La Route du bonheur/01/07

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Librairie des annales (p. 45-51).


VII

Le Courage des Jeunes Filles
aux Examens


Ma chère cousine. Avez-vous eu l’idée, parfois, par ces chaudes journées de juillet, de pénétrer rue Mabillon, dans le grand hall où se pressent les héroïnes de l’instruction publique, ou bien dans la cour tumultueuse du Conservatoire, que des élèves arpentent sans but, en attendant l’appel de leur classe ?

Ici, là, — partout, d’ailleurs : à la Sorbonne, aux Facultés, — on passe des examens. C’est la saison.

La cervelle des candidats éclate, leur cœur bat des charges désordonnées, leur imagination s’affole… On redoute une épreuve qu’on attend avec fièvre ; on voudrait avancer l’heure fatale et, cependant, la retarder indéfiniment ; les écolières ont, dans les yeux, des lueurs de combat et, sur leurs visages pâlis, des tressaillements de condamnées. Elles rient nerveusement, parlent d’une voix faussée, ne donneraient pas leur place pour un empire, et déclarent, néanmoins, qu’elles vont mourir sur l’heure d’émotion. Pour tout dire, ce sont des victimes heureuses, qui désespérément espèrent.

Vous étonneriez beaucoup ces pauvres enfants en leur déclarant qu’un examen — vu du haut de Sirius — est une infime chose, tout au plus une vaine formalité. Elles croient à son efficacité comme au feu : leur vie est suspendue au bout de l’arrêt que prononceront leurs bourreaux. Et, tout à l’heure, après que l’un de ces deux mots magiques : Reçu ou Refusé, aura été prononcé, elles connaîtront — ou, du moins, croiront connaître — le sommet du bonheur ou l’infini du désespoir.

De tous les souvenirs que laisse l’adolescence il faut compter, je crois, parmi les plus profonds, ceux qui s’attachent à ces premiers succès d’école.

Ce sont autant de victoires ailées qui vous emportent dans le pays du rêve. Le moindre parchemin arraché à la mansuétude d’un jury vous transporte vers ces horizons où l’avenir se teinte des plus agréables couleurs.

Jamais on ne saura, à moins que d’y avoir passé, ce qu’un brevet, ce qu’une récompense décernée par une Faculté ou un Conservatoire éveille de beaux songes, fait couler de douces larmes, et inonde les jours de clarté et d’espoirs.

La jeunesse, dans ses manifestations de joie ou de peine, est passionnée, intéressante, vibrante. C’est pourquoi, cousine, j’aime, parfois, franchir le hall de la rue Mabillon, ou la cour du Conservatoire, ou le péristyle de l’Opéra-Comique, et suivre, sur de naïfs visages, les affres qui précèdent la bataille, et la manière dont ils expriment, ensuite, le triomphe ou la défaite.

Et d’abord, cousine, quoique je ne possède pas la science de notre prophétesse nationale, Mlle de Thèbes, il me semble que j’augurerais facilement de l’avenir d’une fillette, rien qu’à l’écouter passer un examen. Je classerais mes candidates en deux catégories : les courageuses et les lâches. Ces dernières peuvent être des puits de science, ce qui ne saurait les empêcher, parfois, d’être blakeboulées, car elles ne disposent pas de cette vraie bravoure qui connaît la peur et trouve la force de la vaincre. Le moindre écueil imprévu les bouleverse, les démoralise, les jette par terre.

Au lieu de tendre les ressorts de leur volonté pour essayer de le franchir, elles s’abandonnent tout de suite aux larmes ou observent un silence stupide.

Ce sont des natures veules dont la vie ne fera qu’une bouchée ; on dira, dans la famille, dans le public, chez les amis, qu’elles n’ont jamais de chance, et rien n’est moins exact. Elles manquent seulement de cette vaillance que le danger stimule et qui se hausse avec les difficultés.

Là où elles échouent sans même tenter de se défendre, d’autres, moins savantes, mais plus courageuses, eussent réussi. Car l’avenir est aux énergiques, cousine, n’en doutez pas. Et si je ne déteste point que les jeunes filles passent un examen, alors même qu’elles n’en ont pas besoin, — c’est que ce sport développe en elles le goût de la lutte, celui d’asservir et de dompter le hasard. Il leur donne, en raccourci, l’image de la vie, qui n’est, comme vous le savez, qu’un vaste champ de bataille.

Et tenez, cousine, je vais vous citer un trait de courage charmant.

La chose se passait dans une des salles publiques où les jeunes filles subissent l’épreuve du brevet élémentaire.

Un examinateur un peu ronchonneur ordonna à une candidate de solfier une leçon de solfège qu’il lui désigna.

La jeune fille — une enfant encore — rougit jusqu’aux oreilles et entama le fragment sans le chanter, en nommant simplement, en mesure, les notes qu’il comportait.

Le vieux monsieur, d’un ton bourru, la rappela à l’ordre :

— Je vous ai demandé de solfier, mademoiselle.

Et il redonna l’intonation d’une voix plus caverneuse que juste :

— Sol, do, sol. Allez, mademoiselle.

À ce moment, une dame, qui manifestait, depuis quelques instants, la plus vive impatience en haussant les épaules, se leva à la stupeur générale.

— Ma fille, lança-t-elle, furieuse, ne chante jamais, monsieur !

— C’est son tort, répliqua vertement le juge, outré d’une telle inconvenance.

Il fourrageait déjà dans son cahier de notes, prêt à y mettre le 0 tant redouté, quand un murmure timide s’éleva :

— Je peux toujours essayer, monsieur, si vous voulez avoir la bonté de me remettre dans le ton.

L’examinateur, à peine calmé, mais surpris, grommela entre ses dents les trois notes : — Sol, do, sol.

L’enfant, la gorge serrée, le visage tout pâle, très brave, solfia sans sourciller, au petit bonheur de l’improvisation.

C’était en mesure et faux à grincer des dents, d’autant que l’examinateur, touché par l’effort, prêtait à la petite martyre le secours d’un organe aussi défectueux que tonitruant. Le fragment prit fin dans un duo d’un comique irrésistible, et, cependant, personne ne songeait à rire.

Quand il fut terminé, la fillette, une larme dans les yeux, un sourire navré crispant sa bouche, dit très bas, avec une simplicité ravissante et comme pour excuser l’algarade de sa mère :

— Je chante si faux !

Les examinateurs, désarmés et attendris, la questionnèrent avec le désir évident de lui laisser prendre une brillante revanche. Ils y réussirent, et, tandis que l’enfant recevait les félicitations du jury, je pensais, cousine, qu’une femme de cette trempe saurait toujours se débrouiller et créer du bonheur là où d’autres n’eussent trouvé que des occasions de chagrin.

Près d’elle, se tenait une fillette qui, avant même qu’on ne l’interrogeât, se mit à fondre en larmes.

— Qu’est-ce que le thermomètre ? demanda l’examinateur, un peu énervé de ce déluge intempestif.

Un silence, puis le bruit d’une moucherie.

— Voyons, mademoiselle, vous avez déjà vu un thermomètre, interrogea le juge compatissant. Comment le gradue-t-on ?

Nouveau silence. Il ne sortit pas un son de cette bouche têtue, si ce n’est le bruit exaspérant d’inutiles sanglots.

Naturellement, cette jeune personne fut refusée.

— Elle possédait sa physique sur le bout du doigt ! expliquait, dans le couloir, son institutrice.

— J’ai eu peur, mademoiselle ; je ne pouvais pas m’empêcher de pleurer, disait, pour s’excuser, cette molle créature.

— C’est stupide de trembler comme cela, surtout quand on sait, observa, non sans amertume, le professeur.

Et j’avais envie d’objecter :

— Ce n’est pas de trembler qui est sot, c’est de n’avoir pas l’énergie de dominer la peur ; là seulement commence le vrai courage.