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La Sœur de Gribouille/XXII

La bibliothèque libre.
Hachette (p. 285-293).



XXII

l’arrestation


En approchant de la maison où demeurait ce Michel, ancien domestique du comte de Trenilly et qui avait été chassé pour inconduite et paresse, les gendarmes redoublèrent de précaution pour voir et entendre sans être vus ni entendus. Ils firent, à pas de loup, le tour de la maison sans découvrir de lumière ; le brigadier, passant près d’une échelle appliquée à la fenêtre d’un grenier, leva les yeux et aperçut une demi-lueur qui éclairait le grenier. Faisant signe à son camarade, ils prirent l’échelle et la couchèrent par terre. Puis ils se blottirent contre l’encoignure de la maison, qui se trouvait en pleine obscurité. Ils ne tardèrent pas à entendre un bruit léger ; un homme approcha de la lucarne du grenier, chercha à voir, et, ne distinguant rien, n’entendant rien, appela avec précaution et à voix basse :

« Rose, Rose, où es-tu ? Pourquoi as-tu enlevé l’échelle ? »

Rose, car c’était elle qu’on appelait, entr’ouvrit la porte de la maison, et répondit également à voix basse :

« Pourquoi appelles-tu ? Qu’est-ce que tu veux ?

michel.

J’appelle pour descendre, parbleu ! Pourquoi diable as-tu retiré l’échelle ?

rose.

Je n’ai rien retiré du tout ; elle y est, ton échelle.

michel.

Puisque je te dis qu’elle n’y est pas ! Coquine, ajouta-t-il se parlant à lui-même, tu me le payeras. »

Rose ouvrit la porte toute grande, sortit et arriva à tâtons à la place où était l’échelle ; ne la trouvant pas, elle fit quelques pas et trébucha dessus.

rose.

La voilà ! elle est tombée.

michel, d’un ton brusque.

Remets-la à la lucarne.

Rose releva l’échelle et la replaça pour que Michel pût descendre. Quand il fut à terre, il saisit Rose par le bras et se mit à lui administrer une volée de coups avec un bâton qu’il tenait à la main. Elle se borna d’abord à des gémissements et à des supplications ; mais, à mesure qu’il redoublait ses coups, dont la colère augmentait la violence, elle laissait échapper quelques cris, d’abord contenus, puis perçants et effroyables.


Le brigadier empoigna Michel. (Page 289)

« Coquine, criait-il, tu veux me faire prendre. Vas-tu te taire, vieille criarde ! »

Le brigadier, jugeant la correction assez forte, et craignant pour la vie de Rose, s’élança de sa cachette ; avant qu’il eût pu saisir Michel, celui-ci, qui l’avait aperçu et reconnu, frappa un dernier coup sur la tête de Rose en criant : « Gueuse, tu m’as vendu ! »

Rose tomba sans mouvement ; le brigadier, aidé de son camarade, empoigna Michel et, en moins d’une minute, le garrotta solidement. Le gendarme monta au grenier, d’après l’ordre du brigadier, et en rapporta une lanterne sourde.

« Allumez une chandelle dans la maison, dit le brigadier ; transportons cette femme sur un matelas, s’il y en a un ; quant à l’homme, il est bien garrotté ; on peut le laisser ici jusqu’à ce que nous ayons fini l’inventaire, qui ne sera pas long. »

Le brigadier souleva Rose, qui ne donna d’autre signe de vie que de légers mouvements convulsifs ; il la déposa sur un lit qui se trouvait dans un coin, et se mit à faire des recherches dans la maison. Ils ne trouvèrent rien dans la chambre où était Rose, mais dans le cabinet à côté, dans les armoires, dans le grenier surtout, ils découvrirent une grande quantité d’objets de toute sorte ; le paquet de Gribouille n’était pas encore défait ; on l’avait seulement dénoué et ouvert ; les objets y étaient tous. Le brigadier reconnut des vêtements qu’il avait vus sur Caroline et sur Gribouille, mais il ne voulut toucher à rien avant que le vol fût bien constaté.

« Il faut aller chercher du renfort pour emmener Michel et emporter Rose, dit le brigadier ; ramenez Bourdon avec vous. »

Le gendarme partit ; le brigadier resta pour garder les prisonniers : l’un était garrotté, l’autre était à moitié assommée ; il n’y avait aucune crainte qu’ils s’échappassent. Le brigadier se promena de long en large en attendant ses camarades ; il avait l’air préoccupé ; il marchait tantôt vite, tantôt lentement ; Il s’arrêtait, il se parlait à lui-même. Enfin son agitation se calma, et il dit :

« Je consulterai M. le maire ; c’est un homme de bon conseil ; je ferai ce qu’il me dira. Il aime ces pauvres orphelins, il m’aidera. »

Les gendarmes arrivèrent ; on fit un brancard pour emporter Rose ; ils allèrent vers Michel pour lui délier les jambes. Quelle fut leur surprise en ne le trouvant plus. Pendant que le brigadier se promenait en long et en large, Michel avait usé la corde qui liait ses mains en la frottant à l’angle du mur ; une fois ses mains libres, il avait facilement dénoué les cordes qui liaient ses jambes ; se mettant à plat ventre, il se glissa à une certaine distance de la maison et, se relevant, il se mit à marcher doucement, puis à courir jusqu’à ce qu’il fût hors d’atteinte. Remettant la poursuite au lendemain, on revint à Rose, on l’emporta et on la coucha dans une chambre qui précédait la prison ; on fit venir un médecin, qui jugea l’état très grave ; le coup sur la tête était des plus inquiétants ; en la déshabillant,


On fit venir un médecin.

on trouva son corps couvert de meurtrissures, plusieurs

déjà anciennes : ce qui prouvait qu’elle avait reçu plus d’une correction de son complice, qui s’était fait son tyran.

M. Delmis et Gribouille étaient rentrés. Le lendemain, après le premier repas et l’installation de la nouvelle bonne, Caroline et Gribouille rassemblèrent le reste de leurs effets et sortirent pour habiter leur maison, qu’ils ne devaient plus quitter. Ils avaient fait leurs adieux et reçu ceux de la famille, qui avaient été fort affectueux de la part des enfants, très touchants du côté de M. Delmis, et très froids du côté de Mme Delmis. Caroline marchait tristement ; Gribouille la regardait sans cesse et cherchait à la distraire en lui racontant ce qui s’était passé la veille entre lui, M. Delmis et le brigadier. Caroline souriait, serrait la main de Gribouille, mais continuait à réfléchir sur leur pénible position.