La Terre (Ernest Choquette)/0b

La bibliothèque libre.
La maison de librairie Beauchemin (p. 9-10).

AVIS



Peut-être le lecteur trouvera-t-il que je retarde, en notant que je cours puiser certains éléments d’inspiration dans la lointaine et déjà ancienne guerre anglo-boer, alors que les fracas de l’épouvantable guerre actuelle semblent nous rendre sourds à tout autre écho.

C’est pourquoi je voudrais l’avertir que mon livre était à peu près imprimé et que je comptais bientôt le recevoir, — encore imprégné de l’odeur d’encens et de cierge des béguinages de Bruges-la morte, — quand les obus allemands ont commencé de s’abattre sur les forts de Belgique et de jeter le chaos partout.


Longtemps… longtemps… j’ai attendu. Rien toutefois ne m’est venu… ni épreuves, ni livre, ni nouvelles, ni rien.

Jusque là, de leur menue écriture serrée, ils m’écrivaient presque chaque jour, mes pauvres typographes inconnus… mais, depuis, pas un mot.

Dès leur premier geste d’héroïque résistance, je m’étais empressé pourtant de leur jeter mon applaudissement et ma sympathie, de leur crier que le lointain étranger, dont ils déchiffraient si péniblement la pensée dans un enchevêtrement de manuscrits, était de cœur et d’âme avec eux… Rien… rien.

Pour rire, je me suis même adressé à Von Bissing, le gouverneur. Ah ! le boche !… Qu’il ne s’imagine pas au moins qu’il a inventé quelque chose en ne me « répondant que par la bouche de ses canons ».

Ce sont là les seules épreuves que j’aie reçues.


C’est-à-dire que tout était bien calme, bien serein, et que la même paix endormeuse planait sur l’Yser comme sur le Richelieu, sur les Vosges comme sur ma montagne, à l’heure où j’ourdissais la trame de ce naïf roman campagnard.

Et c’est ce qui fait aujourd’hui que, malgré Langemarck et malgré Saint-Julien, mon brave « Yves » met toute sa crânerie à se réclamer simplement de Paarderberg.


Ernest CHOQUETTE