivant avant l’élection faite, eût été un retard fâcheux qui pouvait encore tout compromettre.

« L’électeur, écrivait le résident, a donné à chacune de ses fille » neuf habits qui sont, pour ainsi dire, tout massifs d’or et d’argent : il en a au moins autant pour lui-même, tous plus riches les uns que les autres, il en change tous les jours. La dépense de bougies qu’il fait est immense… et le roi lui donnerait le village de Landau pour en retrancher une qu’il ne l’accepterait pas. » Puis, au grand bal qui eut lieu le soir des noces, il n’y eut pas moyen de le détourner de se faire mettre dans une chaise roulante, poussée par deux chambellans, et de suivre ainsi toutes les figures d’une polonaise dansée aux flambeaux. Heureusement, le plaisir tue rarement même les vieillards, et le bon électeur vécut assez pour que son envoyer, pût prendre part quelques jours après (le 27 janvier) à la proclamation faite au son du canon et des acclamations populaires de Charles VII, roi des Romains, le premier empereur d’Allemagne qui, depuis des siècles, n’eût point appartenu à la descendance de Rodolphe de Habsbourg[6].

Pour le coup, Belle-Isle était excusable de se croire passé au rang des grands hommes et de se placer déjà devant les regards de la postérité comme le génie qui avait mis le sceau aux grandes destinées de la monarchie française. C’est avec un enthousiasme sincère qu’il écrivait au roi lui-même : « Sire, le succès couronne les entreprises de Votre Majesté. La perfection de ce grand ouvrage comble de gloire son règne et assure l’avenir et le repos de sa couronne. » Au cardinal il donnait quelques détails qui relevaient encore son triomphe : « — Je ne dois pas omettre, disait-il, d’informer Votre Éminence que, dans le moment que l’empereur est venu à la fenêtre de l’hôtel-de-ville et s’est montré au peuple… il s’est élevé des acclamations infinies. J’avais l’honneur d’être à une fenêtre avec l’impératrice, qui y était incognito. L’empereur, ému de ces acclamations et de ces cris de joie, tourna les yeux vers moi et portant la main à la couronne de Charlemagne qu’il avait sur la tête, il me fit signe que c’était au roi seul qu’il devait l’éclat dont il jouissait. » N’oubliant pas pourtant, même dans l’ivresse du succès, à quel homme il avait affaire, Belle-Isle ne négligeait pas de dresser tout de suite le compte de ce qu’avait coûté cette grande opération ; il était sûr que l’économie ne ferait qu’en relever le mérite : — « Il faut payer, disait-il, ce qu’on a promis : 200, 000 francs au neveu de l’électeur de Mayence, avec une abbaye de 25, 000 ; 20, 000 écus au ministre, 2, 000 au secrétaire, autant au valet de chambre, et de 15, 000 à 20, 000 francs au directoire de Mayence. Jamais grande affaire ne s’était faite à si bon marché. » Il n’ajoutait pas à la vérité que, depuis quinze jours, il tenait table et maison ouvertes, que tous les électeurs venaient souper chez lui tour à tour avec leur suite, et que le nouvel élu avec la nouvelle impératrice lui avaient promis d’en faire autant le lendemain de leur couronnement ; à la manière dont il savait faire les choses, il y avait là un supplément de compte en perspective dont Fleury, en bon calculateur, dut faire sans peine la supputation[7].

Aussi, dans la réponse qui lui fut faite voit-on, au milieu des plus chaudes félicitations, percer cette préoccupation économique. Les complimens les mieux tournés remplissent, à la vérité, seuls, la lettre autographe de Fleury : « Je ne doutais pas du succès, dit-il, mais c’est un si grand événement qu’il est difficile d’être tranquille jusqu’à ce que tout soit-consommé. Tout l’honneur vous est dû : vous ne le partagez avec personne. Vous voulez bien m’y associer, mais je vous répondrai ce que Charles IX répondait à un consul de Guyenne qui le louait sur la bataille de Jarnac ; il lui tourna le dos en lui disant qu’il le prenait apparemment pour son frère, le duc d’Anjou ! » Mais dans la lettre ministérielle jointe à la même date à ce billet intime, les louanges sont tempérées par cette réflexion finale : « Il faut maintenant travailler à la paix et tâcher que la France, après tant de peines, de risques et de dépenses, en retire aussi quelque avantage[8]. »

Les communications télégraphiques n’existaient pas alors et les nouvelles, parties de tous les points du monde, ne se croisaient pas à toute heure, répétées par mille gazettes, ce qui laissait aux politiques et aux diplomates quelques momens, après les grands événemens, pour respirer, pour se recueillir et même pour se livrer à la joie légitime du succès. Sans cette heureuse impuissance de tout savoir (que j’ai eu occasion de regretter plus d’une fois dans la fiévreuse précipitation de notre politique contemporaine) les fastueuses promesses de Belle-Isle eussent été singulièrement troublées par de mauvais renseignemens partis au même moment de tous les théâtres des opérations militaires, et le nouvel empereur, le jour même où il prenait possession de sa dignité un peu idéale, aurait eu à concevoir de sérieuses alarmes pour la sécurité de ses états patrimoniaux. C’était un revers, de médaille que Belle-Isle (s’il ne pouvait le connaître) aurait peut-être pu prévoir, car ce fâcheux changement était dû en partie à l’état d’incertitude et de faiblesse morale dans lequel, par son attitude maussade, il avait contribué à jeter l’armée dont il léguait le commandement au maréchal de Broglie.

Il fallait bien s’attendre, en effet, que la prise de Prague, précisément parce qu’elle avait été subite et aisée, en facilitant tout, ne terminait rien. Pas une goutte de sang français n’avait été répandue mais aussi pas un Autrichien n’avait péri, et les troupes de Marie-Thérèse, ne comptant pas un homme de moins, étaient plus étourdies que vaincues. Retirées pendant quelques semaines au sud de Prague, à Neuhaus, à Budweiss et Tabor, elles ne tardèrent pas, sous la généreuse impulsion qui leur venait de Vienne, à se remettre de leur démoralisation momentanée. Avant le 1er janvier, une nouvelle et double attaque était combinée. Le corps d’armée du maréchal Neipperg, dont le grand-duc avait pris le commandement, dut s’avancer de nouveau vers Prague, en descendant la Moldau pour surprendre à Pisek les avant-postes de l’armée française et gêner ses communications avec la division qui était restée à Linz dans la Haute-Autriche aux ordres du marquis de Ségur ; cette division de Ségur elle-même, ainsi isolée, dut être prise directement à partie par un nouveau corps d’armée formé à Vienne et confié au maréchal de Khevenhüller.

Effectivement, le 26 décembre, quelques jours seulement après le départ de Belle-Isle, le comte d’Aubigné, qui était détaché dans le poste avancé de Pisek, était averti du retour offensif du grand-duc et en donnait avis, avec beaucoup d’alarme, au maréchal de Broglie. Celui-ci arriva sur-le-champ et trouva ce point important très dégarni et les dispositions de défense mal prises. C’était l’avis de d’Aubigné lui-même, qui ne craignait pas d’en faire l’aveu à Belle-Isle en personne, dans une de ces correspondances secrètes que le maréchal, sans égard pour la discipline, avait la faiblesse de se laisser adresser. « La situation est très grave, écrivait cet officier-général le 28, au matin. Il est constant que les ennemis sont ici plus forts que nous et que nous ne sommes point du tout en état de parer à ce qu’ils peuvent faire contre nous… Je regarderai comme une espèce de miracle si nous regagnons Prague sans échec ; je dis plus, c’est qu’il est physiquement impossible que ceci subsiste trois jours dans la situation où cela s’enfourne… Je vous avoue que M. le maréchal de Broglie s’est chargé de la plus mauvaise besogne qui se soit peut-être vue à la guerre et dont je crois qu’il est bien impossible qu’il se tire bien, à moins que les généraux ennemis ne soient bêtes comme des cochons : et je vous proteste que si j’avais été maréchal de France, commandant en Alsace, je n’aurais pas quitté ce poste pour venir me perdre et me déshonorer, et nous sommes ici plusieurs, qui, sans être aussi grands ni aussi bien que lui, ne serions pas fâchés de n’y pas être. Je quitte cette lettre parce que voilà l’armée des ennemis qu’on nous annonce arrivée sur nous. M. le maréchal est résolu, et il a raison, de soutenir Pisek à tel prix que ce soit[9]. »

D’Aubigné était bien informé ; avant même qu’il eût pu terminer sa lettre, l’avant-garde de l’ennemi était en vue, et le grand-duc, confiant dans la supériorité numérique que lui assurait sur ce point isolé la dispersion des troupes françaises, ne craignit pas d’envoyer en avant un trompette pour faire sommation à la ville de se rendre. Mais le maréchal, ayant dans la nuit ramené, par un rapide mouvement de concentration, tous les détachemens qui étaient à portée, se crut en mesure de tenir ferme et, rassemblant autour de lui son état-major, il attendit le trompette autrichien, qu’on lui amena à travers la ville, les yeux bandés : celui-ci, conformément à ses ordres, déclara à haute voix que « le grand-duc n’aimant pas même le sang de ses ennemis, encore moins celui de ses sujets, avertissait la ville que, si elle n’était pas rendue dans le moment, il ferait passer tout au fil de l’épée. » Il s’exprimait en allemand, le comte de Saxe, qui était auprès du maréchal, traduisant de son mieux ces paroles menaçantes, a Répondez, dit alors le vieux soldat, que je m’attendais que M. le grand-duc avait meilleure opinion de la nation française et des officiers qui ont l’honneur de servir, le roi, et que s’il attaque la ville, ces messieurs qui sont ici espèrent mériter mieux l’honneur de son estime. »

Puis il se rendit lui-même aux différentes portes de la ville pour placer à chacune la garde qui devait la défendre. En avant de la principale on apercevait à cinq cents pas les premières colonnes ennemies. Se retournant vers les jeunes ducs de Luxembourg et de Boufflers, qui l’accompagnaient : « Messieurs, leur dit-il, quand des gens comme vous viennent de si loin à la guerre, ils ont sûrement envie de se distinguer. Voulez-vous que je vous en donne aujourd’hui l’occasion ? Il y a apparence que les gens que vous voyez ne tarderont pas à vous rendre visite. » — « Ils se jetèrent à mon cou en me remerciant, disait plus tard le maréchal dans sa dépêche, et je vous assure avec vérité qu’il y a lieu de croire qu’ils suivront les traces de messieurs leurs grand-père et père. » Ainsi fortement organisée, la défense suppléa par l’énergie à l’infériorité du nombre ; un assaut tenté dans la soirée fut repoussé avec perte ; et le grand-duc, étonné d’une résistance qu’il n’attendait pas, se retira sans insister. « Il eut, dit la dépêche déjà citée, la honte de se retirer après beaucoup de fatigue, comme il était venu. » — « En vérité, ajoutait le maréchal, ce n’est pas sans beaucoup de peine que je suis parvenu à mettre l’armée du roi en sûreté d’une manière honorable qui a empêché les ennemis de rentrer au milieu de la Bohême et de nous mener en désordre sous les murs de Prague, si je m’étais conduit autrement que je l’ai fait, dont messieurs les officiers-généraux et toute la troupe m’ont paru fort contens, au moins j’aime à le croire[10]. »

Ce n’était pas sans raison que Broglie parlait avec cette réserve du contentement de ses collaborateurs, car, l’affaire terminée, bien loin d’être pressés de se féliciter avec lui du succès commun, presque tous les officiers de son état-major ne semblaient avoir qu’une pensée : c’était la crainte qu’un hommage rendu au mérite du nouveau chef ne parût une critique à l’adresse du précédent. Ils paraissaient vouloir surtout éviter tout ce qui aurait pu encourager le maréchal de Broglie à prendre son commandement trop au sérieux. Le major-général lui-même, ou, comme on disait alors, le maréchal général des logis, M. de Mortagne, poussa l’inconvenance jusqu’à avoir avec le maréchal à ce sujet une explication des plus vives ; et, chose vraiment comique, c’est le même d’Aubigné, que je laissais parler tout à l’heure, qui rend compte de cette scène étrange dans le post-scriptum même de la lettre citée, dont il oubliait apparemment, en la fermant, les premières lignes.

« Les ennemis se sont présentés et retirés, écrit-il, et il me paraît que ce matin M. le maréchal, entre nous, compte d’après la retraite des ennemis avoir remporté une grande bataille : il était déjà persuadé cette nuit que sans lui tout était perdu ; il a même eu sur cela une prise avec M. de Mortagne, qui lui parla très bien, mais très fortement, et qui lui a fait voir que, par les ordres que nous avions donnés avant qu’il fût arrivé, nous aurions fait, quand il ne serait pas venu, la même chose que lui. Je n’étais pas présent à cette espèce de conversation ; mais on m’a dit qu’elle avait été fort mesurée dans les termes, mais fort vive et fort sèche… Je lui conseille de ne pas tenir devant moi les mêmes propos, car je ne lui passerai pas du tout cet air de conquérant. » On s’entremit pourtant entre le général et son subordonné et après un échange de bonnes paroles, l’harmonie fut momentanément rétablie, ce qui n’empêchait pas Mortagne d’écrire à Belle-Isle qu’afin de mettre la vérité dans tout son jour, il devait s’arranger pour bien faire établir par la gazette à Paris que toutes les mesures heureuses et décisives avaient été prises par lui avant son départ, et que son successeur n’avait eu qu’à en profiter. « Nous nous sommes boudés toute la journée, disait-il en finissant, et le soir il m’a dit qu’il voulait que nous fussions bien ensemble. Dieu soit loué ! il ne sera jamais M. de Belle-Isle pour moi. »

De son côté, Broglie n’était pas non plus sans défense à Versailles. Il avait amené avec lui quelques officiers qui ne manquaient pas de chanter ses louanges. — « Les ennemis sont couverts de honte, écrivait l’un d’eux, et M. le maréchal, de gloire par les ordres qu’il a donnés, et par ses triomphantes dispositions qui ont fait l’admiration de tout le militaire. » Fleury en recevant ces témoignages contradictoires se borna à sourire, et l’on voit encore sur l’une des lettres ces mots écrits de sa main : Cancans peu utiles. Il avait raison de prendre en pitié ces misères, mais tort de ne pas savoir qu’il n’en faut souvent pas davantage pour causer la ruine d’une armée et expliquer les malheurs de tout un règne[11].

Ceux qui disputaient ainsi au maréchal l’honneur de son premier succès lui reprochèrent plus vivement encore de n’en pas savoir tirer parti. On s’attendait, à la vérité, assez généralement à le voir lui-même sortir de ses lignes et suivre l’ennemi dans sa retraite. Et les mêmes gens à qui, la veille, l’armée du grand-duc paraissait assez forte pour tout écraser n’y voyaient plus le lendemain que des fuyards qu’on bousculerait en fonçant sur eux. Le maréchal, au contraire, jugeait que l’alerte avait été assez sérieuse pour servir d’avertissement et craignait pour ses troupes, déjà réduites par les fatigues, les rigueurs d’une campagne d’hiver. Il résolut donc de se fortifier dans Pisek, dont il fit une sorte de camp retranché et dont il se proposa de ne pas bouger, à moins de nécessité absolue, avant la belle saison. Ce parti, qu’il défendit contre toutes les objections qui lui furent présentées avec une hauteur obstinée, pouvait prêter à la critique ; mais les censeurs eussent été probablement moins nombreux s’il eût consenti à retourner de sa personne à Prague, dans une grande ville où les jeunes officiers de son entourage auraient trouvé, avec les commodités de la vie, quelques occasions de délassement. Il ne leur donna pas cette consolation ; loin de là, craignant toujours d’être pris par surprise et ne voulant pas que son inaction fût taxée de faiblesse, il demeura de pied ferme, lui, ses fils et tout son monde, dans cette bourgade, où ils étaient plus campés que logés. Il restait ainsi exposé, par un froid très rigoureux, à des privations de toute espèce qu’il donnait l’exemple de supporter avec une parfaite indifférence.

Rien n’est plus opposé, on le sait, au tempérament français que le calme dans la souffrance et le support patient d’épreuves plus pénibles que glorieuses ; aussi les murmures devinrent-ils très vifs, non parmi les soldats, qui savaient gré à leur général de partager leurs peines, mais dans la brillante jeunesse, qui ne connaissait que deux manières de passer le temps : le plaisir ou le combat, et Belle-Isle dut recevoir plus d’une confidence pareille à celle-ci, que je trouve encore signée du même d’Aubigné : « Je vous dirai, monsieur, qu’autant je désirais être employé quelque part pendant que les troupes restaient en quartier d’hiver, autant je désire actuellement rentrer à Prague. Il ne me convient nullement de rester à Pisek, qui est un quartier abominable pendant l’hiver. J’y pourrais trouver quelque adoucissement sous vos ordres, mais n’en chercherai point avec cet homme-ci… A Prague, je mènerai la vie que je voudrai, et si vous y veniez, je serai sûr de vous voir, ce qui n’est pas indifférent pour moi. »

Ce qui prêta bientôt quelque apparence de raison aux reproches d’inertie et d’immobilité faits au maréchal, ce fut la situation alarmante dans laquelle ne tarda pas à se trouver placée la division française laissée sur le Haut-Danube. C’est de ce côté, en effet, que les Autrichiens, renonçant à forcer le maréchal dans ses positions de Bohême, mais ne craignant pas non plus de l’en voir sortir, se trouvèrent libres de porter leur principal effort. Tandis que l’armée du grand-duc, se retranchant elle-même dans une série de places fortes (Iglau, Neuhaus, Budweiss et Tabor), formait comme une barrière qui fermait la communication entre la Bohême et la Haute-Autriche, le maréchal Khevenhüller, à l’abri derrière ce rideau, commençait l’attaque dont il était chargé. Son corps d’armée, que Marie-Thérèse destinait à reconquérir le plus ancien patrimoine de sa famille, avait été formé à Vienne, par elle-même, et sous ses yeux, avec un soin tout particulier. De douze mille hommes qui le composaient d’abord, elle l’avait porté à seize en y joignant des levées de Hongrie et des troupes rappelées d’Italie, tandis que Ségur n’en commandait pas plus de huit à dix mille. Le maréchal était un vieux compagnon du prince Eugène. Le soir où il quittait la capitale, elle lui envoya un portrait où elle était représentée tenant son fils dans ses bras ; elle y joignit une lettre de sa main qui fut lue sur le front des troupes en manière d’ordre du jour : « Cher et fidèle Khevenhüller, y était-il dit, tu as devant les yeux l’image d’une reine abandonnée du monde entier, et de l’héritier de sa race… Que deviendra cet enfant ? C’est à toi que je le demande. Sa mère te confie comme à un fidèle ministre tout ce qu’elle a de force et de puissance. Agis donc, ô héros et fidèle vassal, suivant le compte que tu auras à rendre à Dieu et aux hommes. Prends la justice pour bouclier, fais ce que tu crois juste, sois sans pitié pour le parjure, suis les exemples de ton glorieux maître qui est dans le sein de Dieu, et mérite toutes les faveurs de notre reconnaissance royale pour toi et ta famille, en même temps qu’une immortelle renommée devant Dieu et devant le monde. Que Dieu te prête vie et force dans les combats[12] ! »

Khevenhüller se montra digne de cette confiance. Dès les premières rencontres, Ségur, étonné de trouver dans des troupes qu’on croyait abattues une ardeur et même une force numérique qu’il n’attendait pas, abandonna un peu précipitamment les positions qu’il occupait sur la rivière d’Ens et se retira dans Linz, où il n’allait pas tarder à être bloqué. Il dépêcha à Prague pour demander du secours en même temps qu’il donnait avis de son péril à Francfort. En réponse à cet appel, le maréchal Torring rassembla tout ce qu’il y avait encore dans Prague de troupes bavaroises et se mit en route pour lui venir en aide. Mais le chemin était long et difficile ; toutes les communications directes étant interceptées, on ne pouvait suivre que des voies détournées, et il était douteux que ce secours, lui-même insuffisant, fût en mesure d’arriver à temps. Une seule opération eût été réellement efficace, c’eût été une puissante attaque dirigée contre le front de bataille de l’armée du grand-duc pour la forcer ou lui passer sur le corps et tomber sur les derrières de Khevenhüller au moment où il commencerait le blocus de Linz. Broglie ne s’y refusait nullement, malgré son désir de ne rien risquer pendant l’hiver. Mais le succès de cette tentative, très douteux si l’armée française était seule à l’entreprendre, ne pouvait être rendu certain que par le concours de toutes les forces alliées, c’est-à-dire si l’armée prussienne elle-même se mettait de la partie. Frédéric était-il d’humeur à en donner l’ordre ? Il n’y paraissait pas disposé, et, en tout cas, le maréchal de Broglie ne pouvait se faire l’illusion qu’il eût sur l’esprit du prince assez de crédit pour l’y déterminer[13].

Le maréchal s’était en effet quelque temps refusé à croire ce qu’on lui disait de la malveillance obstinée de Frédéric à son égard et du ressentiment laissé par leur malencontreuse entrevue de Strasbourg ; il avait même répondu, non sans quelque suffisance, à ceux qui lui disaient de se mettre en garde, qu’il avait vécu avec plus d’un souverain et toujours su mériter leur estime. Mais les propos qui ne tardèrent pas à lui revenir par tous les échos le forcèrent bientôt à moins de confiance. Il fallut reconnaître que sa présence à la tête de l’armée française avait eu le don de jeter Frédéric, dès le premier jour, dans un état d’irritation nerveuse qui, loin de se calmer, ne faisait que s’accroître. Du plus grand sérieux du monde, le roi prétendait que l’envoi d’un général dont il avait eu à se plaindre une fois en sa vie était, de la part du cabinet français, une offense directe et préméditée contre sa personne. On ne pouvait prononcer le nom du nouveau commandant français devant lui sans lui causer de vrais accès de rage, et lui-même ne pouvait l’articuler sans le faire suivre de quelqu’une des épithètes outrageantes et indécentes dont il possédait, on le sait, un répertoire des mieux garnis. « Il suffirait, écrit Valori, de faire apercevoir au roi de Prusse que M. le.maréchal de Broglie pût retirer le moindre avantage de la plus légère démarche et même la plus avantageuse qu’il ferait pour qu’il s’y refusât[14]. »

Cette rancune persistante, pour un motif si frivole, étonnait chez un esprit essentiellement pratique et qui, méprisant à peu près également tous les hommes, ne perdait pas d’ordinaire son temps à les aimer ou à les haïr. Un observateur un peu sagace eût deviné> je le crois, que sous cette colère d’emprunt se cachait plus de calcul que d’emportement. Au fond, ce n’était pas l’arrivée de Broglie qui irritait l’impatient monarque, c’était le départ de Belle-Isle. C’était Belle-Isle qu’il regrettait et qu’à tout prix il voulait ravoir sous sa main, Belle-Isle, inspirateur de la guerre et décidé à tous les sacrifices pour le succès d’une entreprise où il avait mis son honneur ; Belle-Isle, auteur de l’alliance prussienne, et obligé de tout accepter de l’ami qu’il avait recherché pour ne pas paraître avoir été sa dupe. D’un autre général moins prévenu pour une œuvre qui ne serait pas la sienne, Frédéric ne pouvait attendre ni la même complaisance ni la même crédulité. Il avait sur Belle-Isle une prise qu’il ne voulait pas lâcher.

Toujours est-il qu’à partir du jour où Belle-Isle fut parti et Broglie en possession, le peu de bonne volonté de venir en aide à ses alliés que Frédéric avait témoignée après la prise de Prague fut de nouveau subitement refroidi. Il profita bien du désarroi de l’armée autrichienne pour s’emparer presque sans coup férir d’Olmütz et de Glatz, puis il se mit en route pour Berlin, où il devait célébrer les noces d’un de ses frères. Là, tout entier aux soins de son administration intérieure, il ne paraissait pas plus s’occuper des faits de guerre que s’il n’y eût pas été intéressé, à moins qu’il ne s’agît de critiquer (et toujours avec beaucoup de dédain et d’amertume) toutes les mesures qu’on prenait en son absence. « Je pars demain pour Rheinsberg, écrivait-il à Voltaire le 8 janvier, pour reprendre la houlette et la lyre et, veuille le ciel, pour ne la quitter jamais ! » Ce fut dans cette retraite pastorale que vint le chercher une lettre très pressante de Charles-Albert, le sollicitant de tout faire pour secourir Ségur et empêcher que, Linz étant obligée de se rendre, la Bavière ne fût envahie. Une autre de Belle-Isle, dans le même sens, y était jointe. Celle-là était écrite à la demande de Broglie lui-même, qui, faute de pouvoir agir personnellement à Berlin, n’avait pas hésité à recourir à cet intermédiaire. Belle-Isle s’était conformé au désir de son collègue, mais, en l’avertissant qu’il n’y avait pas à compter sur la docilité des Prussiens[15].

Mais, avec Frédéric, on ne savait jamais à quoi s’attendre. Contrairement à la crainte générale, loin de se faire prier, il alla tout de suite, non-seulement au-devant, mais au-delà de ce qui lui était demandé. On ne le pressait que d’envoyer un corps de troupes avec un de ses officiers supérieurs. Il déclara qu’il prendrait lui-même le commandement de l’opération, et qu’ayant besoin des troupes saxonnes, il allait tout de suite demander, à Dresde, au roi de Pologne, de lui prêter leur concours. Il invita même Valori à le devancer de quelques heures dans cette ville pour préparer les voies aux communications qu’il avait à faire.

Quand cette résolution généreuse fut connue, ce fut un enthousiasme universel, et vingt lettres aussitôt écrites allèrent porter à Francfort, à Prague et à Linz les louanges du héros qui sacrifiait son repos et exposait sa personne pour le bonheur de ses alliés. Il n’y avait que Valori, qui, ne comprenant pas bien la mission qu’il allait remplir et trouvant qu’on disposait un peu lestement de sa lourde personne, témoignait quelque inquiétude. Les explications très insuffisantes que lui donna Frédéric, en lui laissant prévoir des difficultés de plus d’un genre, ne faisaient qu’accroître son trouble : « Je veux le commandement, lui dit le roi, parce que votre maréchal de Broglie ne me convient pas. » Puis, quelques mots sur la direction que devait prendre l’expédition projetée achevèrent de le confondre : « Il y a bien à réfléchir sur tout ceci, écrivait-il à Belle-Isle au moment de monter en voiture. Mais, pour faire des représentations et des explications, il faut avoir affaire à un prince qui vous écoute ; mais il dit : Je vous prie de retenir ceci, et il vous plante là. C’est la manœuvre qu’il a faite aujourd’hui avec moi à Charlottenbourg avec tant d’empressement de me faire partir qu’avant de se mettre à table il ne m’a pas donné à dîner… Il est donc vrai, Monseigneur, que je pars cette nuit pour cette belle négociation. Il faut que je me prépare en cinq bu six heures de temps sans savoir jusqu’où ce prince me mènera… Il est impraticable de suivre un prince qui, n’ayant pas d’équipage du tout, ne se soucie pas de ce que devient un ministre à sa suite. » Et, à son ministre, il écrivait encore : « Je ne puis, vous dire tout ce que je souffre de cette commission : je prévois des désagrémens infinis à la façon de penser de ce prince sur le maréchal de Broglie… M. de Belle-Isle est le seul qui soit en état de contenir ce prince, et nous touchons peut-être au moment de lui voir faire des écarts terribles. Ne croyez pas qu’on puisse répliquer à ce qu’il dit. Quelque raison qu’on ait, il enfile un discours véhément et décisif et vous laisse à vos réflexions, qui ne sont pas toujours à son avantage ; mais il faut revenir à céder[16]. »

Valori ne se trompait pas : l’entrevue qu’il allait préparer à Dresde fut, en fait, des plus orageuses, et pour lui, en particulier, des plus pénibles. Le premier jour qui suivit l’arrivée du roi de Prusse se passa au milieu de fêtes et de splendeurs de tout genre : festin, bal et spectacle, que le frivole Auguste III se plut à prodiguer autant pour faire éclater son luxe que pour faire honneur à son hôte. Mais, le lendemain, Frédéric demanda une conférence où durent assister, avec Auguste : son ministre, le comte de Brühl ; le général Rustowski, commandant de ses troupes ; son frère, le comte de Saxe, venu tout exprès du camp français ; les deux représentai de la France, Valori et Desalleurs, ministre français à Dresde ; enfin, le maréchal de Schmettau, officier supérieur, qui jouissait de la confiance personnelle de Frédéric.

Devant cet aréopage qui était tout oreilles pour l’entendre, Frédéric déroula un plan qui n’avait absolument rien de commun avec ce qu’on attendait de lui. Il proposait, non point de charger sur le centre de l’année du grand-duc, afin de s’ouvrir la route de Linz, mais de prendre au contraire cette armée en flanc sur sa droite, et de se rendre maître de la ville forte d’Iglau, placée à l’entrée de la Moravie. Une fois cette ville prise, laissant les troupes autrichiennes de côté, on traverserait la Moravie par une pointe hardie pour marcher droit sur le bas Danube et jusqu’à Vienne, si c’était nécessaire. Il ne fallait pas douter, disait Frédéric, que la reine, de Hongrie, menacée dans sa capitale, rappellerait |à l’instant pour sa défense, soit l’armée de Khevenhüller, soit celle du grand-duc, peut-être même toutes les deux. Dans l’une ou dans l’autre de ces hypothèses, ou Linz serait dégagé, ou Ségur pourrait être secouru par l’armée de Broglie. Puis, après avoir développé cette conception hardie par des raisons stratégiques d’une véritable force et avec une précision éloquente, il ajouta comme une chose qui irait d’elle-même qu’il ne pouvait malheureusement consacrer à cette entreprise qu’une faible partie de ses propres troupes. Il fallait donc qu’on mît sous ses ordres toutes les troupes saxonnes et une division de l’armée française, celle qui, commandée par le comte de Polastron, était en ce moment la plus voisine du prochain théâtre du combat, c’est-à-dire de la cité d’Iglau. Bien entendu, il aurait le commandement absolu et unique de ces forces auxiliaires sans aucun contrôle des généraux saxons ou français, « car, ajoutait-il, vous comprenez bien qu’un roi de Prusse ne peut pas commander en subalterne. »

La consternation fut peinte sur tous les visages, et l’embarras d’autant plus grand que le motif de la surprise était plus difficile à dire tout haut. L’idée en elle-même était séduisante et digne d’un grand capitaine ; mais c’était le post-scriptum qui gâtait tout : c’était ce commandement sans contrôle, ce blanc-seing pour disposer des hommes et de l’argent d’autrui demandé sur ce ton impérieux et par qui ? par le négociateur suspect qui, la veille encore, avait laissé échapper saine et sauve une armée ennemie, à la suite d’une transaction clandestine, et que la surprise de Prague avait seule arrêté en flagrant délit de trahison ! Ce qu’il avait fait hier, qui pouvait être sûr qu’il ne le recommencerait pas demain ? Une fois parti dans cette direction inconnue, hors de toute portée et de toute surveillance, quelle garantie avait-on que, si Marie-Thérèse venait à sa rencontre avec des propositions à sa convenance, il ne s’arrêterait pas pour traiter avec elle de ses avantages particuliers, en laissait les troupes confiées à sa discrétion se tirer d’affaire comme elles pourraient à cinquante lieues de leur base d’opération ? A la seule pensée de se livrer ainsi pieds et poings liés à un voisin qu’il avait toujours détesté, le roi Auguste restait bouche béante, osant à peine respirer. Valori et Desalleurs échangeaient des regards inquiets, se demandant ce que le maréchal de Broglie, privé, sans cérémonie, du bras droit de son armée, penserait de ce genre d’amputation.

On voudrait croire que ces soupçons partaient d’imaginations trop craintives ; mais c’est Frédéric lui-même qui parait avoir évité de s’en justifier trop complètement, a L’expédition de Moravie, dit-il dans l’Histoire de mon temps, était la seule que les circonstances permettaient d’entreprendre parce qu’elle rendait ce roi plus nécessaire et le mettait en situation d’être recherché des deux partis. Le roi s’y détermina en même temps, bien résolu pourtant de n’y employer que le moins de ses troupes qu’il pourrait et le plus de celles que ses alliés voudraient lui donner[17]. » Il serait difficile de comprendre pourquoi, au cours d’une expédition guerrière, il tenait à être recherché des deux partis, excepté pour se ménager la possibilité de traiter avec l’un en abandonnant l’autre à son mauvais sort. Et quant à la précaution étrange d’engager le moins de ses troupes qu’il pourrait, pourquoi limiter ainsi son enjeu, si ce n’était pour laisser à ses alliés tous les risques de l’opération ? Enfin c’est encore Frédéric lui-même (et les correspondances nouvellement publiées confirment cet aveu) qui nous apprend qu’au même moment où il tentait cette expédition chevaleresque, il se ménageait à Brünn, le chef-lieu de la province où il allait entrer, des intelligences avec un chanoine toscan du nom de Giannini, connaissance particulière du grand-duc, et par le canal duquel il se mettait en mesure de recevoir les communications secrètes que ce prince pourrait avoir à lui faire[18].

Ce fut Maurice de Saxe qui rompit le silence : il combattit le projet de diversion proposé, par des raisons qu’il rendit les meilleures possibles, mais dont aucune n’était ni la vraie, ni la vraiment bonne. Il insista surtout sur le danger de diminuer, dans le voisinage du grand-duc, l’effectif des troupes françaises, déjà réduit par les fatigues et les maladies de tout genre. Il fit valoir la difficulté de se procurer les subsistances nécessaires pour une expédition si lointaine, à travers des pays ravagés par les armées ou tellement hostiles qu’on ne pouvait compter sur les ressources locales. Sa double qualité de prince saxon et de général français, l’éclat qu’il devait à son heureuse aventure de Prague, donnaient à sa parole une autorité qui pouvait lutter avec celle de Frédéric. Celui-ci répondit point par point, faisant en quelque sorte, dit-il, le vendeur d’orviétan et débitant sa marchandise le mieux possible. Dans le cours de la discussion il lui échappa de dire que l’on voyait bien, dans les difficultés qui lui étaient faites, l’esprit du maréchal de Broglie, toujours prêt à prendre le parti de l’inaction et de la retraite. Maurice le releva très vivement. — « Je ne sais, dit-il, d’où vient cette idée. A Pisek, il y a peu de jours, le maréchal a été seul à tenir ferme quand tout le monde voulait lâcher, et c’est un véritable homme de guerre. » Frédéric, très contrarié, se retourna vers les envoyés français. « Et vous, messieurs, dit-il, qu’en pensez-vous ? N’êtes-vous pas de mon sentiment ? » — Valori ne disait mot. Desalleurs, moins intimidé, répliqua : — « Je pense, sire, que M. le maréchal saura mieux exécuter les ordres du roi dont il reconnaît les talens, qu’il n’a su le recevoir quand il a eu le malheur de le méconnaître. » Le débat se prolongeait sans conclure, quand on vint avertir le roi de Pologne qu’on l’attendait pour l’opéra qui allait commencer et où devait paraître une chanteuse italienne célèbre, la Faustine, qu’il avait fait venir pour la circonstance. La séance fut levée pour cet important motif et renvoyée au lendemain matin.

Frédéric se prêta à ce retard en souriant et même se déguisa de bonne grâce le soir pour danser au bal masqué qui suivit le spectacle. Il a, depuis lors, raconté que le délai lui convenait, parce que dès le lendemain matin il en profita pour s’adresser au véritable directeur non-seulement de la conscience, mais de la politique d’Auguste, au père Guarini, à qui il déclara qu’il ne voulait rien tenir que de sa main : « L’Italien, dit-il, flatté dans son orgueil, triompha sans peine des scrupules de son pénitent. » Que Guarini ait été consulté par Auguste, c’était l’ordinaire, et c’est possible. Mais en tout cas, il ne céda qu’à une raison qui aurait fait effet sur d’autres esprits encore que celui d’un moine. Ce fut le marché mis à la main par Frédéric avec une résolution qui ne souffrait pas de réplique. C’était à prendre ou à laisser. « Après tout, dit-il, pour ma part, j’ai déjà ce qui me convient et ce qui me suffit, et je ne me bats plus pour les autres, c’est à ceux qui veulent la Moravie à la prendre. » Chacun plia devant la nécessité, sauf Maurice qui insistait toujours sur la difficulté des subsistances et affirmait que l’intendant de l’armée française, M. de Séchelles, qui séjournait à Prague, serait hors d’état de pourvoir aux réquisitions qui lui seraient faites. « C’est ce que j’irai voir moi-même, » dit Frédéric. Et dès le jour suivant, il partit pour Prague en ramenant à sa suite Valori tout éperdu[19].

À Prague, il manda l’intendant lui-même et le mettant sur la sellette, l’interrogea directement sur le fondement des craintes exprimées par Maurice. Sa demande très impérieuse avait déjà la forme d’une réquisition. Aux premières observations qu’on lui fit sur le danger de trop pressurer les populations : « C’est le royaume des cieux, dit-il, qui se gagne par la douceur, ceux de ce monde appartiennent à la force. » Séchelles était un intendant habile qui se piquait de surmonter les difficultés. — « Je rendrai l’impossible possible, » dit-il. Cette difficulté-là d’ailleurs n’était pas insurmontable, puisqu’il ne s’agissait que de vivre jusqu’à ce qu’on eût forcé l’entrée de la Moravie. Une fois dans cette province dont les ressources étaient intactes, la guerre pourrait quelque temps se nourrir elle-même. Frédéric obtint donc toutes les promesses qu’il voulut ; le dernier obstacle ainsi levé, il se mit tout de suite en route pour se rendre lui-même au rendez-vous qu’il assignait aux troupes alliées[20].

À travers toutes ces allées et venues, il n’y avait qu’une seule personne qu’on avait négligé de consulter, et peu s’en faut même d’avertir. C’était le commandant en chef de l’armée française. Le maréchal de Broglie, pourtant, n’avait pas manqué d’envoyer à Dresde un de ses officiers pour remercier Frédéric de son intervention, dont, au premier moment, il ne pouvait deviner la nature. Mais dès que, par le retour de cet envoyé, il apprit qu’il s’agissait, non de lui venir en aide, mais de démembrer son armée pour en emmener une partie loin de sa vue et hors de sa direction, son déplaisir et sa surprise furent extrêmes, et il ne perdit pas un instant pour les faire connaître à Valori. Rien n’eût été plus aisé que de le mander lui-même à la conférence de Prague, Pisek n’étant séparé de la capitale que par quelques heures de route. Frédéric n’eut garde d’en faire la demande, et si Valori y songea, il n’osa braver la crainte du conflit qui pouvait résulter de l’entrevue. Bref, le résultat fut que le maréchal apprit tout à la fois que le roi de Prusse était venu à trois heures de son camp sans le prévenir pour donner des ordres à l’intendance française et parti sans lui donner davantage signe de vie pour se mettre à la tête d’une division de l’armée française[21]. De plus endurans que le maréchal eussent perdu patience ; encore peut-on trouver qu’il n’en manqua pas, car il se borna à exprimer dans une lettre respectueuse son regret au roi de Prusse de n’avoir pu le recevoir, puis à admonester sévèrement Séchelles et à se plaindre avec amertume à Valori de l’ignorance où on l’avait laissé. Pour ne rien briser cependant, il n’interdit point à Polastron de prendre part à l’expédition tentée contre Iglau ; mais il lui enjoignit formellement, une fois cette ville rendue, de ne pas faire un pas sur le sol de la Moravie qui pût l’éloigner davantage et de son chef naturel et de sa base d’opération. Il exprimait en même temps l’espérance que le roi, mieux avisé, consentirait alors à rétrograder lui-même pour venir faire face avec lui à Neuhaus à l’armée du grand-duc. Enfin pour s’assurer que cette fois il ne serait pas pris par surprise, il détacha le comte de Saxe au camp prussien en le chargeant de surveiller l’exécution de ses ordres. Ces dispositions prises, il resta dans un état d’irritation et d’angoisse que ne tardèrent pas à accroître les plus fâcheuses nouvelles arrivées de la Haute-Autriche.

Successivement, en effet, on apprit que Torring, rencontré par les troupes autrichiennes avant d’avoir atteint Linz, avait été mis en déroute, et que Ségur, n’attendant plus de secours, s’était vu réduit à capituler. Ses troupes sortaient de Linz avec les honneurs de la guerre, mais après avoir pris l’engagement de ne plus servir en Allemagne. Le grand-duc, que Khevenhiiller, par une attention délicate pour Marie-Thérèse, avait appelé à la dernière heure, était arrivé à temps pour recevoir lui-même la soumission de la ville et y faire une entrée triomphale. La Bavière était donc ouverte et Khevenhûller était libre soit d’y pénétrer à son aise, soit de se replier sur Vienne sans perdre un pouce du terrain reconquis, ce qui était une partie de ses avantages à la diversion méditée par Frédéric.

Frédéric, informé de cet échec, ne voulut pourtant pas se départir d’une combinaison militaire dont il était épris. A peine Iglau fut-il rendu (et ce fut l’affaire de quelques jours), il annonça de nouveau tout haut l’intention de continuer sa pointe à travers la Moravie dans la direction de Vienne. Polastron dut, en conséquence, quoique bien malgré lui, exhiber ses ordres de retour (que d’ailleurs Frédéric connaissait déjà) et prit ses mesures pour les exécuter. La colère du prince ne connut alors plus de bornes et éclata avec sa violence accoutumée : M. de Broglie n’était plus qu’un traître et les Français des lâches qui lui faussaient compagnie devant l’ennemi, Dans ces sorties dont les termes n’étaient pas ménagés, il était malheureusement appuyé et par la faiblesse de Valori, qui, tout en le condamnant tout bas, se laissait traîner à sa suite, et par les regrets des jeunes officiers français dont l’imagination était séduite par l’espoir de prendre part à une brillante expédition. « Je n’ai pas manqué (écrivait Valori à Polastron lui-même dans un billet intime) de dire au roi votre douleur et celle de tous les officiers laissés à vos ordres, d’être obligés d’en suivre que l’intrigue avait dictés et que la faiblesse a fait donner[22]. » Puis il essayait en termes indirects, mais évidemment dictés par l’inspiration du roi, de voir si Polastron ne consentirait pas à éluder ou à ajourner l’accomplissement de ses instructions. Polastron, qui ne se faisait pas faute de murmurer, ne crut pourtant pas pouvoir désobéir. Le comte de Saxe d’ailleurs, qui le veillait de près, ne lui aurait pas permis d’hésitation.

Le roi fut forcé de le laisser partir en lui remettant un billet pour le maréchal, conçu dans ces termes dédaigneux : « Monsieur, je vous renvoie le corps de M. de Polastron, suivant ce que vous me dites avoir des ordres du roi de France pour les retirer à vous. Je n’entre point dans la discussion du fait et je ne prétends point gloser sur la mauvaise grâce qu’il y a de retirer des troupes quand les alliés marchent à l’ennemi. Ce fait grossira l’histoire des mauvais procédés et ne manquera pas d’animer merveilleusement mon zèle pour la cause commune[23]. »

Les Français partis et l’entreprise perdant ainsi toute chance de succès, les Saxons, qui ne s’y étaient jamais associés que de mauvaise grâce, ne songeaient plus qu’à en faire autant. Des ordres formels de Dresde, instamment sollicités par Maurice, ne tardèrent pas à le leur prescrire et ils se mirent en devoir de commencer aussi leur retraite. Là-dessus nouvel éclat de fureur de Frédéric, suivi d’un échange d’explications des plus vives entre le prince irrité et Maurice. Maurice, à ses yeux, n’était, lui aussi, qu’un allié perfide, indigne du sang dont il était sorti et qui vendait sa patrie à la France. Désespérant de l’intimider, Frédéric essaya au moins de soustraire à son influence les deux généraux saxons, Rustowski et le chevalier de Saxe, qui étaient (comme lui), nous l’avons vu, deux frères naturels d’Auguste III. Il les prit à part à plusieurs reprises pour leur représenter en termes à la fois pressans et caressans que le roi de Pologne n’avait qu’une chose à faire, c’était de se jeter dans ses bras en tournant le dos aux Français : « Laissons faire la guerre aux Français en Bavière, disait-il, qu’ils y fassent des fautes, qu’ils y soient rossés, nous n’avons rien à craindre. Je joins aux troupes de votre maître quinze mille hommes et quelques milliers de hussards, et nous trouverons bien le moyen d’être ensemble supérieurs à l’ennemi. Il faut être mon ami ou celui des Français, ajoutait-il ; si je ne suis pas content de vous, je m’arrangerai avec la cour de Vienne. »

Et pendant ce temps, à Dresde même, le pauvre Auguste et le comte de Brühl, assaillis d’instances contradictoires, ne savaient plus auquel entendre. Maurice et Broglie les conjuraient de ne pas céder et de ne pas mettre leurs moutons entre les mains du loup. Belle-Isle leur écrivait au contraire de Francfort que rien n’était plus imprudent que de mécontenter Frédéric par de vaines chicanes. Le seul moyen, disait-il, de le détourner de ses desseins était de lui céder en apparence, sauf à lui faire apercevoir ensuite la difficulté de leur exécution. « C’est ainsi, ajoutait-il, que lui-même s’y était toujours pris pour le conduire. » Restait à savoir si le procédé lui avait aussi bien réussi qu’il le croyait. Bref, après beaucoup d’incertitude, la cour de Dresde, comme c’est l’ordinaire de la faiblesse, céda au danger le plus immédiat, c’est-à-dire aux menaces de Frédéric, et se laissa arracher le désaveu de son premier ordre. Les généraux saxons reçurent la permission de suivre le roi de Prusse partout où il voudrait les conduire. En recevant avis de ce contre-ordre, Maurice, atterré, se borna à répondre à son frère ces trois mots : « Vous n’avez plus d’armée. » A Broglie il écrivait : « C’en est fait, la France n’a plus d’alliés ; le roi de Prusse vous hait et veut vous faire battre. » Et il ajoutait : « Je vous en avertis parce que votre gros Valori ne semble rien écouter de ce qu’il entend, ce qui ne l’empêche pas de boire et de manger d’autant[24]. »

Maurice se pressait trop, et le moment (qui approchait) où ses prédictions seraient vérifiées n’était pourtant pas encore venu. Frédéric ne tarda pas à reconnaître en effet que, même avec le secours des troupes saxonnes, mécontentes d’être traînées à la remorque, son plan (bien ou mal conçu le premier jour) ne pouvait plus répondre à ses espérances. L’effet de terreur qu’il s’était flatté de produire à Vienne par sa marche audacieuse était manqué : il n’était pas aisé d’intimider Marie-Thérèse, surtout quand elle recevait d’aussi bonnes nouvelles que la capitulation de Linz et les opérations victorieuses de Khevenhüller. Quelques milliers d’hommes que ce général put lui renvoyer, sans être même obligé de suspendre sa marche sur Munich, suffisaient amplement pour couvrir le capitale contre une surprise. Frédéric lui-même se trouva bientôt menacé en Moravie par des incursions de bandes farouches, produit de l’insurrection hongroise et qu’on avait craint jusque-là d’incorporer dans l’armée régulière. Pour se défendre, il lui fallut détacher sur la frontière de Hongrie une partie des forces qu’il destinait à l’invasion de l’Autriche. A partir de ce moment, il ne songea plus qu’à trouver un prétexte pour battre en retraite. Mais il fallait que ce prétexte fût de nature à lui permettre de rejeter, suivant son habitude, toute la faute sur ses alliés. Il n’eut pas de peine à le trouver.

Il donna ordre aux troupes saxonnes de faire le siège de Brünn, chef-lieu de la Moravie. Un siège en règle n’ayant pas fait partie du projet primitif, naturellement l’artillerie propre à une opération de cette sorte ne se trouva pas sous la main ; Frédéric prétend qu’il la fit demander à Auguste, qui répondit qu’il n’avait pas d’argent pour s’en procurer, bien qu’il eût acheté la veille un gros diamant pour fa somme de 400, 000 francs. Auguste avait tort sans doute de dépenser son argent en bagatelles ; mais on ne voit pas trop comment tous les trésors du monde auraient pu faire sortir une grosse artillerie du soi et la faire arriver à temps sous les murs de Brünn. Il est donc plus que douteux que Frédéric voulût réellement s’emparer de cette ville ; mais il fut entendu que, s’il y renonçait, c’était par la faute d’Auguste. « On ne conquiert les couronnes qu’avec de gros canons, » dit Frédéric en raillant, et il répéta : « Et si on veut la Moravie, il faut savoir la prendre. » Au même moment, le maréchal de Broglie faisait avertir qu’un mouvement de l’armée autrichienne semblait menacer Prague et que l’envoi d’un renfort de ce côté serait nécessaire. Frédéric n’en crut rien ; il en convient lui-même, « mais, dit-il, le roi fit semblant d’ajouter foi à ce faux avis pour congédier des alliés suspects. » Ces Saxons, qu’il avait tant fait pour retenir, il leur donna donc congé sans plus de façon, et, se plaignant d’être abandonné par tout le monde, il retourna en Bohême reprendre ses quartiers d’hiver. Dans cette marche en arrière, il était poursuivi par les malédictions des populations, que ses troupes avaient indignement pressurées. « Depuis les Goths, écrivait Valori, peu suspect dans ses appréciations, on n’avait jamais vu faire la guerre dans ce goût-là. » Lui-même était sombre, irrité et se répandait en invectives contre le genre humain. Personne n’osait lui dire que sa déconvenue était la conséquence naturelle de l’étrange combinaison qui, d’après son propre aveu, avait consisté à chercher la gloire en laissant la peine à ses alliés et à se montrer audacieux, presque téméraire, aux risques et aux dépens d’autrui[25]. Mais l’équipée, sans résultat au point de vue militaire, avait eu en attendant pour effet d’exaspérer et de faire éclater à tous les yeux la dissidence qui existait déjà entre les divers représentans de la France en Allemagne. Belle-Isle ayant pris parti pour le roi de Prusse au moment où Broglie se plaignait de lui tout haut, ce fut le signal d’une division qui partagea à l’instant les diplomates comme les militaires. Les amis de Frédéric avec Belle-Isle, Valori, Mortagne, d’Aubigné et Polastron, et toute la jeunesse ; ses détracteurs avec Broglie, Desalleurs et Maurice de Saxe formèrent deux camps chaque jour aux prises : la querelle fut ouverte dans toutes les chambrées et à toutes les tables d’officiers. On disputait à perte de vue pour savoir si le malheur de Linz avait eu pour cause l’immobilité du vieux maréchal, qui n’avait pas secouru la ville à temps, ou l’étourderie du jeune roi, qui avait été courir au loin les aventures.

A Francfort, le débat n’était pas moins vif qu’à Prague ou à Dresde. Le nouvel empereur, pacifique de sa nature, bien que tout porté pour Belle-Isle, et tremblant devant Frédéric, se désolait de ces divisions et s’efforçait vainement de les tempérer par de bonnes paroles : « Je voudrais être coupé en deux, disait-il, pour ne me séparer de personne[26]. » Le chagrin qu’il en conçut, joint à la désolation de voir son royaume de Bavière envahi, lui causa une violente atteinte de gravelle qui ne lui permit pas d’assister à toutes les fêtes de son sacre, en particulier à celle que Belle-Isle voulait lui offrir et dont la splendeur véritablement insensée fut ainsi assombrie par un sentiment de malaise général et par les plus tristes prévisions. Belle-Isle lui-même, malgré son naturel confiant, ne put dissimuler pendant toute la fête l’inquiétude déjà peinte sur son visage.

C’est qu’en effet cet envahissement de la Bavière (qu’on n’avait pas réussi à prévenir), suivant de si près l’avènement de son souverain à l’empire, faisait toucher au doigt le vice, ou, comme aurait dit Saint-Simon, le creux de l’entreprise dans laquelle Belle-Isle, après avoir engagé son pays, épuisait lui-même tout ce qu’il avait de courage, de talent et de vie. Rien ne prouvait mieux que la dignité impériale, dénuée du support d’une puissance effective, n’avait qu’un éclat de surface et d’apparence. Cet empereur, sans soldats, sans argent, sans génie, errant hors de chez lui, n’était qu’un mannequin coiffé d’une couronne de théâtre et qui, ne pouvant se tenir debout, retombait de tout son poids sur les bras de ceux qui l’avaient dressé. On ne manque jamais, chez les Français, d’un bon mot pour peindre au vif une situation. Le sobriquet de Jean sans Terre, donné par un plaisant à Charles VII, fit fortune à Paris. Une plaisanterie plus savante et plus analogue au goût allemand fut celle-ci, qui circula avec le même succès dans Francfort : on fit le modèle d’une médaille portant d’un côté l’image du grand-duc avec cet exergue : Aut Cæsar aut nihil ; de l’autre, celle de Charles VII avec la même devise modifiée : Et Cæsar et nihil. Belle-Isle, en qualité de parrain et de tuteur, sentait qu’il avait sa part dans les quolibets lancés à l’adresse de son pupille.

Ce fut au milieu de cette impression générale de désenchantement que les mauvaises nouvelles arrivèrent successivement à Versailles et à Paris, apportées par toutes les correspondances de l’armée : d’abord la prise de Linz, puis les incidens de Moravie et le bruit de la querelle des deux maréchaux, enfin leurs récriminations réciproques. Les correspondances du camp, d’ailleurs, de quelque côté qu’elles vinssent, étaient toutes maussades et chagrines. La guerre, qui avait exalté tant de jeunes têtes, ne répondait à aucune espérance. On avait rêvé des campagnes d’été sur les bords du Rhin ou du Pô, avec des retours et des communications faciles et des courriers apportant tous les jours des gazettes, des nouvelles à la main et de tendres souvenirs. On hivernait dans un pays perdu, sous un ciel inclément, tantôt noyé dans la boue, tantôt bloqué par les neiges ; on croyait avoir fini, et subitement tout était à recommencer : tout le monde se plaignait, et on ne disputait que pour savoir à qui était la faute. Il n’y a donc pas lieu d’être surpris si les esprits se partagèrent à la cour comme à l’armée et si les griefs de Belle-Isle trouvèrent moins d’accueil qu’il ne s’y attendait, tandis que les réclamations de son successeur rencontraient plus d’appui et d’échos que lui-même peut-être ne l’avait prévu.

Il faut bien se rappeler aussi que tout à Versailles était alors rapporté à un seul intérêt qui effaçait et éclipsait tout autre. La seule question qui préoccupait était de prévoir ce qui allait arriver le jour où la Providence jugerait enfin convenable de soumettre Fleury, comme tout autre mortel, au cours ordinaire de la nature, qu’elle semblait jusqu’alors se plaire à suspendre en sa faveur. Advenant cet événement toujours attendu, toujours retardé, mais que chacun pourtant aurait appris le matin en se levant sans surprise, entre les mains de qui tomberait le dépôt de la puissance royale ? Tout était là : toute autre affaire, qu’elle fût politique, militaire ou mondaine, était jugée au seul point de vue de l’effet qui en pourrait résulter à ce moment critique. Or, tant que Belle-Isle avait eu le vent en poupe et que là fortune semblait répondre à tous ses appels, il était le successeur désigné, et chacun se mettait en règle avec cet avenir. Dès que son étoile sembla pâlir, d’autres noms furent prononcés et d’autres ambitions furent en éveil. On parla de l’ancien ministre Chauvelin, toujours en exil, ou bien d’un prince de l’église, comme Fleury, le cardinal de Tencin, renommé comme un habile ambassadeur et dont la présence au pouvoir aurait eu l’avantage de ne rien changer, pas même l’apparence extérieure, pas même la robe du premier ministre. Ces sentimens s’échangeaient déjà tout bas quand les malheurs d’Allemagne donnèrent un prétexte pour les produire tout haut. Du jour au lendemain, autant Belle-Isle avait déjà de rivaux et d’ennemis cachés, autant Broglie, par cela seul qu’en disant du bien de lui on dépréciait son adversaire, se trouva, sans le savoir, de défenseurs imprévus et intéressés.

Dans ce conflit qui devint la grande affaire du jour et dont les suites furent importantes, la force des tenans des deux parts était à peu près égale. Broglie avait de son côté presque tous les ministres et les gens en place qui, ne redoutant de sa part aucune compétition, voyaient au contraire dans Belle-Isle un maître futur dont l’avènement amènerait à sa suite des visages nouveaux et de nouveaux appétits à satisfaire. Il était appuyé de plus, outre ses relations personnelles, par les amis en grand nombre (et des deux sexes) que Maurice de Saxe avait laissés à la cour et que le bouillant Saxon avait soin d’entretenir par une correspondance qui ne chômait pas. L’indiscipline des officiers, l’inconvenance de leurs propos contre leur général, la duplicité du roi de Prusse, la persistance de Belle-Isle à rester sa dupe : c’étaient autant de sujets qui prêtaient merveilleusement à ces emportemens d’un langage passionné et piquant qui lui étaient familiers. Mais Belle-Isle, de son côté, n’était pas sans défenseur, car il demeurait l’espoir de tous les mécontens qui se plaisaient à imputer les malheurs de la guerre aux fautes de l’administration supérieure, et ce groupe-là, en tout pays, est toujours plus nombreux que celui des gens satisfaits. Il avait ses correspondances aussi qui, en fait de verve mordante, valaient bien celles de Maurice : c’étaient les lettres à lui adressées par Frédéric, toutes pleines d’épigrammes cyniques contre Broglie, et qui, bien que confidentielles, se trouvaient habituellement (par une indiscrétion qui surprenait toujours, mais qui ne manquait jamais) circuler, à point nommé, dans les ruelles et les cafés de Paris. . Enfin, les influences dont la douceur-fait la force ne lui faisaient pas non plus défaut : de loin pas plus que de près, il n’était oublié du petit cénacle où le roi venait, chaque soir, se distraire des ennuis de son intérieur. A la vérité, la plus utile de ses protectrices, M, ne de Vintimille, n’y figurait plus : une couche malheureuse l’avait enlevée à la passion naissante et au désespoir du roi. Mme de Mailly survivait seule, plus belle, moins spirituelle et moins ambitieuse que sa sœur, ne régnant plus que par cet empire de l’habitude qui, dans ce genre de relations est voisin de la satiété ; mais tout ce que ses charmes conservaient encore de puissance, elle le mettait avec dévoûment au service de son ami absent. La même fidélité se retrouvait dans le cœur d’une plus grande dame d’un naturel bien différent, la vertueuse comtesse de Toulouse, veuve d’un des fils légitimés de Louis XIV, qui jouissait d’une considération méritée et qui disposait de tout le crédit de la puissante maison de Noailles, dont elle était issue. Son sens droit, son esprit juste et plein de tact, étaient très goûtés du roi ; il est vrai (car il faut tout dire, et le trait peint bien les mœurs du temps) qu’il lui savait gré aussi de ne pas pousser la sévérité jusqu’à rompre avec Mme de Mailly et de prêter même assez souvent son appartement de Versailles à des soupers intimes, dont, avec la charité chrétienne la plus aveugle, elle ne pouvait croire que sa conversation fût le seul attrait.

Entre ces armées rivales et mises ainsi sur le pied de guerre, le vieux cardinal flottait incertain ; tantôt reprochant au fond de l’âme avec humeur à Belle-Isle de l’avoir engagé dans une entreprise qui ne finissait pas, tantôt reculant à la pensée de se séparer du seul homme qui, après l’avoir mis dans l’embarras, fût encore en état de l’en tirer ; se doutant peut-être qu’au fond c’était de sa succession qu’on disputait à mots couverts et n’étant pas fâché de tenir tous les prétendans en haleine : tâchant, en un mot, suivant sa coutume, de sortir d’affaire sans mécontenter personne afin de vivre, et quand il le faudrait enfin, de mourir en paix. L’incertitude où il laissait tout le monde était si grande, que pour savoir ses vrais sentimens on s’adressait souvent à son valet de chambre, Barjac, qui devenait ainsi une puissance à ménager. Barjac passait pour être favorable au maréchal de Broglie, et j’ai trouvé, en effet, des lettres à son adresse venues de l’état-major de Pisek.

Les deux maréchaux avaient en outre chacun un agent attitré, chargé de les tenir au courant de tous les incidens et de veiller spécialement à leurs intérêts, et par une singulière coïncidence, ils l’avaient trouvé l’un et l’autre dans leurs relations les plus proches et précisément au même degré de leur parenté. Le chevalier de Belle-Isle, envoyé par son frère pour faire connaître l’élection de Francfort, étant averti du travail souterrain qui commençait, restait de pied ferme à la cour comme en sentinelle. Ses lettres, déposées aux archives de la guerre comme tous les papiers de Belle-Isle, attestent avec quelle vigilance il s’acquittait de son métier d’observateur. Il est seulement difficile de reconnaître et de nommer les masques sous les sobriquets de convention dont les deux frères se servent pour désigner les principaux personnages. Le jour même de son arrivée, le chevalier raconte qu’il a été reçu à bras ouverts et le visage souriant par le roi, le cardinal et tous les ministres, mais que c’est Mme de Mailly qui l’a retenu à souper, puis il ajoute ce post-scriptum qui fait voir qu’à peine débarqué, il n’avait pas perdu son temps. « M…, avec qui j’ai déjà eu quelques conversations, est plus persuadé que jamais de la mauvaise volonté de tous les ministres sans exception. Il m’a dit que le greffier (j’ai lieu de croire que c’est Amelot, le ministre des affaires étrangères), en soupant il y a quelque temps chez M. d’Aiguillon, avait dit : « Il est temps de faire finir le prestige, de démasquer M. de Belle-Isle et de faire voir qu’il n’est rien moins que ce qu’on croit, « et que M. Orry (le contrôleur-général) lui a dit à lui-même qu’il regardait M. de Broglie comme le seul homme de guerre qu’il y ait en ce pays et que c’était la raison pour laquelle il avait opiné pour qu’on l’envoyât en Bohême. M… m’a dit des choses très marquées sur les autres ministres, et il m’a ajouté : qu’il y a des momens où Muret (cette fois, c’est certainement le cardinal) s’était laissé entraîner. »

Quelques jours après il est reçu par Muret lui-même, qui le met avec désolation sur le chapitre des perfidies du roi de Prusse. « Il m’a dit que c’était un homme difficile à prendre et à trouver et que vous étiez le seul qui en puissiez venir à bout. Je lui avouai que c’était un homme difficile à manier, qui se piquait d’avoir son opinion et de la soutenir… de confiance pour l’un et d’aversion pour l’autre ; mais qu’enfin au milieu de la connaissance parfaite que Son Éminence avait de son caractère, elle sentait qu’il en fallait user comme d’un fagot d’épines, pour boucher un trou, qu’il ne s’agissait que de le prendre avec des gants. Cette expression le fit rire et il convint que c’était un parti forcé ! — Et puis cette élection ! dit encore le cardinal en soupirant, c’est à merveille, mais après tout ce n’est qu’une cage et c’est à nous à la meubler. »

Enfin à ces indiscrétions sur les sentimens du cardinal est joint, ce qui n’était guère moins intéressant, un bulletin de sa santé. « M. Tapone (je ne sais qui c’est) désire avec ardeur que vous veniez, car les nouvelles de Linz refroidissent beaucoup et il paraît bien persuadé que Muret ne passera pas le carême ; il dépérit à vue d’œil, les alimens qu’il prend (car il ne peut plus soutenir la viande) passent tout de suite sans quasi de digestion[27]. »

C’était aussi un frère, et un frère tout dévoué, que le maréchal de Broglie avait pris pour correspondant : c’était ce personnage curieux que j’ai eu occasion de présenter ici même, il y a quelques années aux lecteurs de la Revue. Ceux qui m’ont fait l’honneur de lire le Secret du roi, et qui me font l’honneur plus grand encore de n’en avoir pas perdu tout souvenir, savent qui était cet abbé de Broglie, connu à la cour et dans tous les mémoires du temps sous le nom du grand abbé : caractère d’ecclésiastique original, qui respectait la lettre des devoirs de son état en s’affranchissant absolument de leur esprit, et dont le président Hénault fait en deux mots le portrait que j’ai cité : il était intrigant sans ambition, et indécent sans qu’on eût rien à reprocher à ses mœurs. J’ai ajouté que les ressources d’esprit et l’absence de scrupules dont il ne tirait parti, ni pour son profit, ni pour son plaisir personnel, il en faisait usage pour servir les intérêts de sa famille. Dans le cas présent, il n’avait garde de les négliger, et ils ne pouvaient être en de meilleures mains. De l’abbaye de Vaux-en-Cernay, tout proche de Versailles, dont il était titulaire et où il affectait parfois de faire de longues retraites, il s’était ménagé les moyens d’être toujours averti à temps de tout ce qui se passait à la cour, et il était à portée d’accourir dès que sa présence était réclamée. Dès le jour même où son frère avait été expédié en Bohême, il avait commencé à dresser ses fils et à mettre ses batteries en campagne. Mais, connaissant trop bien son monde pour attendre jamais soit du roi, soit de Fleury un parti tranchant et décisif, bien loin de semer la discorde entre son frère et Belle-Isle, — il avait tout fait d’abord pour la prévenir. Puis, n’ayant pu y réussir, tout son art consistait à tâcher de persuader à Fleury que ces dissidences étaient l’œuvre de subalternes et de sous-ordres qu’on pouvait mettre aisément à la raison et que rien ne serait plus aisé que de faire vivre les chefs en paix ; seulement il fallait, disait-il, qu’on leur partageât la besogne, en laissant à l’un la diplomatique et à l’autre la militaire, et en tenant la balance égale entre le conquérant et le négociateur.

Pour mieux assurer l’équité de cette répartition, il s’efforçait d’obtenir soit pour son frère, soit pour ses neveux, des marques de la confiance royale pareilles à celles dont Belle-Isle avait su faire combler ou lui-même ou les siens. C’est la tactique qu’il déroule dans des lettres aux divers ministres, dont il envoyait régulièrement copie soit au maréchal lui-même, soit à la maréchale sa belle-sœur, qui était restée à Strasbourg, le tout assaisonné d’un mélange de réflexions judicieuses et de rapprochemens inattendus, de propos pieux et de railleries d’un sel caustique, de passages de l’Écriture et de saillies d’un goût douteux qui lui avaient fait la réputation du plus amusant des causeurs, mais du plus redouté des critiques.

On croit l’entendre par exemple rappeler au contrôleur-général Orry l’état déplorable où son frère a trouvé l’armée de Bohême. Quel soin il prend en défendant l’un des maréchaux de ne jamais rejeter directement sur l’autre le tort des fautes commises et de n’en accuser que la longue absence de Belle-Isle et les exigences incompatibles de la double tâche qu’il avait assumée !

« Son Éminence, dit-il, ordonne à mon frère de se mettre à la tête de l’armée de Bohême : il part avec obéissance, mais il n’est pas assez aveugle pour ne pas connaître tout le danger. Il part cependant, malgré la rigueur de la saison, sans équipages et sans commodités ; il entre à Prague par des chemins affreux et trouve une armée dispersée, sans vivres, des quartiers éloignés sans pouvoir les secourir… M. de Polastron est en marche d’un côté, M. de Ségur d’un autre ; en un mot, une armée dispersée sans rime ni raison. À qui en est la faute ? Dieu le sait ! mais je l’ignore. Il n’y a que deux choses que je sais parfaitement, l’une qu’on ne saurait s’en prendre à mon frère, qui était à Strasbourg, ni à M. de Belle-Isle, qui n’avait pas la faculté de se reproduire en des lieux si différens. J’ose avancer, en philosophe de campagne, que je n’ai jamais lu dans l’histoire qu’il fût possible de faire commander de Francfort une armée à Prague… à moins que M. de Belle-Isle, supérieur à saint Pierre, ne fasse des miracles avec son ombre à deux cents lieues de sa présence… — Et pourquoi, ajoute-t-il encore, M. de Belle-Isle a-t-il réussi dans l’élection ? C’est qu’il est le seul qui s’en soit mêlé… Et cependant, continua-t-il, la vertu et le mérite de mon frère sont loués à sec. Il faut que M. le cardinal en ait une estime singulière pour l’avoir chargé d’une aussi mauvaise besogne sans le gratifier de quelques adoucissemens… Travaille donc, vilain ; passe les nuits et les jours à réparer les torts ; reçois des lettres qui te demandent l’impossible, marche avec des alliés qui n’obéissent pas à tes ordres. Souffre encore plus de l’ignorance des amis que de la supériorité des ennemis, et l’on ne fera rien, même pour tes fils qui se distinguent. Ma foi c’est traiter mon frère en nègre et non en homme de son rang ; c’est convertir le bâton de maréchal en ce vil bâton dont on honore les esclaves[28]. »

Mais il ne mettait pas moins de vivacité à calmer l’irritation de son frère et de sa belle-sœur, à les empêcher de tout compromettre par des alarmes exagérées et des plaintes trop véhémentes : « Le langage que vous pensez et que vous parlez est bon pour votre frère l’abbé, et il n’y trouve rien à redire : il pense tout comme vous, et quand il parlera à vous, il parlera comme vous parlez à lui… Mais malheureusement vous et lui ne sont pas le public, et le public ne pense pas comme vous et lui. Il est vrai que la partie la plus saine de la cour, à commencer par M. le cardinal, est désabusée des idées magnifiques de M. le maréchal de Belle-Isle et de ses favoris. Cela est exactement vrai ; la ville et les gens non vendus à la cabale pensent de même. Mais les nouvellistes sont pensionnaires et parlent comme on les paie, et nous ne payons personne… Vous avez affaire à deux sortes de personnes : au ministère et au public. Je distingue le public en bavard et en judicieux ; le bavard est contre nous, le judicieux est pour nous. A l’égard du ministère, il est un : il voit clair, vos démarches sont si naturelles et si mesurées, si pleines de candeur et de vérité ; les autres sont si tortillées, si fausses et si présomptueuses que vous n’avez pas plus d’obligation aux ministres de vous protéger que les ministres ne vous savent gré d’agir avec droiture… Soyez donc ferme sans être pétulant ; opposez toujours la droiture à l’artifice et qu’il ne sorte jamais de votre bouche un mot de vivacité ni désobligeant… Servez-vous de l’iniquité pour préparer les voies à la justice, priez Dieu qu’il vous soutienne, offrez-lui vos peines… Salutem ex inimicis nostris et de manu eorum qui oderunt nos[29]. »

Belle-Isle, averti du travail actif qui était fait contre lui, résolut enfin, dans le commencement de mars de venir de sa personne à Versailles plaider sa cause. L’autorisation lui en fut accordée, mais à contre-cœur. Rien ne gêne plus la timidité et l’irrésolution des gens, en puissance que la nécessité d’entendre des explications passionnées et d’y faire des réponses précises. Aussi le premier accueil qui lui fut fait tant par le roi que par le cardinal fut-il gêné, froid et empreint d’un air d’embarras que des spectateurs intéressés pouvaient prendre aisément pour un signe de mécontentement. Il aurait voulu être entendu sur-le-champ. Pour gagner quelques heures et s’épargner une soirée d’ennui, le cardinal répondit qu’il partait pour sa maison de campagne d’Issy et qu’il l’y verrait le lendemain : c’était dire que le roi n’assisterait pas à cette première entrevue. Il n’en fallut pas davantage pour que le bruit de la disgrâce du maréchal courût à l’instant dans tous les couloirs de Versailles, et de là dans les cafés et dans les théâtres de Paris ; à tel point qu’un accident de voiture ayant retardé son retour à son hôtel, le bruit se répandit qu’il était arrêté et envoyé à la Bastille.

Faisant tête à l’orage, il reparut le lendemain la tête haute, disant à tout venant de manière à être entendu même des gens de service, qu’on ferait de lui ce qu’on voudrait, que c’était lui qui ne consentirait pas à retourner en Allemagne si on pouvait douter qu’il possédât encore la confiance entière du roi. L’audience lui fut enfin accordée et devant tous les ministres ; elle ne dura pas moins de quatre heures. « Ce fut, dit d’Argenson, Gulliver dans le conseil de Lilliput. » Le cardinal aurait bien voulu encore couper court à la conversation et s’en tirer par des politesses vagues et des complimens en l’air. Belle-Isle ne se prêta pas à ce manège et entama, bon gré mal gré, une justification point par point, qui n’était au fond qu’une récrimination mesurée, mais très nette, contre les fautes, les lenteurs, les indécisions de l’administration supérieure dont les chefs étaient présens. « Je fis moi-même, dit-il, toutes les objections que je savais qui m’étaient faites et je mis toute la compagnie au pied du mur. Ce ne fut qu’avec beaucoup de vivacité et d’impatience que M. le cardinal entendit ce que j’avais à dire sur les calomnies du public. » Les ministres, ne sachant pas ce que signifiaient et à qui s’adressaient ces marques de mauvaise humeur, n’osaient trop répliquer. Enfin le cardinal, qui ne pouvait dissimuler son ennui, leva la séance en disant que c’était à celui qui avait conduit toute l’affaire de dire ce qui était nécessaire pour la mener à bien.

Malgré ce présage favorable pour Belle-Isle, l’incertitude dura encore plusieurs jours, pendant lesquels Mme de Mailly, tout émue, tout en larmes, frappait à toutes les portes, se répandant en invectives et en gémissemens contre l’ingratitude des hommes et l’injustice dont un si grand serviteur de l’état était victime. « Tandis que j’étais chez Mme de Luynes, dit Belle-Isle, Mme de Mailly, qui me faisait chercher partout, y accourut à moitié éveillée pour m’embrasser. Il est impossible d’exprimer quel était l’excès de sa vivacité et combien elle parlait hautement à tout venant contre les discours et les discoureurs. » Effectivement elle poussa l’importunité de son zèle jusqu’à forcer l’entrée de la chambre du cardinal, à l’heure habituelle de son repos, au grand désespoir de Barjac, qui essaya vainement de lui barrer le chemin et qui, de la pièce d’attente où il demeurait, entendit ses éclats de voix et surprit même quelques-unes des exclamations qui lui échappaient[30].

Enfin la résolution arrêtée en conseil des ministres, mais subie plus que prise par eux, fut annoncée publiquement. C’était un terme moyen comme tout ce qui émanait de Fleury. Une nouvelle armée allait être dirigée sur le Rhin pour faire évacuer la Bavière ; le commandement en serait confié au maréchal de Broglie, qui dut quitter l’armée de Bohême et laisser Belle-Isle en reprendre la direction. Les deux généraux seraient ainsi séparés sans qu’aucun d’eux pût se plaindre d’être sacrifié ou subordonné à l’autre. Cette disposition avait de plus l’avantage de rapprocher du roi de Prusse celui qu’il regrettait, en lui épargnant le contact de celui qu’il ne pouvait souffrir.

Belle-Isle, s’il n’avait pas suggéré lui-même, accepta de bonne grâce la décision. — « A aucun prix, dit-il, je n’aurais voulu du commandement de l’armée de Bavière : c’étaient des troupes que je ne connaissais pas, formées par des officiers-généraux baroques, et ainsi je me serais trouvé en mauvaise compagnie d’une part, et avec tous visages nouveaux de l’autre ; et M. de Broglie serait resté avec toute ma véritable et première armée. » Mais, pour attester que c’était lui qui l’emportait, il demanda et il obtint la faveur de l’érection de sa terre de Vernon en duché héréditaire.

Le soir où cette grâce royale fut déclarée, la nouvelle fit rumeur au coucher du cardinal, qui ne paraissait pas pressé d’en parler. Après quelques instans de silence, il finit par dire : « Mme de Mailly aura été bien aise. » Le lendemain, rencontrant le jeune duc de Chartres qui témoignait quelque surprise : « Que voulez-vous ? dit-il, il fallait bien le renvoyer, il n’y a que lui qui sache mettre le grappin. » Mais en même temps il écrivait au maréchal de Broglie une lettre que Belle-Isle (usant de son expression habituelle) qualifie encore d’onctueuse à l’excès. Pour lui expliquer pourquoi il l’éloignait du roi de Prusse, il lui faisait de ce prince un portrait si peu flatteur que Broglie put s’écrier en lui répondant : « C’est lui-même ; Rigault ne l’aurait pas mieux peint ! »

Quelques jours après, arrivait à Versailles la nouvelle de la prise d’Egra, place forte de Bohême, lestement emportée d’assaut par Maurice de Saxe ; ce succès était important, parce que l’armée française retrouvait de ce côté une communication plus libre avec le Rhin. De plus, c’était une des opérations commandées par le maréchal de Broglie, que Frédéric et Belle-Isle avaient le plus vivement critiquée. Le comte de Broglie, qui avait pris part à ce beau fait d’armes, était expédié par son père pour porter les drapeaux pris sur l’ennemi. Fleury témoigna la joie la plus vive et, faisant entrer tout de suite le jeune officier, il le présenta au roi, qui lui dit en l’embrassant : « Je vous fais brigadier. »

Si le désir de plaire était tout le secret de l’art de gouverner, rien n’aurait manqué à Fleury pour être un grand ministre[31].


Duc DE BROGLIE.

  1. Voir les détails curieux de cette révolution de palais dans l’ouvrage récent et très intéressant de M. Albert Vandal, intitulé : Louis XV et Elisabeth de Russie.
  2. Belle-Isle à Amelot, Prague, 12 décembre 1741. — (Correspondance de l’ambassade auprès de la diète. — Ministère des affaires étrangères.)
  3. Voyez la Revue du 15 novembre 1881.
  4. Belle-Isle à Valori, 20 décembre 1741. — (Correspondance de Prusse.) — Le marquis de Beauvau à Amelot, 15 décembre 1741. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.) — Une lettre de Strasbourg, sans signature, adressée à Belle-Isle, et qui se trouve dans les correspondances diverses du ministère de la guerre, dit : « Il n’y a sorte de propos misérables et puérils qui ne se tiennent chez cet homme (le maréchal de Broglie) contre les négociations de M. le maréchal de Belle-Isle et contre les engagemens qu’il a fait prendre à la France. »
  5. Belle-Isle à Fleury. — Fleury à Belle-Isle, 15 décembre 1741. — (Correspondance de l’ambassade auprès de la diète. — Ministère des affaires étrangères.) — Belle-Isle à Valory, 20 décembre 1841. — « Il pourrait très bien arriver que M. de Broglie ne passera ici que l’hiver, sachant que ma santé se rétablira, et en effet elle va de mieux en mieux. » — (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)
  6. Tilly à Amelot. Manheim, 21 octobre 1741, 21 janvier 1742. (Correspondance du Palatinat. — — Ministère des affaires étrangères.)
  7. Belle-Isle au roi, 27 janvier 1742. — A Amelot, 28 janvier. — (Correspondance de l’ambassade à la diète. Ministère des affaires étrangères.) — Belle-Isle à Fleury, 12 janvier 1741. Cette date est manifestement erronée. — (Ministère de la guerre.)
  8. Fleury à Belle-Isle, 26 janvier 1742. — Amelot à Belle-Isle, même date. — (Correspondance de l’ambassade à la diète. — Ministère des affaires étrangères.)
  9. D’Aubigné à Belle-Isle. Pisek, 28 décembre 1741. — (Correspondance de Bavière — Ministère des affaires étrangères.)
  10. Le maréchal de Broglie au marquis de Breteuil, ministre de la guerre, 19 décembre 1741. (Ministère de la guerre.) — Presque toutes les dépêches relatives à cette campagne qui existent en minutes au ministère de la guerre ont été publiées, dès le siècle dernier, par je ne sais quelle indiscrétion, dans un recueil imprimé à Amsterdam en 1772, sous ce titre : Campagnes des maréchaux de Broglie, Belle-Isle et Maillebois en Bohême et en Bavière. Ce recueil difficile à trouver dans le commerce existe dans la plupart de nos bibliothèques publiques.
  11. D’Aubigné à Belle-Isle, 2 et 22 décembre 1741. — Mortagne à Belle-Isle, même date. — Champigny à Fleury, même date. — (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.) — Sous ce titre, sont réunies au ministère deux séries de dépêches, l’une principalement diplomatique, contenant la correspondance du marquis de Beauvau, envoyé de France auprès de l’électeur, l’autre presque exclusivement - militaire, où se trouvent les lettres des officiers de l’armée, qui passaient probablement sous le couvert de l’électeur pour arriver à Belle-Isle.
  12. D’Arneth, t. II, p. 9.
  13. Le maréchal de Broglie au maréchal de Bello-Isle et au marquis de Breteuil, 15 janvier 1742. (Ministère de la guerre.) — Frédéric prétend dans l’Histoire de mon. temps, et tous les historiens français ont répété après lui qu’une opération d’ensemble, de la nature que je viens d’indiquer, avait été proposée par lui et refusée par le maréchal. Nous ne trouvons aucun indice ni de cette proposition, ni de ce refus, dans les correspondances soit françaises, soit prussiennes, qui sont maintenant publiées.
  14. Valori. Lettre particulière, 18 février 1742, — (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)
  15. Le maréchal de Belle-Isle au maréchal de Broglie, 9 janvier 1742. (Ministère de la guerre.)
  16. Valori à Belle-Isle et Amelot, 16 janvier 1741. — (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)
  17. Frédéric, Histoire de mon temps, chap. V.
  18. Frédéric, Histoire de mon temps, chap. V. — D’Arneth, t. II, p. 472 et suiv. — Pol. Corr., t. II, p. 34, 35, 71, 72.
  19. Valori, Mémoires, t. I, p. 138, 140. — Frédéric, Histoire de mon temps, chap. V. — Desalleurs à Amelot, 20 janvier. (Corr. de Saxe. — Ministère des affaires étrangères.) — Valori à Séchelles. (Ministère de la guerre, 19 janvier 1742.) — Droysen, t. I, p. 394, 395. — Ces divers récits de la conférence de Dresde diffèrent sur plus d’un point. M. Droysen les a combinés d’une manière assez heureuse et à laquelle je me suis habituellement conformé.
  20. Séchelles au maréchal de Broglie, 21 janvier 1742. — (Ministère de la guerre.)
  21. Valori, dans ses Mémoires, s’efforce d’établir que le maréchal de Broglie avait donné son consentement au plan de Frédéric et ne le retira que d’après les conseils et sur l’instigation de Maurice de Saxe. La correspondance du maréchal fait voir au contraire qu’il retira le consentement (qu’il avait donné avec empressement) dès qu’il sut que le dessein de Frédéric était de marcher sur Vienne et non de lui venir en aide pour combattre le grand-duc.
  22. Valori à Polastron, 10 février 1742. — (Correspondance de Prusse, — Ministère des affaires étrangères.)
  23. Pol. Corr., t. II, p. 35. — Frédéric au maréchal de Broglie, 11 février 1742.
  24. Belle-Isle à Desalleurs, 10 février 1742. — (Correspondance de Saxe. — Ministère des affaires étrangères.) Belle-Isle à Amelot, 4, 11 février 1742. (Correspondance de l’ambassade à la diète.) — Mémoires du maréchal de Belle-Isle. — Maurice de Saxe à Broglie, 22 février 1742. (Ministère de la guerre.) — Vitzthum, Maurice de Saxe, Lettres et Documens inédits, tirés des archives de Dresde, p. 425, 440.
  25. Frédéric, Histoire de mon temps, chap. V. — Pol. Corr. t. I, p. 80 à 180 passim. — Valori à Amelot, 14 Avril 1741. — (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)
  26. Charles VII au cardinal, 30 janvier 1741.
  27. Le chevalier de Belle-Isle à son frère, 28 janvier 1741 et jours suivans. (Correspondantes diverses. — Ministère de la guerre.)
  28. L’abbé de Broglie à Orry, contrôleur-général. (Papiers de famille.)
  29. L’abbé de Broglie au maréchal, 13, 25 février 1741. (Papiers de famille.)
  30. Journal de d’Argenson, t. V, p. 6. — Mémoires inédits de Belle-Isle.
  31. Mémoires inédits de Belle-Isle, — Mémoires du duc de Luynes, t. iv, p. 104, 112, 121. — Journal de d’Argenson, t. IV.