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La Trahison Punie/Acte III

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ACTE III.



Scène Première.

LÉONOR, JACINTE.
LÉONOR.


OUi, tes conſeils ſont bons, & je m’y ſoûmettrai,
Mais pour les ſuivre, helas ! quels efforts je ferai,

JACINTE.

Oüi-da.

LÉONOR.

Oüi-da.Je porte un cœur incapable de feindre.

JACINTE.

Mais pour une fois du moins tâchez de vous contraindre ;
Le devoir, la raiſon, l’honneur vous le preſcrit.

LÉONOR.

Hé ! bien va, je ferai tout ce que tu m’as dit.

JACINTE.

Le Ciel en ſoit loüé. Mais voici vôtre pere ;
D. Juan l’accompagne.


Scène II.

LÉONOR, JACINTE à part,
D. FÉLIX, D. JUAN.
D. JUAN.

D. Juan l’accompagne.UNe importante affaire
M’oblige de partir dans ce même moment.

D. FÉLIX.

Mais vous me ſurprenez par cet éloignement.

JACINTE.

Il part, Madame.

LÉONOR.

Il part, Madame.Ah ! Ciel !

JACINTE.

Il part, Madame. Ah ! Ciel ! Vous en voilà défaite.

D. FÉLIX.

À quoi dois-je imputer cette prompte retraite ?
De ma fille, de moi, ſeriez-vous mécontent ?
Expliquez-vous, parlez ; car enfin je prétends…

D. JUAN.

Juſques ici du moins, je n’ai rien vu paroître
Qui me puiſſe donner aucun ſujet de l’être,
Et je ne prévois pas…

D. FÉLIX.

Et je ne prévois pas…Un départ ſi ſoudain…

D. JUAN.

De mon pere, Seigneur, vous connoiſſez la main.
Liſez, & vous verrez l’affaire d’importance
Qui, m’arrache au plaiſir de reſter a Valence.

D. FÉLIX lit.

Je ſuis au lit depuis un mois ;
Avec la fièvre continuë ;
Par vos Lettres que je reçois
La violence en paroît ſuſpenduë :
Mais quoique le mal diminuë,
Je ne crois pas aller loin, toutefois.
Hâtez-vous, mon cher fils, partez, venez vous même
Auprès d’un pere qui vous aime,
Recevoir ſes derniers adieux.
Et lui rendre la vie, ou lui fermer les yeux.

D. BERTRAND d’Alvarade.
D. JUAN.

Hé bien, dois-je partir ?

D. FÉLIX.

Hé bien, dois-je partir ? Je croirois faire un crime ;
De blâmer un devoir ſi ſaint, ſi légitime.
Allez donc, & ſur tout hâtez vôtre retour.

D. JUAN.

J’en ſuis aſſez preſſé, Seigneur, par mon amour.

D. FÉLIX.

Leonor vous plaît donc ?

D. JUAN.

Leonor vous plaît donc ? Rien ne me plaît tant qu’elle.
Permettez en partant que je vous renouvelle
Le tendre engagement que l’on a pris pour moi,
De venir lui donner & mon cœur & ma foi.

JACINTE.

Il part pour revenir : peſte ſoit du voiage.

LÉONOR.

Helas !

D. FÉLIX.

Helas ! Vous laiſſerez ici vôtre équipage.

D. JUAN.

Pour équipage ici je n’ai qu’un de mes gens.

D. FÉLIX.

Il vous ſuit.

D. JUAN.

Il vous ſuit.Non.

D. FÉLIX.

Il vous ſuit. Non.Hé ! bien il reſtera céans.

D. JUAN.

Mais c’eſt un embaras…

D. FÉLIX.

Mais c’eſt un embaras…Point de vaines défaites.

D. JUAN.

J’accepte ſans façon l’offre que vous me faites.

D. FÉLIX.

C’eſt m’obliger ; ainſi lorſque vous reviendrez
De même ſans façon ici vous deſcendrez.
Nous vous regardons tous comme de la Famille.

JACINTE.

Pas tout à-fait encor.

D. FÉLIX apercevant Leonor.

Pas tout à-fait encor.Ah ! vous voilà ma fille.
Je ſuis ravi de voir que vous vous portiez mieux,
Vôtre époux pour un tems s’éloigne de ces lieux,
 à D. Juan.
Adieu, ſi vous m’aimez vous ferez diligence,
J’attens vôtre retour avec impatience.


Scène III.

D. JUAN, LÉONOR, JACINTE.
D. JUAN.

CEt ordre du retour ne me peut ſembler doux,
Si je n’en reçois pas un ſemblable de vous.

LÉONOR.

Seigneur, je n’ai point d’ordre à vous donner.

D. JUAN.

Seigneur, je n’ai point d’ordre à vous donner.Madame,
Je parts, & je crois voir dans le fonds de vôtre ame.

LÉONOR.

On pénétre aiſément les ſentimens d’un cœur,
Qui n’a jamais apris l’art de feindre, Seigneur.

D. JUAN.

Ces ſentimens pour moi ſont fâcheux à connoître.

LÉONOR.

Avec prévention vous en jugez, peut-être.

D. JUAN.

Vos troubles, vos chagrins peuvent-ils m’abuſer ?

LÉONOR.

Vôtre éloîgnement ſeul ne peut-il les cauſer ?

D. JUAN.

Mon éloîgnement ! non. Mes feux en vain s’en flâtent.
Ces troubles, ces chagrins depuis tantôt éclatent,
Et le plus ſûr moien de les faire finir,
Seroit de m’éloigner pour ne plus revenir.

JACINTE.

Il eſt au fait.

LÉONOR.

Il eſt au fait.Seigneur, finiſſons-là de grace.
Ce reproche eſt fâcheux, il m’aigrit, m’embaraſſe,
Mais des troubles d’un cœur on doit peu s’allarmer
Quand l’honneur nous conduit & ſçaît les réprimer.

D. JUAN.

Eh ! ce n’eſt point auſſi l’honneur qui s’en allarme,
C’eſt le cœur qui gémit, plus la beauté le charme.
Hé ! me croiois-je heureux d’obtenir vôtre foi,
Si l’amour vous engage à quelqu’autre qu’à moi ?

LÉONOR.

Comptez ſi juſques là l’amour m’avoit ſéduite,
Que toûjours la vertu régleroît ma conduite ;
Et ſongez…

JACINTE.

Et ſongez…Ah ! changer de converſation.
Vous vous perdrez tous deux dans la réflexion,
La morale, Seigneur, eſt peu divertiſſante,
Et par l’ennuî, le trouble & le chagrin s’augmente.
Partez donc, au retour, ſi c’eſt vôtre plaiſir,
Vous moraliſerez alors tout à loiſir :
Et je vous promets moi, d’apuier la morale.

D. JUAN.

Adieu, Madame.

LÉONOR.

Adieu, Madame.Hélas !



Scène IV.

LÉONOR, JACINTE.
JACINTE.

Adieu, Madame. Hélas !ADieu. Le beau régal.
Qu’un amant qui déplaît, & qui par argument
Prétend prouver qu’il faut qu’on l’aime abſolument.

LÉONOR.

Il n’eſt pas ſans mérite, & je trouve, Jacinte
Que ſon ſort & le mien ſont bien dignes de plainte.

JACINTE.

Vous êtes, j’en conviens, dans un grand embarras,
Ce que le pere veut, vous ne le voulez pas
Ce que vous voulez, vous, n’eſt pas au gré du pere :
L’un des deux doit ceder.

LÉONOR.

L’un des deux doit ceder.Que réſoudre, que faire ?

JACINTE.

Comment, vous balancez, je penſe ?

LÉONOR.

Comment, vous balancez, je penſe ? Nullement.

JACINTE.

Mais vous aimez toüjours D Garcie.

LÉONOR.

Mais vous aimez toüjours D Garcie.Oüi vraiment.

JACINTE.

Et pour cet autre amant vous avez de la haine ?

LÉONOR.

De la haine ? au contraire, il me fait de la peine,
Je le plains.

JACINTE.

Je le plains.En cela nous ſommes de moitié :
Plaignons-le, d’accord, mais n’en aions pas pitié.

LÉONOR.

Ne crains pas qu’a ce point je pouſſe la foibleſſe.

JACINTE.

Il faut faire une fin pourtant, tout vous en preſſe,
Le tems de cette abſence eſt autant de gagné ;
Mais des deux prétendans quand l’un eſt éloigné,
De cet éloignement ſi l’autre ne profite,
Et ſi rien au retour n’eſt fait, garre la ſuite.

LÉONOR.

Quoi donc, à ce retour que veux-tu qui ſoit fait ?
Explique-toi, Jacinte.

JACINTE.

Explique-toi, Jacinte.Un bon himen ſecret ;
Faute de quoi, Madame, il ne faut pas s’attendre…

LÉONOR.

Oh ! C’eſt ce que ſur moi je ne puis jamais prendre.

JACINTE.

Oh ! bien moi, qui ſuis moins ſcrupuleuſe que vous,
Je me charge de tout, à tout je me réſous,
Laiſſez-moi faire, allez

LÉONOR.

Laiſſez-moi faire, allezTu n’es vraiment pas ſage.

JACINTE.

Tout le riſque eſt pour moi, pour vous tout l’avantage,
Et je ne me plains pas. Il faut que cette nuit
Dans vôtre apartement D. Garcie introduit…

LÉONOR.

Dans mon apartement la nuit, voir D. Garcie ?

JACINTE.

Vous ne le verrez pas, j’étendrai la bougie.

LÉONOR.

Ah ! Jacinte.

JACINTE.

Ah ! Jacinte.Hé bien, quoi ? quand on a de l’amour,
Qu’importe s’il vous plaît de la nuit ou du jour ?

LÉONOR.

Il eſt vrai ; mais…

JACINTE.

Il eſt vrai ; mais…Hé bien !

LÉONOR.

Il eſt vrai ; mais… Hé bien ! Je n’y ſçaurois ſouſcrire.
Il falloit…

JACINTE.

Il falloit…Quoi donc ?

LÉONOR.

Il falloit… Quoi donc ? Le faire & ne le pas dire ;
Si tu prens tout ſur toi.

JACINTE.

Si tu prens tout ſur toi.C’eſt avoir de l’eſprit,
Tâchez donc d’oublier tout ce que j’en ai dit.

LÉONOR.

Tu ſçais qu’il faut garder certaine bienſéance.

JACINTE.

Oui, vous avez raiſon, c’eſt la grande ſcience.

LÉONOR.

Mais dans la nuit, comment le faire entrer ici ?

JACINTE.

C’eſt ce qu’il ne faut pas que vous ſçachiez auſſi.

LÉONOR.

Mais je crains ſi tu vas mal prendre tes meſures…

JACINTE.

Non, n’apréhendez rien, comptez qu’elles ſont ſûres.

LÉONOR.

Mais encor…

JACINTE.

Mais encor…Le logis du jardin touche au ſien…

LÉONOR.

Hé bien !

JACINTE.

Hé bien ! Vous voulez tout ſçavoir ſans ſçavoir rien.
Entrez dans vôtre chambre & ſoiez-y tranquille.

LÉONOR.

Ne va pas faire au moins d’entrepriſe inutile.

JACINTE.

Hé non.

LÉONOR.

Hé non.Je ſuis tremblante, & je ne ſçai pourquoi.

JACINTE.

Allez, raſſurez-vous, & vous fiez à moi.

LÉONOR.

Je n’entre en tout ceci pour rien.

JACINTE.

Je n’entre en tout ceci pour rien.Vous n’avez garde.
Rentrez.



Scène V.

JACINTE ſeule.

Rentrez.PUiſque c’eſt moi que l’affaire regarde,
Afin de la conduire à ſa perfection,
Il faut le ménager avec diſcretion ;
Quoique de ſon rival il ignore l’abſence,
Le pauvre D Garcie outré d’impatience,
M’a déja par trois fois fait dire qu’au jardin
Il attend de ſon ſort quelle fera la fin :
Mais pour l’en informer quelqu’ennui qu’il endure,
Attendons que la nuit devienne plus obſcure.



Scène VI.

JACINTE, FABRICE.
FABRICE.

DOm Juan eſt parti, moi dans cette maiſon,
Comme à lui, je deviens par ſon ordre eſpion.
(Métier ſcabreux) qu’il faut cependant que je faſſe.
Allons, baſte, à peu près je ſçai ce qui s’y paſſe ?

JACINTE.

Que vois-je ?

FABRICE.

Que vois-je ? Et ce qui doit le plus m’embaraſſer,
C’eſt ce qui par mes ſoins doit bien-tôt s’y paſſer.
Hoi, me.

JACINTE.

Hoi, me.C’eſt le valet de D. André, je penſe ?

FABRICE.

C’eſt la ſuivante.

JACINTE.

C’eſt la ſuivante.Ah, ah ! quelle eſt : vôtre inſolence,
Maraut ?

FABRICE.

Maraut ? Tout doux, ma mie.

JACINTE.

Maraut ? Tout doux, ma mie.Oſer venir ici !
Que faire ?

FABRICE.

Que faire ? Doucement, n’en ſois point en ſouci.
Suffit que m’y voilà.

JACINTE.

Suffit que m’y voilà.Comment faquin, belître,
Vous y voilà,

FABRICE.

Vous y voilà,Tu vois.

JACINTE.

Vous y voilà, Tu vois.De quel droit ? à quel titre ?
Quand, comment, & par où le traître eſt-il entré ?

FABRICE.

Par la porte.

JACINTE.

Par la porte.Es tu pas le valet de D. André ?

FABRICE.

De D. André, fi donc, que le Ciel m’en préſerve,
D. André deſormais peut chercher qui le ſerve :
Nous ſommes ſéparez pour long-tems, que je croi,
Je ſuis à D. Juan à preſent.

JACINTE.

Je ſuis à D. Juan à preſent.Toi ?

FABRICE.

Je ſuis à D. Juan à preſent. Toi ? Oüi, moi,
C’eſt ſur ce tître-là que j’oſe ici paroître,
Et j’y fuis de l’aveu, de l’ordre de ton maître.
Compte qu’en ce logis dûſſes-tu t’en fâcher,
Quand j’aurai bien ſoupé je puis m’aller coucher.

JACINTE.

Le fuſſes-tu déjà.

FABRICE.

Le fuſſes-tu déjà.Comment ?

JACINTE.

Le fuſſes-tu déjà. Comment ? Je ſuis perduë,
Ceci de nos amans peut troubler l’entrevuë.

FABRICE.

Plaît il ?

JACINTE.

Plaît il ? De ce maroufle il faudroit m’aſſurer.
Après…

FABRICE.

Après…Je crois tout bas t’entendre murmurer.
Me trompai-je, dis ?

JACINTE.

Me trompai-je, dis ? Non, c’eſt que je me propoſe…

FABRICE.

Je me propoſe auſſi comme toi quelque choſe.

JACINTE.

Que te propoſes-tu ? parle.

FABRICE.

Que te propoſes-tu ? parle.L’occaſion…
Fait le larron ſouvent… La propoſition…
Comme on n’a point encore céans réglé mon gîte.
Si tu veux cette nuit recevoir ma viſite,
Pour cauſer ſeulement, car…

JACINTE.

Pour cauſer ſeulement, car…Es tu grand cauſeur ?

FABRICE.

Je te défirois bien d’en trouver un meilleur.

JACINTE.

Tant mieux, de mon côté moi qui ſuis babillarde.

FABRICE.

La converſation je crois ſera gaillarde.

JACINTE.

Tu ſeras ſage au moins ?

FABRICE.

Tu ſeras ſage au moins ? Plus qu’on ne peut penſer.

JACINTE.

Ne m’en conte pas…

FABRICE.

Ne m’en conte pas…Songe à ne me point m’agacer.

JACINTE.

Non, non, je t’en répons ne crains rien.

FABRICE.

Non, non, je t’en répons ne crains rien.Où me rendre ?
Dis.

JACINTE.

Dis.Dans ma chambre même il faut m’aller attendre.

FABRICE.

Ta chambre eſt ?

JACINTE.

Ta chambre eſt ? Toute ouverte au deuxième pallier,
Tu tourneras à gauche en quittant l’eſcalier,

FABRICE.

Bon.

JACINTE.

Bon.Prens bien garde au bruit, pour peu qu’on entende,
Dans ce logis ſur-tout la rumeur devient grande.

FABRICE.

Ne t’embaraſſe point, ſi-tôt que j’y ſerai.
Motus.

JACINTE bas.

Motus.Qu’avec plaiſir je t’y renfermerai !

FABRICE.

Quoi ?

JACINTE.

Quoi ? Rien. En m’attendant tu peux ſur quelque chaiſe.
Si le ſommeil te prend dormir fort à ton aiſe.

FABRICE.

Ne me fais pas languir au moins, ma chere.

JACINTE.

Ne me fais pas languir au moins, ma chere.Non,
Je ne ferai qu’un tour ou deux dans la maiſon,
Et puis je te réjoins.


Scène VII.

FABRICE ſeul.

Et puis je te réjoins.J’Y vais de ce pas même.
La rencontre eſt plaiſante, & la friponne m’aime,
Il eſt de certaines gens qui vont au cœur d’abord,
Si D. André plaiſoit de même à Leonor,
Il ſeroit peu beſoin qu’à preſent dans la ruë,
Pour tâcher de la voir il fit le pied de gruë.
Pour ſe cacher ici je dois le faire entrer,
Quand cela ſera fait, où diantre le fourrer ?
Il m’attend là dehors cependant : qu’il s’y tienne.
Si ſa bonne fortune alloit troubler la mienne.
Il vient voir Leonor ſans ordre, ſans aveu.
Ou dedans, ou dehors aura-t-il plus beau jeu ?
Et peu doit m’importer qu’il lui plaiſe, ou déplaiſe,
Si j’ai bonne nuit, moi, qu’il la paſſe mauvaiſe.
S’il reſte là pourtant, j’aurai, j’en ſuis certain,
Pour une bonne nuit un fâcheux lendemain.
Qu’il entre, tout coup vaille, allons ouvrir la porte
Sans bruit & ſans hazard Dieu veille qu’il reſorte !



Scène VIII.

JACINTE ſeule.

ST, ſt. Il eſt parti ! ce beneſt va penſer
Qu’avec moi pour en prendre on n’a qu’à ſe baiſſer.
L’affection que j’ai pour Leonor m’engage
À joüer, je l’avouë, un joli perſonnage.
Le drôle dans ma chambre eſt déjà, juſqu’au jour :
Allons fermer ſur lui la porte à double tour.



Scène IX.

D. ANDRÉ, FABRICE.
FABRICE.

ENtrez ſans faire bruit.

D. ANDRÉ.

Entrez ſans faire bruit.Laiſſez la porte ouverte.

FABRICE.

Elle n’eſt que pouſſée, & vous ſoiez alerte
À décamper bien-tôt au moindre petit bruit ;
Car ſi l’on vous trouvoit ici caché de nuit,
Comptez que ce ſeroit une cruelle affaire.
De bonne foi, Monſieur, ça qu’y venez-vous faire !

D. ANDRÉ.

Parler à Leonor, & de force, ou de gré
Tâcher à mes rivaux que je ſois préféré.

FABRICE.

Mais quoi ? lorſqu’à vos ſoins D. Juan ſe confie…

D. ANDRÉ.

Tout ici m’eſt égal, D. Juan, D. Garcie.
Dans l’état violent où mon amour m’a mis
Tous deux ſont mes rivaux, tous deux mes ennemis.

FABRICE.

Il entre moins d’amour ici que de caprice,
Examinez-vous bien, là rendez-vous juſtice.

D. ANDRÉ.

Hé bien, caprice, amour, quoi que ce ſoit, enfin.
J’ai cette affaire en tête, & j’en veux voir la fin.

FABRICE.

La fin n’en vaudra rien, Monſieur, prenez-y garde.

D. ANDRÉ.

Dans tout ceci, dis-moi, qu’eſt-ce que je hazarde ?

FABRICE.

De nous faire aſſommer ſeulement.

D. ANDRÉ.

De nous faire aſſommer ſeulement.Paix, tais-toi.

FABRICE.

Écoutez, je n’y prens intérêt que pour moi ;
Car pour vous…

D. ANDRÉ.

Car pour vous…Oh ! finis, tout eſt ici tranquille.
Sçais-tu ſi D. Félix…

FABRICE.

Sçais-tu ſi D. Félix…Il eſt encore en Ville,
Et je ſçai en tout cas quand il ſeroit ici
Que ſon apartement eſt loin de celui-ci.

D. ANDRÉ.

Leonor !

FABRICE.

Leonor ! Dans le ſien Leonor eſt rentrée.

D. ANDRÉ.

Attendons qu’au ſommeil elle ſe ſoit livrée.
Au fond de cette ſalle eſt ſon apartement,
Et j’ai de quoi forcer la ſerrure aiſément.

FABRICE.

Forcer une ſerrure ! ah, Monſieur !

D. ANDRÉ.

Forcer une ſerrure ! ah, Monſieur ! Miſerable !
Te tairas-tu ?

FABRICE.

Te tairas-tu ? Songez que c’eſt un cas pendable,

D. ANDRÉ.

Finis donc… où vas-tu ?

FABRICE.

Finis donc… où vas-tu ? Je gagne l’eſcalier,
Et vais tourner à gauche au deuxième palier.

D. ANDRÉ.

Demeure ici.

FABRICE.

Demeure ici.Monſieur.

D. ANDRÉ.

Demeure ici. Monſieur.Sur les yeux de ta tête.
Reſte.

FABRICE.

Reſte.Il me fait manquer une belle conquête !



Scène X.

D. ANDRÉ, FABRICE,
D. GARCIE, JACINTE.
JACINTE à Dom Garcie.

ON ne peut ſouhaiter une plus ſombre nuit.
Attendez un moment ici ſans faire bruit.
Je vais voir ſi quelqu’un, valet ou Damoiſelle,
Ou même D. Félix, ne ſont point avec elle.

Jacinte ſort.


Scène XI.

D. ANDRÉ, FABRICE, D. GARCIE.
D. ANDRÉ.

QUelqu’un parle, entens-tu, dis ?

FABRICE.

Quelqu’un parle, entens-tu, dis ? Nous ſommes perdus.
Taiſons-nous, Monſieur, de peur d’être entendus.

D. GARCIE.

Je ſuis épié, Ciel !

D. ANDRÉ.

Je ſuis épié, Ciel ! On ouvre quelque porte.

FABRICE.

Tant pis.

D. ANDRÉ.

Tant pis.Aprochons-nous, & nous plaçons de ſorte…
Vien donc.

FABRICE.

Vien donc.Oui, vien. Tout ſeul vous pouvez aprocher.
Je n’ai pas ſeulement la force de marcher.



Scène XII.

D. ANDRÉ, FABRICE,
D. GARCIE, JACINTE.
JACINTE.

ST, ſt, ſt, on vous attend. Allons.

D. GARCIE.

St, ſt, ſt, on vous attend. Allons.Jacinte, arrête !
Tu te méprens.

JACINTE.

Tu te méprens.Pour nous quel orage s’aprête ?

Elle rentre & ferme la porte.


Scène XIII.

D. GARCIE, D. ANDRÉ, FABRICE.
D. GARCIE.

DE quel trouble ſoudain je me ſens confondu !

D. ANDRÉ.

Je viens ſans qu’on me mande, un autre eſt attendu

D. GARCIE.

Eſt-ce vous, D. Juan ?

D. ANDRÉ.

Eſt-ce vous, D. Juan ? Eſt-ce vous, D. Garcie ?

D. GARCIE.

Oui, c’eſt vôtre Rival, défendez vôtre vie.

D. ANDRÉ.

Défens plutôt la tienne, infâme ſuborneur.

D. GARCIE.

Ta mort, ta ſeule mort peut faire mon bonheur.

FABRICE.

D. Garcie attendez, quelle erreur eſt la vôtre ?
Vous allez égorger D. André pour un autre.

D. GARCIE.

D. André !

D. ANDRÉ.

D. André ! Oui, c’eſt moi.

D. GARCIE.

D. André ! Oui, c’eſt moi.Ah ! ce nom odieux
Ajoûte à mes tranſports, me rend plus furieux :
Malgré l’obſcurité, la rage qui me guide
Doit conduire mes coups dans le cœur du perfide.

FABRICE.

Alphonſe, Ignez, quelqu’un, Fernandez, au ſecours.


Scène XIV.

D. ANDRÉ, D. GARCIE,
LÉONOR, JACINTE, FABRICE.
LÉONOR avec une bougie.

DE mon amant, Jacinte, on attaque les jours,
Courons ſauver ſa vie aux dépens de la mienne :
Que vois-je ! D. André ! je meurs qu’on me ſoutienne.

JACINTE.

Ce Maraut que je crois enfermé, le voilà.
C’eſt lui de qui nous vient tout ce deſordre-là.

D. GARCIE.

Inſtruit des noirs projets qu’un perfide a pû faire ;
Je viens juſques chez vous punir le témeraire.

D. ANDRÉ.

Et j’y ſuis venu moi, ſur d’avoir en effet
À vanger D. Juan de l’affront qu’on lui fait.

LÉONOR.

Que dis-tu, malheureux ?

D. ANDRÉ.

Que dis-tu, malheureux ? Que je perdrai la vie ;
Ou que je l’ôterai, Madame, à D. Garcie.

D. GARCIE.

Quoi, traître…

LÉONOR.

Quoi, traître…Songez-vous que cet éclat me perd,
D. Garcie !


Scène XV.

D. ANDRÉ, D. GARCIE, LÉONOR,
JACINTE, FABRICE, D. JUAN.
D. JUAN.

D. Garcie ! A Mes yeux quel ſpectacle eſt offert !
Fermons d’abord la porte.

LÉONOR.

Fermons d’abord la porte.Ô nuit vraiment funeſte !

D. GARCIE.

D. Juan !

D. ANDRÉ.

D. Juan ! De retour déja !

FABRICE.

D. Juan ! De retour déja ! La mâle peſte.
Nous allons voir beau jeu.

D. JUAN.

Nous allons voir beau jeu.D. André ! Leonor !
Mon rival ! tout ſe taît ! quel eſt mon triſte ſort ?
J’apprens la mort de mon pere en ſortant de Valence,
Et lorſque j’y reviens, flâté de l’eſperance
D’y trouver du remède à mes vives douleurs,
Je trouve en arrivant le comble des malheurs.
Ah, que mon cœur pâtît ! D. André ! D. Garcie.
De l’ami, du rival, de tout je me défie.
Tout m’eſt ſuſpect. La nuit ! à quel deſſein, comment
Vous trouvez-vous tous deux dans ces appartemens ?

D. ANDRÉ.

Qu’imaginer ?

D. GARCIE.

Qu’imaginer ? Que dire ?

FABRICE.

Qu’imaginer ? Que dire ? Aucun n’oſe répondre.

D. JUAN.

Tous deux également vous ſemblez vous confondre.

D. ANDRÉ.

Il faut du mieux qu’on peut ſortir d’un mauvais pas.

D. GARCIE.

Ménageons Leonor, ne la trahiſſons pas.

D. JUAN.

Vous tairez-vons toûjours, D. André ?

D. ANDRÉ.

Vous tairez-vons toûjours, D. André ? Mon ſilence
Ne vous apprend-il pas tout ce qu’il faut qu’on penſe.

D. JUAN.

Ce ſilence me fait connoître mon malheur ;
Mais ce n’eſt point aſſez, ſi je n’en ſçais l’auteur.

D. ANDRÉ.

En pouvez-vous douter ?

D. JUAN.

En pouvez-vous douter ? L’un de vous deux doit l’être,
Et vous l’êtes tous deux également peut-être.

D. ANDRÉ.

Vous ſouvient-il des ſoins donc vous m’avez chargé ?

D. JUAN.

Oüi.

D. ANDRÉ.

Oüi.Pour m’en acquiter je n’ai rien négligé.
Vous trouverez en ce lieu Leonor éperduë,
D. Garcie interdit, vôtre ami l’ame émuë…
On vous trahiſſoit…

D. JUAN.

On vous trahiſſoit…Ciel : mais qu’en juger encor.
L’un eſt mon ami, l’autre amant de Leonor :
Qui des deux me trahit ?

LÉONOR.

Qui des deux me trahit ? Ce n’eſt point D. Garcie.

D. JUAN.

C’eſt celui qu’en ſecret vôtre cœur juſtifie ;
Et quand à cet excez on oſe m’outrager,
C’eſt celui qui vous plait dont je me dois vanger.

JACINTE.

On frape.

FABRICE.

On frape.Et rudement.

D. FÉLIX derrière le Théâtre.

On frape. Et rudement.Ouvrez donc.

LÉONOR.

On frape. Et rudement. Ouvrez donc.C’eſt mon pere.

D. JUAN.

Sauvons-lui les chagrins que ceci peut lui faire ;
Sortez d’ici tandis que je l’entretiendrai,
D. Garcie, & chez vous demain je vous verrai.

D. GARCIE.

Je vous attens…

D. JUAN à D. André.

Je vous attens…Reſtez avec moi… à Leonor.
Rentrez, & ſuſpendez les troubles de vôtre ame.
Qu’on ouvre.




Scène XVI.

D. JUAN, D. ANDRÉ, D. FÉLIX, FABRICE.
D. FÉLIX.

Qu’on ouvre.AH ! D. Juan, vous n’êtes point parti ?

D. JUAN.

En montant à cheval, je viens d’être averti
Que j’allois entreprendre un voiage inutile.
Mon pere eſt mort.

D. FÉLIX.

Mon pere eſt mort.Ah : ciel : en revenant de ville
Un de mes gens là-bas, fort effraié m’a dit,
Qu’en cet appartement il entendoit du bruit,
Qu’on s’y battoit.

D. JUAN.

Qu’on s’y battoit.Ici, comment ? quelle apparence,
Vous nous trouvez tous deux en bonne intelligence.

D. FÉLIX.

Quoi D. André par tout accompagne vos pas ?

D. JUAN.

Nous nous aimons aſſez pour ne nous quitter pas.

D. FÉLIX.

Et ma fille, chez elle entend on quelque choſe.

D. JUAN.

Rien du toiu, Leonor aparemnent repoſe.
Et pour ne pas troubler cette tranquilité,
Ou ſortons, ou paſſons de quelqu’autre côté.

D. FÉLIX.

Volontiers.

D. ANDRÉ.

Volontiers.Trouvez bon qu’enſemble je vous laiſſe.

Une certaine affaire…

D. JUAN fort émû.

Une certaine affaire…Eſt-ce affaire qui preſſe ?

D. ANDRÉ.

Je n’en fais point miſtere, un rendez vous que j’ai,
Que juſqu’à ce moment pour vous j’ai négligé…

D. JUAN.

Rendez-vous de Dame ?

D. ANDRÉ.

Rendez-vous de Dame ? Oüi.

D. JUAN.

Rendez-vous de Dame ? Oüi.L’heure eſt-elle paſſée ?

D. ANDRÉ.

Pas tout-à-fait encor, mais beaucoup avancée.

D. JUAN.

Vous feroit-on chagrin de vous accompagner ?
Dites.

D. ANDRÉ.

Dites.Rien en cela ne doit me répugner,
D’un ami tel que vous plus ſûr que de tout autre…

D. JUAN.

Si vous êtes le mien comme je ſuis le vôtre…

D. ANDRÉ.

Vous en doutez ? Venez, ce que vous allez voir
Détruira les ſoupçons que vous pouriez avoir.

D. JUAN.

Permettez, D. Félix…

D. FÉLIX.

Permettez, D. Félix…Ah ! dans l’âge où vous êtes,
Il faut bien ſe prêter aux choſes que vous faites.
J’ai oüi du bruit ; ce bruit tout à coup a ceſſé :
Qu’en juger ? & chez moi qu’eſt-ce qui s’eſt paſſé !



Fin de l’Acte troiſième