La Question romaine (Edmond About)/7

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Michel Lévy Frères (coll. Hetzel) (p. 61-74).
VII
LA NOBLESSE

Un Italien a dit en deux vers, avec une ironie assez piquante :

« Qui sait si quelque jour un puissant microscope ne découvrira pas dans le sang des globules de noblesse ? »

Ces globules précieux, que le microscope ne saura jamais découvrir, mais qu’un observateur intelligent devine à l’œil nu, sont rares dans toute l’Europe, et je ne sache pas qu’on en rencontre ailleurs. Vous pourriez en faire une petite collection en France, en Espagne, en Angleterre, en Russie, en Allemagne, en Italie. Rome est une des villes où l’on en trouverait le moins. Cependant la noblesse romaine est entourée d’un certain prestige.

Trente et un princes ou ducs ; un grand nombre de marquis, de comtes, de barons et de chevaliers ; une multitude de familles nobles sans titre, parmi lesquelles Benoît XIV en inscrivit soixante au Capitole ; une vaste étendue de domaines seigneuriaux ; un millier de palais ; une centaine de galeries petites et grandes ; un revenu passable ; une incroyable prodigalité de chevaux, de carrosses, de livrées et d’armoiries ; quelques fêtes royales tous les hivers ; un restant de privilèges féodaux et les respects du petit peuple : tels sont les traits les plus saillants qui distinguent la noblesse romaine et la donnent en admiration à tous les badauds de l’univers. L’ignorance, l’oisiveté, la vanité, la servilité et surtout la nullité, voilà les défauts mignons qui la placent au-dessous de toutes les aristocraties de l’Europe. Si je rencontre des exceptions en chemin, je me ferai un devoir de les signaler.

Les origines de la noblesse romaine sont très-diverses. Les Orsini et les Colonna (il en reste assez peu de chose) descendent des héros ou des brigands du moyen âge. Les Caëtani datent de 730. Les Massimo, les Santa Croce, les Muti, vont chercher leurs ancêtres jusque dans Tite-Live. Le prince Massimo porte dans ses armoiries la trace des marches et contre-marches de Fabius Maximus, autrement dit Cunctator. Sa devise est : cunctando restituit. Santa Croce se flatte d’être un rejeton de Valérius Publicola. Les Muti, qui n’ont pas le sou, comptent Mucius Scævola au nombre de leurs ancêtres. Cette noblesse, authentique ou non, fort ancienne dans tous les cas, est d’origine indépendante. Elle n’a pas été couvée sous la robe des papes.

La seconde catégorie est d’origine pontificale. Ses titres et ses revenus ont leur source dans le népotisme. Durant le cours du XVIIe siècle, Paul V, Urbain VIII, Innocent X, Alexandre VII, Clément IX, Innocent XI ont créé les Borghèse, les Barberini, les Pamphili, les Chigi, les Rospigliosi, les Odescalchi. C’était à qui placerait plus haut sa petite famille. Les domaines des Borghèse, qui font une assez jolie tache sur la carte d’Europe, nous prouvent que Paul V n’était pas un oncle dénaturé. Les papes ont conservé l’habitude d’anoblir leurs parents, mais le scandale de leurs libéralités s’arrête à Pie VI, auteur de la famille Braschi (1775-1800).

La dernière fournée comprend des banquiers, comme les Torlonia, des accapareurs comme les Antonelli, des meuniers comme les Macchi, des boulangers comme les ducs Grazioli, des marchands de tabac, comme le marquis Ferrainoli et des fermiers comme le marquis Calabrini.

J’ajoute, pour mémoire, les étrangers, nobles ou non, qui achètent un domaine et accrochent un titre par-dessus le marché. Il n’y a pas longtemps qu’un gentillâtre français, qui avait un peu d’argent, s’est éveillé prince romain, l’égal des Doria, des Torlonia et du boulanger duc Grazioli.

Car ils sont tous égaux, du jour où le saint-père a signé leurs parchemins. Quelle que soit l’origine de leur noblesse et l’antiquité de leur maison, ils s’en vont, bras dessus bras dessous, sans disputer de la préséance. Ils se marient entre eux, au risque de scandaliser leurs ancêtres. Les noms d’Orsini, de Colonna, de Sforza, se trouvent réunis pêle-mêle dans la famille d’un ancien domestique de place. Le fils d’un boulanger épouse la fille d’un Lante de la Rovère, petite-fille d’un prince Colonna et d’une princesse de Savoie-Carignan. La querelle des princes et des ducs, qui passionnait si vivement notre superbe Saint-Simon, ne se renouvellera jamais, croyez-le bien, dans l’aristocratie romaine.

À quoi bon, grands dieux ? Ne savent-ils pas tous, ducs et princes, qu’ils sont inférieurs au plus piètre des cardinaux ? Le jour où un capucin reçoit le chapeau rouge, il acquiert le droit de les éclabousser tous.

Dans tous les États monarchiques, le roi est le chef naturel de la noblesse. Ce qu’un gentilhomme peut dire de plus fort à la louange de sa race, c’est qu’elle est noble comme le roi. Noble comme le pape serait tout bonnement comique, puisqu’un porcher, fils de porcher, peut être élu pape et recevoir le serment de fidélité de tous les princes romains. Ils ont donc bien raison de se croire tous égaux, ces pauvres grands seigneurs, puisqu’ils sont également humiliés par quelques prêtres.

Ils se consolent en pensant qu’ils sont supérieurs à tous les laïques de l’univers. Cette vanité douce, intime, point bruyante, encore moins insolente, mais solidement assise au fond de leurs cœurs, les aide à digérer l’affront quotidien de leur infériorité.

Je vois bien en quoi ils sont inférieurs aux parvenus de l’Église, mais la supériorité qu’ils prétendent sur les autres hommes me paraît moins démontrée.

Ont-ils le cœur placé plus haut ? Je ne sais. Il y a bien longtemps qu’ils n’ont fait leurs preuves sur les champs de bataille. Dieu leur défend le duel. Le gouvernement leur prêche les vertus douces.

Ils ne manquent pas d’une certaine générosité vaniteuse et théâtrale. Un Piombino envoie son ambassadeur aux conférences de Vienne, et lui alloue cent mille francs pour frais de représentation. Un Borghèse, pour célébrer le retour de Pie VII, offre un banquet de 1 200 000 francs à la canaille de Rome. Presque tous les princes romains ouvrent au public leurs palais, leurs villas et leurs galeries. Il est vrai que le vieux Sciarra vendait la permission de copier ses tableaux, mais c’était un ladre diffamée qui n’a pas fait école.

Presque tous pratiquent les vertus de charité, sans beaucoup de discernement, par orgueil, par patronage, par habitude, par faiblesse, parce qu’ils n’osent point refuser. Ils ne sont pas méchants, ils sont bons ; je m’arrête sur ce mot, de peur d’aller trop loin.

Ce n’est pas qu’ils manquent tous d’esprit et d’intelligence. On cite le duc Massimo pour son bon sens, et les deux Caëtani pour leurs calembours. Santa Croce, quoique un peu fou, n’est pas un homme ordinaire. Mais quelle mauvaise éducation le gouvernement leur a donnée ! Ils sont tous élevés par les prêtres, et l’on s’est appliqué surtout à ne leur rien apprendre.

Allez chercher un séminariste à Saint-Sulpice, décrassez-le convenablement, faites-le habiller chez Alfred ou chez Poole, attachez-lui quelques bijoux de Mortimer ou de Castellani, enseignez-lui un peu de musique et d’équitation : vous aurez un prince romain qui vaudra bien les autres.

Vous supposez peut-être que des gens élevés à Rome, au milieu des chefs-d’œuvre, s’intéressent aux arts et s’y connaissent un peu : détrompez-vous. Celui-ci n’est jamais entré au Vatican que pour faire des visites ; celui-là ne connaît sa galerie que par les rapports de son intendant ; cet autre n’avait jamais vu les catacombes avant d’être nommé pape. Ils professent une ignorance élégante, de bon goût, et qui sera toujours de mise en pays catholique.

J’en ai dit assez sur le cœur, l’esprit, l’instruction de la noblesse romaine. Un mot sur les revenus dont elle dispose.

J’ai sous les yeux une liste que je crois authentique, car je l’ai copiée moi-même en bon lieu. Elle comprend les revenus nets disponibles des principales familles de Rome. J’en extrais les chiffres les plus imposants :

Corsini
500,000 francs.
Borghèse
450,000
Ludovisi
350,000
Grazioli
350,000
Doria
325,000
Rosigiosi
250,000
Colonna
200,000
Odescalchi
200,000
Massimo
200,000
Patrizi
150,000
Orsini
100,000
Strozzi
100,000
Torlonia
Revenu illimité.
Antonelli
Idem.

Ce n’est pas à dire que M. Grazioli, par exemple, soit presque aussi riche à lui tout seul que le prince Borghèse avec ses deux frères, Aldobrandini et Salviati. Mais toutes familles un peu anciennes sont grevées de mille et une charges héréditaires qui diminuent singulièrement leur revenu. Elles entretiennent des chapelles, des églises, des hospices, des collèges et des chapitres entiers de chanoines gras, tandis que les nobles de l’an dernier n’ont pas à payer la gloire ou les péchés de leurs ancêtres.

Quoi qu’il en soit, cette liste vous prouve que la noblesse romaine est médiocre en richesse comme en toute chose. Non-seulement elle est hors d’état de soutenir la concurrence avec la bourgeoisie laborieuse de Londres, de Bâle ou d’Amsterdam, mais elle est infiniment moins riche que la noblesse de Russie ou d’Angleterre.

Est-ce parce qu’une loi de justice comme la nôtre divise incessamment les grandes fortunes ? Non. Le droit d’aînesse est en vigueur dans le royaume du pape, comme tous les abus du bon vieux temps. On pourvoit les cadets comme on peut, on dote les filles comme on veut ; ce n’est pas l’équité des parents qui ruine les familles. On dit même que l’aîné n’est pas tenu de prendre le deuil à la mort du cadet : économie de drap noir.

Cela posé, pourquoi les princes romains ne sont-ils pas plus riches ? J’y vois deux raisons excellentes : le besoin de paraître, et la mauvaise administration.

L’ostentation, maladie romaine, veut que tout gentilhomme ait un palais à la ville et un palais à la campagne ; des carrosses, des chevaux, des laquais et des livrées. On se passe de matelas, de linge et de fauteuils, mais une galerie de tableaux est indispensable. Il n’est pas nécessaire d’avoir la poule au pot tous les dimanches, mais il faut un jardin bâti en pierre de taille, pour l’agrément des étrangers. Ces besoins factices absorbent le revenu et écornent souvent le capital.

Cependant je connais cinq ou six domaines qui suffiraient aux prodigalités d’un roi, s’ils étaient administrés à l’anglaise, ou simplement à la mode de France ; si le propriétaire agissait par ses mains et voyait par ses yeux, s’il ne laissait pas entre sa terre et lui une nuée d’intermédiaires qui s’enrichissent tous à ses dépens.

Non que les princes romains laissent aller sciemment leurs affaires à la dérive. Gardez-vous de les confondre avec ces grands seigneurs de la vieille France, qui souriaient au naufrage de leur fortune, et se vengeaient de leur intendant par un bon mot et un coup de pied. Le prince romain a des bureaux, des cartons, des employés ; il s’enferme tous les jours pour quelques heures dans sa chancellerie ; il vérifie des comptes, secoue de la poussière et donne des signatures. Mais, comme il n’est ni capable ni instruit, son zèle ne sert qu’à dégager la responsabilité des fripons qui l’entourent. On m’a cité un gentilhomme qui avait hérité d’une fortune énorme, qui s’était condamné au travail d’un employé à 1 200 francs, qui resta fidèle à son bureau jusque dans l’extrême vieillesse, et qui mourut insolvable, grâce à je ne sais quel vice d’administration.

Plaignez-les, si bon vous semble, mais ne leur jetez pas la pierre. Ils sont tels que l’éducation les a faits. Voici leurs enfants qui défilent dans le Cours entre deux jésuites. Ces bambins de six à dix ans, jolis comme des amours malgré leur habit noir et leur cravate blanche, grandiront tous uniformément à l’ombre du large chapeau de leur magister. Leur esprit est déjà comme un jardin bien ratissé, où l’on arrache soigneusement les idées. Leur cœur est purgé de toutes les passions bonnes ou mauvaises. Ils n’ont pas même de vices, les malheureux !

Lorsqu’ils auront passé les derniers examens et obtenu leurs diplômes d’ignorance, on les habillera à la mode de Londres, et on les lâchera dans les promenades publiques. Ils fatigueront le pavé du Cours, ils useront les allées du Pincio, de la villa Borghèse et de la villa Pamphili. Ils se promèneront longtemps, ils se promèneront beaucoup, à pied, à cheval, en voiture, avec une canne, une cravache ou un lorgnon dans la main, jusqu’à ce qu’on les marie. Assidus à la messe, fidèles au théâtre, vous les verrez sourire, bâiller, applaudir et faire le signe de la croix, sans passion. Presque tous sont inscrits sur les listes d’une ou deux confréries dévotes, ils ne sont d’aucun club. Ils jouent timidement, n’entretiennent point de danseuse, boivent sans enthousiasme et ne se ruinent jamais à faire courir. Conduite exemplaire et qu’on ne saurait trop louer ; mais les poupées qui disent papa et maman ne se débauchent pas non plus.

Un beau matin, ils ont vingt-cinq ans. À cet âge, un Américain a fait dix métiers, quatre fortunes, une faillite, deux campagnes, plaidé un procès, prêché une religion, tué six hommes à coups de révolver, affranchi une négresse, et conquis une île. Un Anglais a passé deux thèses, suivi une ambassade, fondé un comptoir, converti une catholique, fait le tour du monde et lu les œuvres complètes de sir Walter Scott. Un Français a rimé une tragédie, écrit dans deux journaux, reçu trois coups d’épée, essayé deux suicides, contrarié quatorze maris et changé dix-neuf fois d’opinion politique. Un Allemand a balafré quatorze de ses amis intimes, avalé soixante tonnes de bière et la philosophie de Hegel, chanté onze mille couplets, compromis une servante, fumé un million de pipes et trempé dans deux révolutions. Le prince romain n’a rien fait, rien vu, rien appris, rien aimé, rien souffert. On ouvre la grille d’un cloître, on en tire une jeune fille aussi expérimentée que lui, et ces deux innocents vont s’agenouiller devant un prêtre qui leur permet de faire souche d’innocents.

Vous vous attendez peut-être à voir un mauvais ménage ? Non. Cependant la jeune femme est jolie. L’ennui du cloître n’a pas tellement affadi son cœur qu’il soit incapable d’aimer ; son esprit inculte se développera spontanément au contact du monde. Elle sentira bientôt la nullité de son mari. Plus son éducation a été négligée, plus elle a de chances de rester femme, c’est-à-dire intelligente, aimante et charmante. Ah ! le prince serait un homme à plaindre si nous étions à Vienne ou à Paris.

Mais ce haut et large éteignoir que le ciel tient suspendu sur la ville de Rome étouffe jusqu’aux flammes subtiles de la passion. Si le Vésuve était ici, il serait froid depuis quarante ans. Les princesses romaines ont fait parler d’elles jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Leur galanterie a pris des allures quasi-militaires sous la domination française : elles venaient au Café-Neuf admirer leurs amants qui jouaient au billard. Mais l’hypocrisie et la morale ont fait d’immenses progrès depuis la Restauration. Les rares personnes qui défrayent la chronique scandaleuse ont passé la soixantaine, et leurs aventures sont gravées sur les tables de l’histoire, entre Austerlitz et Waterloo.

La jeune princesse que nous avons mariée tout à l’heure commencera par donner plusieurs enfants à son mari, et les petits berceaux tiennent l’amour à distance.

Dans cinq ou six ans, lorsqu’elle aura le loisir de songer à mal, le monde lui liera les pieds et les mains. Voulez-vous un échantillon de ses journées d’hiver ? Le lever, la toilette, le déjeuner, les enfants, le mari, lui prennent sa matinée. D’une heure à trois elle rend les visites qu’elle a reçues, dans la forme où elle les a reçues. La première politesse est d’aller voir les gens ; la seconde, de leur porter sa carte de visite soi-même, sans entrer chez eux ; la troisième, d’envoyer le carré de carton par un domestique ad hoc. À trois heures, promenade à la villa Borghèse, où l’on salue du bout des doigts tous les amis qu’on peut avoir. À quatre heures on monte au Pincio ; à cinq heures on défile le long du Cours. Toute la bonne compagnie, sans exception, se condamne à cette triple corvée ; si une seule promeneuse y manquait, on irait demander à son mari si elle n’est pas malade. La nuit vient ; on rentre, on dîne, on s’habille pour aller dans le monde. Chaque maison a son jour une fois par semaine. Réception pure et simple, sans jeu, sans musique, sans conversation ; échange de révérences et de banalités froides : on donne un bal de temps en temps pour rompre cette glace et secouer cet ennui. Pauvres femmes ! Dans une vie si pleine et si vide, il n’y a pas même de place pour l’amitié. Deux compagnes d’enfance élevées au même couvent, mariées dans le même monde, se rencontreront tous les jours à toute heure, et ne trouveront pas en un an dix minutes d’intimité. La plus spirituelle, la meilleure, n’est connue que par son nom, son titre et sa fortune ; on juge sa beauté, sa toilette et ses diamants ; personne n’a l’occasion ou le loisir de pénétrer jusqu’au fond de son âme. Une femme vraiment distinguée me disait : « En entrant dans ces salons, je deviens bête ; le néant me gagne dès l’antichambre. » Une autre, qui avait habité la France, regrettait en pleurant ces jolies amitiés, si gaies et si cordiales, qui se nouent entre les jeunes femmes de Paris.

Le carnaval arrive ; il mêle tout et ne rapproche rien. Est-on jamais plus isolé qu’au milieu du bruit et de la foule ? Et puis, c’est le carême ; et puis la grande solennité de Pâques ; puis on s’enfuit à la campagne en famille, et l’on va faire des économies dans un grand château démeublé. Quelques hivers bruyants, quelques étés maussades et beaucoup d’enfants : voilà le roman des princesses. S’il y a quelque chapitre de plus, le confesseur le sait :

Ce ne sont pas là mes affaires.

Il faut aller loin de Rome pour trouver la vraie noblesse. On rencontre bien çà et là, dans les provinces de la Méditerranée, une famille déchue, qui vit péniblement du revenu de quelque terre, et que les voisins plus riches entourent d’un certain respect. Le peuple lui sait gré d’avoir été quelque chose, et même de n’être rien sous un gouvernement détesté. Ces petits aristocrates de province, ignorants, simples et fiers sont comme un reliquat du moyen âge oublié dans le XIXe siècle. Je n’en parle que pour mémoire.

Mais si vous me suiviez au delà des Apennins, dans les glorieuses villes de la Romagne, je vous montrerais plus d’un gentilhomme de grand nom et de vieille race, qui cultive son esprit et son champ, qui sait tout ce que nous savons, qui croit tout ce que nous croyons, et rien de plus ; qui s’intéresse activement aux malheurs de l’Italie, et qui, tourné vers l’Europe heureuse et libre, espère de la sympathie des peuples et de la justice des princes la délivrance de son pays. Ces vrais nobles sont justement suspects à la caste régnante, car ils partageront avec les bourgeois l’héritage du pape. J’ai rencontré dans certains palais de Bologne un écrivain brillant, applaudi sur tous les théâtres de l’Italie ; un savant économiste cité avec respect dans les Revues les plus sérieuses de l’Europe ; un polémiste terrible et redouté des prêtres ; et tous ces hommes réunis dans la personne d’un marquis de trente-quatre ans, qui jouera peut-être un grand rôle dans la révolution italienne[1].


  1. Le marquis Pepoli. Il a justifié magnifiquement toutes nos espérances. (Note de la 2e édition.)