Aller au contenu

La Radiologie et la guerre/06

La bibliothèque libre.
Félix Alcan (p. 114-119).

VI

RENDEMENT ET RÉSULTATS

Nous avons pu nous rendre compte par l’ensemble des chapitres précédents, combien l’effort d’adaptation des services radiologiques aux besoins de la guerre a été considérable. Il est réconfortant de constater que cet effort n’a pas été vain. Ses résultats se traduisent par la conservation de la vie ou de la capacité de travail à un très grand nombre de blessés et, de plus, par une éducation générale qui a permis d’assigner à la radiologie, en tant que moyen de diagnostic médical, une place conforme aux services qu’elle est susceptible de rendre, non seulement en temps de guerre mais aussi en temps de paix.

On peut estimer qu’au cours de la guerre, les services radiologiques, si précaires au début de celle-ci, ont pris une extension considérable. Sans doute, l’organisation pouvait encore présenter des lacunes, et comme toute œuvre humaine, elle était susceptible de perfectionnements constants ; mais le tableau général était en opposition bien frappante avec la triste situation de la première année de guerre.

Au début, quelques installations radiologiques à peine, — personnel composé d’un petit nombre de spécialistes dont les services n’ont même pas été utilisés, — ignorance générale relativement à l’emploi de la radiologie, — efforts isolés et souvent peu efficaces pour en répandre la pratique ; et, comme conséquence de cet état de choses, manque des renseignements les plus indispensables pour soigner les blessés dont le nombre avait dépassé toutes prévisions.

À cette époque, un blessé n’était jamais examiné à l’aide de rayons X. dans les premiers jours qui avaient suivi la blessure ; il était donc toujours opéré et transporté dans des conditions où le hasard jouait un rôle prépondérant. Combien de blessés furent évacués avec une lésion qui imposait le repos mais qui est restée ignorée ; combien d’autres périrent d’infections que l’on aurait pu éviter à l’aide d’une opération faite à temps avec le concours de l’examen radiologique ; combien furent amputés pour des raisons analogues ; combien furent opérés plusieurs fois sans succès par défaut d’examen, et durent séjourner pendant de nombreux mois dans les hôpitaux ; combien contractèrent des infirmités qui auraient pu être empêchées par des soins plus éclairés.

Toute personne qui a pu apprécier la rapidité presque merveilleuse avec laquelle se reconstitue la santé chez des hommes jeunes, dès que la cause qui entretient la lésion a disparu, — ne peut manquer d’éprouver un regret profond, en pensant à toutes les vies sacrifiées en pure perte et à toutes les capacités de travail définitivement compromises, pour n’avoir pu à temps extraire des corps étrangers souillés ou dangereusement situés, ou bien pour n’avoir pas eu de renseignements suffisants sur les détails d’une fracture.

Cet état de choses lamentable a subi progressivement une modification complète. Le Service de Santé aidé par l’initiative privée put doter ses formations sanitaires d’appareillages radiologiques. Les postes fixes, les postes demi-fixes et les voitures se sont multipliés. Vers la fin de la guerre, toute formation importante possédait non plus un appareillage, mais un nombre d’appareils proportionné aux services qui lui étaient demandés. C’est ainsi que lors de la bataille de la Somme les grands hôpitaux d’évacuation construits spécialement en vue de batailles dans cette région, utilisaient chacun plusieurs appareils desservis par des équipes de médecins et de manipulateurs et fonctionnant, en cas de besoin, d’une manière continue. Chaque poste avait à sa disposition un matériel suffisant en ampoules, soupapes, écrans, plaques et accessoires divers. Les hôpitaux ou ambulances isolés dont quelques-uns ont subsisté jusque dans les derniers temps, pouvaient toujours faire appel à un poste mobile s’ils ne disposaient pas d’une installation propre. Alors qu’en effet, au début de la guerre, les rares voitures radiologiques ne pouvaient suffire aux besoins et devaient se contenter d’un hâtif examen d’un nombre considérable de blessés, lors d’une de leurs apparitions dans telle région, — il est arrivé au contraire, plus tard, que par suite de la généralisation de services attachés aux hôpitaux, les postes mobiles se sont trouvés déchargés de tout service intensif et ont pu reprendre leur véritable rôle de postes de secours disponibles à tout instant. Ainsi, l’on s’acheminait de plus en plus vers l’état des choses où chaque blessé pouvait être admis à l’examen radiologique, d’abord, aussitôt après la blessure, puis, dans la suite du traitement, chaque fois que l’examen était jugé utile. En même temps, les bénéfices de l’examen étaient de plus en plus étendus aux malades, plus particulièrement à ceux atteints d’affections pulmonaires.

On conçoit qu’une telle organisation comportait au total un nombre d’examens considérable. Voici quelques chiffres qui peuvent en donner une idée :

Vers la fin de l’année 1918 il y avait en service, dans les hôpitaux du territoire et aux armées, plus de 500 postes radiologiques fixes et semi-fixes, tandis que le nombre des appareils mobiles sur les voitures, sur les camions de stérilisation et sur ceux des ambulances chirurgicales automobiles était d’environ 300, dont la plupart aux armées.

Ces appareillages étaient desservis par environ 400 médecins radiologistes, aidés et en partie suppléés par un personnel auxiliaire ; de ce dernier, furent utilisés environ 800 manipulateurs et 150 manipulatrices.

Citons, à titre d’exemple, que pendant l’année 1915 la 6e armée possédait sur un front de 70 kilomètres, de Soissons à Montdidier, 3 voitures radiologiques (du Patronage National des Blessés). Cette même armée disposait en 1917, lors de l’offensive du Chemin des Dames, sur un front moitié moins étendu, de Soissons à Fismes, de plus de 50 postes radiologiques. L’une des voitures qui ont assuré le service de cette armée de juin 1915 à janvier 1917, a effectué pendant cette époque environ 10.000 examens sur un nombre de blessés d’environ 7.000.

On pouvait évaluer à 900.000 environ le nombre des blessés examinés aux rayons X au cours des années 1917 et 1918, le nombre total des examens pendant ces deux années montant à 1.100.000.

Ces chiffres témoignent éloquemment de l’activité des services radiologiques pendant la guerre ; ils prouvent que rien n’a été négligé pour assurer aux blessés et aux malades les soins qui leur étaient dus. On peut, en même temps, apprécier une fois de plus, les qualités d’initiative et de persévérance qui ont rendu si efficace l’effort général accompli pendant la guerre, et qui ont ainsi paré aux conséquences funestes du manque initial de préparation et d’organisation.

Séparateur