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La Trahison Punie/Acte V

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ACTE V.



Scène Première.

LÉONOR, ISABELLE, JACINTE.
LÉONOR.


PAR vos réflexions, n’augmentez point ma peine.
La vôtre finira, ſans doute, où l’on vous mene.
J’aurois laiſſé durer vos troubles moins long-tems
Et Jacinte à mon gré vous tient trop en ſuſpense.

ISABELLE.

Par tout où vous voulez je me laiſſe conduire ?
Enfin nous allons… où, dites ?

JACINTE.

Enfin nous allons… où, dites ? Chez Donne Elvire ;

ISABELLE.

En quoi mes ſens par là ſeront-ils raſſurez ?

JACINTE.

Que ſçait-on ? par quelqu’un que vous y trouverez.

ISABELLE.

Quoi D. André chez elle auroit-il habitude ?

JACINTE.

D. André !

ISABELLE.

D. André ! Tire-moi de cette incertitude,

Jacinte, elle commence à m’impatienter,
Suis-je dans un état à pouvoir plaiſanter ?

JACINTE.

Puiſque vous répugnez à la plaiſanterîe,
Sçachez que nous venons voir ici D. Garcie.

ISABELLE.

Quoi, mon frère !

JACINTE.

Quoi, mon frère ! C’eſt peu qu’un frere, aſſurement ;
Il vaudroit mieux ſans doute y trouver un amant :
Mais c’eſt le vôtre, à vous, & pour la bienſeance
Il eſt bon que la ſœur ſoit de la confidence.

ISABELLE.

C’eſt cela…

JACINTE.

C’eſt cela…Juſtement, qui fait qu’au rendez-vous
Nous vous avons, Madame, amenée, avec nous ;

ISABELLE.

Ma crainte ſe diſſipe, & mon cœur ſe raſſure,
Et c’eſt un grand plaiſir pour moi, je vous le jure,
Quand mon frere a querelle avec mon amant,
D’en voir un à couvert du premier mouvement.

JACINTE.

C’eſt une invention que mon petit génie
Pour prévenir l’éclat ce matin m’a fourni.
Mais quelqu’un vient à nous, je penſe, Non, ſi fait.

LÉONOR.

Oüi, j’aperçois quelqu’un qui s’aproche en effet.

JACINTE.

C’eſt Fabrice, c’eſt lui, le hazard me l’envoye.
Entrez vite, il n’eſt pas à propos qu’il nous voye.


Scène II.

JACINTE, FABRICE.
FABRICE.

JE ne ſçai où je vais promener mon chagrin
Mon enragé de maître…

JACINTE.

Mon enragé de maître…Ah ! te voilà, faquin,
Je n’ai pu depuis hier te parler à mon aiſe…

FABRICE.

Parles : mais ne dis rien ſur tout qui me déplaiſe ;
Car je n’ai pas l’humeur endurante aujourd’hui,

JACINTE.

Ce maraut croit qu’on a de grands égards pour lui.

FABRICE.

Maraut… Il me paroît que vous n’en avez guére.
Et vous pouriez pourtant, ſoit dit ſans vous déplaire,
Être un peu moins brutal, à moins que d’oublier
Le rendez-vous d’hier au deuxième pallier.

JACINTE.

Tu fus témoin des ſoins que je pris pour m’y rendre.

FABRICE.

Et tu vis bien auſſi comme j’allai t’attendre.

JACINTE.

Va, va, mon pauvre ami je me mocquois de toi.

FABRICE.

Et de qui, s’il te plaît, me mocquois-je donc moi ?

JACINTE.

Ma raiſon eût été vraiment bien endormie.

FABRICE.

Et la mienne eût été fort en défaut, ma mie

JACINTE.

Oh ! le plaiſant magot !

FABRICE.

Oh ! le plaiſant magot ! Le drôle de guenon !

JACINTE.

Tu le prens-la vraiment ſur un fort joli ton.

FABRICE.

Et ſur quel ton, dis-moi, le prens-tu donc toi-même.

JACINTE.

Mais moi, je crois aſſez mériter que l’on m’aime.

FABRICE.

Parbleu, croîs-tu de moi, que je penſe autrement ?
Va, va, Monſieur vaut bien Madame, aſſurément.
Si pourtant tu veux être aujourd’hui ſans rancune,
Je te regarderai comme bonne fortune.

JACINTE.

Sans rancune avec toi ! cela ne ſe peut pas,
Tu nous cauſas hier un trop grand embarras.

FABRICE.

Bon, bon, je menois l’un, & toi tu menois l’autre.
Hé bien, nous avions fait entrer chacun le nôtre.
Nous n’avons là-deſſus rien à nous reprocher.
Eſt-ce nous, après tout, qui devons nous fâcher ?
Que nos maîtres entr’eux ſongent à la vangeance.
Mais nous, vivons gaillards en bonne intelligence.

JACINTE.

C’eſt aſſez bien penſer.

FABRICE.

C’eſt aſſez bien penſer.Vivent les gens d’eſprit,
N’eſt-ce pas ? touche donc, ſans rancune.

JACINTE.

N’eſt-ce pas ? touche donc, ſans rancune.Il ſuffit,
Je te pardonne, va.

FABRICE.

Je te pardonne, va.Par quelque bon office
Pourrois-je mériter ce pardon ?

JACINTE.

Pourrois-je mériter ce pardon ? Oüi, Fabrice.

FABRICE.

Oh ! tu n’as qu’à parler, Jacinte.

JACINTE.

Oh ! tu n’as qu’à parler, Jacinte.Aſſurément ?

FABRICE.

Oüi, par ma foi, tu peux m’en croire à mon ſerment.

JACINTE.

Hé ! bien, promets-moi donc au péril de ta vie,
En toute occaſion de ſervir D. Garcie.

FABRICE.

De ma vie ! oh ! parbleu le ſerment eſt trop gros.
Mais je te le promets au péril de mon dos.

JACINTE.

Contre D. André même.

FABRICE.

Contre D. André même.Oh ! oüi, par préference.
Déja pour le trahir il m’a payé d’avance.



Scène III.

JACINTE, FABRICE, BÉATRIX.
BÉATRIX.

AH ! je t’y prens Jacinte !

JACINTE.

Ah ! je t’y prens Jacinte ! Hé ! c’eſt toi, Béatrix ;

BÉATRIX.

Je trouble l’entretien ; mais quel eſt ce beau fils ?
Oüi, non, ſi fait… Fabrice !

FABRICE.

Oui, non, ſi fait… Fabrice ! Oui, c’eſt moi, ma poupoune.

JACINTE.

Comment, tu connois donc Béatrix ?

FABRICE.

Comment, tu connois donc Béatrix ? Oüi, mignonne.

BÉATRIX.

Quoi, t’en conteroit-il ?

JACINTE.

Quoi, t’en conteroit-il ? Le beau doute ! oüi vraiment.

BÉATRIX.

Parle donc, hé, maroufle.

FABRICE.

Parle donc, hé, maroufle.Oh ! point d’emportement.

BÉATRIX.

Tu m’offres cette nuit tes vœux & ta tendreſſe,
Je les accepte, & vois qu’un autre eſt ta Maîtreſſe ?

FABRICE.

Les éclairciſſemens ne valent jamais rien.
Laiſſons cela.

JACINTE.

Laiſſons cela.Non, non, je veux ſçavoir…

FABRICE.

Laiſſons cela. Non, non, je veux ſçavoir…Hé bien ?
Sçavoir quoi ?

JACINTE.

Sçavoir quoi ? Cette nuit tu l’as entretenuë
Cette nuit ? tu ſçaîs bien que c’eſt toi que j’ai vûë.

BÉATRIX.

Quoi ton maître avec toi n’eſt pas venu chez nous
Hier au ſoir ?

FABRICE.

Hier au ſoir ? Hé bien, oüi, c’étoit à Jacinte un rendez-vous,
Qu’avoit dés le matin retenu ſa maîtreſſe :
À tout cela vois-tu je n’entens point fineſſe.

JACINTE.

Ton Maître avoit ici rendez-vous cette nuit ?

FABRICE.

Oüi, mais beaucoup meilleur que chez vous, point de bruit,
Point de rival jaloux, d’amans pris pour un autre.
Oh ! cetre maiſon-là vaut bien mieux que la vôtre !
On eſt bien plus tranquille.

JACINTE.

On eſt bien plus tranquille.Hé voilà donc pourquoi
Tu choiſis Béatrix par préférence à moi ?

FABRICE.

Par préférence ? non.

JACINTE.

Par préférence ? non.Je ſuis ſans jalouſie,
Va.

BÉATRIX.

Va.Dieu me garde auſſi de telle freneſie.

JACINTE.

Mais lorſqu’à t’écouter on veut bien s’abaiſſer,
Il ne faut pas qu’ailleurs tu t’ailles adreſſer.

BÉATRIX.

Quand une fois on m’a fait offre de ſervice,
Je t’avertis qu’il faut s’en tenir-là, Fabrice.

JACINTE.

Nous étions toutes deux, ma chere, en bonne main.

FABRICE.

Sans couroux.

BÉATRIX.

Sans couroux.Oüi, pour toi l’on a que du dédain.
Rentrons.


Scène IV.

FABRICE ſeul.

Rentrons.JE ſuis facile & de trop bonne pâte.
Mon Maître eſt un maroufle, & l’exemple me gâte.
Ma foi du contre-temps je ſuis pourtant fâché ;
De ces deux guenons-là j’aurois eu bon marché.
Je leur avois parbleu donné dans la viſiere :
Foin ; je m’en devois bien tenir à la première ;
Je ferois bien de fuir tout commerce avec lui.


Scène V.

D. JUAN, FABRICE.
D. JUAN.

FAbrice, écoute un mot.

FABRICE.

Fabrice, écoute un mot.Puis-je vous être utile ?

D. JUAN à part.

Pour joindre D. André, je cours toute la Ville.
Et c’eſt ici le lieu marqué dans ſon billet ;
Ne l’attendrois tu point ?

FABRICE.

Ne l’attendrois tu point ? Moi ! je ſuis ſon valet ;
Mais du ton qu’il l’a pris, il ne doit pas prétendre ;
Que je ſois de ma vie aſſez ſot pour l’attendre.

D. JUAN.

Comment !

FABRICE.

Comment ! Quoi donc, l’avez-vous oublié ?
Le bourreau ſans raison m’a preſque eſtropié.

D. JUAN.

Sans raiſon ? il faut bien qu’il en ait eu quelqu’une.

FABRICE.

Point d’autre aſſurément que le cours de lune,
C’eſt elle qui lui met la cervelle à l’envers.
Je l’ai tant éprouvé depuis que je le ſers,
Monſieur.

D. JUAN à part.

Monſieur.Par D. André mon amitié trahie,
M’engage à le punir de cette perfidie.

Je le cherche, & je tremble en ce même moment,
De m’abandonner trop au premier mouvement.
Je ne veux point avoir de reproche à me faire.

FABRICE.

Hem…

D. JUAN à part.

Hem…Ce valet doit être informé de l’affaire.

FABRICE.

Plaît-il… Il parle ſeul, garre la lune auſſi.

D. JUAN à part.

Il faut à fond par lui que j’en ſois éclairci.
Tirons la vérité par ménace & par feinte,
Et fixons les ſoupçons dont mon ame eſt atteinte.

FABRICE.

Je vous ſuis Inutile en cette occaſion ;
Monſieur, pour ſoûtenir la converſation.
Les gens d’eſprit jamais ne ſont ſeuls d’ordinaire…

D. JUAN.

Attens, pendart.

FABRICE.

Attens, pendart.Pendart ? fort bien, la lune opere.

D. JUAN.

D. André t’a donné quelques coups de bâton.
C’eſt bien fait.

FABRICE.

C’eſt bien fait.Il falloit qu’il eût quelque raiſon ;
Dans le fonds… En effet, Monſieur, comme vous dites…
Ceci commence mal, défions-nous des ſuites.

D. JUAN.

Malheureux, ſous ces coups, tu devois expirer !
Mais ce qu’il a manque je vais le réparer.

FABRICE.

Je ferai bien-heureux ſi le Ciel m’en délivre.

D. JUAN.

Un coquin comme toi merite-t-il de vivre ?

FABRICE à genoux.

Oüi, je ſuis un coquin, & dans vôtre couroux,
Je ne vaux pas l’honneur d’être tué par vous.

D. JUAN.

Comment ! chez Leonor, qu’à ta garde on confie,
Traître, tu vas ouvrir la porte à D. Garcie ?

FABRICE.

La porte à D. Garcie ? hé, Monſieur ?

D. JUAN.

La porte à D. Garcie ? hé, Monſieur ? Oui, pendart,
C’eſt une verité qui vient de bonne part.

FABRICE.

Il n’en eſt rien, Monſieur, ou je me donne au diable,
C’eſt une vérité qui n’eſt pas véritable.

D. JUAN.

En vain tu t’en défens Je te ſçaurois bon gré,
Pour moi, ſi tu l’avois ouverte à D. André.
C’eſt mon meilleur ami.

FABRICE.

C’eſt mon meilleur ami.Lui, vôtre ami ?

D. JUAN.

C’eſt mon meilleur ami. Lui, vôtre ami ? Sans doute.

FABRICE.

Ah ! j’en prens à témoin le Ciel qui nous écoute.
Je veux être pendu, Monſieur, dés aujourd’hui,
Si je n’ouvris hier la porte exprés pour lui.

D. JUAN.

Exprès pour lui ! c’eſt lui qui m’a dit le contraire.

FABRICE.

Le bourreau ! je vous vais compter toute l’affaire…

D. JUAN.

Tu ne feras plaiſir, car je n’aime pas, moi,
Qu’il cherche à me donner des ſoupçons contre toi,

FABRICE.

Et vous l’en croiriez, lui, c’eſt bien le plus grand traître,
Le plus grand chien qui ſoit dans Valence, peut-être.
Il paroît vôtre ami ?

D. JUAN.

Il paroît vôtre ami ?Oui.

FABRICE.

Il paroît vôtre ami ? Oui.C’eſt vôtre rival.

D. JUAN.

Quels contes.

FABRICE.

Quels contes.Je le ſçai, Monſieur d’original.
Il a depuis un tems, pour vexer D. Garcie,
Moins peut être par goût, que par bizarrerie,
À Leonor rendu des aſſiduitez
Mais depuis hier ſes feux paroiſſent augmentez.
Et s’il faut franchement dire ce qu’il m’en ſemble
Tout cela pour vous faire enrager deux enſemble.

D. JUAN.

Je vois peu d’apparence à ce que tu me dis ;
Et d’une autre beauté je ſçai qu’il eſt épris.
Nous l’avons vû.

FABRICE.

Nous l’avons vû.Monſieur, c’eſt une méchante ame.

D. JUAN.

Il nous a cette nuit menez chez une dame.

FABRICE.

Vous donnez-là dedans.

D. JUAN.

Vous donnez-là dedans.J’y donne ! pourquoi non ?

FABRICE.

À peine ſeulement en ſçavons-nous le nom.
Ce n’eſt que d’hier matin qu’il promit l’entrevûë,
Et jamais lui ni moi nous ne l’avions connuë.

D. JUAN.

Mais quoi ?

FABRICE.

Mais quoi ? C’eſt Léonor à qui ſeule il en veut.
Il cherche à vous donnée le change autant qu’il peut.

D. JUAN.

La ſœur de D. Garcie auſſi compte qu’il l’aime.

FABRICE.

De vingt autres comme elle il ſe moque de même.
Mais vous ſerez je crois, (ſoit dit ſans vous choquer)
Celui dont il aura le plus à ſe moquer…

D. JUAN.

Tais-toi, je ne veux pas en ſçavoir davantage.
Que me faut-il encor après ce témoignage ?
Allons, à nous vanger emploions tous nos ſoins.

FABRICE.

N’allez pas là dedans m’embarraſſer au moins.
Ce que je vous dis-là n’eſt qu’un avis ſincere.

D. JUAN.

Va, ne crains rien.

FABRICE.

Va, ne crains rien.Voici le prétendu beaupere.



Scène VI.

D. JUAN, D. FÉLIX, FABRICE.
D. FÉLIX.

JE vous cherche par tout avec empreſſement,
Et voudrois en ſecret vous parler un moment
D. Juan.

D. JUAN.

D. Juan.Volontiers, Seigneur.

FABRICE.

D. Juan. Volontiers, Seigneur.Je me retire.

D. FÉLIX.

Demeure. Éloignons-nous.

D. JUAN.

Demeure. Éloignons-nous.Qu’aura-t-il à me dire ?



Scène VII.

FABRICE ſeul

QUoique ſimple valet, & peu content, je voi
Qu’il eſt encore des gens bien moins contens que moi.
D. Juan, D. Félix, D. Garcie & mon Maître,
Leonor. Tout cela n’a pas ſujet de l’être.
Je ne ſçai pas comment l’intrigue finira…
Tout coup vaille, & maudit qui s’en chagrinera.
Vive la joie, allons ; le Ciel me ſoit en aide.
J’apperçois mon brutal que la fureur poſſede.



Scène VIII.

D. ANDRÉ, FABRICE.
D. ANDRÉ.

TU le vois, mon billet n’a point été rendu ;
Et par moi vainement D. Garcie attendu,
Au lieu que j’ai marqué n’a garde de ſe rendre.

FABRICE.

Hé bien j’aurai, Monſieur, la peine de l’attendre.
Entrez chez Donne Elvire, & moi qui reſterai,
Dés qu’il ſera venu je vous avertirai.
Allez, c’eſt ici près que la belle demeure ;
Vous devez la revoir, & voici quaſi l’heure.
Quelle eſt belle ! ah, Mr, c’eſt un friand morceau !

D. ANDRÉ.

En l’état où je ſuis, rien ne me paroît beau.
Je ne ſçai quel tranſport, quelle rage m’agite !

FABRICE.

Ma foi ni moi non plus.

D. ANDRÉ.

Ma foi ni moi non plus.Tout me nuit, tout m’irrite ;
Tout me déplaît, me fâche, excepté Leonor.

FABRICE.

Leonor… Quoi, Monſieur, vous y ſongez encor.

D. ANDRÉ.

Si j’y ſonges !

FABRICE.

Si j’y ſonges ! Ah, Monſieur !

D. ANDRÉ.

Si j’y ſonges ! Ah, Monſieur ! Hem ! je crois que tu penſes
Être en droit de me faire à moi des rémontrances ?

FABRICE.

Moi ! fy donc ? pouvez-vous rien faire qui ſoit mal
Si ce n’eſt avec moi d’être un peu trop brutal,
Parfois. Au demeurant, Monſieur, on a beau dir
Moi qui vous voit de prés, en tout je vous admire
Un eſprit doux… accord… plein de docilité…
La droiture de cœur… l’exacte probité…
Des mœurs… une conduite… enfin de la ſageſſe.
Comme n’en avoient point les ſept ſages de Grece.
Maître de vous, ſurtout… C’eſt-là le beau.

D. ANDRÉ.

Maître de vous, ſurtout… C’eſt-là le beau.Je crois
Que ce faquin plaiſante & ſe moque de moi.

FABRICE.

Ah, le beau naturel ! de l’humeur dont vous êtes.
On ne peut qu’applaudir tout ce que vous faites

D. ANDRÉ.

Je m’embaraſſe peu qu’on applaudiſſe ou non :
Suffit que ſelon moi je crois avoir raiſon.

FABRICE.

Vous l’avez en effet.

D. ANDRÉ.

Vous l’avez en effet.Ne ris point, je m’en flâte.

FABRICE.

Il eſt vrai.

D. ANDRÉ.

Il eſt vrai.Mon amour eſt le premier en date.
Et malgré mes rivaux, & malgré D. Félix.
Leonor de mes vœux ſera bien-tôt le prix
Je ne ſouffrirai point que l’on la donne à d’autres ;
Je ſoutiendrai mes droits.

FABRICE.

Je ſoutiendrai mes droits.Les meilleurs ſont les vôtres,
Sans contredit.

D. ANDRÉ.

Sans contredit.Va, va, je les ſerai valoir.
J’en ſçais de ſûrs moyens, je n’ai qu’à vouloir.

FABRICE.

Vous voudrez ?

D. ANDRÉ.

Vous voudrez ?J’ai voulu : mes meſures ſont priſes
Et je n’aurai pas fait de vaines entrepriſes.
Que D. Garcie arrive au rendez-vous donné,
J’en ſuis défait, Fabrice, il eſt aſſaſſiné.

FABRICE.

Ah, Monſieur !

D. ANDRÉ.

Ah, Monſieur !Plaît-il !

FABRICE.

Ah, Monſieur ! Plaît-il !Rien ! c’eſt la bonne manière.

D. ANDRÉ.

Tu peux compter qu’après, l’autre ne tiendra guère !

FABRICE.

Je le crois bien vraiment… Ah ! le grand ſcelerat !

D. ANDRÉ.

Je craindrois peu pourtant le ſuccés d’un combat.

FABRICE.

Fi donc, courir hazard de mort ou de bleſſure !
Comme vous la prenez la choſe eſt bien plus ſûre.

D. ANDRÉ.

Sans doute.

FABRICE.

Sans doute.Oüi, vous avez bon eſprit en effet
Le lâche… il n’eſt hardi que pour battre un valet.
Mais les ſuites, Monſieur…

D. ANDRÉ.

Mais les ſuites, Monſieur…Bon, que craindre des ſuites ?

FABRICE.

Il eſt par tout païs certaines loix preſcrites…

D. ANDRÉ.

C’eſt ce qui ne doit pas m’embaraſſer beaucoup,
Je ne ſuis point connu, ceux qui feront le coup,
Ont tous été gagnez pas un ſeul émiſſaire,
Dont je me déferai moi-même aprés l’affaire.

FABRICE.

Fort bien !

D. ANDRÉ.

Fort bien !Toi-même à qui j’en parle imprudemment,
Songe à me bien garder le ſecret… Autrement…

FABRICE.

Je vous le garderai… mais point de défiance.
Qu’avois-je affaire, moi, de cette confidence ?

D. JUAN à D. Felix.

Demeurez.



Scène IX.

D. ANDRÉ, D. JUAN, FABRICE.
D. ANDRÉ.

Demeurez.QU’à propos je vous retrouve ici !

D. JUAN.

De nous y rencontrer je bien aiſe auſſi.

D. ANDRÉ.

La Dame d’ici prés ?

D. JUAN.

La Dame d’ici prés ? Elle m’a paru belle.

D. ANDRÉ.

Vous ne blâmez donc point l’ardeur que j’ai pour elle ?

D. JUAN.

Ce n’eſt pas ce qu’en toi je trouve à condamner,
Perfide !

D. ANDRÉ.

Perfide ! Ce diſcours a de quoi m’étonner.

FABRICE.

Haye, haye.

D. JUAN.

Haye, haye.À me trahir quand ton cœur s’abandonne,
C’eſt le remords, & non le diſcours qui t’étonne.

D. ANDRÉ.

Moi, je vous ai trahi !

D. JUAN.

Moi, je vous ai trahi ! De ton indigne cœur.
Je connois la baſſeſſe, & toute la noirceur.

D. ANDRÉ.

D. Juan !

FABRICE.

D. Juan ! Qu’il eſt ſot !

D. JUAN.

D. Juan ! Qu’il eſt ſot ! Quand de ta perfidie
J’étois moins aſſuré, j’en voulois à ta vie.
Je te ſcais à preſent ſans honneur & ſans foi,
Et te mépriſe trop pour me vanger de toi.

D. ANDRÉ.

D’un ſemblable mépris je ſçais comme on ſe vange ?
Et mon cœur, croyez-moi, vous rend fort bien le change ;
Mais de quel droit encore me parlez vous ainſi ?

D. JUAN.

Va, de tes procedez je ſuis trop éclairci.

D. ANDRÉ.

À juger mal de moi vôtre ame eſt un peu prompte :
Reſtez dans vôtre erreur.

D. JUAN.

Reſtez dans vôtre erreur.Demeure dans ta honte.

D. ANDRÉ.

Adieu, quand un peu moins nous nous mépriſerons,
Si le cœur vous en dit nous nous éclaircirons.
Suis-moi Fabrice, viens.



Scène X.

D. JUAN, D. FÉLIX.
D. JUAN.

Suis-moi Fabrice, viens.ESt-il un cœur plus lâche ?
Vaut-il qu’un galant homme & s’emporte & ſe fâche ?
Je dois ma retenuë à vos ſages avis,
Et je me tiens heureux de les avoir ſuivis.
Son ſang verſé n’eût point apaiſé ma colere,
Tant que le traitement que je viens de lui faire.
Si jamais à mes yeux il oſe ſe montrer…

D. FÉLIX.

Il n’y paroîtra pas, je puis vous l’aſſurer.
Hé comment ſe peut-il que la nature cache
Sous un tel front une ame & ſi baſſe & ſi lâche !
Pour mon gendre ſans vous je l’aurois accepté.
Je vous avouërai plus, que je l’ai ſouhaité :
Des dehors aparens, ſes biens & ſa famille,
Tout cela paroiſſoit convenir à ma fille.

D. JUAN.

Non, Leonor merite un deſtin plus heureux ;
Et pour le rendre tel, accordons-nous tous deux.


Scène XI.

D. JUAN, D. FÉLIX, FABRICE.
Pluſieurs voix derriere le Théatre.

AU meurtre, à l’aſſaſſin.

D. JUAN.

Au meurtre, à l’aſſaſſin.Qu’eſt-ce ? où cours-tu Fabrice ?

FABRICE.

Le Ciel à D. André vient de rendre juſtice.
Il n’en reviendra pas.

D. FÉLIX.

Il n’en reviendra pas.Quoi donc ?

D. JUAN.

Il n’en reviendra pas. Quoi donc ? Explique-toi ;
Parle.

D. FÉLIX.

Parle.Je ne ſçaurois, je ſuis tout hors de moi.



Scène XII.

Tous les Acteurs, excepté D. André.
ISABELLE.

QUel deſordre ? quel bruit ?

LÉONOR.

Quel deſordre ? quel bruit ? D. Juan & mon pere !

D. FÉLIX.

Ma fille en ce quartier ! qu’eſt-ce qu’elle y vient faire ?

D. GARCIE.

Mon Rival !

D. JUAN.

Mon Rival !Par quel ſort nous trouver tous ici !

FABRICE.

Pour être tous témoins, comme je viens de l’être,
Du juſte châtiment qui tombe ſur mon maître.
Il ſe meurt, & je puis dire ſes veritez.
Cinq ou ſix grands Coquins par ſon ordre apoſtez,
Pour tuër D. Garcie & D. Juan enſuite…

D. FÉLIX.

Ah ! quel monstre !

FABRICE.

Ah ! quel monstre !Tous gens de courage & d’élite,
Qui ne le connoiſſoient point du tout, ou fort peu,
Selon que tout à l’heure il m’en a fait l’aveu,
Ardens à le ſervir, pouſſez d’un zéle extrême,
L’ont pour un de vous deux aſſaſſiné lui-même.

ISABELLE en ſortant.

Juſte Ciel !

LÉONOR.

Juſte Ciel !Quel malheur !

D. JUAN.

Juſte Ciel ! Quel malheur !Son ſort, en verité
Me touche, D. Félix, quoiqu’il l’ait mérité.
Allons le rapeller, s’il ſe peut à la vie,
Et cédons Leonor aux vœux de D. Garcie.

D. GARCIE.

Ah ! Seigneur !

LÉONOR.

Ah ! Seigneur !Ah mon pere !

D. FÉLIX.

Ah ! Seigneur ! Ah mon pere !Admirez quel époux ;
Et quel cœur genereux j’avois choiſi pour vous.
Sans prendre mes avis vous faites choix d’un autre,
Je ſuis bon & veux bien que mon choix cede au vôtre.

D. JUAN.

De l’effort que je fais vos yeux ſont les témoins ?
Vous n’avez pû m’aimer, eſtimez-moi du moins.