La Vérité sur Fontenoy

La bibliothèque libre.
La vérité sur Fontenoy
Général Zurlinden

Revue des Deux Mondes tome 41, 1907


LA
VÉRITÉ SUR FONTENOY

La vérité historique est, presque toujours, difficile à établir. Les difficultés sont particulièrement grandes quand il s’agit de batailles : les récits des témoins sont souvent exagérés, contradictoires. Il y a des erreurs, même dans les rapports officiels, pour la désignation des lieux, pour l’indication des heures, — le temps a paru court à ceux qui ont agi, long à ceux qui ont reçu les coups sans les rendre. — Les mêmes divergences se retrouvent pour l’importance des opérations, des missions, et à plus forte raison pour les responsabilités. La tâche de l’historien consciencieux, soucieux de démêler, au milieu de tous les renseignemens recueillis, ceux auxquels il faut ajouter foi, ne laisse pas que d’être bien délicate.

Depuis quelques années, la Revue d’histoire, publiée par l’état-major de notre armée, vient très efficacement en aide à ceux qui cherchent à voir clair et juste dans notre passé militaire. Dans les études de nos campagnes, qui font l’objet de ses publications mensuelles, elle ne se borne pas à donner l’analyse ou le texte complet des décisions prises, le récit bien contrôlé des événemens, des actions ; elle émet aussi des appréciations, parfois des critiques, qui sont toujours fondées sur des documens sévèrement contrôlés, — qu’ils soient tirés de nos archives officielles, de nos bibliothèques et de celles de l’étranger, ou des collections privées. — En outre, suivant en cela l’exemple donné pour la première fois par le commandant Foucard, à propos d’Iéna, elle a toujours soin de faire suivre son étude des documens mêmes, qui ont servi à l’établir, et qu’elle publie in extenso ; de sorte que chacun peut se former sa propre opinion et contrôler ainsi celle du rédacteur anonyme de la Revue d’histoire.

La grande opération actuelle de cette Revue est l’étude approfondie de la guerre de 1870-1871. Parallèlement à cette étude, ou auparavant, elle a déjà publié bien d’autres travaux d’une réelle importance, d’un intérêt sérieux sur la plupart des campagnes de la Révolution et de l’Empire. Elle s’est occupée aussi de quelques guerres précédentes. En ce qui concerne le maréchal de Saxe, elle en est arrivée à la campagne de 1745 ; et tout récemment, elle vient de terminer l’étude de la glorieuse journée de Fontenoy.

La bataille de Fontenoy a eu en France, et dans le monde entier, un retentissement considérable. C’est un des plus brillans fleurons de notre histoire. Elle a donné lieu à bien des discussions, à bien des appréciations contradictoires. Il m’a semblé qu’il serait intéressant de comparer la version de la Revue d’histoire à quelques-unes des autres versions connues sur cette mémorable journée.


I

La version classique peut être résumée ainsi :

Au printemps de 1745, le maréchal de Saxe assiégeait Tournai avec 90 000 hommes. Il y avait été rejoint par le roi Louis XV. Le chef de l’armée alliée, le duc de Cumberland, marcha au secours de Tournai avec 60 000 Anglais, Hanovriens, Hollandais. Sans interrompre le siège, le maréchal de Saxe se porta au-devant des alliés, sur la rive droite de l’Escaut, et prit position à quelques kilomètres de Tournai, près de Fontenoy, son centre à ce village, sa droite à Antoing, sa gauche à la corne du bois de Barry.

Les deux villages d’Antoing et de Fontenoy furent solidement fortifiés, bien garnis d’infanterie et d’artillerie. Antoing fut même protégé par une grande batterie établie sur la rive gauche de l’Escaut. La corne du bois de Barry fut renforcée par deux redoutes. A gauche et en arrière de ce bois, des troupes furent échelonnées pour empêcher les alliés de nous tourner de ce côté. Une trouée de 800 mètres séparait Fontenoy du bois de Barry. Derrière cette trouée se tenait notre infanterie sur deux lignes ; plus en arrière, la cavalerie sur deux lignes aussi, et enfin la Maison du Roi.

La bataille commença le 11 mai de grand matin. Les Hollandais attaquèrent Antoing et Fontenoy, mais mollement ; ils furent repoussés. Il en fut de même pour l’attaque des Anglais contre le bois de Barry.

Alors, masqués par le terrain, les bataillons anglais se formèrent en masse face à la trouée et y pénétrèrent. Débordant Fontenoy, ils repoussèrent en désordre nos troupes d’infanterie. Notre cavalerie intervint, fit plusieurs charges qui ralentirent, arrêtèrent les Anglais, mais sans les rompre.

L’armée française paraissait perdue. Il ne restait en réserve que la Maison du Roi et quatre canons. Sur les conseils d’un officier, les quatre canons furent amenés et pointés sur la tête de la colonne anglaise. La Maison du Roi, entraînée par le duc de Richelieu, se lança vaillamment à la charge, pendant que l’infanterie recommençait ses attaques en ordre et de concert. En quelques minutes, la formidable colonne anglaise fut ouverte et céda le terrain. La bataille était gagnée.


II

Voltaire a décrit la bataille de Fontenoy, dans le chapitre XV de son Siècle de Louis XV. Il s’est attaché à diminuer, à rapetisser le rôle du maréchal de Saxe, pour exalter celui du duc de Richelieu. Sa version a contribué à fausser les idées, d’autant plus facilement qu’elle renferme, à côté d’exagérations, plusieurs anecdotes intéressantes, attachantes, glorieuses même, et exactes.

Dès le début, Voltaire insiste sur l’état de santé déplorable du maréchal de Saxe : il était consumé d’une maladie de langueur et presque mourant. Voltaire le croisa au moment où il allait partir pour l’armée, et lui demanda comment il pourrait faire dans cet état de faiblesse. « Il ne s’agit pas de vivre, lui répondit le maréchal, mais de partir… »

La bataille commença à six heures du matin. On se canonna violemment de part et d’autre.

Le maréchal de Noailles se trouvait alors près de Fontenoy ; il était venu rendre compte d’un ouvrage au maréchal de Saxe. Il rencontra son neveu, le duc de Gramont, colonel des gardes françaises, et l’embrassa. Puis ils se séparèrent pour retourner l’un auprès du Roi, l’autre à son poste, lorsqu’un boulet de canon vint frapper le duc de Gramont. Il fut la première victime de la journée…

Les Anglais attaquèrent trois fois Fontenoy ; les Hollandais deux fois Antoing. Le major-général anglais Ingoldsby chercha, inutilement aussi, à pénétrer dans le bois de Barry, dont il fut repoussé par des partisans appelés « Grassins », du nom de celui qui les avait formés.

Le duc de Cumberland se décida alors à passer entre ce bois et Fontenoy. Les bataillons anglais s’avancèrent en trois lignes profondes, traînant à bras leurs canons. A leur tête étaient le régiment des gardes anglaises et le Royal-Ecossais. Plusieurs de leurs officiers appartenaient aux meilleures familles de l’Angleterre. Quand ils se trouvèrent face à face avec les gardes françaises, ils saluèrent en ôtant leurs chapeaux. Le comte de Chabanes, le duc de Biron qui s’étaient avancés, et tous les officiers des gardes-françaises leur rendirent leur salut.

Milord Charles Hay, capitaine aux gardes anglaises, cria : « Messieurs des gardes-françaises, tirez ! » Le comte d’Auteroche, lieutenant de grenadiers, leur dit à voix haute : « Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers. Tirez vous-mêmes. »

Les Anglais firent un feu roulant. Leurs décharges successives, meurtrières, mirent en déroute les gardes-françaises, et leurs voisins les gardes suisses. D’autres troupes d’infanterie intervinrent inutilement. Par ordre du maréchal de Saxe, la cavalerie du comte d’Estrées se précipita sur les Anglais.

Le maréchal était là au milieu du feu, à cheval, dans le dernier épuisement. Il n’avait pas de cuirasse, et était protégé par « un bouclier de plusieurs doubles de taffetas piqué, qui reposait sur l’arçon de sa selle. »

Les Anglais continuaient à s’avancer et ne formaient plus qu’un seul corps… Le maréchal jeta son bouclier et courut faire avancer la deuxième ligne de cavalerie. Quelques régimens d’infanterie vinrent affronter la colonne « par les ordres seuls de leurs commandans. » Le maréchal en vit un, dont les rangs entiers tombaient, et qui ne se dérangeait pas. On lui dit que c’était le régiment des Vaisseaux. « Comment se peut-il, s’écria-t-il, que de telles troupes ne soient pas victorieuses ! »

Tout en songeant à faire un effort plus plein contre les Anglais, le maréchal de Saxe fit conjurer le Roi de se retirer. Il donna aussi l’ordre de faire évacuer Antoing par le régiment de Piémont. La bataille paraissait perdue. Autour du Roi, se tenait un conseil tumultueux. On le pressait de la part du général, et au nom de la France, de ne pas s’exposer davantage.

Alors intervint le duc de Richelieu. Ayant couru de tous côtés autour de la colonne anglaise, il se présenta hors d’haleine, couvert de poussière, l’épée à la main. « La bataille est gagnée, dit-il, si l’on fait avancer quatre canons contre le front de la colonne ; pendant que cette artillerie l’ébranlera, la Maison du Roi et les autres troupes l’entoureront… Il faut tomber sur elle comme des fourrageurs. »

Le Roi se rendit le premier à cette idée. Vingt personnes se détachèrent pour la faire exécuter. Les canons furent pointés. La Maison du Roi se précipita.

Apprenant la résolution du Roi, le maréchal décommanda l’évacuation d’Antoing ; et, malgré sa faiblesse, il se porta rapidement de la droite à la gauche, vers les Irlandais, « recommandant à toutes les troupes qu’il rencontra de ne plus faire de fausses charges et d’agir de concert… »

Et Voltaire termine en rappelant qu’attaqués de toutes parts, les bataillons anglais furent ouverts en sept ou huit minutes, et cédèrent le terrain sans tumulte, sans confusion. Ils furent vaincus avec honneur…

Quoique ce récit ait servi à former l’opinion générale sur la bataille de Fontenoy, il n’en a pas moins soulevé bien des critiques, bien des réclamations de la part des contemporains de Voltaire. On en trouve l’écho dans la Correspondance littéraire du baron de Grimm qui, à cette époque-là, séjourna longtemps à Paris, à divers titres, et en dernier lieu comme ministre plénipotentiaire de Saxe-Gotha.

Grimm s’indigne de voir Voltaire « glisser sur les monumens de gloire que le maréchal de Saxe s’est élevés, et enlever à ce héros le mérite de la victoire de Fontenoy, pour le donner tout entier au duc de Richelieu… M. de Richelieu s’inscrit en faux contre tout ce que son panégyriste lui fait dire ; il le répète dans tous les salons de Paris, et n’a certainement rien de mieux à faire. Tout le monde sait que le maréchal de Saxe, quoique mourant, conduisit seul cette affaire… Le discours que M. de Voltaire fait tenir au duc de Richelieu, et qui décida du succès de la journée, est un tissu d’impertinences qui ne seraient pas vraisemblables dans la bouche d’un homme qui en serait à sa première campagne. Ce qu’il y a d’admirable dans tout cela c’est qu’on perd de vue le maréchal pendant ce temps-là, comme s’il ne s’était pas trouvé à la bataille… On ne relève pas de pareilles infidélités sans mettre tout le sang en mouvement ; et ce récit est le coup le plus sensible que M. de Voltaire ait pu porter à sa réputation. »

La Revue d’histoire, à laquelle j’emprunte cette citation[1], ajoute que la vérité paraît avoir été dite par le duc de Luynes dans ses Mémoires : « Quoique M. de Richelieu ait bien fait dans la bataille, on trouve que Voltaire en a trop dit sur lui, et ceux à qui le succès de cette grande journée est véritablement dû ont paru blessés de ces louanges excessives. »


III

Le duc de Broglie nous a donné, en 1887, dans la Revue des Deux Mondes[2], puis dans son beau livre Marie-Thérèse impératrice, paru en 1890, un admirable récit de la bataille de Fontenoy.

Il y insiste sur le caractère, la situation du maréchal de Saxe, sur les grands services qu’il avait rendus au roi Louis XV, pendant l’hiver de 1744 à 1745 : « Laissé seul[3]à la tête d’une armée réduite, en quelque sorte en l’air sur le territoire étranger, et sans aucune réserve pour le soutenir en cas d’échec, le maréchal avait su maintenir son terrain par une campagne défensive dont la prudence et la vigueur enlevaient, dit avec raison un document contemporain, l’admiration de toute l’Europe. »

L’étonnement se mêlait à ce sentiment, ajoute le duc de Broglie ; car jusqu’alors Maurice de Saxe avait passé plutôt pour un merveilleux batailleur, toujours prêt à tout risquer et sans prévision pour le lendemain. Et le voilà tout à coup qui se révèle, dans l’épreuve redoutable du haut commandement, comme un chef prudent, prévoyant, sachant assurer le service avec une autorité régulière et paternelle, sachant choisir magistralement ses positions pour résister à toutes les entreprises de l’ennemi, pour l’user, le lasser, et le forcer de bonne heure à renoncer à toute opération pour l’hiver.

La postérité est moins surprise ; car elle connaît la belle œuvre posthume du maréchal de Saxe, devenue classique, Mes Rêveries, dans laquelle il apporte, avec une véritable hauteur de vue, son contingent aux règles de l’art militaire, malheureusement « couvertes de ténèbres, » parce que ceux qui les ont pratiquées d’instinct, n’ont pas pris soin, comme lui, de les écrire.

Ce qui est étonnant, c’est que Mes Rêveries aient été écrites en 1732, à une époque où Maurice de Saxe n’était encore « qu’un royal[4]officier de fortune, guerroyant pour l’amour de la vaillance comme un chef de bande du moyen âge… en quête d’aventures et de plaisirs… Et c’était au sein de cette ivresse de fêtes et de combats qu’il s’était posé à lui-même avec une curiosité savante, et qu’il avait su résoudre avec une intelligence consommée les problèmes les plus délicats de l’art militaire. »

Le duc de Broglie a bien raison. On a le droit d’être surpris de voir sortir un chef-d’œuvre de bon sens pratique, et en même temps de connaissance élevée du cœur humain, de la plume d’un homme tout au plaisir et à l’action comme Maurice de Saxe. Sa vie et son éducation militaire nous permettront peut-être de mieux le comprendre :

Maurice de Saxe a débuté dans la vie militaire à l’âge de douze ans ; il fut confié au comte de Schulembourg, qui commandait en Flandre le corps saxon dans l’armée impériale ; et il assista, sous la direction de cet officier général, au siège de cette même place de Tournai, auprès de laquelle il devait tant s’illustrer plus tard.

Dix ans après, ayant déjà guerroyé un peu partout, et notamment sous le prince Eugène, il entra au service de la France comme maréchal de camp, en 1720.

À ce moment, il s’occupa avec soin et méthode de l’instruction de ses troupes et tout particulièrement des exercices de tir. Il fit plus, dit l’un de ses biographes, Saint-René Taillandier[5]. Profitant de la paix, il travailla beaucoup, et étudia les mathématiques, la mécanique, l’art des fortifications, toutes les branches du génie militaire.

Le chevalier de Folard, avec lequel il resta très lié, le vit à cette époque. Il a écrit depuis qu’il avait trouvé dans Maurice « un des plus beaux génies de la guerre qu’il eût connus. »

Folard avait un culte pour les auteurs militaires de l’antiquité. C’était un écrivain un peu prolixe mais distingué, dont les œuvres ont eu, plus tard, l’honneur d’être résumées par Frédéric le Grand. Il a pu contribuer à donner à Maurice[6]le goût des anciens. Ce goût était, du reste, très répandu à cette époque-là. Dans l’avant-propos de ses Études militaires, le maréchal de Puységur, qui est mort deux ans avant Fontenoy, raconte qu’il avait voulu faire lui-même un traité méthodique de l’art de la guerre, à un âge où il avait déjà de l’expérience. « On lui conseilla de lire les Grecs et les Romains ; il fut très étonné d’y trouver les idées qu’il avait eu tant de peine à se former par la pratique. »

Et en effet, ils étaient et sont restés bien intéressans, bien instructifs ces vieux auteurs militaires, Xénophon, Végèce, Onosander… Ils ont attiré l’attention des grands capitaines de toutes les époques et ils peuvent être, encore aujourd’hui, étudiés utilement. L’esprit de l’homme ne se transforme que lentement. Les cœurs qui battaient à Marathon, à Mantinée, comme à Cannes, à Zama, comme à Fontenoy et à Austerlitz, se ressemblent à s’y méprendre.

Sont-ce ces vieux auteurs qui ont inspiré Maurice de Saxe ? Est-ce Onosander dont il portait toujours sur lui, dit-on, dans sa jeunesse, la Science du chef d’armée ? Avait-il pris des notes en les étudiant en 1720 ? et a-t-il mis ces notes au clair pour écrire Mes Rêveries en 1732, pendant les loisirs d’une convalescence ? Ce n’est pas impossible.

Ce qui est également surprenant, ajoute le duc de Broglie, c’est le style même des Rêveries ; car Maurice de Saxe est « demeure toute sa vie si ignorant des élémens mêmes de notre langue qu’il n’a jamais pu écrire deux mots sans les défigurer par une orthographe vraiment fantastique… »

J’ai retrouvé dans une édition des œuvres de Voltaire, de 1825, une note de l’éditeur Clogenson, rappelant qu’on avait offert néanmoins un siège à l’Académie à Maurice de Saxe. « Etonné d’un tel honneur, il écrivit dans une lettre : « Ils veule[7]me fere de la Cadémie, sela miret comme une bage a un chas. »

Si cette orthographe est vraie, n’est-elle pas d’une originalité que le maréchal a exagérée volontairement et à plaisir, ayant mieux aimé paraître tout à fait ignorant qu’à moitié savant ?

Quoi qu’il en soit, les services rendus en Flandre par le maréchal de Saxe avaient été tels que le commandement de l’armée de Flandre, pour la campagne qui allait s’ouvrir en 1745, devait lui revenir. Louis XV n’hésita pas à lui donner ce commandement, et annonça qu’il l’accompagnerait à l’armée.

Jamais entrée de campagne ne s’ouvrit plus gaiement, dit le duc de Broglie, à la cour, à la ville, à l’armée. Elle ressemblait à une partie de plaisir : « La suite[8]répondant à de si heureux présages devait conserver jusqu’au bout la même apparence ; et malgré beaucoup de sang versé et les plus sérieux faits d’armes, le souvenir de cette brillante année 1745 retentit encore à travers l’histoire comme une joyeuse fanfare. »

Le rendez-vous des officiers supérieurs chargés d’un commandement était Valenciennes. Maurice y arriva le 15 avril, en compagnie, dit un auteur allemand, de femmes d’une société douteuse. Dès le 18, on fut obligé de lui pratiquer une ponction qui donna cinq pintes d’eau.

Tournai fut rapidement investi, à la grande surprise des alliés. Le commandement de leur armée venait d’être donné, sur la demande des Anglais, au fils du roi George, à peine âgé de vingt-deux ans, le duc de Cumberland qui s’était déjà distingué à Dettingen. Le jeune généralissime était plein d’assurance : il comptait bien, après avoir battu les Français sur l’Escaut, pendant que l’autre armée alliée battrait Conti sur le Rhin, marcher droit sur Paris : « J’y serai[9], disait-il, ou je mangerai mes bottes. »

Louis XV rejoignit l’armée le 8 mai, à Tournai, dont le maréchal de Saxe avait commencé le siège. Il visita aussitôt les tranchées, quoique le maréchal eût porté le gros de ses forces sur la route de Mons, pour y attendre le duc de Cumberland, tout en continuant le siège.

Ces dispositions étaient vivement critiquées par l’entourage du Roi et même par celui de Maurice. On prétendait que le maréchal « baissait. » On le montrait obligé de cesser de monter à cheval, et se faisant traîner dans une petite voiture d’osier[10], « ridiculement affublé d’un justaucorps de taffetas matelassé, qui lui tenait lieu de cuirasse. »

Les explications du général en chef ne tardèrent pas à rassurer le Roi, à lui montrer que les mesures prises étaient bien conformes à la situation, et à le convaincre que le mal du maréchal n’influait pas sur sa tête. Profitant d’un moment où il était entouré de groupes nombreux et bruyans, il dit à haute voix : « Monsieur le maréchal[11], en vous confiant le commandement démon armée, j’entends que tout le monde vous obéisse ; et je suis ici pour en donner l’exemple. »

Pendant la soirée qui précéda la bataille, le Roi frappa son entourage par sa gaieté. Au dire du marquis d’Argenson, il chanta même plusieurs couplets. Le maréchal passa la nuit devant le camp, dans sa voiture d’osier, donnant ses derniers ordres.


IV

Pendant la bataille, continue le duc de Broglie, le Roi se porta à la Chapelle de Notre-Dame-aux-Bois, sur une éminence surmontée d’un moulin à vent. Tout autour stationnaient sa Maison, les carabiniers et les gendarmes. Il était plein d’entrain. « Jamais[12], disait-il, depuis Poitiers, un roi de France n’a regardé les Anglais en face ; il faut espérer que cette fois tout se passera mieux. »

Au moment où se déroula la première phase de la bataille, l’attaque infructueuse des Hollandais contre Antoing, le Roi et le Dauphin s’avancèrent pour mieux suivre la lutte. Ils entendirent siffler les balles et virent un boulet mourir auprès d’eux.

Le maréchal de Saxe était sur les lieux. Comme on le félicitait, il répondit : « Doucement[13], messieurs, tout n’est pas dit. Allons maintenant aux Anglais ; ils seront de plus dure digestion. »

De fait, l’attaque contre Fontenoy fut vigoureusement poussée par trois fois, et n’échoua que devant la solidité de nos troupes et la précision de leur tir.

Le maréchal de Saxe surveillait l’opération. Il était accompagné par le maréchal de Noailles, qui, malgré sa supériorité d’âge et d’ancienneté, donna, ce jour-là, un bel exemple de désintéressement, en se faisant l’auxiliaire, le subordonné de son ancien lieutenant, dont du reste il fut couvert de prévenances.

C’est au moment où les maréchaux se séparaient, et où le maréchal de Noailles venait d’embrasser son neveu le duc de Gramont, qu’un boulet vint frapper le cheval du duc qui s’abattit : « Prenez garde, monsieur, lui dit un officier qui le suivait, votre cheval est tué. — Et moi aussi[14], monsieur, » répondit le jeune duc. Il avait la cuisse fracassée.

Quelques instans après, le maréchal de Saxe vit tomber son meilleur ami, le compagnon de toutes ses campagnes, M. du Brocard, commandant en chef de l’artillerie.

L’attaque des Écossais contre le bois de Barry fut mollement menée. Etonné par les « Grassins, » qui se dressèrent brusquement devant lui, lord Ingoldsby s’arrêta, demanda du secours, et se conduisit si timidement, qu’après la guerre on lui demanda compte de ses actes devant un conseil de guerre.

Il était huit heures du matin. Les dispositions prises par le maréchal avaient donné plein succès. Alors, le duc de Cumberland prit une résolution tellement hardie, déclare le duc de Broglie, que le maréchal n’avait pas songé à s’en garer : celle de s’avancer entre les positions fortifiées du bois de Barry et de Fontenoy.

Si la conception était d’une hardiesse téméraire, l’exécution fut admirable : trois colonnes serrées juxtaposées s’avancèrent sur des pentes escarpées, au milieu de ravins, de coupures, d’obstacles de toutes espèces ; elles traînaient leur artillerie à bras, car le terrain était impraticable aux chevaux… Des files entières tombèrent sous les boulets français ; mais rien n’arrêta les valeureuses colonnes qui apparurent bientôt au sommet de la crête…

Le duc de Broglie nous rappelle ici l’épisode émouvant des gardes-françaises si bien raconté par Voltaire ; il continue en nous montrant que, tout en s’avançant énergiquement, les troupes anglaises s’'taient resserrées et formaient une masse compacte. Il cite même sur cette formation l’explication donnée par le roi Frédéric, dans l’Histoire de mon temps[15] : « Sous le feu croisé du village et des redoutes, les flancs de la troupe anglaise souffrirent et se retirèrent : son centre, qui en souffrit moins, continuait à s’avancer, et comme ses ailes se repliaient en arrière, son corps prit une forme triangulaire, qui par la continuation du mouvement du centre et par la confusion se changea en colonne… »

Attaquée de toutes parts, avec vaillance, par les régimens français, mais sans ensemble, la lourde colonne anglaise s’avançait lentement, imperturbablement, vomissant le feu de tous les côtés à la fois…

Avant tout, il importait pour le maréchal de Saxe de gagner du temps, afin de remettre de l’ordre dans les troupes et de recommencer l’attaque de cette masse inébranlable. La cavalerie, tenue en réserve jusque-là, remplirait ce rôle. Mais, auparavant, il fallait mettre le Roi en sûreté. Le maréchal le fit prier de repasser l’Escaut, en l’assurant qu’il penserait à tout. Le Roi répondit : « Je ne doute pas qu’il fasse ce qu’il faudra ; mais je reste où je suis. »

Le maréchal n’insista pas. Il monta à cheval lui-même et donna le signal destiné à ébranler la cavalerie. Alors les charges succédèrent aux charges avec une merveilleuse intrépidité. Plusieurs escadrons revinrent, tout meurtris, huit fois à l’attaque. Hélas ! un seul réussit à aborder les Anglais : il était commandé par le marquis de Vignacourt et pénétra dans les lignes anglaises ; il n’avait plus alors que 14 hommes vivans ; dix furent faits prisonniers ; le marquis tomba percé de deux coups de baïonnette.

Néanmoins ces vaillans efforts embarrassèrent, ralentirent la colonne anglaise, mais sans diminuer son feu, sans atteindre son énergie. La situation restait grave.

On le sentit autour du Roi. Des instances très vives furent faites pour le décider à se retirer. Mais cette fois le maréchal s’y opposa. « Quel est le[16]j… f…, s’écria-t-il à haute voix, qui donne un pareil conseil. J’en étais d’avis tout à l’heure ; maintenant il est trop tard. »

À ce moment, arriva à bride abattue le duc de Richelieu, l’épée à la main, les cheveux au vent, le visage enflammé. « La bataille est gagnée, s’écria-t-il, si on le veut. » Et il expliqua que sur notre gauche les Irlandais, soutenus par d’autres régimens, avaient rétabli le combat. « Qu’on en fasse autant sur notre droite, et nous réussirons à rompre la colonne ! »

L’entrain du duc de Richelieu ranima la confiance. On courut chercher quatre pièces de canon, postées près du pont de Calonne, pour assurer la retraite. Le Roi donna au duc de Richelieu l’ordre de faire avancer les escadrons de sa Maison. Ce fut un élan général sans qu’on sache bien qui en donna le signal.

Jamais, s’écrie le duc de Broglie, ce qu’on a appelé la furie française n’a mieux mérité ce nom. Non qu’ils se précipitassent, comme le dit Voltaire, pêle-mêle, en essaim de fourrageurs. « L’ordonnance, commandée sur place[17]par le maréchal, était au contraire si bien conçue que la rapidité du mouvement n’en dérangea pas le concert. Infanterie et cavalerie se murent cette fois ensemble, unies sans être mêlées, et en se prêtant un mutuel appui. »

La Maison du Roi donna la première, « jalouse[18]de ce qu’on ne lui eût encore rien dit. » Puis partirent les carabiniers, le maréchal à leur tête, et les cuirassiers de Lowendal. A gauche, à droite, notre infanterie avait repris énergiquement le combat, pendant qu’au centre du cercle, les quatre canons, par leurs décharges répétées, atteignaient l’axe de la colonne et la disloquaient.

« Le maréchal de Saxe, — écrit d’Espagnac, qui faisait partie de son état-major, — avait commandé que la cavalerie touchât les Anglais avec le poitrail des chevaux. Il fut bien obéi. Les officiers de la Chambre chargèrent pêle-mêle avec la garde et les mousquetaires ; les pages du Roi y étaient l’arme à la main… il y eut un accord si parfait des efforts de la cavalerie le sabre à la main, et de l’infanterie la baïonnette au bout du fusil, que la colonne fut foudroyée… »

Les débris de l’héroïque phalange se retirèrent à pas lents.

J’ai insisté un peu longuement sur cette belle version du duc de Broglie, parce qu’elle me paraît tracer de main de maître la physionomie générale de notre vaillante armée de 1745, et qu’elle fait bien ressortir l’entrain et le dévouement des combattans. Elle réagit aussi contre les exagérations de Voltaire, et laisse entrevoir, pendant toute l’action, l’influence directrice du général en chef, du maréchal de Saxe, dont elle met en relief le talent et la haute valeur.

Et néanmoins, dans ses dernières et éloquentes réflexions sur cette glorieuse journée, le duc de Broglie constate que « ce qui la caractérise[19], c’est moins le mérite du commandement (quelque justice qu’il faille lui rendre) que l’ardeur incomparable et presque joyeuse de la troupe qui fut sous ses ordres. C’est moins le général, que l’armée, qui a été immortalisée par ce qu’on peut appeler la légende de Fontenoy. Ce qui survit dans la mémoire populaire, ce ne sont pas les manœuvres savantes qui, de part et d’autre, ont assuré ou disputé la victoire ; ce sont les charges de cavalerie venant se briser, huit heures durant, contre une muraille vivante ; ce sont ces dialogues d’homme à homme, et ces prises de corps à corps, qui semblent des pages détachées d’un roman de chevalerie… »

« Oui, c’était un beau jour, le dernier de l’ancienne France. Elle était là tout entière, resplendissant de tous les joyaux de sa couronne… »

Et le duc de Broglie termine en rappelant « la grâce qui parait alors le front de la France d’une beauté si originale ; cette élégance qui n’ôtait rien à sa force ; cette finesse délicate des mains qui maniaient si légèrement l’épée ; ce clairon des batailles, entraînant comme la musique d’une fête ; cette gaieté qui souriait jusque dans la mort ; tout cet éclat qui charmait le monde et séduit encore l’histoire… »


V

Dans une très intéressante brochure[20], parue en 1904, et intitulée la Bataille de Fontenoy, un ancien professeur de Lille, M. A. Butin, constate qu’en 1902, M. Frank Sullivan de San Francisco a fait dresser, sur une des faces du nouveau cimetière de Fontenoy, une plaque de marbre blanc, marquée aux armes d’Irlande, et portant, en anglais et en français, l’inscription suivante :


A LA MÉMOIRE DES HÉROÏQUES SOLDATS IRLANDAIS
QUI CHANGÈRENT UNE DÉFAITE EN VICTOIRE, A FONTENOY, LE 11 MAI 1745.
DIEU SAUVE L’IRLANDE !


M. Butin croit devoir mettre en garde contre la conclusion qui pourrait être tirée de cette inscription. Tout en se conduisant vaillamment, très vaillamment, à Fontenoy, comme sur tant d’autres champs de bataille, la brigade irlandaise n’a pas rétabli et terminé, à elle seule, la bataille, comme paraît le croire M. Frank Sullivan.

Pour le montrer, M. Butin s’appuie sur la plupart des études parues sur Fontenoy, et tout particulièrement sur l’œuvre du duc de Broglie, dont je viens d’essayer de rappeler le charme et l’autorité.

Le duc de Broglie cite bien la lettre que le comte de Lowendal, le chef de la brigade irlandaise pendant la charge finale, écrivit à sa femme le soir de la bataille :

« Je suis jaloux, ma chère Isabelska, du Roi mon maître, de ce qu’il a pu écrire à sa femme sur un tambour, en plein champ de bataille, de la victoire que nous venons de remporter sur les ennemis. Je ne le fais qu’au retour dans ma cellule. Le bon Dieu te conserve ton Waldemar, mais que ne lui dois-je pas ? La bataille était perdue, tout le monde fuyait, le bon Dieu m’a inspiré de me mettre à la tête de la brigade irlandaise et des gardes françaises que j’avais ralliés : nous avons pris l’ennemi en flanc ; je le renverse, le pousse au-delà du champ de bataille. Le Roi et le Dauphin m’ont comblé de distinction sur le champ de bataille. Je remercie la main de Dieu ; je voudrais me rendre plus digne de ma chère Isabelska. J’embrasse les enfans.

« P.-S. — Ne vante pas ce que mon devoir m’a fait faire, attends que les autres le disent. »

Au-dessous, il y avait un dernier post-scriptum, de la main du secrétaire du comte de Lowendal :

« M. le maréchal a dit hautement que le Roi devait cette victoire au comte de Lowendal et à la brigade des Irlandais ; ce sont ses propres termes. »

M. Butin ne pense pas qu’en citant cette lettre, le duc de Broglie ait jamais cru que le succès final de Fontenoy pût être attribué exclusivement aux Irlandais. Il est facile, dit-il, de discerner, dans la relation du duc, les dévouemens qui, en se prodiguant, ont donné le temps à l’infanterie de se ressaisir, aux réserves d’entrer en ligne, à tous de finir la journée par un superbe et victorieux élan : ce sont nos vaillans escadrons qu’on voit s’ébranler, charger, mourir pour occuper, harceler, retarder l’ennemi jusqu’à ce que l’infanterie puisse intervenir.

Pour bien mettre en relief ce rôle brillant et décisif de notre cavalerie, M. Butin donne une description claire, circonstanciée de la bataille, nous faisant assister aux préparatifs, aux péripéties du début de la journée, à la formation et à la marche des Anglais pénétrant, comme un coin formidable, au milieu de notre infanterie rompue, démoralisée…

Que restait-il à faire aux Anglais pour fixer la victoire ? « A manœuvrer, » répond Frédéric le Grand, dans l’Histoire de mon temps.

A faire agir la cavalerie, déclare M. Butin : notre infanterie était mûre pour être chargée. Les escadrons anglais l’auraient achevée. Mais ces escadrons n’étaient pas en présence. Le duc de Cumberland les avait arrêtés, estimant que le terrain ne permettrait pas à la cavalerie de suivre l’infanterie.

La cavalerie française était là, heureusement. Le maréchal de Saxe courut à elle, et fit charger la première ligue. Nos vaillans régimens, — M. Butin donne tous leurs noms, depuis Royal-Roussillon, Royal-Cravattes… jusqu’à Clermont, régiment du Roi, Dragons d’Egmont, — s’ébranlent par escadrons qui se succèdent, se soutiennent et s’échelonnent.

Les premières charges sont menées avec entrain, avec fureur. Elles échouent sous les décharges effroyables des Anglais. Mais elles n’en sont pas moins renouvelées pendant plusieurs heures, sans que rien puisse amoindrir l’âme et briser l’élan de ces troupes. Ces superbes escadrons n’ont pas seulement conquis la gloire, et démontré une fois de plus que la cavalerie est « l’arme de l’audace, de l’enthousiasme, de la folie du sacrifice. » Ils ont rétabli le combat, et fait rentrer, déclare M. Butin, la vigueur et la vie dans l’âme de l’infanterie.

C’est grâce à la cavalerie que les Irlandais, Royal-Vaisseaux et plus tard Normandie — « un des six vieux » — purent reprendre l’attaque ; que le maréchal de Saxe put réagir contre la démoralisation de l’entourage du Roi ; que le duc de Richelieu put intervenir ; que l’assaut put être donné d’ensemble, à gauche, par l’infanterie du comte de Lowendal, à droite, par celle du duc de Biron, en tête, par la Maison du Roi.

« L’infanterie s’est faite l’auxiliaire de la cavalerie. Et quelle cavalerie ! gendarmes de la garde, carabiniers, chevau-légers, mousquetaires, gardes du corps, grenadiers à cheval, chargeant avec cette crânerie, ce mépris de la mort, qui avaient marqué leurs débuts à Steinkerque et à Neerwinden. »

C’est à cette cavalerie que M. Butin a voulu contribuer à faire rendre justice, à ces vaillans escadrons qui « ont servi de trait d’union de la mort entre les angoisses de la bataille compromise et l’ivresse de la victoire. » Pour accentuer son hommage, il s’est adressé au premier cavalier de notre temps, au général de Galliffet, en lui demandant « de faire tête de colonne » à son ouvrage. Il en a reçu la réponse suivante, qu’il a insérée en préface de sa brochure :

« Merci de l’envoi de votre très intéressant article. Disposez de moi, mon cher camarade.

« Honneur à l’infanterie ! à l’artillerie ! au génie ! Mais vive la cavalerie in æternum ! ! !

« Quoi que disent les gens qui ne sont pas « de cheval, » on aura toujours besoin d’EIle avant, pendant, après la bataille, et plus encore à l’heure du dernier sacrifice.

« Elle n’est ni Royale, ni Impériale, ni Républicaine, mais de France, et « au devoir » elle saura toujours sacrifier ses préférences. Croyez-moi votre dévoué !

« Général GALLIFFET. »


VI

Sont-ce nos escadrons, ou les Irlandais, ou bien les quatre canons de réserve qui ont décidé la bataille ? Devons-nous le succès à M. de Lowendal, ou au duc de Richelieu ?… La Revue d’histoire va nous fixer à cet égard, et, après le duc de Broglie, elle va achever de nous éclairer sur Fontenoy.

Le maréchal de Saxe avait fait étudier et fortifier la position plusieurs jours avant la bataille. « On lui a toujours reproché, dit la Revue d’histoire[21], d’avoir laissé incomplète la série des redoutes qui garnissaient notre front, et d’avoir oublié d’en placer entre Fontenoy et le bois de Barry. » Est-ce bien un oubli ? La Revue d’histoire ne le croit pas ; elle estime que le maréchal n’avait pas plus voulu d’une ligue d’ouvrages rapprochés que d’un retranchement continu. On peut ajouter que sa « trouée » est loin d’avoir nui à la France ; et qu’en donnant au duc de Cumberland l’idée téméraire, — quoique la bravoure des Anglais ait failli la faire réussir, — de se jeter entre le bois de Barry et Fontenoy, l’ « oubli » du maréchal a permis à nos troupes de faire une résistance et des contre-attaques à jamais glorieuses et d’infliger à l’ennemi une défaite complète, décisive.

D’autre part, la Revue d’histoire[22]regrette que le maréchal n’ait pas fait venir à temps, pour l’action, le cinquième de son infanterie : Auvergne et Touraine arrivèrent quand tout était fini. Trainel, Angoumois, Royal-Corse restèrent inutiles à deux kilomètres du champ de bataille, retenus par une consigne précise.

En réalité, le maréchal de Saxe ne disposa, sur le champ de bataille, que de 47 000 hommes[23] ; les alliés, de 51 000.

Les Français étaient supérieurs en nombre comme cavalerie ; inférieurs comme infanterie ; très inférieurs comme artillerie.

Le maréchal avait dirigé ses troupes sur les lieux plusieurs jours à l’avance ; mais il ne leur fit prendre leurs positions de combat que le 10 mai dans la soirée, lorsqu’il fut bien certain que l’ennemi était devant lui.

L’armée française bivouaqua sur ses positions dans la nuit du 10 au 11 mai. Les alliés se mirent en mouvement, le 11 mai, à deux heures du matin. Leur déploiement en face des nôtres commença à quatre heures, par le brouillard.

L’artillerie française ouvrit le feu, dès cinq heures du matin, contre les Hollandais, qui en souffrirent beaucoup. Elle ne tarda pas à être contrebattue par sept pièces de 6[24], qui réduisirent au silence nos canons de campagne à la suédoise. Les canons de nos batteries fixes continuèrent seuls à tirer. C’est dans cette canonnade que fut tué le jeune duc de Gramont.

Les Hollandais marchèrent mollement contre Antoing, et ne tardèrent pas à s’arrêter. Contre Fontenoy, leurs attaques furent renouvelées énergiquement ; mais ils ne parvinrent à enlever que les premières maisons du village. Le maréchal de Saxe envoya des renforts de ce côté ; il put dès ce moment regarder sa droite comme très solide d’Antoing à Fontenoy.

Il se porta alors vers sa gauche. C’est à M. de Bauffremont, qui le complimentait, qu’il répondit[25] : « Allons aux Anglais ; ils seront de plus dure digestion. »

Il était dix heures du matin. Le duc de Cumberland avait renoncé à s’emparer du bois de Barry. Il activa et renforça l’attaque de Fontenoy ; et, sans attendre la chute de ce point, il se décida à foncer sur notre centre avec toute l’infanterie anglaise. Cette infanterie se forma sur deux lignes épaisses, suivies probablement par une réserve. Les bataillons de 800 hommes étaient sur six rangs de profondeur. L’espace compris entré le bois et Fontenoy a dû permettre de placer de front six bataillons, formés dans cet ordre. En face d’eux, mais cachées par le terrain, se tenaient la brigade d’Aubeterre, et les gardes françaises et suisses.

La marche en avant des Anglais coïncida avec une reprise violente de l’attaque de Fontenoy, qui continua à bien résister. Les bataillons anglais marchèrent très lentement ; ils furent accueillis par un feu épouvantable de notre artillerie qui leur fit perdre beaucoup de monde. Ils firent ainsi 800 mètres, en une heure, précédés par une forte batterie ; mais sans riposter à notre tir, sans manifester la moindre hésitation, faisant preuve d’une discipline, d’un sang-froid, d’une solidité admirables.

Tout à coup, au débouché d’une ondulation du terrain, la première ligne anglaise se trouva face à face avec les gardes françaises qui venaient d’être portées en avant. Les deux troupes s’arrêtèrent.

C’est là que se place le fameux incident du salut que Voltaire a fait connaître au monde entier. La Revue d’histoire[26]estime qu’on ne peut pas mettre cet incident en doute ; car il est confirmé par la presque-unanimité des témoignages. Certaines relations sur la bataille de Fontenoy, et entre autres une lettre du temps, non signée, qui appartient à la bibliothèque de Nancy, prétendent qu’après avoir été invités à tirer les premiers les gardes ouvrirent en effet le feu. Cette assertion ne paraît pas entièrement exacte à la Revue d’histoire :

« Les uns et les autres, fidèles aux doctrines du temps[27], croyaient avoir avantage à essuyer d’abord le feu de l’ennemi. Seulement de notre côté, la discipline ne fut pas assez forte pour empêcher une tirerie ; » des coups isolés partirent sans commandement, sans effet. Les Anglais ripostèrent, au commandement de leurs officiers, par des décharges bien plus fournies, bien plus terribles. La panique se mit dans les gardes françaises. Le prince de Croy, dont les escadrons se trouvaient en arrière des gardes, vit la confusion se propager dans leurs derniers rangs, et de là gagner le premier rang. Tant il est vrai que l’homme supporte mieux le danger et les pertes dans l’action, que lorsqu’il est condamné à l’immobilité sans pouvoir rendre les coups.

Les pertes subies par les gardes françaises dans cette occasion, et relevées sur les documens officiels, ne sont pas assez fortes pour excuser leur défaillance, aux yeux de la Revue d’histoire[28]. Elle constate au contraire, d’après plusieurs témoignages sérieux, que les officiers sont restés fermes au drapeau, et qu’il en a été de même pour beaucoup d’hommes du premier rang.

Les gardes suisses lâchèrent pied après les gardes françaises.

La brigade d’Aubeterre, écrasée par le feu des Anglais, céda à son tour, mais se replia en ordre, par une conversion régulière en arrière. Elle laissa, comme témoignage de sa solidité, sur sa première position, une traînée de soldats, tombés raides morts, « dont les talons s’alignaient sur le champ de bataille. »

Sur l’ordre du maréchal, les deux lignes de cavalerie chargèrent plusieurs fois ; mais leurs efforts se brisèrent contre les bataillons anglais, pendant que notre infanterie se reformait face à l’ennemi, et ne tardait pas à agir efficacement, sur notre gauche, grâce aux Vaisseaux, aux Irlandais, aux gardes ralliés… Sur notre droite, Aubeterre tenait toujours, appuyée par d’autres brigades.

Notre feu devint même si intense que, d’après certains témoignages anglais, il y eut dans la colonne assaillante un mouvement de recul de deux ou trois cents pas, et que le duc de Cumberland dut intervenir de sa personne pour faire regagner le terrain perdu. L’infanterie anglaise formait alors une sorte de grand carré. Elle croyait au succès ; mais, incapable de se déployer, arrêtée dans son mouvement en avant, elle allait être condamnée à stationner sous le feu de nos retranchemens et de nos bataillons.

Le maréchal de Saxe avait quitté la voiture, dans laquelle la souffrance l’avait cloué dans la matinée. Il était monté à cheval, et sentait que le sang-froid et l’énergie du chef étaient plus que jamais nécessaires dans ces circonstances difficiles, mais non désespérées.

Il savait, dès ce moment[29], que des renforts approchaient ; que la brigade de Normandie allait pouvoir intervenir. Leur chef, le lieutenant général de Lowendal, un des meilleurs officiers généraux de l’armée, était déjà arrivé ; il avait jugé la situation comme le maréchal, et lui avait même dit en le saluant : « Monsieur le maréchal, voici une belle journée pour le Roi. Ces gens-là ne sauraient lui échapper. »

Songeant à utiliser les renforts amenés par Lowendal pour l’attaque décisive, sur notre gauche, le maréchal voulut en avoir d’autres sur notre droite. C’est dans ce dessein, qui paraît bien démontré à la Revue et artillerie, qu’il fit prescrire de retirer la brigade de Piémont d’Antoing, où elle était devenue inutile, depuis que les Hollandais avaient cessé leurs attaques ; mais ses ordres, mal interprétés, restèrent inexécutés.

Autour du Roi, on croyait la journée perdue ; on conseillait au Roi de se retirer ; mais le maréchal, intervenant énergiquement et même en termes très militaires, demanda qu’on le laissât faire, et qu’on ne troublât pas ses opérations.

La Revue d’histoire cite plusieurs documens du temps jugeant tous très sévèrement les courtisans qui ont donné des conseils timides, comme aussi certains acteurs de cette grande journée qui ont grossi l’importance de leurs services et se sont attribué une bonne part du succès. Il en sera toujours ainsi : chacun s’exagère sa part d’action dans le combat, d’autant plus facilement qu’il n’a généralement vu et qu’il ne connaît bien que celle-là. C’est là une des particularités du cœur humain, si persistant dans ses travers comme dans ses qualités, et sur lequel les Grecs et les Romains, et après eux le maréchal de Saxe, ont écrit de si bonnes choses.

Il y a eu ce jour-là, à Fontenoy, des bavardages comme il y en aura toujours dans les armées, à la suite des engagemens. La présence du Roi a dû certainement contribuer à délier les langues, à exalter le désir de se distinguer, même après la bataille ; mais elle a aussi surexcité les courages et les dévouemens pendant l’action même, comme le duc de Broglie l’a déjà montré, et comme la Revue d’histoire nous le fait voir à nouveau.

Elle a poussé à marcher, à se jeter, tête baissée, sur les Anglais, des hommes, des troupes qui n’avaient reçu aucun ordre du maréchal, et qui sont venus d’eux-mêmes renforcer, compléter les efforts de ceux qu’il avait pu commander directement. Tout bien considéré, il me semble que la présence du Roi fut loin de nuire au maréchal et à la France.

Pour gagner du temps, le maréchal de Saxe fit activer l’action de l’infanterie sur les flancs des Anglais, à gauche par les Vaisseaux et les Irlandais, à droite par Royal et La Couronne aidés de quelques escadrons qui s’appuyaient sur Fontenoy[30]. Au centre, il fit charger 40 escadrons, qui renouvelèrent leurs charges par trois fois. Ces efforts, un peu décousus, n’entamèrent pas l’inébranlable colonne anglaise ; mais ils l’arrêtèrent, et donnèrent au maréchal de Saxe la facilité d’organiser, de bien régler une attaque générale.

Le maréchal fut admirable de vigueur et d’activité. mécontent de la manière dont ses instructions avaient été transmises jusque-là, il alla les donner de vive voix lui-même. « Affreusement torturé par la maladie[31], pâle comme un mort, il n’en parcourut pas moins le champ de bataille, au grand galop de son cheval, seul, portant en personne ses derniers ordres pour assurer l’ensemble et le succès de la charge finale. »

A un signal qu’il donna lui-même, il fit attaquer les Anglais en tête par les carabiniers, à gauche par une forte troupe d’infanterie, qui comprenait les Irlandais, les Vaisseaux, Normandie, Eu, et deux bataillons ralliés des gardes, soutenus par quelques régimens de cavalerie.

D’autres troupes prirent vaillamment part à cette attaque, d’elles-mêmes, sans « avoir reçu d’ordres du maréchal[32] : Au centre, la Maison du Roi, entraînée par le duc de Richelieu, se jeta furieusement sur l’ennemi, avec les carabiniers. A droite, les brigades d’Aubeterre, du Roi, Royal, La Couronne, attaquèrent la colonne anglaise de flanc, face à Normandie et aux Irlandais. En ce qui concerne le duc de Richelieu, tout en trouvant excessive la version de Voltaire, la Revue d’histoire constate, d’après bien des témoignages, qu’il s’est conduit avec une confiance, une énergie, une activité rares.

L’artillerie manquait. Elle avait été enlevée ou était dépourvue de munitions. Quatre canons à la suédoise, oubliés en arrière, furent amenés, sur l’ordre du duc de Richelieu, et ouvrirent le feu sur la tête de la colonne anglaise. D’après certains témoignages probans, que cite la Revue d’histoire, ces quatre canons auraient tiré en tout sept coups. Leur rôle a donc été bien exagéré ; mais ils n’en ont pas moins été utiles, en attirant sur eux le feu de l’ennemi, et en soulageant d’autant les troupes qui se portaient à l’attaque[33].

Ce qui a fait réussir l’attaque, c’est incontestablement ; et avant tout, l’ensemble avec lequel elle a été menée, ce sont les excellentes mesures prises par le maréchal. C’est aussi la vigueur des charges poussées par la Maison du Roi et par les carabiniers ; comme l’énergie des attaques de flanc, menées par des troupes fraîches d’infanterie, — la Revue d’histoire insiste sur ce dernier point, et cite les Irlandais et Normandie.

Les Anglais laissèrent entre nos mains 40 canons, et un seul drapeau qui fut pris par un sergent irlandais. Leur déroute fut très réelle. La Revue d’histoire mentionne, à ce sujet[34], le récit du prince de Croy, qui, dans sa simplicité, lui paraît donner la note juste sur la fin de la journée :

« Je voulus charger en même temps que tout le monde ; mais ne trouvant pas de communication, et les pièces mêmes nous les barrant, cela fit que nos escadrons se mêlèrent en passant, ce qui m’obligea de les arrêter pour les remettre ; et c’est ce qui fit que nous ne trouvâmes plus de place pour charger les ennemis, qui furent culbutés dans un instant ; et nous nous trouvâmes pêle-mêle avec une grande quantité de cavalerie réunie tout en un même point, dessus des groupes d’Anglais, qui demandaient quartier avec fermeté. J’eus bien de la peine à débrouiller et à remettre nos escadrons qui avaient manqué par trop d’ardeur ; je m’y donnai bien de la peine, et, quand j’en fus venu à bout, je poussai seul au travers pour voir les ennemis qui, s’enfuyant à toutes jambes, étaient déjà dans le défilé de Vezon… »

La poursuite des Anglais par notre cavalerie fut arrêtée très tôt par le maréchal de Saxe ; trop tôt même, aux yeux de la Revue d’histoire. Elle exprime aussi le regret que les défenseurs de Fontenoy et d’Antoing n’aient pas profité de l’attaque décisive menée contre les Anglais pour pousser, de leur côté, les Hollandais qui avaient été éprouvés dans leurs derniers assauts plus encore que dans les premiers. Mais les lieutenans généraux d’Harcourt et de Clermont, qui auraient pu prendre cette décision, s’étaient laissé entraîner par leur ardeur ; et ils s’étaient joints à la Maison du Roi pour se trouver au plus fort du combat. On proposa au comte d’Eu de les remplacer et de faire charger ; il ne crut pas pouvoir donner des ordres à la cavalerie.

L’occasion fut manquée. On peut ajouter qu’elle aurait pu ne pas l’être, si, tout en intervenant personnellement, comme il l’a si bien fait pour mieux faire concorder les efforts et surexciter le courage des troupes chargées de donner aux Anglais le choc décisif, le maréchal de Saxe avait pu laisser à un chef d’état-major de confiance le soin d’organiser, et de faire partir à temps les autres attaques.

Dans le camp français, la joie de la victoire fut d’autant plus vive que la lutte avait été plus compromise, plus acharnée. Louis XV serra le maréchal de Saxe dans ses bras ; puis il parcourut les rangs de l’armée, n’oubliant pas, au milieu des acclamations des troupes, de féliciter ceux qui s’étaient plus particulièrement distingués, déclarant au comte de Lowendal, aux Irlandais, et ensuite à Normandie qu’il leur devait la victoire…

J’arrêterai là l’analyse des travaux de la Revue d’histoire sur les campagnes du maréchal de Saxe. Il me semble qu’ils confirment bien, en accentuant encore les mérites du maréchal, l’opinion inspirée par la belle étude du duc de Broglie sur la bataille de Fontenoy.

Fontenoy est une des plus belles, des plus glorieuses journées de notre histoire. On y trouve bien mises en relief toutes les admirables qualités d’ardeur, d’entrain, de dévouement chevaleresques de l’ancienne France.

Mais, pour remporter une grande victoire, il ne suffit pas de la valeur, du courage des troupes. Il faut encore et par-dessus tout les talens, la prudence, l’énergie, l’autorité du chef. A Fontenoy, le chef et l’armée furent dignes l’un de l’autre. Les relations du duc de Broglie et celles de la Revue d’histoire ne laissent subsister aucun doute à cet égard.


GENERAL ZURLINDEN.


  1. Revue d’histoire, 1905. 1er vol., p. 419.
  2. Voyez la Revue du 15 juin 1887.
  3. Marie-Thérèse impératrice, Ier vol., p. 353.
  4. Marie-Thérèse impératrice, Ier vol., p. 358.
  5. Voyez, sur Maurice de Saxe, les études de Saint-René Taillandier dans la Revue des 1er mai, 1er juin et 1er juillet 1864.
  6. La Revue d’histoire reproduit une lettre que le maréchal de Saxe a écrite au chevalier de Folard, immédiatement après Fontenoy, et qui prouve combien ils étaient restés liés.
  7. Voltaire, Siècle de Louis XV, ch. XV. Baudouin, 1825, p. 148.
  8. Marie-Thérèse, Ier vol., p. 374.
  9. Id., ibid., p. 385.
  10. Marie-Thérèse, Ier vol., p. 392.
  11. Id., ibid., p. 393.
  12. Id.. ibid.. p. 398.
  13. Marie-Thérèse, Ier vol., p. 401.
  14. Ed., ibid., p. 403.
  15. Marie-Thérèse, Ier vol., p. 413.
  16. Marie-Thérèse, Ier vol., p. 420.
  17. Id., ibid., p. 426.
  18. Le mot est du maréchal de Saxe lui-même.
  19. Marie-Thérèse, Ier vol., p. 446.
  20. La bataille de Fontenoy et l’inscription commémorative de 1902, par A. Butin, 1904. Lille ; Lefebvre-Ducrocq.
  21. Revue d’histoire, 1905, Ier vol., p. 234.
  22. Id., ibid., p. 234.
  23. Id., ibid., p. 236.
  24. Revue d’histoire, 1905, Ier vol., p. 240.
  25. Id., ibid., p. 465.
  26. Revue d’histoire, 1905, Ier vol., p. 471.
  27. Id., ibid., p. 471.
  28. Id., ibid., p. 472.
  29. Revue d’histoire, Ier vol., p. 484.
  30. Revue d’histoire, Ier vol., 1905, p. 490.
  31. Revue d’histoire, 1905, IIe vol., p. 2.
  32. Id., ibid., p. 3.
  33. Id., ibid., p. 4.
  34. Revue d’histoire, 1905, IIe vol., p. 7.