La Révolution au Vénézuela - Andueza Palacio et Joaquin Crespo

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La Révolution au Vénézuela - Andueza Palacio et Joaquin Crespo
Revue des Deux Mondes3e période, tome 114 (p. 398-425).
LA
REVOLUTION AU VENEZUELA

ANDUEZA PALACIO ET JOAQUIN CRESPO

À quel malaise étrange, en apparence inexplicable, sont donc, en ce moment, en proie les républiques espagnoles de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud ? Après le Brésil, qui semble avoir perdu sa paix intérieure depuis qu’il a conquis une liberté que rien n’entravait sous le plus nominal des empereurs ; après le Chili, dévoyé depuis ses victoires ; après le Pérou et la Bolivie, aigris et inquiets depuis leurs défaites ; après le San-Salvador que menace le Costa-Rica, et le Costa-Rica que menace une crise économique et financière, voici le Venezuela, déchiré à son tour par la guerre civile, se débattant entre les présidens qui luttent pour conquérir le pouvoir ou s’y perpétuer, entre les partis qui se disputent les emplois, entre les politiciens qui pillent le trésor public.

Il semble que, dans cette Amérique du Sud, deux fois grande comme l’Europe, cent fois riche comme elle en productions naturelles, onze fois moins peuplée, l’homme ait mieux à faire qu’à s’armer contre l’homme. Ni la terre ne manque, ni l’espace n’est mesuré. Sur 8,000 kilomètres de longueur du nord au sud, sur 18,300,000 kilomètres carrés de superficie, l’Amérique méridionale dessine sur le double océan sa masse compacte, aux contours rigides, que les flots entament à peine, qu’échancrent seuls les grands cours d’eau et que sillonne intérieurement le plus merveilleux réseau fluvial. On y trouve tous les climats, depuis les plateaux glacés des Andes jusqu’aux plaines brûlantes de la zone torride ; on y récolte tous les produits, et ce sol infiniment varié, infiniment accidenté, se prête à toutes les cultures, à toutes les exploitations. Il renferme l’or, le cuivre, le fer, la houille, l’argent et les pierres précieuses ; il nourrit d’immenses troupeaux de bétail ; il possède les plus rares essences forestières, les plaines les plus fertiles, et son commerce, encore au début, se chiffre déjà par plus de dix milliards à l’année.

Spectatrice attristée des révolutions, le plus souvent incompréhensibles pour elle, qui ensanglantent les républiques hispano-américaines, l’Europe, qui leur a fourni les milliards nécessaires à la construction de leurs voies ferrées, à l’élargissement de leurs ports, à leur outillage industriel et agricole, à la mise en valeur de leur sol et de leurs mines, s’inquiète et se demande si elle s’est trompée dans ses appréciations trop optimistes, si ces États portent en eux-mêmes un principe morbide qui, paralysant leurs efforts, les condamne à une irrémédiable impuissance.

Il n’en est rien, et l’avenir le prouvera ; mais il n’en est pas moins vrai que la plupart des républiques espagnoles du Nouveau-Monde offrent depuis quelques années l’affligeant spectacle de guerres civiles sans cesse renaissantes, de malversations financières, de présidens instables, inhabiles à maintenir l’ordre. En étudiant, ici même[1], les causes et les effets de la récente révolution du Chili, nous nous sommes efforcé de mettre en relief le principe même du mal dont elles paraissent toutes plus ou moins atteintes, à savoir l’absence de moralité politique, le cynisme des politiciens, âpres à la curée, soucieux avant tout de s’enrichir, d’entasser en hâte des millions qu’ils acheminent sur l’Europe, qu’ils vont retrouver et dont ils vont jouir en paix quand l’opinion soulevée contre eux les force à se dérober par la fuite à la vindicte publique. La politique, telle qu’on l’entend, avec son triste cortège de pronunciamientos, de coups de force et de scandaleux abus, est la cause de la plupart des maux dont souffrent ces États si richement dotés par la nature.

Sur ce continent, vaste laboratoire d’expériences sociologiques, le développement d’une civilisation dont on ne démêle encore que les élémens primitifs et dont la résultante se dérobe à la vision, est, à chaque instant, accéléré ou retardé par l’instinctive imitation de notre civilisation européenne. Tantôt, comme à Buenos-Ayres, nous la voyons copier les erremens de l’Europe, avancer à pas de géant, puis, brusquement, s’arrêter, hors d’haleine. Tantôt, comme au Chili, grisé de gloire militaire, elle convertit Santiago en un Berlin américain et noie, dans une lutte fratricide, ses velléités soldatesques. À copier servilement l’Europe ou l’Amérique du Nord, ces républiques hispano-américaines font fausse route ; elles se heurtent à d’imprévus obstacles, à ces élémens primitifs, irréductibles, dont il leur faut tenir compte et qui, quoi qu’elles en aient, les orientent dans une voie différente pour aboutir à un résultat autre.

Ces élémens primitifs sont la race, le sol et le climat. Ni en Europe, ni dans l’Amérique du Nord, non plus qu’en Asie ou en Océanie, on ne les retrouve tels qu’ils apparaissent ici, dans leur variété multiple, dans leurs contrastes violens : le modernisme extrême coudoyant l’extrême barbarie, le luxe raffiné dans les grandes villes, la misère insouciante des peones et des gauchos dans les ranchos, et, comme dans la capitale du Paraguay, des vaches qui paissent dans les rues où l’herbe croît sous la lumière des lampes électriques. Au rebours de ce qui se passe ailleurs, la satisfaction des besoins a devancé leur éclosion. « Ici, écrit M. Th. Child, dans son intéressant volume sur les républiques hispano-américaines[2], toutes les phases et tous les progrès de la civilisation se manifestent dans des incarnations qui vont des Indiens nus et grelottans du canal de Smyth, auxquels l’usage du feu naguère encore était inconnu, aux opulentes créoles de Montevideo qui se rendent à l’Opéra dans un coupé attelé de deux trotteurs russes, portant des toilettes sorties des ateliers de Worth et des aigrettes de diamans venues de chez Boucheron, et n’en restent pas moins des femmes très primitives, si on les compare aux femmes raffinées, et complexes à l’excès, de Londres, de Paris et de Saint-Pétersbourg. »

Même contraste dans le sol et dans le climat et aussi entre les plantations de l’Amérique tropicale et les estancias de la République Argentine, entre les hauts plateaux des Andes et le littoral brûlant, entre la matin, virgen, la forêt vierge du Brésil, et la région pampéenne, aux lointains fuyans, aux longues lignes plates. Ce contraste est partout, et partout, de cette amalgamation, de ces élémens disparates, se dégage lentement et péniblement une civilisation distincte de la nôtre, nonobstant les nombreux emprunts qu’elle lui fait.

Dans la superposition des races, l’antithèse s’accentue encore. Partout, sur ce sol, nous voyons une race dominante et une race inférieure : des blancs et des Indiens, des métis, des nègres et des Chinois. Les premiers sont de descendance espagnole, comme tels fils des conquérans, comme tels dédaigneux du travail manuel. L’armée et la marine d’une part, les professions dites libérales de l’autre, sont les principaux débouchés ouverts à leur activité. L’instruction est largement répandue, et les écoles spéciales fournissent plus d’avocats et de docteurs que ces pays n’en requièrent. D’instinct, au seuil des carrières encombrées, les jeunes gens se tournent vers la politique ; ils ambitionnent les fonctions stériles de députés et de sénateurs. L’espoir de jouer un rôle, le désir de conquérir rapidement, avec une situation en vue, la fortune, les attirent. Ils se font politiciens, se choisissent un chef et marchent avec lui et derrière lui à l’assaut du pouvoir. Leur impatience le pousse ; ils ont hâte d’arriver, et les traditions autorisent et justifient leur audace. La législation n’est qu’un mot, la force prime tout. L’opinion publique est muette ; celle des journaux, des cercles, des cafés, la remplace. La jeunesse dorée des grandes villes mène, le plus souvent, une vie oisive, passée sur la Plaza, à l’Alameda, au cours, à dévisager les jolies femmes, dans les trattorias, les pulperias et les clubs, à parler de politique.

D’un côté, les blancs, les caballeros, de l’autre les peones, les hommes de peine, insoucians des affaires publiques ; ces derniers travaillent, s’enivrent et se multiplient ; ils n’ont ni moralité appréciable, ni crainte de la mort. C’est parmi eux que se recrutent ces soldats intrépides que nous avons montrés à l’œuvre sur les champs de bataille de Tacna et d’Arequipa, de Miraflores et de Chorillos, où leur férocité égalait leur bravoure. Nous les retrouverons, les mêmes, sur ceux de Polito et d’Acarigua, de Los Tequès, d’Ejido et de Valencia, de Caracas et de la Guayra. Entre ces deux élémens distincts, dont l’un commande à l’autre, on voit apparaître une classe moyenne, embryonnaire dans la plupart de ces républiques, plus compacte et plus avancée dans quelques autres, mais dont les progrès sensibles et l’accroissement rapide présagent l’avènement prochain. C’est à elle qu’appartient l’avenir ; avant peu prépondérante, elle fera la loi et imposera sa volonté ; elle se recrute en haut et en bas, plus largement parmi les métis ; elle représente l’élément stable, les intérêts permanens, qui s’accommodent mal des coups d’audace, du pouvoir conquis par la violence et renversé par la force brutale. Là est le remède prochain aux maux actuels ; là est le facteur nouveau appelé à substituer l’ordre au désordre, à restaurer les finances et à relever le crédit, à justifier les pronostics favorables de ceux qui, tout en déplorant de tristes erremens, ne désespèrent pas de l’avenir et de la grandeur future de ces républiques. Les événemens dont le Venezuela est en ce moment le théâtre ne sont pas pour ébranler cette confiance. S’ils montrent, une fois de plus, la nature et la profondeur du mal, ils mettent aussi en relief la vitalité puissante de la nation, sa force de résistance, sa foi, que les plus rudes épreuves n’ont pu lasser, dans le triomphe du droit et de la légalité.


I

Examinons tout d’abord le cadre dans lequel se déroulent les péripéties sanglantes et se meuvent les acteurs principaux du drame politique que nous entreprenons de retracer.

Terre aux formes bizarrement découpées, pays riant, au nom sonore et doux, aux plages verdoyantes inondées par le soleil des tropiques, le Venezuela, situé dans la zone torride, entre l’équateur et le 10e degré de latitude nord, déploie, sur 1,500 kilomètres de longueur, au long de la mer des Caraïbes, ses côtes merveilleusement échancrées qui font face aux grandes Antilles. Sa superficie est de 1,043,000 kilomètres carrés, près de deux fois celle de la France ; sa population est de 2,300,000 habitans. Au nord, il est borné par l’Océan ; à l’est, il confine à la Guyane anglaise, dont le cours du rio Amacura et la sierra de Rincoté le séparent. Au sud, sa frontière, capricieusement découpée par le relief du sol, dessine au long du Brésil une série d’angles rentrans, de saillies bizarres, affectant des formes de promontoires, d’anses et de caps. À l’ouest, une ligne arbitraire, rigide et droite dans sa partie méridionale, isole le Venezuela des États-Unis de Colombie, dont il fit partie. Il y a de cela un demi-siècle, et la cassure apparaît aussi nette qu’alors ; la question de limites n’est pas encore réglée.

Colomb reconnut, le premier, cette région. En 1498, il découvrit les embouchures de l’Orénoque et, pour la première fois, sans s’en douter, il aperçut la terre ferme, objet de ses recherches. Il ne soupçonna la vérité que dans le golfe de Paria, où l’énorme quantité d’eau douce qui s’y épanchait lui fit conjecturer qu’un continent seul pouvait alimenter de pareils fleuves. Quant à l’Orénoque, qu’il prit d’abord pour un détroit, il ne put qu’en explorer l’entrée et en prendre possession au nom de la couronne d’Espagne. Un an plus tard, Vespuce, Cosa et Ojada relevèrent la côte depuis le golfe de Paria jusqu’à celui de Maracaïbo ; ces terres plates et noyées, du sein desquelles surgissaient de grands villages indiens bâtis sur pilotis, leur rappelèrent Venise, et ils donnèrent à cette côte le nom de Venezuela, petite Venise, qu’elle a gardé depuis.

Ici, comme dans tout le continent conquis par elle, le joug de l’Espagne fut dur et pesant aux colons. Le monopole paralysait toute initiative ; le droit de trafic appartenait à des favoris ; l’irritation était générale. L’Espagne elle-même donna des chefs aux mécontens en déportant au Venezuela des conspirateurs de la métropole, accusés d’avoir voulu attenter, en 1756, aux jours de Charles IV. Accueillis avec honneur dans un pays mûr pour l’insurrection et que devaient surexciter plus tard les événemens de la Révolution française, ces exilés politiques recrutèrent de vaillans adeptes : Miranda, puis Bolivar, qui rêvait déjouer, dans l’Amérique du Sud, le rôle de Washington aux États-Unis. Commencée en 1811, la lutte dura dix années, avec des alternatives de revers et de succès. Victorieux à Boyaca et à Tacarigua, Bolivar eut la gloire d’affranchir sa patrie. Appelé ensuite par les colons soulevés de l’Equateur et du Pérou, il n’hésita pas à entamer une nouvelle campagne. La bataille de Pichincha affranchit l’Equateur ; celle d’Ayacucho délivra le Pérou, et Bolivar, proclamé « père de la patrie, » se vit offrir par les républiques reconnaissantes la présidence à vie. Il la refusa, rentra dans la vie privée, et revint mourir dans sa patrie le 17 décembre 1830, laissant son nom à la Bolivie, formée des provinces détachées du Haut-Pérou, et la mémoire de ses services à trois grands États de l’Amérique équatoriale.

Le Venezuela se divise en trois zones distinctes : la zone agricole, la zone des pâturages et la zone forestière, de beaucoup la plus étendue. La première de ces zones, celle du littoral, renferme la presque totalité des plantations de cannes à sucre, café, cacao et produits tropicaux. Celle des pâturages, que recouvrent de gigantesques graminées, nourrit de nombreux troupeaux ; mais l’agriculture l’envahit peu à peu. La zone forestière est riche en plantations naturelles de caoutchouc, de la fève de Tonka, de jubée, vanille, qu’exploitent les habitans des territoires du Haut Orénoque, des Amazones et de Caùra. Telle est l’abondance des productions sans culture de cette zone qu’elle suffirait à enrichir plusieurs millions d’habitans.

On retrouve ici tous les climats, depuis celui des neiges perpétuelles jusqu’à celui des plaines équatoriales. Les fortes chaleurs y règnent d’avril à octobre, et cependant la longévité est plus grande au Venezuela que dans nos régions d’Europe ; on y compte, en moyenne, un centenaire par 10,000 habitans, alors que l’Italie et l’Espagne, les deux pays les plus favorisés de l’ancien monde sous ce rapport, n’en ont qu’un par 68,000 habitans et la France un par 100,000. La température, très élevée sur le littoral, dont certaines parties plates sont malsaines, se maintient à une moyenne printanière dans les hautes vallées ; dans les Andes, les variations sont brusques ; on y passe sans transition de l’hiver à l’été ; la région des Llanos, ou des plaines, est chaude et parfois fiévreuse dans la saison sèche.

Elle est longue, la liste des richesses encore peu ou pas exploitées de ce vaste territoire. On rencontre d’importantes mines d’or sur les rives de l’Yuruari et dans la province de Bolivar ; le cuivre rouge d’Aroa est supérieur au cuivre de Suède, et, sur les bords du lac Maracaïbo, se trouvent le pétrole, l’asphalte, le marbre, le granit et le sel.

Bien différente de la zone forestière que sillonne l’Orénoque, la zone pastorale ou des Llanos forme un vaste océan de verdure fuyant au loin vers le sud entre la chaîne côtière et les Andes, débordant sur la Colombie, le Brésil et l’Equateur, s’élargissant sans cesse en plaines interminables que recouvraient autrefois les eaux de la mer. Là où errent aujourd’hui les Piaroas, les Guaharibos, les Mapoyas, leurs ancêtres pagayaient leurs canots. Sur un roc inaccessible, isolé dans la vaste plaine, ces derniers ont gravé de mystérieux hiéroglyphes. « Nos pères, disent les Indiens, ont abordé au sommet de ce roc en canot. »

Refoulés par les Espagnols qui, remontant le cours de l’Orénoque, les dépossédaient du littoral, ces tribus indiennes, reculant devant eux, se cantonnèrent dans le delta du fleuve où elles élevèrent leurs habitations lacustres, dans les Llanos où les colons les suivirent. Mais ici l’espace ne manquait ni aux uns ni aux autres. « Il y a, dit Humboldt, de la grandeur et une profonde mélancolie dans le spectacle de ces steppes. Tout y paraît frappé d’immobilité, sauf parfois l’ombre légère d’un nuage glissant lentement sur le sol et annonçant l’approche de la saison des pluies à l’habitant des savanes. L’œil se fait sans peine à ces grands horizons qui, pendant des voyages de vingt et trente jours, ne varient pas, rappelant, par leur espace sans fin et leur calme profond, la mer des tropiques. Dans cette zone étrange, on en vient à considérer l’existence de l’homme comme inutile à l’ordre de la nature. Celle-ci est pleine de vie sans lui, et lui-même n’y ajoute rien. »

Race intermédiaire entre les Indiens des rives de l’Orénoque et les cultivateurs de la zone agricole, les Llaneros tiennent des premiers leurs goûts de vie libre et nomade, des seconds des idées confuses de civilisation et de progrès. Sur ce monde à demi barbare passe un souffle nouveau. Attirée par les riches pâturages des Llanos, l’immigration envahit lentement ces solitudes qu’elle peuple de troupeaux. Les hattos, ou fermes d’élevage, se multiplient, et des centres d’approvisionnement apparaissent sur certains points bien choisis, embryons de villes futures.

Caracas, patrie de Bolivar et berceau de l’indépendance de l’Amérique équatoriale, est la capitale de la république. Peuplée de 75,000 habitans, la ville s’élève, par 922 mètres d’altitude, au pied de la chaîne de l’Avila, dans un cadre pittoresque de montagnes lointaines et de la riche vallée du Chacao. Foyer intellectuel et centre politique du Venezuela, Caracas possède une université, une académie des beaux arts, une école de droit, de médecine, des arts et métiers, et une école polytechnique. On y trouve tous les conforts de la civilisation moderne, et la moyenne des élèves y est proportionnellement supérieure à ce qu’elle est en France, en Angleterre et en Allemagne. La capitale est reliée à la mer par le port de la Guayra, avec lequel elle communique par une voie ferrée. La Guayra, située sur la mer des Antilles, est le premier port commercial et militaire de la république. Il renferme plus de 16,000 habitans, et son mouvement maritime se chiffre par 45 millions de francs à l’année pour le commerce étranger et 12 millions pour le cabotage.


II

Dans ce cadre pittoresque, une population de près de deux millions et demi d’habitans. Elle se compose de blancs, descendans des envahisseurs ou émigrés d’Europe, d’Indiens, de nègres, de Caraïbes et de métis. Ces derniers, mulâtres ou Zambos, sont les plus nombreux ; les Indiens indépendans, ou Indios bravos, ne sont plus guère que 66,000, les Indiens civilisés, ou reducidos, au nombre de 260,000, se confondent avec la population métisse.

Au premier rang, dans cette classification des races : le blanc de race pure, l’Espagnol de race conquérante. Il est caballero, homme de cheval et de parade, intelligent, mais le plus souvent paresseux, brave, mais oisif, généralement dépourvu d’initiative. Son inaction et son absorption dans l’idée collective sont l’un des traits caractéristiques du Vénézuélien. Il attend tout du gouvernement ; il ne s’estime quelqu’un qu’à la condition de disposer, à un degré quelconque, d’une fraction de l’autorité. Nulle part le fonctionnarisme n’est, à ce point, l’idéal ; nulle part le gouvernement n’est, autant qu’ici, la source des grâces et des honneurs. À défaut du travail, que ce blanc de descendance espagnole dédaigne, de l’esprit d’entreprise qui lui fait défaut, du commerce et de l’industrie qu’il abandonne aux étrangers, la politique peut le mener à la réputation et à la fortune. Il a ce qu’il faut pour y réussir : l’esprit vif et alerte, la parole imagée, l’extérieur avantageux, le goût des discussions et des manifestations. Elle a ce qu’il faut pour lui plaire, car elle s’accommode de la vie large et élégante, elle comporte les longues stations sous les porches des églises, à la sortie des señoritas, aux traits fins et délicats, encadrées dans leur mantille, et saluées au passage de murmures discrets : Que buena moza ! Que bonila ! Que sîmpatica ! et aussi les controverses brillantes dans les frais patios, sur la plaza Bolivar, dans les bureaux de rédaction des journaux, ou sous les galeries de la casa Amarilla qui est, à Caracas, ce qu’est la Maison-Blanche à Washington. À Caracas, cependant, comme ailleurs, on rencontre des hommes de réelle valeur et de véritable savoir. Le Venezuela leur doit beaucoup, et leurs »oms sont connus en Amérique comme en Europe. Nous entendons parler ici de la classe des politiciens de profession auxquels la république n’est redevable que des révolutions fréquentes qui entravent ses progrès et retardent sa marche.

Très nombreux, les métis se subdivisent en métis des villes et métis des campagnes. Les uns et les autres sont actifs ; les premiers trafiquent et travaillent, ils sont hommes de peine et hommes d’équipe, déchargeurs et marins dans les ports, bons soldats toujours, domestiques, revendeurs, artisans ; ils font tous les métiers ; ils sont dociles, sociables et gais, indifférens aux choses de la politique, n’y intervenant que pour se battre, sous les ordres d’un chef qu’ils connaissent, qui les recrute et les entraîne. Ils sont ici ce que sont les peones au Chili, même bravoure et aussi même férocité, quand leurs instincts sauvages sont déchaînés.

Tout autre est le métis des campagnes, le Llanero, l’homme des plaines, type original, rappelant le Bédouin d’Afrique, le Gaucho des Pampas, le Peau-Rouge des prairies américaines. Véritable centaure, il vit, comme eux, à cheval, n’ayant pour toutes armes que le lasso et la redoutable machété dont il manie avec dextérité la lourde lame tranchante, à la fois sabre, hache et couperet. « Cette race de pasteurs, qui vient de jouer un rôle important dans la récente insurrection, a été bien décrite par Mme J. de Sassenay[3]. « Le Llanero, écrit-elle, est doué en général d’une agilité et d’une force remarquables. Son teint est brun foncé, sa taille peu élevée, sa constitution des plus vigoureuses. Il y a en lui un curieux mélange de sang africain, espagnol, indien, voire chinois, assez difficile à analyser. Ennemi acharné des innovations, se sentant à l’étroit dans les villes, jouissant des grandes scènes de la nature, avide d’émotions fortes, l’homme des plaines est peu sociable, recherche la solitude, construit sa cabane près de quoique groupe d’arbres, dans les endroits les plus sauvages. Là, il trace son corral, où il fera rentrer le soir son nombreux troupeau. Passionné de musique, il se repose des fatigues du jour en jouant de sa guitare, et c’est au son d’un chant cadencé et mélancolique qu’il conduira, le lendemain, ses animaux vers les horizons lointains des Llanos. Il ne porte pour tout costume qu’une chemise de couleur et des pantalons allant jusqu’aux genoux, et se terminant par deux larges ailerons flottant sur les jambes. La chemise, très voyante, ouverte en cœur sur la poitrine, est cordée d’un chapelet de gros grains rouges destinés à fixer l’attention des bestiaux. Elle est ramenée autour de la taille par une large ceinture d’indienne également rouge. Les pieds sont nus et la tête est couverte d’un mouchoir de couleur, noué de façon que les bouts protègent la nuque contre les rayons du soleil. »

Cette population, d’ordre composite, est régie par une constitution, en partie calquée sur celle des États-Unis. Trois pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire. Le pouvoir législatif est composé de deux chambres : la chambre des députés et le sénat, qui, réunies, forment le congrès national. Les États, par un vote populaire, direct et public, nomment les députés, dans la proportion d’un député pour 35,000 habitans. Les législateurs des États nomment directement trois sénateurs pour chaque État. Les sénateurs, de même que les députés, restent quatre ans dans l’exercice de leurs fonctions. La représentation des deux chambres, ou le congrès, est composée de 52 députés et 24 sénateurs.

Le congrès, dans la première quinzaine de sa réunion, et ensuite tous les deux ans, nomme un sénateur et un député pour chacun des États ; ces élus forment le conseil fédéral, lequel choisit, parmi ses membres, le président de la république. Le chef du pouvoir exécutif et les membres du conseil fédéral exercent leurs fonctions pendant deux années ; ni l’un ni les autres ne peuvent être réélus pour la période suivante. Ils reprennent, dans le congrès, leurs sièges respectifs. Quant au président, il gouverne par ses ministres et sous le contrôle du conseil fédéral.

Il est difficile d’imaginer un mécanisme plus compliqué, plus propre à faire naître les conflits, moins apte à les résoudre. C’est dans ce mécanisme, qui emprunte à la constitution des États-Unis ses rouages essentiels, mais qui en fausse le jeu et en aggrave les clauses restrictives, c’est dans cette élection au troisième degré du chef du pouvoir exécutif et dans la courte durée de ses pouvoirs, que la constitution limite à deux années, avec interdiction de réélection, qu’il faut chercher la cause et le prétexte de la guerre civile du Venezuela. Inintelligible aux masses, cette constitution n’est pas pour entraver l’action d’une volonté forte qui en contrôle les ressorts, qui les assouplit à sa main et les fait fonctionner à sa guise, convertissant le conseil fédéral en un conseil d’État docile, le congrès en un corps législatif muet. Il n’en va plus de même quand, le prestige et la popularité faisant défaut au chef du pouvoir exécutif, le conseil fédéral devient une pépinière de candidats à la présidence, empressés à renverser le lendemain l’élu de la veille.

Depuis soixante-deux ans, depuis la mort de Bolivar, libérateur et fondateur de la confédération de Colombie qui, après lui, se scinda en quatre États indépendans : les républiques de l’Equateur, de la Colombie, de la Bolivie et du Venezuela, l’histoire de cette dernière n’est, en effet, qu’une longue série de convulsions politiques, interrompue çà et là par des dictatures pendant lesquelles le pays semble reprendre haleine. Les noms de ces dictateurs sont intimement liés aux grandes mesures politiques, aux grandes œuvres d’utilité publique qui constituent comme autant d’étapes dans la marche en avant du Venezuela. Vargas et Falcon donnent l’impulsion ; Monagas décrète l’émancipation des esclaves ; Guzman et son fils Guzman Blanco gouvernent despotiquement, mais intelligemment, une population plus reconnaissante de la prospérité qu’elle leur dut, qu’irritée du joug qu’elle porta. Le dernier surtout a joué au Venezuela un rôle trop important, et son influence y est trop grande encore, comme on le verra, pour n’en pas dire quelques mots. Bien qu’officiellement il n’ait pas pris une part active aux événemens et s’en soit tenu à distance, son nom y a été mêlé et sa main s’y est fait sentir.

Président à plusieurs reprises, soldat avant d’être homme d’État, il réforma l’armée et l’administration, il restaura les finances et rétablit l’ordre, ouvrit des routes et construisit des voies ferrées. Nul, autant que lui, n’encouragea et n’appela l’immigration étrangère. Cinq millions furent affectés par lui à la création de la colonie qui porte son nom et qu’il fonda pour donner l’hospitalité et du travail aux immigrans. Située entre les villages d’Orituco et de Caucagua, cette colonie se trouve à 100 kilomètres de la mer et à 130 de Caracas. Son étendue est de 555 kilomètres carrés en terrains propres à l’agriculture ; elle renferme cent vingt-cinq plantations de café et de nombreuses plantations de canne à sucre.

Grand propriétaire, sa fortune lui a permis, dans le cours de la guerre civile actuelle, d’avancer, dit-on, au président Palacio, à court d’argent, des sommes considérables. Sa popularité est grande encore, et si Andueza Palacio a pu faire tête pendant des mois à l’insurrection, il l’a dû surtout à ce qu’on le tenait, à tort ou à raison, pour le protégé de Guzman Blanco, lequel, tout absent qu’il était, en imposait à ses adversaires politiques.

D’autres hommes : Palacio et Crespo, le docteur Rojas Paul et Mora, Monagas et Ybarra, ont joué des rôles plus actifs et plus importans dans ce drame politique qu’il nous reste à raconter. Nous aurons l’occasion de revenir sur leur passé et de noter leurs traits caractéristiques en les montrant à l’œuvre. Si par certains côtés ils rappellent des types généraux, propres à l’Amérique du Sud, par d’autres ils s’en distinguent et, essentiellement Vénézuéliens, ils incarnent en eux les défauts et les qualités de leur race.


III

Élu président du Venezuela en mars 1890, Andueza Palacio voyait expirer ses pouvoirs en février 1892. Le 10 de ce mois devait avoir lieu l’élection de son successeur. Entré pauvre à la casa Amarilla, il s’y était, disent ses ennemis, rapidement enrichi, et la rumeur publique lui attribuait une fortune de plus de quinze millions. À ces assertions, il convient d’opposer ses dénégations réitérées et celles de ses amis. Il n’est malheureusement que trop vrai qu’avant lui, si ce n’est lui, nombre de présidens se sont enrichis au pouvoir, et que l’on admet difficilement ici, comme dans la plupart des États de l’Amérique du Sud, qu’un homme quitte les affaires tel qu’il y est entré.

Aux termes de la constitution, le président Palacio n’était pas rééligible. Le congrès devait nommer un conseil fédéral de dix-sept membres, lequel choisirait, parmi ses membres, le nouveau président ; mais, non plus que Balmaceda au Chili, Andueza Palacio n’entendait abdiquer. Il tenait pour trop courte la durée des pouvoirs présidentiels ; il tenait pour fâcheuse la nomination du président par un comité de dix-sept membres, et il revendiquait pour le peuple le droit d’élire le premier magistrat de la république. Le congrès s’opposait à cette innovation, mais par une faible majorité : 43 voix contre 40. D’autre part, les conseils-généraux s’y montraient favorables, sept sur neuf signifiaient leur assentiment et pétitionnaient en faveur de cette mesure.

Toute significative que fût cette adhésion, elle n’avait que la valeur d’un vœu ; elle ne constituait pas une décision légale, elle ne pouvait se substituer à la loi organique. Cette dernière subsistait intacte, tant qu’elle n’aurait pas été régulièrement révisée et modifiée. Le temps manquait pour le faire ; Andueza Palacio hésitait à forcer l’obstacle, il n’hésita pas à le tourner. Le conseil fédéral avait, disait la constitution, seul qualité pour élire légalement le président, mais le congrès avait seul qualité pour nommer le conseil fédéral. S’il ne le nommait pas, l’élection présidentielle devenait impossible, et le président en exercice continuait ses fonctions. Au jour fixé pour procéder à la nomination du conseil fédéral, une partie des membres du congrès s’abstint de se rendre à la salle des séances ; son abstention rendait impossible la réunion du quorum exigé par le règlement ; l’élection n’eut pas lieu, et le congrès lut ajourné sine die.

Que le président eût prévu, désiré et amené cette solution, nul n’en douta, et, moins qu’aucun, ceux des membres du congrès qui lui étaient hostiles et ceux qui, candidats à la présidence, espéraient le remplacer. Ce qui confirma leurs assertions, c’est que toutes les mesures militaires étaient prises, les bataillons fidèles concentrés à Caracas, et qu’une adresse rédigée par Casanas, l’ami du président et son représentant dans le congrès, dénonçait à l’opinion publique l’attitude révolutionnaire et antipatriotique de l’opposition qui en appelait d’abord à la cour suprême, interprète autorisée de la constitution, et menaçait, en cas de résistance, d’en appeler aux armes.

Ainsi que l’on devait s’y attendre, la cour suprême déclara que le maintien de Palacio au pouvoir était illégal, contraire à la loi fondamentale du pays, et qu’il constituait un acte d’usurpation et de dictature ; qu’en l’état actuel des choses et en l’absence d’un président régulièrement élu, Palacio était tenu de se démettre de ses fonctions en faveur de Villegas, le premier vice-président, lequel devait, sans retard, convoquer à nouveau le congrès et le mettre en demeure de procéder à la nomination du conseil fédéral. Cette décision, qui mettait Palacio hors la loi, qui déliait les troupes de leur serment d’obéissance et autorisait l’appel aux armes, exaspéra le président à tel point que, résolu à briser toutes les résistances, il ordonna l’arrestation immédiate des membres de la cour suprême et leur emprisonnement. Le sort en était jeté ; c’était la guerre civile : la force seule pouvait trancher le différend.

Ce qui frappe, au début de cette crise, c’est l’analogie qu’elle offre avec celle du Chili. Palacio, à Caracas, non plus que Balmaceda à Santiago, ne semble avoir conscience des devoirs que lui imposent ses hautes fonctions. Pour l’un, comme pour l’autre, les traditionnels erremens excusent et justifient le mépris des lois que ceux-là seuls sont tenus de respecter qui se sentent impuissans à se mettre au-dessus d’elles ; c’est ensuite l’inaptitude de la race espagnole à comprendre et à pratiquer des constitutions calquées sur celle des États-Unis, imprégnées du génie de la race anglo-saxonne. Ces constitutions font ici l’effet d’un vêtement d’emprunt s’ajustant mal au corps qu’il recouvre, déchiré en maints endroits, reprisé par des mains inhabiles. Entre les deux races, entre leurs traditions et leurs conceptions, la différence est trop grande pour que les conditions de la vie politique soient les mêmes. Dans l’Amérique du Nord, l’Indien n’est plus qu’une quantité négligeable, la race nègre ne forme qu’un dixième de la population, la race blanche est de beaucoup la plus nombreuse, la plus riche, la seule influente. Dans l’Amérique du Sud, elle est bien aussi la race conquérante et gouvernante, mais elle est souvent inférieure en nombre, elle constitue une oligarchie et s’accommode mal, non de la forme républicaine à laquelle elle demeure attachée, mais des ressorts compliqués de la constitution démocratique des États Unis, qu’elle s’est trop pressée d’adopter en l’exagérant encore, tantôt dans le sens antimonarchique comme au Venezuela, en fixant à deux années la durée des pouvoirs présidentiels, tantôt dans le sens oligarchique, en limitant son choix à l’un des membres du conseil fédéral, et en concédant tacitement, comme au Chili, le droit, au président, de désigner son successeur et de préparer son avènement.

De ce désaccord entre les lois organiques, essentiellement démocratiques, et un état social foncièrement oligarchique qui fait de la magistrature suprême l’apanage d’un petit nombre de familles possédant, avec la fortune, l’influence que donnent les services passés, une position reconnue, des sièges au congrès, de grandes propriétés territoriales, devaient résulter et résultèrent les pronunciamientos, l’armée sollicitée par les aspirans au pouvoir, soudoyée par ceux qui la détenaient, ses chefs reconnus comme arbitres des partis. C’est l’histoire de la plupart des républiques hispano-américaines depuis plus d’un demi-siècle ; c’est celle du Venezuela, et dans la liste déjà longue des hommes d’État qui s’y sont succédé, on voit reparaître, à intervalles irréguliers, les mêmes hommes ou les représentans des mêmes familles, les Paez, les Vargas, les Falcon, les Guzman, dont les pères ont joué un rôle dans les guerres de l’indépendance, de même que leurs ancêtres dans celles de la conquête.

Brusquement engagé par le président Palacio, le conflit prit, dès le début, par le lait de l’incarcération des juges de la cour suprême, suivie de l’arrestation des membres du congrès notoirement hostiles, un caractère aigu qui excluait tout espoir d’accommodement pacifique. L’insurrection éclata ; le parti légaliste, comme il s’intitulait, appela, pour en prendre la direction, le général Joaquin Crespo.

Il résidait alors dans ses terres de l’Etat de Zamora, converties par lui en riches plantations de café. Agé de quarante-cinq ans, dix fois millionnaire, Crespo, soldat heureux, politique habile, ex-président de la République, tenait au Venezuela une grande place et passait pour l’un des plus fervens adeptes des institutions démocratiques. Intéressé dans la maison de commission Lawalde et Cie, de New-York, il y possédait des capitaux considérables et faisait de sa grande fortune un généreux emploi. Métis d’un Espagnol et d’une Indienne, il descendait, par son père, de la race conquérante, par sa mère de la race autochtone ; à ce double titre il possédait les sympathies des deux et personnifiait la classe nombreuse des demi-blancs. Aucun préjugé de couleur ne l’atteignait, aucun sang nègre ne coulant dans ses veines.

Adversaire politique de Palacio, il accepta, sans hésiter, le commandement qui lui était offert, ralliant ses vétérans qui accoururent se ranger à ses côtés et ses nombreux tenanciers. Dès son entrée en campagne, il dénonça dans un manifeste adressé au peuple les actes illégaux et despotiques du président, déclarant l’insurrection un devoir et appelant à lui tous ceux qui entendaient rester fidèles à la constitution. Au milieu de mars, il disposait d’une force insurrectionnelle de 1,500 hommes aguerris, mais mal armés. C’était trop peu pour marcher sur Caracas, défendue par les bataillons des généraux Tirado, Rodriguez, Cova et Borges, chefs de l’armée régulière et adhérens de Palacio, mais Crespo comptait sur son nom et sur son prestige pour provoquer des défections dans les rangs de ses adversaires et pour grossir les escadrons de Llaneros ralliés autour de lui. Renonçant donc à une marche en avant dont le succès était douteux, il manœuvra de façon à attirer les troupes du gouvernement dans les plaines où ses Llaneros, cavaliers intrépides, lui assuraient de sérieux avantages et lui permettaient, tout en harcelant l’ennemi, d’ajourner une action décisive jusqu’à l’arrivée de ses renforts.

Bien renseigné par ses affiliés sur ce qui se passait à Caracas, il savait que le mécontentement y était grand et que la terreur seule maintenait la capitale dans l’obéissance. Les animosités soulevées.contre le dictateur par l’emprisonnement des juges et des membres du congrès se manifestait le 2 avril par une tentative d’assassinat. Une bombe de dynamite, lancée par une main inconnue, éclatait dans la casa Amarilla, résidence officielle du président, brisant les vitres et les cloisons. Palacio, qui se trouvait alors dans son cabinet de travail, n’échappa que par miracle à cette explosion, dont le retentissement fut tel qu’on l’entendit dans toute la ville où l’on crut tout d’abord à une attaque de l’armée insurrectionnelle. Appelées en hâte par le téléphone, la police et les troupes se replièrent sur la casa Amarilla, et les adhérens de Crespo, qu’elles surveillaient, profitèrent de ce moment d’affolement pour quitter leurs demeures, franchir les portes abandonnées, et gagner la campagne d’où, par des voies détournées, ils rejoignirent les insurgés. Toutes les recherches faites pour découvrir l’auteur de l’attentat furent inutiles. On ne douta pas qu’il ne se cachât dans Caracas même, où l’inquisition de la police devint plus intolérable encore. Rien n’établit d’ailleurs que Crespo fut l’instigateur du crime ou qu’il en eut connaissance avant l’exécution.

Le premier choc entre les volontaires et les troupes de Palacio eut lieu près d’Ortiz, au sud-ouest de Caracas, le 1er avril ; ce ne fut qu’une rencontre fortuite entre une colonne de renfort en marche pour rejoindre Crespo et les détachemens commandés par le général Rodriguez. De part et d’autre les pertes furent peu considérables, mais le général Rodriguez fut contraint de se replier, de laisser le passage libre à la colonne qui, longeant le cours de l’Orénoque, s’empara de la canonnière la Nueve de Julio, stationnée à Esmeralda.

Rien ne ressemble moins à nos guerres savantes que ces campagnes dans lesquelles le choc de quelques milliers d’hommes décide du sort de provinces aussi grandes que certains de nos États européens. Au début : incursion de guérillas tourbillonnant comme des nuées dans les grandes plaines solitaires, disparaissant ici pour reparaître là, s’attaquant aux convois, se cantonnant dans les brousses ou sur les hauteurs ; plus tard : colonnes volantes, mieux armées, mieux aguerries, semant la terreur sur leur passage, intrépides à l’attaque, habiles à se dérober, expertes dans les ruses de la tactique indienne, excellant dans l’art de tendre des pièges, de dérouter l’ennemi par leurs feintes, de l’attirer hors de ses retranchemens. Puis enfin, à mesure que le champ se circonscrit, que l’objectif se dessine, ces corps épars se fondent en un tout dans lequel l’individualité subsiste sous l’apparente homogénéité, dans lequel la variété des modes de combat persiste en l’unité d’action. Ce ne sont que des corps d’armée, mais des corps d’armée redoutables par l’audace, le mépris de la mort et l’instinctive férocité. On comprend, en les voyant à l’œuvre, comment, lors des guerres d’indépendance, leur ténacité finit par avoir raison des solides bataillons espagnols, déconcertés par leurs brusques attaques et leurs luttes corps à corps.

Le léger succès d’Ortiz, grossi par la rumeur publique, accentua le mouvement insurrectionnel. Illas, gouverneur de l’Etat de Zamora, fit publiquement acte d’adhésion, appelant la population aux armes et l’invitant à se joindre à Crespo. Six cents hommes d’infanterie et sept compagnies de cavalerie répondirent à cet appel et se mirent en marche pour rallier le quartier-général de Crespo établi à Carabobo, à 100 kilomètres à l’ouest de Caracas. Polanco, qui commandait les troupes gouvernementales, leur barrait la route. Il réussit, après un combat acharné, aies rejeter sur Acarigua, mais, au matin, les insurgés, renforcés dans la nuit par des contingens venus de Lara et par cinq cents Llaneros amenés par Manzano, lieutenant de Crespo, reprirent l’offensive, refoulèrent Polanco et vinrent camper à 12 kilomètres de Valencia, capitale de l’État de Carabobo, l’une des plus importantes villes du Venezuela et peuplée de 40,000 habitans.

Les légalistes y comptaient de nombreux partisans, mais Palacio y avait concentré des forces importantes, Valencia étant reliée par un chemin de fer à Puerto-Cabello, son port au nord, occupé par les troupes gouvernementales, et à Caracas, qu’elle couvre à l’ouest. On y achemina en toute hâte des renforts de la capitale pour prévenir la jonction, que l’on redoutait, des bataillons de Manzano et de Crespo. Il importait, en effet, et par-dessus tout, d’empêcher l’insurrection d’occuper un point de la côte. Les hommes affluaient, mais les armes faisaient défaut au camp de Crespo, et lui-même hésitait à lancer ses Indiens et ses métis avec leurs machétés contre les fusils à tir rapide des troupes régulières. Aussi longtemps que les légalistes, coupés de la mer, ne pouvaient recevoir les envois d’armes que l’on cherchait à leur faire tenir de l’Ile de Curaçao, ils ne constituaient qu’un ramassis de volontaires, condamnés à une lutte de guérillas, hors d’état d’engager une action sérieuse et d’aborder en rase campagne des bataillons disciplinés. Crespo le savait, et tous ses efforts, ses marches et contremarches n’avaient qu’un objectif : s’ouvrir un chemin vers le nord, déboucher sur un point quelconque du littoral.

Valencia à l’ouest, Caracas à l’est, lui fermaient la route. Mettant donc en avant le peu de vétérans bien équipés dont il disposait, utilisant sa cavalerie pour de rapides incursions, il rétrécissait le cercle autour de Valencia, n’osant l’attaquer de front, cherchant à la prendre à revers et, bien inspiré, poussant ses avant-gardes sur Polito, station de la voie ferrée qui relie Valencia à Puerto-Cabello. Un coup de main pouvait lui livrer cette petite ville, dont la prise isolerait Valencia de son port. Il décida de le tenter avec ses Indiens.

Mora les commandait. Métis, de sang nègre et indien, il avait fait ses preuves de bravoure et aussi de férocité, sous les ordres de Guzman Blanco. Quand la guerre civile éclata, il vint avec ses Zambos se ranger aux côtés de Crespo. Rusé comme un Indien, il excellait dans l’art de dresser des embûches, de déconcerter l’ennemi par ses feintes, dangereuses pour lui-même avec d’autres hommes que les siens, mais il les connaissait et savait ce qu’il en pouvait attendre. Abritées derrière des retranchemens élevés en hâte, les troupes de Palacio, adossées à Polito, faisaient face aux Indiens. Chargeant à leur tête avec impétuosité, Mora ralentit graduellement leur élan et, devant le feu de l’ennemi, fit mine de se replier en arrière, attirant à sa poursuite les défenseurs de Polito, sur lesquels, faisant volte-face, il se rua tout à coup, engageant le combat corps à corps. La souplesse et l’agilité de ses Zambos, leurs terribles machétés leur donnaient, dans cette lutte d’homme contre homme, une incontestable supériorité. Le combat fut court, mais sanglant ; les troupes régulières lâchèrent pied devant « cet abordage de démons » et, pêle-mêle, vaincus et vainqueurs entrèrent dans la ville emportée.

Ce succès ouvrait la route du nord ; il livrait à l’insurrection les petits ports de Moron et de Punta-Chavez, par lesquels Crespo recevait enfin les armes et les munitions que ses adhérens, réfugiés à Curaçao, lui faisaient tenir par trois goélettes qui, depuis plusieurs jours, croisaient au large. Soixante-quinze milles seulement séparent Curaçao de la terre ferme.

En se prolongeant, la lutte prenait, de part et d’autre, un caractère plus inhumain. La cruauté indienne s’éveillait, surexcitée et déchaînée. On le vit bien par l’assassinat de Quevedo, l’un des généraux les plus redoutés de Palacio et surnommé l’Hyène à cause de son instinctive férocité. Partisan intrépide et cupide, il avait amassé, dans les guerres civiles, une fortune de plusieurs millions et possédait dans l’Etat de Guzman Blanco, près de Los Tequès, d’importantes plantations de café. Surpris avec son aide-de camp, le colonel Armés, il fut jeté à bas de son cheval, assommé à coups de pierre et découpé en morceaux. Son compagnon subit le même sort.

Si la nouvelle du meurtre de Quevedo était accueillie par des transports de joie au camp de Crespo, à Caracas on saluait avec une joie non moins barbare celle de la capture, à Ciudad-Bolivar, de l’un des fils de Crespo, et les vociférations de la populace arrachaient au président Palacio l’ordre de mettre le prisonnier à mort si son père marchait sur Caracas. Ce n’était qu’une menace. Non plus que Crespo n’approuvait l’attentat contre Palacio ni le meurtre de Quevedo, Palacio n’était capable de commander de sang-froid l’exécution d’un captif. L’un et l’autre pactisaient avec les fureurs soulevées par eux et autour d’eux ; faute de pouvoir les contenir, ils leur donnaient la sanction de leur autorité, mais, de part et d’autre, ils redoutaient ce déchaînement de passions brutales, cette soif du sang qui s’allume chez l’Indien brusquement arraché à son travail quotidien, à sa passive obéissance, et revenant à la condition de bête fauve, inconsciente et sanguinaire. Ils savaient ce dont elle était capable, l’ayant vue à l’œuvre ; mais, plus forte qu’eux, elle les entraînait.

Désireux de la reprendre en main, Crespo ne précipitait pas les événemens. Il respirait depuis que, ravitaillé par mer, solidement assis sur la côte, il n’avait plus à craindre de manquer d’armes et de munitions. Avant de s’attaquer aux villes riches et populeuses de Valencia, de Puerto-Cabello, de Caracas, il voulait établir une discipline sévère dans les rangs de ses soldats improvisés, les organiser militairement et prévenir, en cas de succès, des scènes de pillage et de violence qui soulèveraient contre lui l’opinion publique et motiveraient à coup sûr l’intervention des bâtimens de guerre étrangers mouillés dans le port de la Guayra. Puis il attendait, pour pousser plus avant, la réponse du docteur Rojas Paul, alors émigré à Curaçao, à l’offre qu’il lui faisait, sous certaines conditions, de favoriser son avènement à la présidence de la république. Le docteur Rojas Paul avait déjà rempli ces hautes fonctions. Crespo et lui s’étaient connus dans l’une de ces circonstances qui font de l’existence des hommes d’État de l’Amérique du Sud la plus accidentée qui se puisse imaginer. Pendant un temps, adversaires politiques, enrôlés un moment sous des bannières ennemies, le hasard des événemens militaires avait jeté Crespo, prisonnier, entre les mains de Rojas Paul. Les égards avec lesquels ce dernier traita son captif, la magnanimité de ses procédés, rapprochèrent ces deux hommes, populaires à des titres différens, Crespo comme soldat, Rojas comme politique. De là l’offre de Crespo de le ramener à la présidence, offre que Rojas accepta.

Ce rapprochement donnait un point d’appui extérieur à l’insurrection, Rojas Paul étant, à Curaçao, le chef des nombreux exilés politiques qui y attendaient l’heure de rentrer dans leur patrie ; il écartait, en outre, tout soupçon d’ambition personnelle de la part de Crespo, mais si ce dernier affectait de céder un pouvoir éventuel, il n’entendait pas plus se dessaisir de la direction militaire que se désintéresser de la question politique, et il avait posé les conditions mises à son concours. Elles étaient ratifiées et, à la fin d’avril, un double manifeste de Crespo et de Rojas Paul attestait leur entente et leur objectif commun. Ils réclamaient impérieusement la démission et la mise en jugement de Palacio. Rojas appelait aux armes les Vénézuéliens bannis ou émigrés à Curaçao ; il les armait et les mettait à même de rejoindre Crespo, qui resserrait le blocus de Valencia.

Ici se place un épisode, quelque peu romanesque, encore mal éclairci, et qui, comme le précédent, met en relief le côté chevaleresque de ces hommes dont, tant de fois, la cruauté étonne. Alejandro Ybarra commandait, à Valencia, les troupes de Palacio. Il était marié, depuis peu, à miss Russell, de Boston, fille du ministre des États-Unis au Venezuela et qu’une étroite amitié unissait à Mme Crespo. Cette jeune femme tremblait pour les jours de son mari ; elle suppliait Crespo de le sauver des mains de ses soldats, au cas où la ville tomberait en son pouvoir. Crespo avait promis de faire de son mieux, mais il laissait entendre que les nègres et les Indiens commandés par son lieutenant Mora n’étaient pas gens à faire quartier et qu’Ybarra courrait de grands risques. Il ajournait donc le moment de donner l’assaut et, sous main, faisait presser Ybarra de se mettre à l’abri.

À ce moment même la nouvelle parvenait au quartier-général de Crespo que l’État Falcon, travaillé par ses émissaires et ceux de Rojas, se déclarait en sa faveur, que la ville de Coro, peuplée de 10,000 habitans, et son port de la Vêla étaient aux mains de l’insurrection, et enfin que son fils, prisonnier de Palacio, avait réussi à s’évader et à gagner la Trinidad. En revanche, il apprenait qu’un détachement de ses volontaires, imprudemment engagé dans un conflit inégal avec les troupes de Palacio, venait d’être taillé en pièces au sud de Los Tequès. Armés de machétés, ils avaient abordé un bataillon pourvu de fusils à tir rapide et, après un combat acharné de toute une journée, avaient dû battre en retraite, laissant sur le terrain plus de la moitié de leur effectif ; mais ce qui était plus grave, il recevait avis d’une tentative de rapprochement de Palacio avec les partisans de Guzman Blanco.

Bien qu’absent du Venezuela, l’ex-dictateur y comptait, avons-nous dit, de nombreux adhérens ; bien qu’en apparence désintéressé des événemens, son nom pesait d’un grand poids. On se souvenait encore du temps où un mot de lui renversait ou consolidait le parti au pouvoir, élevait et déposait les présidens. L’intervention de Guzman Blanco pouvait singulièrement modifier la situation, mais abdiquerait-il ses griefs mal dissimulés contre l’entourage de Palacio et, d’autre part, la tentative de rapprochement faite par ce dernier n’aurait-elle pas pour résultat de lui aliéner les sympathies de ses partisans, victimes désignées de l’alliance ? Fut-ce en conséquence de ce revirement inattendu ou à la suggestion de Palacio lui-même, désireux d’entrer, à tout événement, en négociations avec Crespo, que Sébastiano Casañas, commandant en chef des forces gouvernementales, fit faire directement à Crespo des propositions d’accommodement ? Quoi qu’il en soit, Crespo répondit en posant pour conditions la mise en liberté des juges incarcérés, le rappel des membres exilés du congrès et l’élection immédiate d’un nouveau président. Sur ce terrain on ne pouvait s’entendre, et les pourparlers furent rompus. Palacio envoya en Europe un agent officiel avec la double mission de solliciter, à Paris, le retour de Guzman Blanco et de négocier, à Londres, un emprunt gagé sur la promesse de concessions à la Grande Bretagne dans le différend relatif aux territoires des rives de l’Orénoque confinant à la Guyane anglaise.

Il n’en fallait pas tant pour blesser les susceptibilités nationales et grossir le nombre des insurgés. Les hostilités reprirent. Crespo, laissant son lieutenant Mora surveiller Valencia, dirigea une partie de ses forces sur Ciudad-Bolivar, la dernière place forte de Palacio sur l’Orénoque, avec ordre de s’en emparer. Pendant ce temps, le général Granjos, chargé par lui de couper les communications entre l’armée ennemie et Trujillo, faisait sauter, avec la dynamite, le camp du colonel Villafana à la Chita-Hill, et les Llaneros achevaient à coups de sabre ceux que l’explosion n’avait que blessés. De son côté, Mora, l’Aigle noir, comme l’avaient surnommé ses Indiens enthousiasmés de sa bravoure, frémissant de ne pouvoir mettre la main sur la riche proie de Valencia, s’emparait du port de Tucacas, situé en face de Puerto-Cabello, et le général Nuñez emportait, près d’Ejido, le camp retranché des avant-postes de Palacio, nonobstant la résistance énergique du général Ariez.

Palacio chancelait sous ces coups répétés. Il avait successivement perdu la ligne de l’Orénoque et les États du sud, ceux de l’ouest et la ligne des Andes, ceux de l’est et le delta du fleuve. Il ne tenait plus que Ciudad-Bolivar menacée, Valencia bloquée, Puerto-Cabello serrée de près au sud et à l’ouest, Caracas, la capitale, et la Guayra, son port, où il ne se maintenait que par la terreur. Dans ce cercle étroit, il concentrait ses troupes, comblant par une conscription forcée les vides faits dans ses rangs, enrôlant des enfans de quatorze ans, sentant approcher l’heure du choc final qui devait consommer sa chute ou relever sa fortune. Il n’avait, d’ailleurs, plus le choix du terrain sur lequel livrer le combat suprême. Il lui fallait, ou briser le cercle de fer qui enserrait Valencia, ou laisser tomber la grande ville, dont la prise entraînait celle de Puerto-Cabello et découvrait Caracas.

Située dans une magnifique vallée de cinq kilomètres de largeur, qu’encadrent, à l’est, les chaînes de l’Hilaria et de San-Diégo, à l’ouest celle de Guataparo, et qu’arrose une rivière aux eaux claires et limpides se déversant dans le lac Ticarigua, Valencia, dominée par l’El-Morro, colline granitique de 300 mètres d’altitude, mériterait, mieux que Caracas, d’être la capitale du Venezuela. Ce ne fut pas sans longs débats que l’on se décida à choisir cette dernière comme siège du gouvernement. Plus difficile d’accès et, comme telle, plus facile à défendre, Caracas n’est pas, ainsi que Valencia, à la merci d’un coup de main. La vallée de Valencia s’ouvre largement au sud et vient mourir dans une vaste plaine. C’est à l’orée de cette vallée que Palacio concentra ses troupes, appuyées sur la ville et face à l’ennemi auquel elles barraient la route.

La bataille s’engagea le 1er juin, au lever du soleil, et dura trois jours, vaillamment disputée de part et d’autre. Le premier jour, le résultat demeura incertain ; le second, l’avantage parut se dessiner in faveur des bataillons de Palacio ; les troupes insurrectionnelles faiblissaient ; vers le soir, les efforts de leurs chefs les rallièrent et, par un vigoureux mouvement en avant, elles reprirent le terrain perdu. Sur toute la ligne on se battit avec acharnement ; les Indiens, jetant leurs fusils, se ruaient, armés de leurs machétés, « qui, disent-ils, ne manquent jamais leur homme, » sur les soldats de Palacio et les firent reculer, non sans laisser bon nombre des leurs sur le terrain. La journée du 3 fut décisive, « Ce jour-là, écrit un témoin oculaire, l’impétueuse offensive des métis et des Indiens causa, dès le début, un certain ébranlement dans les rangs de leurs adversaires. Bravant un feu meurtrier, les Indiens abordèrent l’ennemi, le machété au poing, soutenus par les tirailleurs et par les Llaneros déployés sur les ailes, lançant à fond de train contre les bataillons leurs mustangs à peine domptés. Le coup d’œil était terrifiant et bien propre à ébranler les nouvelles recrues de Palacio. Sous ce choc, elles faiblissaient. Crespo le vit : faisant donner ses réserves, il intima l’ordre de charger sur toute la ligne. L’attaque fut irrésistible ; les Indiens, à demi nus, poussaient des cris sauvages, brandissant leurs coutelas, étincelans au soleil, et dont chaque coup abattait un homme. Vainement les généraux de Palacio, se jetant au plus fort de la mêlée, tentèrent de raffermir leurs soldats, ils cédaient pied, et les Llaneros faisaient dans leurs rangs de larges trouées. Une panique éclata, suivie d’une débandade précipitée ; sabrés par les cavaliers, serrés de près par les Indiens, les fuyards ne s’arrêtèrent que sous les murs de Valencia dont l’artillerie les couvrait. »

La partie était perdue pour Palacio. Ses meilleurs soldats restaient sur le champ de bataille ; la prise de Valencia n’était plus douteuse, et Crespo ne la retardait que pour sauver la vie d’Ybarra d’une part et pour ne pas livrer la ville aux horreurs du pillage. Caracas s’agitait, frémissante, sous la main du dictateur que ses partisans abandonnaient et qui tentait, une dernière fois, de négocier. Il offrait, disait-on, à Crespo, une forte somme d’argent pour l’indemniser de ses pertes personnelles ; il s’engageait à se démettre et à convoquer le congrès ; en échange, il demandait la suspension des hostilités et, par un article secret, la promesse d’appuyer la nomination de Sarria, son ministre de la guerre, comme président. Ces offres furent-elles réellement faites et, si elles le furent, avaient-elles d’autre but que de gagner du temps pour assurer sa fuite ou lui permettre de tenter, une fois encore, la chance des armes ? On pouvait le croire, en voyant Pajacio vider Caracas de ses défenseurs, envoyer 3,000 hommes combler les vides de son armée battue sous Valencia et donner l’ordre à ses généraux de se préparer à de nouveaux combats.

L’intervention de Monagas, son principal lieutenant, l’empêcha de donner suite à ce projet. Au reçu des instructions de Palacio, Monagas quitta les avant-postes de Valencia, se rendit à Caracas, à la casa Amarilla, et mit le président en demeure de renoncer à toute résistance. L’entrevue fut émouvante. Avec le récit de Monagas, et celui qu’en fit Palacio, récits que nous avons sous les yeux et qui diffèrent peu dans leurs lignes principales, on peut reconstituer la scène.

Palacio insista sur la nécessité et la possibilité de continuer la lutte. Avec les débris de son armée, il pouvait encore mettre en ligne 6,000 hommes ; en leur adjoignant les garnisons de Puerto-Cabello, de Victoria, de Caracas et de la Guayra, ce chiffre serait plus que doublé ; il rappellerait les troupes de Ciudad-Bolivar, et enfin Caracas était en état de tenir longtemps contre un ennemi mal pourvu d’artillerie. Par les prières, les menaces et les promesses, il s’efforçait de convaincre Monagas.

— Il ne reste plus rien à tenter, répliqua le général, et il est inutile de faire encore couler le sang. Les troupes que j’ai sous mes ordres sont des recrues sans solidité et inférieures en nombre à nos adversaires. Elles sont convaincues de leur impuissance à tenir contre les Indiens et les vétérans de Crespo, hommes aguerris, bien équipés et pleins d’enthousiasme. Je puis, dites-vous, livrer une bataille encore, mais le résultat n’en est pas douteux. Crespo sera victorieux, et je ferai massacrer mes soldats. Je me refuse à les mener à une mort certaine. De tous côtés l’ennemi nous enserre ; il avarice au sud, à l’est et à l’ouest. Il n’y a plus d’espoir, il ne reste qu’à capituler, fuir ou mourir.

Monagas achevait à peine qu’un messager apportait au président la réponse et l’ultimatum de Crespo. Il exigeait la remise entre les mains de gouverneurs désignés par lui, de Caracas et des places encore occupées par les généraux de Palacio, le licenciement de son armée, la libération des juges de la cour suprême et des détenus politiques, la démission du président et son remplacement provisoire par le premier vice-président Villegas, lequel convoquerait le congrès pour procéder à une élection régulière. À ces conditions, Crespo garantissait à Palacio la vie sauve.

Une heure plus tard, cet ultimatum était connu de toute la ville ; le conseil se réunissait, sommait Palacio de se démettre et appelait Villegas à prendre temporairement le pouvoir. Toute résistance était impossible. Palacio cédait et acceptait l’offre que lui faisait Monagas, impatient de hâter son départ, d’une escorte armée pour le protéger jusqu’à la Guayra, où le navire de guerre El Libertador devait le recevoir et le transporter à Fort-de-France. Le 18 juin, il s’embarquait et, le 16 juillet, le transatlantique français, le Labrador, le débarquait à Bordeaux.

Dans une entrevue qu’il eut à Santander avec l’un des rédacteurs du New-York Herald, moniteur attitré des présidons déchus des républiques hispano-américaines, qui reçut et publia la dernière lettre qu’écrivit Balmaceda avant de mourir, et aussi les confidences d’Andueza Palacio, l’ex-président du Venezuela se défendit avec énergie des accusations portées contre lui : « Je n’ai, dit-il, jamais aspiré à la dictature ni prétendu garder le pouvoir un jour de plus que ne l’exigeait le bien de l’État. Je m’éloigne parce que l’on m’affirme que mon absence est nécessaire pour rétablir la paix et arrêter l’effusion du sang. La question pendante n’est pas une question de personnes, mais de principes, de politique intérieure, et de réformes constitutionnelles. Je défie qui que ce soit de produire une preuve de mon désir de rester président. Le pays est avec moi ; je n’ai contre moi qu’une faible majorité dans le congrès. J’ai voulu l’élection du président par le suffrage direct et non par une commission du congrès ; j’ai échoué par 43 voix contre 40. J’ai eu contre moi tous ceux qui, ayant chance d’être élus par l’intrigue, n’en avaient pas de l’être par le vote populaire. J’avais pour moi les conseils municipaux et sept États sur neuf. Si l’on m’eût laissé faire, j’eusse convoqué le conseil fédéral et signifié, par écrit, que je n’étais pas candidat à la présidence. Le temps m’a manqué, et mes conseillers m’ont trahi. Sarria, mon ministre de la guerre, Monagas, le chef de mes troupes, tous deux députés, étaient dévorés du désir d’être présidens. Ce sont eux qui m’ont persuadé de partir. Sous les couverts d’une amitié feinte, ils m’ont représenté que le peuple se méprenait sur mes intentions,.qu’il me tenait pour le fauteur de la guerre civile et qu’il ne me restait plus qu’à convoquer le congrès. C’eût été agir contre mes convictions, démentir mes actes antérieurs. Je m’y refusai ; je remis ma démission à Villegas et je partis. »

À une allusion faite au bruit qui courait, qu’entré pauvre à la casa Amarilla, il en sortait avec quinze millions, l’ex-président répondit : « On met toujours en circulation de pareilles rumeurs. Je ne me suis pas enrichi au pouvoir et n’ai même pas reçu l’intégralité de mon traitement. » Sévère dans ses jugemens sur ses partisans, il se montra sobre d’appréciations sur Crespo, dont il prédit le succès final : « Je laisse, dit-il, le pouvoir aux mains d’un triumvirat d’incapables, de Sarria, de Monagas et de Mendoza qui gouvernent sous le nom de Villegas ; » et il dénonce, en termes amers, la nullité d’Ybarra et la duplicité de Sarria[4].


IV

Le départ d’Andueza Palacio terminait le premier acte du drame politique dont le Venezuela était le théâtre. La démission du président laissait une place vide, mais non une question réglée. Les compétiteurs restaient nombreux et le champ était libre. Villegas, détenteur nominal d’un pouvoir temporaire, ne pouvait se maintenir, contrecarré qu’il était par Iturbe, le second vice-président, par le général Urdaneta, troisième vice-président, qui, s’emparant de la dictature, contraignait Villegas à se réfugier à la Guayra, pendant que Mendoza, au camp de Valencia, accumulait vainement les obstacles devant Crespo, en marche sur Caracas et qui, victorieux à la Cura, maître de Puerto-Cabello emportée par son lieutenant Mora, se heurtait, à El-Guayaba, aux derniers bataillons d’un gouvernement aux abois. Solidement appuyés sur leurs retranchemens et sur Caracas, commandés par les généraux Mendoza, Monagas, Monteverde, Diaz et Zamora, ils ne laissaient pas que de présenter encore un front redoutable. Crespo, Véga et Guerra marchaient à la tête des légalistes. Avant d’aborder l’ennemi, les Llaneros, pour se mieux reconnaître dans la mêlée, se dépouillèrent de leurs chemises, graissèrent leurs torses nus et, mettant à profit un orage violent, se ruèrent au galop de leurs chevaux sur l’aile gauche commandée par Mendoza. Elle plia sous le choc et tes Llaneros, sabrant devant eux tous ceux qui portaient une chemise, la mirent en déroute. L’aile droite, découverte, perdit successivement ses chefs. Monteverde, Diaz et Zamora furent tués, et les longs convois de morts et de blessés défilant dans les rues de Caracas apprirent à la population le résultat de la lutte.

Exaspéré par sa défaite, Mendoza rentrait à Caracas ave, c les débris de son aile gauche. Urdaneta, Sarria et Casañas quittaient la capitale pour tenter, disaient-ils, de reprendre à Mora, avec l’aide de la flotte, Puerto-Cabello. Bien qu’il affectât une confiance qu’il n’avait pas et qu’il s’efforçât de donner le change à l’opinion publique, Mendoza ne pouvait plus se faire d’illusions. Les vivres devenaient rares dans la ville, dont le trafic avec la Guayra, son port d’approvisionnement, était interrompu. La viande se vendait 5 francs la livre, la farine, 250 francs le quintal. L’argent manquait, le trésor public était vide. Pour le remplir, Mendoza avait recours à des emprunts forcés, taxant arbitrairement la population, rançonnant les négocians, auxquels il imposait des versemens de 1,000 à 100,000 francs, suivant leur fortune présumée, exigeant des agens locaux des riches hacienderos, de Guzman Blanco et de Crespo, de Rojas Paul et de Palacio lui-même des sommes de 250,000 à 700,000 francs, emprisonnant les consuls étrangers qui protestaient contre ses exactions, emplissant ses poches, affirmaient ses ennemis, pendant que ses rivaux et ses collègues négociaient des conventions par lesquelles, à son insu, ils se partageaient les emplois lucratifs et les dernières ressources de l’État : à Villegas, la légation de Madrid ; à Julio Sarria, 250,000 francs et le droit de désigner un ministre ; à Domingo Monagas, 250,000 francs et le privilège de nommer les directeurs des douanes de Campano, Barcelona, Cumarra et Guigue ; à Alejandro Ybarra, la légation des États-Unis ; à Giuseppe Monagas, le gouvernement de Caracas. Quand un hasard le mit au courant de ces conventions dans lesquelles son nom ne figurait même pas, Mendoza mit, prétend-on, son butin à l’abri, gagna en hâte la côte, d’où, deux jours plus tard, une goélette le débarquait à Curaçao, classique lieu de refuge des politiciens vaincus du Venezuela.

Pendant ce temps, sourd à toutes propositions d’arrangement, même à celles que lui faisait tenir Rojas Paul, Crespo, refusant sa part des dépouilles et n’ayant pas encore dit son dernier mot, marchait, à la tête de ses vétérans, sur Caracas, mal défendue par quelques milliers d’hommes démoralisés et qui encourageait de ses acclamations le soldat heureux dans lequel elle voyait son libérateur et le restaurateur des libertés du Venezuela. Sous les murs de la capitale, il apprenait que ses troupes victorieuses, commandées par ses lieutenans Hernandez et Gill, étaient maîtresses de Ciudad-Bolivar et de tout le cours de l’Orénoque. Sans coup férir, il occupait la Guayra dont les habitans lui ouvraient les portes, le suppliant de les protéger contre la populace qui menaçait de piller les entrepôts. L’ordre rétabli à la Guayra, il achevait de briser, à Los Tequès, les derniers et impuissans obstacles que ses ennemis lui opposaient. Le 9 octobre, il entrait dans Caracas où Rojas Paul venait s’excuser auprès de lui d’avoir un instant douté de son succès et prêté l’oreille à des tentatives d’accommodement. Accueilli dans la capitale en libérateur, il réorganisait la cour suprême, licenciait l’armée du Centre et celle de Los Andes, renvoyant les Indiens à la récolte du café, ne gardant sous les armes que ses vétérans.

Sa tâche militaire est terminée ; il a su la mener à bonne fin, et la fortune ne lui a pas fait défaut, non plus qu’il ne lui a fait faute. Le suivra-t-elle jusqu’au bout dans l’œuvre nouvelle qui lui incombe et la perspicacité de l’homme d’État sera-t-elle à la hauteur de l’habileté du capitaine ? Cette œuvre apparaît singulièrement complexe : remplir un trésor vide et relever un crédit ébranlé, reconstituer une administration désorganisée et réformer une constitution hors d’état de fonctionner, substituer à la vénalité une bonne gestion des affaires et des deniers publics, apaiser les haines et désarmer les vengeances, serait déjà une tâche difficile et de longue haleine ; elle n’est pas la seule, et avant peu, le Venezuela se trouvera en présence d’une question de politique extérieure dont on ne saurait se dissimuler la gravité.

Nous y avons fait allusion plus haut, en parlant des négociations entamées par Andueza Palacio avec l’Angleterre, à laquelle il offrait, en échange d’un prêt d’argent, des concessions dans le règlement des difficultés pendantes au sujet du tracé de la limite entre la république et la Guyane anglaise. Cette dernière confine, à l’ouest, au Venezuela, au territoire de l’Yuruari ; elle touche, au nord, à la Boca de Navios, aux rives de l’Orénoque.

Depuis longtemps l’Angleterre réclame une rectification de frontières qui lui donnerait un port à l’estuaire du fleuve et la libre pratique du grand réseau fluvial qui sillonne le Venezuela, qui, par ses artères intérieures, par ses affluens nombreux, se relie à l’Amazone et au rio de la Plata, seuil d’accès de la Colombie, du Pérou, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay, de l’Uruguay et de la République Argentine. Cette concession donnerait, en outre, à la colonie britannique l’un des plus riches territoires du Venezuela, celui qui semble appelé, dans un avenir prochain, à prendre le premier rang parmi les États, celui qui éveille le plus les convoitises des colons et des mineurs de la Guyane anglaise. Les plaines fertiles de l’Yuruari, leurs plantations de coton, cacao, canne à sucre, tabac, fèves de Tonka, rivalisent avec leurs mines d’or. C’est là que se trouve la célèbre mine du Callao, dont le rendement annuel dépasse 11 millions et qui, constituée avec un capital primitif de 322,000 francs, a déjà payé à ses actionnaires plus de 67 millions. Elle n’est d’ailleurs pas la seule de cette région, dont l’extraction d’or dépasse actuellement 24 millions et dont les mineurs de Georgetown ont.déjà, à plusieurs reprises, tenté de s’emparer à main armée.

Cédant à leur pression, alléguant l’impossibilité où elle se trouvait de régler ce différend avec un pouvoir sans cesse contesté et des présidens sans stabilité, l’Angleterre, fortifiait le port de Barima, sur lequel elle avait indûment fait main basse et qui, situé sur la rive vénézuélienne du Cuyuni, lui ouvrait le territoire de l’Yuruari. Le représentant de la république à Washington, M. Bolet Peraza, avait officiellement protesté, au nom de son gouvernement, contre cette prise de possession, et invoqué l’appui des États-Unis qui, adoptant comme mot d’ordre de leur politique extérieure : l’Amérique aux Américains, s’opposaient à toute ingérence de l’Europe dans le double continent.

Dans sa note diplomatique, M. Peraza déclarait que le maintien de l’occupation anglaise serait plus dangereux encore pour l’Amérique que ne saurait l’être le contrôle d’une puissance européenne sur l’isthme de Panama. « Elle annulerait, écrit-il, les efforts que, sous l’influence des États-Unis, font les nations de l’Amérique du Sud pour resserrer leurs liens d’origine, unifier leurs intérêts et leurs destinées. Ces aspirations peuvent être mises à néant par la domination de la Grande-Bretagne sur les eaux d’un fleuve, qui lui permettra de peser d’un grand poids sur les États de l’Amérique méridionale et d’y faire prévaloir ses intérêts et son influence. » Il terminait en invoquant l’arbitrage des États-Unis pour trancher ce différend.

Dans notre précédente étude sur Balmaceda, nous avons montré le Chili oscillant entre les États-Unis et l’Angleterre, et, finalement, se tournant vers cette dernière. Au Venezuela, nous voyons se produire la même oscillation ; mais, par suite des circonstances que nous venons d’indiquer, l’orientation va se dessinant en sens inverse. Si peu vraisemblable que soit l’acceptation, par l’Angleterre, du cabinet de Washington en tant qu’arbitre, on peut encore espérer que la question en litige sera dénouée pacifiquement. Le rétablissement de la paix intérieure permettra d’en aborder l’examen, mais il importe que la paix se fasse et qu’un gouvernement régulier s’établisse.

Le dernier mot appartient au général heureux qui tient entre ses mains les destinées de son pays. Saura-t-il, justifiant les espérances de ses amis, se révéler le libérateur de sa patrie et le restaurateur de sa liberté reconquise, ou bien n’est-il, comme l’affirment ses ennemis, qu’un soldat habile dont l’ambition se borne à inscrire un nom de plus sur la liste déjà longue des dictateurs éphémères des républiques hispano-américaines ?


C. DE VARIGNY.

  1. Voir, dans la Revue du 15 novembre 1891, la Guerre civile au Chili et la chute de Balmaceda.
  2. 1 vol. gr. in-8o ; Librairie illustrée.
  3. Souvenirs du Venezuela, 1 vol. in-8o ; E. Plon et Cie.
  4. Voir le New-York Herald du 20 Juillet 1892.