La Variation des prix dans les choses de la vie

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La Variation des prix dans les choses de la vie
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 82 (p. 935-956).
LA
VARIATION DES PRIX
DANS LES CHOSES DE LA VIE

Une des questions les plus importantes de l’économie politique est à coup sûr celle des changemens qui ont eu lieu dans Le prix des choses depuis un certain nombre d’années. Tout le monde est frappé de ces changemens, tout le monde reconnaît qu’il en coûte aujourd’hui en général beaucoup plus cher pour vivre qu’il y a vingt ans; mais on ne s’en explique pas bien les causes. Pour les uns, et c’est l’opinion la plus répandue, celle qui sert d’argument pour l’élévation des traitemens et d’excuse pour l’accroissement des budgets, la cherté est une conséquence immédiate de l’influence des mines d’or; les métaux précieux, devenant tout à coup beaucoup plus abondans, ont diminué de valeur, et le prix des choses s’est élevé en proportion. Cette explication en effet paraît toute naturelle. La production annuelle des métaux précieux, qui avant 1848 pouvait être de 450 millions, est montée, après la découverte des mines de la Californie et de l’Australie, à plus de 1 milliard. Cette situation dure depuis tantôt seize ou dix-sept ans, en prenant seulement pour point de départ l’époque où les gisemens aurifères ont commencé à être exploités sur une vaste échelle. Or, comme on a vu se déclarer en même temps l’élévation du prix de la plupart des marchandises, on a été frappé de la simultanéité des deux phénomènes, et il était difficile de ne pas mettre entre eux la relation de cause à effet. Pour quelques personnes, cette élévation des prix s’explique par des considérations économiques qui n’ont rien à démêler avec la dépréciation des métaux précieux. Il serait utile de se mettre d’accord, car, suivant la conclusion qu’on adopte, on a des perspectives toutes différentes sur le mouvement de la richesse dans le passé et sur ce qui peut arriver dans l’avenir.

Dans la plupart des cas, les peuples ont, en dehors de tout examen approfondi, des lueurs qui leur montrent la vérité; mais c’est sur des points qui les intéressent au plus haut degré, qui touchent à leur salut. Cela fait partie de cet instinct de conservation que chacun de nous tient de la nature, et qui nous avertit du danger avant même que nous ayons pu l’apercevoir. Il en est autrement des vérités scientifiques, on n’arrive à les connaître que par l’expérience et le raisonnement. Le monde a cru pendant des siècles que le soleil tournait autour de la terre et que celle-ci restait immobile; c’était le contraire qui était vrai. Il a cru encore à la magie, à la sorcellerie, et il a fallu le progrès des lumières pour dissiper ces erreurs. L’idée générale de la dépréciation des métaux précieux ne permet donc de rien conclure sur la vérité de ces vues. Seulement, quand on ne partage pas à cet égard les croyances communes, on a le devoir d’y regarder d’un peu plus près. La première chose, c’est de bien déterminer les faits. S’il ne s’agissait que de dresser le tableau de la variation des prix d’un certain nombre de marchandises dans un temps donné, de mettre à côté celui de la production des métaux précieux et d’en tirer des conclusions suivant les moyennes, la question serait vite résolue; mais ce n’est pas ici une affaire de moyennes, il faut avant tout apprécier chaque chose en particulier. Les causes qui ont influé sur le prix du blé ne sont pas celles qui ont agi sur celui d’autres denrées alimentaires ou des articles manufacturés. Il faut tenir compte encore des événemens exceptionnels qui se sont produits pendant le temps de la comparaison, guerres, mauvaises récoltes, troubles imprévus dans les relations commerciales. Il faut voir enfin quelle répartition a été faite de la production des métaux précieux, ce qui était nécessaire pour remplacer la déperdition, ce qui a été employé pour des usages autres que le monnayage, ce qui a été exporté dans des pays lointains et ce qui en est resté pour grossir le stock métallique. Ce n’est pas tout encore : la quantité de métaux précieux qu’on possède et la proportion dont elle s’accroît chaque année ne signifient rien, si on ne les rapproche des besoins auxquels ces métaux sont destinés à satisfaire. Il faut donc dresser un troisième tableau, celui du progrès de la population et du développement des affaires. Ce n’est qu’après avoir groupé tous ces élémens, après en avoir apprécié la valeur relative, qu’on est en mesure de se prononcer avec une apparence d’autorité sur les causes qui ont modifié les prix, et de dire si ces causes viennent de la dépréciation de la monnaie ou d’ailleurs.


I.

Avant d’aborder en cette étude les faits contemporains, nous devons dire un mot de ce qui a eu lieu dans le passé, et notamment après la découverte de l’Amérique en l492. Il y a bien chez les auteurs qui se sont occupés de la question quelques divergences sur la façon de mesurer la variation des prix, et même sur la quantité de métaux précieux qui ont pu être fournis à telle ou telle époque. Ce sont après tout des divergences de détail, elles n’ont aucune importance pour les données principales du problème. Ainsi on est généralement d’accord, et c’est Adam Smith qui le premier a fait cette constatation, que, dans les cent cinquante années qui ont précédé la découverte de l’Amérique, les métaux précieux, par des causes diverses, tendaient à devenir plus rares, et acquéraient plus de valeur. On suppose même que durant ce laps de temps la plus-value aurait été de moitié, c’est-à-dire que la quantité de blé qui se payait 4 onces d’argent en 1350 n’en valait plus que 2 en 1492. De l492 à 1530, jusqu’au moment où les Espagnols se rendirent maîtres à la fois du Mexique et du Pérou, la production des métaux précieux, qui consistait surtout en or, fut peu importante; elle ne changea rien à la situation, les prix continuèrent à baisser. Ils baissèrent encore après 1530 malgré une production plus considérable. Ce ne fut qu’à partir de 1545, lorsqu’on eut découvert les fameuses mines de Potosi, si riches en argent, que les prix s’arrêtèrent; mais ils ne commencèrent à s’élever sérieusement qu’après 1570. Ce n’est pas que les gisemens aient été alors plus féconds qu’auparavant. M. de Humboldt calcule au contraire que ces fameuses mines de Potosi, qui en 1545 rendaient 50 pour 100 d’argent pur sur le minerai qui était extrait, n’en rendaient plus que 20 pour 100 en 1574, et de cette dernière date à 1789 le degré de productivité, toujours selon M. de Humboldt, baissa dans la proportion de 174 à 1. Cependant on avait en 1571 trouvé des mines de mercure, on se servit des produits pour séparer l’argent plus facilement des matières auxquelles il était mêlé. Ceci, joint à d’autres améliorations et à une exploitation plus étendue, fit que le rendement total ne diminua point, qu’il augmenta plutôt; les prix commencèrent à s’en ressentir et à monter assez vite. On établit généralement que cette élévation eut lieu dans la proportion de 200 pour 100, et qu’elle atteignit son maximum vers l’an 1640, c’est-à-dire qu’il fallait à cette époque trois fois plus d’argent qu’en 1492 pour acheter la même quantité de blé. On a pris le blé pour élément de comparaison d’abord parce qu’on n’en avait pas d’autre, — il n’y a que le blé pour lequel existent des séries de prix remontant assez haut et ayant un certain caractère d’exactitude, — ensuite parce que, considérée dans un laps de plusieurs siècles, c’est la denrée qui présente le plus de fixité, non qu’on ait toujours à en produire la même quantité : il est bien évident qu’à mesure que la population s’accroît et devient plus aisée, on en consomme davantage; mais cette consommation n’est pas susceptible de s’étendre indéfiniment, elle reste toujours très limitée. On ne mange pas beaucoup plus de pain parce qu’on est plus riche, et on peut trouver dans des améliorations agricoles les moyens d’en produire davantage, de suffire aux besoins sans augmentation des frais. De là la fixité des prix. Cette fixité est sans doute troublée de temps à autre par de mauvaises récoltes, par les guerres, par des obstacles à la liberté des transactions ou des transports, par d’autres causes encore; pourtant, si on écarte les années exceptionnelles, qu’il est facile de reconnaître à l’exagération des prix en hausse ou en baisse, et qu’on établisse ensuite des moyennes sur de longues périodes, c’est encore la mesure la plus exacte pour indiquer la valeur des métaux précieux à diverses époques.

De 1570 à 1640, la production annuelle de ces métaux, consistant principalement en argent, avait été, déduction faite de l’usure et de la perte, de 70 millions de francs, et, pour la période totale de 1492 à 1640, de 6 milliards 584 millions[1]. Retranchons-en, pour perte ou pour usure, environ 1 milliard; restent nets 5 milliards 584 millions, qui sont venus s’ajouter au stock métallique que l’Europe possédait avant 1492. M. Jacob évalue ce dernier à 825 millions, et MM. Tooke et Newmarch, dans leur Histoire des prix, le portent à 1 milliard. Il se serait donc accru d’environ 600 pour 100, tandis que le prix des marchandises n’aurait monté que de 200 pour 100. Ce point est essentiel à noter pour l’appréciation des faits contemporains. A partir de 1640, où eut lieu l’apogée des prix, l’extraction des métaux précieux ne se ralentit pas, elle ne fit que s’activer. De 1640 à 1809, elle atteignit en Europe et en Amérique un total brut de 27 milliards[2], et un total net de 24 milliards 1/2, déduction faite de la perte et de l’usure. Malgré cela, on ne remarque pas de modification sensible dans les prix; quelques personnes ont pensé, il est vrai, qu’aux approches de la révolution de 1789, et pendant une période qui finit à 1809, il y eut une légère hausse, et que l’argent perdit un peu de sa valeur. C’est surtout l’opinion d’un économiste anglais contemporain, M. Jevons, qui attribue ce fait à une recrudescence dans la production des métaux précieux. Sans nier le fait en lui-même, on pourrait en contester sérieusement l’explication. La période de 1789 à 1810 a été traversée par toute espèce de calamités, par la révolution, par la guerre, par les obstacles de toute nature mis à la création et à la circulation des produits. C’était l’époque où en France le sucre valait plus de 5 francs la livre, où l’on payait le thé, le café, des prix analogues, où il n’y avait plus de bras dans les fabriques, occupés qu’ils étaient partout à porter les armes. Il n’est pas étonnant qu’il y ait eu à ce moment une hausse générale, et il n’est pas nécessaire pour l’expliquer de l’attribuer à l’influence des métaux précieux. Il se peut qu’en effet la production de ces métaux fût alors plus considérable que ne l’exigeaient les besoins du commerce; mais il s’en faisait d’autre part un tel gaspillage par la guerre, il en était tant enfoui par la crainte du pillage, qu’il est douteux qu’il y ait eu surabondance. Ce qui prouve que les prix à ce moment n’avaient rien à démêler avec la trop grande abondance de l’or et de l’argent, c’est qu’aussitôt la guerre finie, après 1815, ils baissèrent, bien que la production des mines ne se fût pas encore ralentie. Quoi qu’il en soit de cette légère divergence sur un point peu important de l’histoire, il n’en reste pas moins avéré, et c’est le fait essentiel, que de 1640 à 1789, si l’on veut, malgré une production de métaux précieux triple de la quantité qui existait au début de la période et qu’on évalue à 6 milliards 1/2, il n’y eut aucun changement dans les prix. L’hectolitre de blé se retrouve dans les années qui ont précédé 1789 à 15 et 16 francs, comme en 1640. Que s’était-il passé pour que les résultats aient été si différens avant et après 1640 ? Il s’était passé ce simple fait, que les marchés s’étaient agrandis, et que les métaux précieux avaient trouvé des débouchés qu’ils n’avaient pas auparavant. De 1492 à 1640, toute la production des mines de l’Amérique était venue se concentrer en Europe. Elle n’avait pas d’emploi ailleurs, et, comme là encore cet emploi était très restreint à cause du peu d’activité du commerce, elle ne tarda point à dépasser les besoins et à causer des perturbations sérieuses dans les prix. Cependant il est très digne de remarque que ces perturbations n’ont pas suivi l’accroissement de l’or et de l’argent, puisque cet accroissement avait été de 600 pour 100, et que la baisse des prix n’alla pas au-delà de 200 pour 100. Après 1640, le commerce et l’industrie s’étaient beaucoup développés; l’Inde et quelques parties de l’Asie étaient entrées en relations avec l’Europe; elles nous envoyaient leurs produits et prenaient en échange une part de nos métaux précieux. M. Jacob calcule que, pendant le XVIIIe siècle ou plutôt pendant cent dix ans, de 1700 à 1809, nous avons envoyé dans ces pays lointains 8 milliards 800 millions. Ajoutez à cela que l’emploi de l’or et de l’argent pour les usages industriels et surtout pour l’ornementation avait aussi beaucoup augmenté. En France, on venait de traverser le règne fastueux de Louis XIV, on assistait aux prodigalités de la régence et du règne de Louis XV; en Angleterre, on inaugurait, avec la nouvelle dynastie qui avait succédé aux Stuarts, une ère de grandeur et de prospérité. M. Jacob évalue à une somme non moins forte que celle de l’exportation vers l’Orient la quantité de métaux précieux qui furent convertis, dans la même période de cent dix ans, en articles d’ornement ou consacrés à des usages industriels; après avoir retranché encore ce qui a été perdu par le frai ou autrement, il arrive à constater que, sur les 27 milliards de la production brute, il ne restait guère que 2 milliards pour grossir le stock monétaire des pays civilisés. Mettons 4 milliards, si on trouve le premier chiffre trop faible. Cela explique comment les prix n’ont pas sensiblement varié pendant ce long laps de temps.

Ce qu’il importe encore de distinguer, c’est le rapport de la production à la quantité en réserve selon les époques. De 1546 à 1600, d’après MM. Tooke et Newmarch, la production par année est de 50 millions, et représente 2 1/2 pour 100 du stock existant. De 1600 à 1700, elle monte à 83 millions par an, et n’est plus que de 2 pour 100 de la réserve d’alors, et même de 1 1/2 pour 100, si on prend comme point de départ l’année 1640. Pendant le cours du XVIIIe siècle, avec 200 millions, elle ne représente que 1 1/4 pour 100. Enfin, quelque temps avant l’année 1848, lorsque par le concours des mines d’or de la Russie elle atteignit de 400 à 450 millions par an, elle n’égale encore que 1 1/4 pour 100 des quantités amassées déjà. Depuis le commencement du siècle, la production est évaluée à 8 ou 10 milliards, et tout le monde reconnaît qu’elle a été à peine suffisante pour faire face aux besoins; elle ne nous a pas empêchés d’éprouver de graves embarras monétaires et d’être obligés en 1847 de recourir à l’assistance de l’empereur de Russie pour une cinquantaine de millions. Il est certain aussi qu’aux environs de la révolution de février les métaux précieux avaient plutôt acquis que perdu de leur valeur. Tels sont les précédens de la question; ils serviront à faire mieux apprécier la situation présente.


II.

Quand on étudie les époques antérieures à 1848 et surtout celles qui ont précédé le commencement du siècle, on regrette de n’avoir que des renseignemens peu précis et très incomplets. On regrette par exemple que les séries de prix à consulter ne s’appliquent guère qu’à une seule denrée, le blé, bien que cette denrée, je le répète, soit le meilleur élément pour mesurer la valeur des métaux précieux. On aurait aimé à la rapprocher d’autres marchandises courantes, du taux des salaires notamment; on saurait comment à travers les siècles le progrès s’était fait dans tout ce qui touche aux besoins matériels de l’homme, quelles étaient les choses dont les prix avaient le plus baissé, celles au contraire où ils avaient toujours monté, et pour quelles raisons. On n’éprouve pas le même embarras ni les mêmes difficultés pour les études à faire à partir de 1849, depuis la découverte des nouvelles mines de la Californie et de l’Australie. Ici les documens abondent, et ils ont toute la précision désirable. On est parfaitement renseigné sur la variation des prix d’un grand nombre de marchandises, sur la quantité de métaux précieux fournis annuellement par les mines et aussi sur le progrès de la richesse publique dans le même temps. On a donc tous les élémens d’information; malheureusement le champ de l’observation est trop restreint. On peut bien, quand on a devant soi le cours des siècles, dégager les influences exceptionnelles, mettre de côté les années de mauvaise récolte, celles qui ont été troublées par la guerre, par les révolutions, établir ensuite une moyenne sur les années normales, et voir ce qui revient à l’influence des métaux précieux. Il n’en est pas de même lorsque l’examen porte sur vingt années seulement, et qu’on est en face d’une période fort agitée. S’il fallait dégager de cette période les années de mauvaise récolte, celles qui ont été traversées par la guerre, éprouvées par des excès de spéculation ou par l’effet contraire, celles encore, et c’est la situation où nous sommes depuis trois ans, qui ont eu à souffrir des inquiétudes politiques, il n’en resterait pour ainsi dire aucune dans des conditions normales. Cependant quelques économistes ont cru qu’on pouvait trouver dans les faits soumis à des influences si diverses l’indice d’une dépréciation continue des métaux précieux. M. Jevons, que nous avons déjà cité, est de ce nombre.

Il prend un certain nombre de marchandises (40) pour types, il en compare les prix de 1849 à ceux de l’époque actuelle, et, comme il trouve une différence en hausse de 18 pour 100, il en déduit que cette différence doit être attribuée à la dépréciation des métaux précieux, et qu’elle en marque le degré exact. Il y a dans cette manière de raisonner deux sources d’erreur. La première, c’est d’adopter l’année 1849 pour point de départ; cette année ne donne pas les prix d’une situation ordinaire. Dès 1853, la moyenne de ces prix sur les marchandises qui servent d’étalon à M. Jevons avait augmenté de plus de 20 pour 100 sur 1849; en 1854, l’élévation était de 30 pour 100. Dira-t-on que c’était déjà l’influence des métaux précieux qui se faisait sentir ? En 1853, il y avait quatre ans à peine que les mines de la Californie avaient été découvertes, un an tout au plus que celles de l’Australie étaient exploitées, et ces deux pays réunis avaient répandu dans le monde civilisé environ un milliard, 3 pour 100 de la quantité de numéraire qu’on possédait en 1848 ; ce n’était donc pas là ce qui pouvait avoir modifié les prix. Les métaux précieux, loin d’être alors trop abondans., étaient sensiblement au-dessous des besoins. On eut occasion de le voir par ce qui suivit. Ce fut à partir de cette époque que commencèrent à baisser dans tous les pays, particulièrement en Angleterre et en France, les encaisses métalliques qui s’étaient amassés pendant la période révolutionnaire, c’est-à-dire pendant la période d’inaction, et il fallut bientôt élever l’escompte à un chiffre qu’on n’avait pas connu depuis longtemps. On peut se souvenir même des plaintes du commerce sur la difficulté de se procurer du numéraire et des expédiens proposés pour y remédier. Ce n’était donc pas bien évidemment l’abondance des métaux précieux qui produisait alors l’élévation des prix, elle était due à une reprise sensible dans les affaires, et elle parut d’autant plus forte que tout avait été déprécié outre mesure pendant la période révolutionnaire. Il s’était produit aussi à ce moment ce qui arrive presque toujours en pareil cas, lorsque le réveil succède à une longue atonie : la spéculation s’en était mêlée et avait porté les prix à des taux exagérés. Dès l’année suivante, après la crise, les prix diminuèrent, et ils sont encore aujourd’hui au-dessous de ce qu’ils étaient il y a douze ans.

L’autre source d’erreur de l’économiste auquel nous répondons, c’est d’avoir établi des moyennes là où il n’était pas permis de le faire. Nous avons beaucoup de respect pour la statistique, nous la croyons utile à l’éclaircissement de bien des questions; encore faut-il qu’elle s’applique à des objets de même nature, obéissant aux mêmes lois et subissant les mêmes influences. C’est ce qui n’a point lieu pour les variations de prix des diverses marchandises. Ainsi, dans les tableaux qui ont servi à M. Jevons pour ses conclusions, on voit le coton brut tripler et quadrupler de valeur pendant la guerre civile d’Amérique et être encore aujourd’hui à un taux supérieur à celui des années normales, ce qui réagit nécessairement sur le prix des tissus qui en résultent. La soie est montée également à un chiffre excessif à cause de la maladie persistante de l’insecte qui la file. Enfin, sans parler des considérations générales tenant à la politique, dont on ne tient pas assez compte, il y a eu dans la période que l’on compare des abaissemens de tarifs, des facilités plus grandes accordées au commerce extérieur, qui ont exercé aussi leur influence sur les prix. Était-il possible d’établir une moyenne dans de telles conditions? Un maître des requêtes au conseil d’état, M. Bordet, dans un travail sur l’Or et l’Argent, publié en 1864, a fait le tableau de la variation des prix d’un certain nombre de marchandises de 1827 à 1852. Il les a classées par catégories et a pris pour base les documens officiels du commerce extérieur. Les chiffres qu’il donne, complétés pour les années postérieures à 1862 d’après les relevés authentiques, peuvent servir à montrer combien il faut se défier des moyennes établies sur un trop grand nombre d’objets divers. D’après ce tableau, la viande de boucherie, le gibier, la volaille, les œufs, ont subi de 1847 à 1868 une augmentation moyenne de 90 pour 100. Les comestibles végétaux, thé, café, cacao, huile d’olive, ont diminué de 40 pour 100; mais comme il y a eu sur ces denrées, en vertu de la loi du 23 mai 1 860, un abaissement de droits de 50 pour 100, l’augmentation, toute compensation faite, serait de 10 pour 100. Elle est de 50 pour 100 sur les matières premières, qui comprennent le lin teille, le coton ou la laine, la soie grège. — Sur les métaux de première fusion, tels que le cuivre brut, le plomb et le zinc, il n’y a pour ainsi dire pas de changement. — Sur les articles manufacturés au contraire, la diminution est de 33 pour 100, même en y joignant les tissus de coton, dont la matière première a éprouvé des fluctuations considérables et se paie aujourd’hui plus cher qu’en 1847. On en a distrait, par exemple, les tissus façonnés de soie. dont le prix s’est élevé de 110 à 150 francs après avoir atteint le chiffre de 275 francs en 1857.

On est frappé de l’augmentation du prix des choses, parce qu’elle s’applique surtout à celles qui tiennent à l’alimentation et à la main-d’œuvre; la vie s’est trouvée ainsi sensiblement plus chère qu’autrefois, et il n’est pas étonnant qu’on s’en préoccupe. Cette augmentation pourtant n’est pas générale. Le fait qui ressort de ce qui précède est que les résultats sont très différens suivant qu’il s’agit de telle ou telle marchandise. Les marchandises dont la production est presque illimitée, qui peuvent augmenter au fur et à mesure des besoins, dont tous les progrès de la science et de l’industrie concourent à rendre la fabrication plus économique, diminuent de valeur : les articles manufacturés se trouvent dans ce cas. Celles au contraire dont la production ne peut pas toujours suivre les besoins, surtout si les besoins augmentent rapidement, telles que la viande et certaines denrées alimentaires, subissent une hausse considérable. Il en est de même pour les matières premières, qui sont plus recherchées aussitôt que l’industrie prend plus d’activité. Les comestibles végétaux n’ont pas beaucoup varié, parce que le marché s’est agrandi autant que cela est devenu nécessaire. On ne peut pas faire venir de la viande, du beurre et des œufs de partout; la cherté et la difficulté des transports s’y opposent, tandis que pour le thé, le café, le cacao, l’huile, on peut en demander aux pays les plus lointains : les transports ne sont ni difficiles ni relativement très coûteux. C’est ce qui explique la fixité relative du prix de ces denrées. Quant aux métaux dits de première fusion, l’économie dans les procédés d’extraction et de mise en œuvre a pu contre-balancer la plus grande demande dont ils ont été l’objet, et les prix n’ont pas changé. Ce qui a beaucoup augmenté aussi, et ce dont il n’est question ni dans les tableaux de M. Jevons ni dans ceux que nous venons d’analyser, ce sont les salaires; depuis 1847, ils se sont certainement élevés de plus de 30 pour 100. Ils avaient déjà monté de 10 à 15 pour 100 dans les vingt années précédentes; la viande aussi se payait plus cher en 1847 qu’en 1827.

Si au lieu de confondre dans un même bloc des marchandises dont les variations obéissaient à des causes très diverses, si au lieu de faire une moyenne générale, ce qui est vraiment l’abus de la statistique, M. Jevons s’était donné la peine d’entrer dans les appréciations particulières, il aurait bien vile découvert la véritable cause de ces variations, il se serait expliqué pourquoi elles ont été plus grandes depuis 1848, car nous ne contestons pas que, considéré en général, le prix des marchandises ne soit aujourd’hui plus élevé qu’il y a vingt ans. Cette cause est tout simplement le progrès de la richesse publique. On ne niera pas qu’avec le progrès, avec le bien-être qui en résulte pour les populations, on consomme davantage, et comme on consomme surtout des choses qui ne se reproduisent pas à volonté, aussi vite que l’exigeraient les nouveaux besoins, des choses qui ne peuvent pas s’amasser et se garder indéfiniment, telles que les denrées alimentaires, celles-ci augmentent de prix, et d’autant plus rapidement que l’offre dépasse la demande. Il en est de même pour les salaires, qui s’élèvent en raison de l’activité industrielle et commerciale.

Quant aux articles manufacturés, dont la tendance générale est à la baisse par suite des applications scientifiques et des progrès de toute nature, cette tendance se trouve un peu ralentie par une consommation devenue plus grande; mais elle n’en persiste pas moins, et nous n’avons pas besoin de recourir aux tableaux officiels pour déclarer qu’il en coûte aujourd’hui moins cher pour se vêtir et pour se procurer certains objets d’usage habituel et même de luxe, papier, faïences, porcelaines, cristaux, qu’avant 1848. On peut également acheter à meilleur marché tous les produits qui dérivent du fer, les articles de taillanderie, de coutellerie et de quincaillerie par exemple. Enfin, loin des grandes villes et des centres industriels, on trouve encore à se loger à aussi bon compte qu’il y a vingt ans. Par conséquent il n’y a rien de changé dans les lois qui président aux variations des prix; il n’y a pas eu ce renversement des faits antérieurs que croit apercevoir M. levons. Les mêmes choses ont monté, les mêmes ont baissé; seulement les proportions ont été différentes, et, si elles se sont accentuées davantage dans le sens de la hausse depuis 1848, c’est parce que le progrès a été aussi beaucoup plus considérable; nous donnerons à cet égard des chiffres qui éclaireront très vivement la question. Pour le moment, constatons bien qu’il y a des choses encore qui ont diminué de valeur depuis 1848, d’autres qui sont restées stationnaires. Ce qui est surtout concluant contre cette prétendue dépréciation des métaux précieux, à laquelle on voudrait attribuer les variations qui ont eu lieu, c’est ce qui résulte des tableaux mêmes de M. Jevons, à savoir que les prix en général sont aujourd’hui moins élevés qu’il y a douze ans, et cela malgré une quantité de métaux précieux qui n’a fait que s’accroître. Cela prouve au moins que ces deux faits, l’augmentation du numéraire et la hausse des prix, ne sont pas étroitement liés l’un à l’autre. On pouvait s’y tromper en 1857 et 1858, alors qu’on était en présence d’une abondance exceptionnelle et toute récente de métaux précieux, et qu’on avait vu s’élever les prix d’année en année sans qu’il y eût de réaction. Après ce qui s’est passé depuis, après la baisse relative qui a eu lieu, l’illusion n’est plus possible. Que dire aussi de la fixité du prix du blé ? Voilà une denrée qui coûte toujours à peu près les mêmes frais à produire, qui a servi depuis des siècles à mesurer la valeur de la monnaie, qui en a suivi toutes les fluctuations, et qui est encore au même taux qu’il y a vingt ans. L’hectolitre de blé se vend en moyenne 18 fr., comme avant 1848 ; il a même été à 16 et 15 fr. il y a quelques années. Il serait difficile d’expliquer cette fixité, s’il y avait eu des changemens dans la valeur des métaux précieux, et qu’ils eussent atteint les proportions qu’on suppose. Pour prouver ces changemens, on est allé jusqu’à chercher des exemples dans l’Inde ; on a choisi les époques où l’on a importé dans ce pays les plus grandes quantités de numéraire ; on a montré les prix qui ont suivi pour ce qu’on appelle les produits orientaux, et, quand on a trouvé de la hausse, on en a conclu, comme pour la moyenne établie sur les faits observés en Europe, que la dépréciation était marquée par cette hausse. Or nous avons étudié les tableaux dont on s’est servi pour cette assertion, et nous sommes loin d’y avoir vu la démonstration de ce qu’on avance. Durant la période qui s’étend de 1835 à 1845, il y a eu dans l’Inde une importation de métaux précieux beaucoup plus considérable que dans les dix années précédentes, 525 millions contre 300. Néanmoins dans les cinq années qui ont suivi, de 1845 à 1850, les prix n’ont pas monté, ils ont été au contraire de plus de 20 pour 100 au-dessous de la moyenne de 1830 à 1835. Ils ont baissé de même après les fortes importations de 1855 à 1857, ils ne se sont relevés qu’au moment où l’on a commencé à créer dans ce pays de nouvelles voies de communication, à établir des chemins de fer, à élargir les débouchés, c’est-à-dire au moment où l’activité commerciale a pu prendre un certain essor. C’est donc toujours à la même cause, au progrès de la richesse publique, qu’il faut attribuer la hausse.


III.

Voyons maintenant quelle a été, depuis la découverte des mines d’or de la Californie et de l’Australie, cette production des métaux précieux qui en aurait fait baisser la valeur. En 1848, selon MM. Tooke et Newmarch, il pouvait y avoir en Europe et en Amérique, dans ce qu’on appelle le monde civilisé, 34 milliards de métaux précieux, dont 20 en argent et 14 en or. Depuis, les mines de la Californie et de l’Australie, en y comprenant aussi celles de la Russie, y ont ajouté de 10 à 12 milliards, défalcation faite des réexportations et de l’usure. Nous aurions donc aujourd’hui 46 milliards de métaux précieux contre 34 en 1848, ce qui représente une augmentation de 35 pour 100 en vingt ans, ou de 1 ¾ pour 100 par an. Nous avons vu que dans la seconde moitié du XVIIe siècle, à partir de 1640, et pendant tout le cours du XVIIIe où la production des métaux précieux avait été en totalité de 27 milliards, et l’augmentation annuelle de 1 1/2 pour 100, les progrès du commerce, les e :ïportations au dehors et les emplois industriels avaient suffi pour absorber ces augmentations ; on a même dit qu’aussitôt que la production vint à se ralentir, pendant la période des guerres de l’indépendance des colonies espagnoles, de 1816 à 1830, il y eut une gêne, et les prix en furent affectés. Il a donc fallu pendant cette longue période une augmentation annuelle de 1 1/2 pour 100 de numéraire pour répondre aux besoins. Quelques années avant 1848, l’or notamment, qui depuis le commencement du siècle s’était accru dans la proportion de 58 pour 100, était tellement rare qu’il faisait prime. Quels sont les besoins d’à présent ? Là est la question.

Nous ne voulons pas faire de comparaison avec le XVIIe siècle. Qui peut douter qu’aujourd’hui le mouvement des affaires ne soit tout autre qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles ? La comparaison n’est possible et intéressante qu’entre la situation présente et celle des années qui ont précédé 1848. De 1840 à 1852, en Angleterre, l’importation des produits extérieurs monte par tête de 60 shillings 6 deniers à 82 shillings, soit de 30 pour 100. En 18ti2, dix ans après, elle atteignait 154 shillings avec une augmentation de 100 pour 100. Les résultats en France sont plus étonnans encore. Le commerce extérieur représentait par tête 49 fr. 50 en 1827, 73,94 en 1847, 211 fr. en 1867, c’est-à-dire que l’augmentation, qui avait été de 47 pour 100 dans la première période de vingt ans, s’est élevée à 185 pour 100 dans la seconde. Si on juge maintenant du commerce intérieur par les opérations de la Banque de France, il a presque quadruplé depuis 1848 ; il eut passé du chiffre de 2 milliards 705 millions en 1847 à celui de 8 milliards en 1866, lorsqu’il avait à peine doublé depuis 1827. Ces exemples, que nous pourrions multiplier, prouvent qu’il n’y a rien de comparable entre les deux époques. Si la production des métaux précieux est devenue tout à coup plus considérable, les affaires se sont accrues d’une manière plus rapide encore, elles quadruplaient pendant que le stock métallique n’augmentait que de 35 pour 100. Il y avait donc place pour l’absorption de ces métaux à mesure qu’ils sortaient des mines, et, sans le développement prodigieux et simultané qui a été donné au crédit, ils n’auraient pas suffi. Les règlemens de comptes se font aujourd’hui en Angleterre au moyen de viremens dans les clearing houses. Ce sont des établissemens où se rendent tous les jours, à certaines heures, les commis des principales maisons de banque; ils échangent entre eux le papier à l’ordre de chaque maison, — et un nombre immense de transactions se soldent ainsi sans l’emploi du numéraire; on en évalue le montant à 2 milliards par semaine, soit à plus de 100 milliards par année à Londres seulement. Nous ne sommes pas aussi avancés en France, nous n’avons pas de clearing houses, cependant d’énormes progrès ont été faits également en matière de crédit. Nous avons beaucoup d’établissemens financiers qui n’existaient pas avant 1848, et qui tous ont pour but de faciliter les opérations commerciales au moyen de viremens. Le portefeuille de tous ces établissemens, joint à celui de la Banque de France, représente plus de cinq fois ce qu’il était il y a vingt ans, et nous avons en circulation 1,300 millions de billets au porteur contre moins de 400 avant 1848.

Toutefois le crédit ne remplace pas toujours le numéraire, nous en avons fait l’épreuve en 1856 et 1857. L’encaisse métallique de la Banque de France ayant baissé dans ces deux années au-dessous de 200 millions, il fallut élever le taux de l’intérêt à 7 et 8 pour 100. De même encore en 1864. Le crédit est un auxiliaire puissant pour le commerce, mais il n’est qu’un auxiliaire. L’instrument principal est toujours le numéraire, et, à mesure que les affaires se développent, il en faut davantage. L’Angleterre, qui en avait pour 1,500 millions il y a vingt ans, en a aujourd’hui pour près de 2 milliards 1/2, et la circulation métallique de la France a dû s’accroître dans le même espace de temps d’au moins un tiers, être portée de 4 à 6 milliards. L’augmentation pour notre pays est-elle trop forte ? Il le semblerait quand on regarde l’encaisse de notre principal établissement financier : au bilan du 1er juillet 1869, il était de 1,222 millions, chiffre prodigieux qu’on n’avait jamais vu autrefois. On a beaucoup discuté sur cet encaisse, nous en avons fait nous-même ici l’objet d’une étude spéciale[3]. Les 1,200 et quelques millions de numéraire amassés à la Banque sont bien évidemment le résultat d’une stagnation prolongée dans les affaires. Il ne peut y avoir de doute à cet égard ; mais en même temps on est obligé de reconnaître qu’avec l’extension de ses succursales, avec la facilité des communications, la Banque de France tend à devenir de plus en plus le réservoir de toutes les ressources disponibles du pays et particulièrement du numéraire. C’est un rôle que joue déjà depuis longtemps la Banque d’Angleterre; tous les établissemens de crédit, toutes les maisons de commerce, y déposent leurs réserves, et, quand de grands besoins se manifestent, c’est sur elle qu’on tire de tous côtés, ce qui rend alors sa situation très critique, et l’oblige à une excessive prudence. En France, on trouverait encore dans beaucoup de maisons, dans les tiroirs des particuliers, des réserves métalliques plus ou moins fortes en dehors de celles que possède notre principal établissement financier. Cela est quelquefois avantageux, et nous a servi notamment en différentes occasions à traverser les crises plus heureusement que nos voisins; mais cette situation est en train de se modifier, il est facile de le voir à l’augmentation sensible des comptes courans. Depuis deux ou trois ans, ils ont passé du chiffre de 200 millions en moyenne à celui de 400 millions, et on peut en conclure que l’encaisse est d’autant plus fort à la Banque qu’il est moindre dans le pays. Les 1,222 millions qui le composent ne sont donc pas au fond aussi considérables qu’ils en ont l’air, d’autant plus qu’ils sont représentés dans le pays par une quantité de billets qui dépasse de beaucoup les limites ordinaires. Au moindre souffle qui viendrait ranimer l’activité commerciale, on les verrait disparaître et se répandre bien vite dans les mille canaux de la circulation. On n’a pour s’en convaincre qu’à les rapprocher du chiffre des capitaux qui sont engagés dans les opérations commerciales, de ce qui constitue le fonds roulant de la société française. Supposez que ce chiffre soit de 50 milliards, et il peut être plus élevé, les 1,200 et quelques millions de l’encaisse n’en sont guère que la quarantième partie; une reprise d’un dixième seulement dans les affaires ferait plus que de les absorber; il faudrait recourir encore au crédit. Du reste veut-on avoir la preuve décisive que, s’il y a pléthore monétaire en ce moment à la Banque de France, c’est un résultat momentané qui n’a rien de commun avec une surabondance des métaux précieux; il suffit de consulter les prix de toutes choses, ils sont aujourd’hui en général au-dessous de ce qu’ils étaient il y a quatre ou cinq ans, lorsque l’encaisse de la Banque était descendu à 200 millions, et ils n’ont pas de tendance à la hausse. C’est le contraire qui aurait lieu, s’il n’y avait pas là une situation exceptionnelle dont chacun attend et prévoit la fin.

Cette situation a beaucoup d’analogie, sauf la différence des proportions, avec ce qui se passait en 1850 et 1851. À ce moment aussi, il y avait à la Banque une réserve métallique considérable; elle atteignait 600 millions, et dépassait le chiffre de la circulation fiduciaire, qui était de 500 et quelques millions. On pouvait croire à une abondance relative de métaux précieux, ce qui n’empêchait pas les prix d’être également très en baisse sur ceux de la période précédente. Deux ou trois ans après, les affaires reprirent, l’encaisse diminua sensiblement, et le numéraire devint tellement insuffisant qu’il fallut, pour en conserver, élever l’escompte à des taux inusités; ce fut seulement alors que le prix général des choses commença de s’élever. On peut supposer qu’il en serait de même aujourd’hui. Les prix sont au-dessous de ce qu’ils devraient être, de ce qu’ils ont été, à cause du ralentissement des affaires, et malgré une réserve métallique prodigieuse. Que demain les inquiétudes qui ont amené ce ralentissement s’évanouissent, que l’activité commerciale renaisse, et on verra simultanément l’encaisse baisser et les prix s’élever. Nous ne connaissons pas d’argument plus péremptoire pour prouver que ce qu’on appelle la trop grande abondance des métaux précieux n’existe pas, et qu’elle n’est pour rien quant à présent dans les modifications du prix des choses. Au XVIe et au XVIIe siècle, une production de 70 millions continuée pendant soixante-dix ans a suffi, avec des affaires restreintes, pour modifier singulièrement les prix. Au xv!!!*^ siècle, la production est de 200 millions et reste sans influence; aux environs de 1848, elle monte à 450 millions et se trouve à peine suffisante. Aujourd’hui elle est de 1 milliard; mais, comparée au progrès des affaires, elle est moindre qu’elle n’était au XVIIIe siècle avec 200 millions et avant 1848 avec 450. Ce milliard, nous l’avons dit, défalcation faite de ce qui est exporté et de ce qui est nécessaire pour réparer les pertes, laisse tout au plus 500 millions disponibles, ce qui augmente la réserve de 1 pour 100. Elle augmentait de 1 1/2 il y a vingt ans; par conséquent, si la production doit en rester là, il n’est pas à craindre, quant à présent au moins, qu’elle dépasse les besoins. En temps normal, elle leur serait plutôt inférieure. En sera-t-il toujours ainsi?

Personne assurément n’est en mesure de le prophétiser, tout dépend de ce que deviendra l’exploitation des mines et de ce que sera d’un autre côté le mouvement des affaires; mais il y a bien des raisons de croire que les prix ne seront pas de ce chef sensiblement modifiés, et que la monnaie changera peu de valeur. Sans parler des emplois industriels, qui ne feront qu’augmenter avec le progrès de la richesse, du goût du luxe qui sans cesse se développe, on peut déjà constater que, plus le stock métallique sera considérable, plus il faudra chaque année de ressources nouvelles seulement pour l’entretenir. La perte sur 46 milliards exige une somme annuelle de 200 millions. Il faut penser aussi que nos relations s’étendront de plus en plus avec les pays orientaux, et que nous aurons là un débouché immense pour l’excédant de nos métaux précieux. Macpherson, dans son Histoire du commerce avec l’Inde, a dit que les échanges de ces pays augmentèrent à mesure que les mines de l’Amérique versaient leurs trésors en Europe, ce qui empêcha cette partie du monde d’en être inondée, comme elle aurait pu l’être sans cela. Ce qui s’est passé au moyen âge se passe encore maintenant. Nous envoyons chaque année des sommes prodigieuses dans l’Inde, et c’est une perspective singulièrement rassurante pour l’avenir que le pouvoir d’absorption de contrées qui ont des centaines de millions d’habitans, et avec lesquelles nos relations sont loin d’être ce qu’elles deviendront. Enfin qui peut répondre que les mines donneront toujours ce milliard annuel qu’elles donnent maintenant, qu’elles ne s’épuiseront pas? Elles se sont épuisées relativement après la découverte de l’Amérique; il a fallu des procédés d’extraction plus puissans pour en maintenir la production au niveau des besoins. On remarque déjà les mêmes effets aujourd’hui. L’or en Californie et en Australie ne se trouve plus dans les sables mêlés aux terrains d’alluvion comme aux premiers momens : il faut broyer le quartz et des roches très dures, laver une quantité de terre considérable pour en extraire des parcelles d’or assez minimes. Ce travail est très coûteux, et tant qu’on n’aura pas fait la découverte de nouveaux gisemens aussi féconds et aussi faciles à exploiter que l’ont été au début ceux de la Californie et de l’Australie, la production ne sera ni assez importante ni assez économique pour agir sur les prix des objets usuels; on peut même considérer comme probable que les sociétés, pour avoir les instrumens d’échange nécessaires, devront perfectionner beaucoup encore leurs moyens de crédit. Voilà l’avenir tel qu’il apparaît quand on rapproche le mouvement des métaux précieux de celui du progrès possible de la civilisation.


IV.

Maintenant est-ce à dire qu’il faille nier toute espèce d’influence des métaux précieux sur la variation des prix? Loin de là; ils en ont au contraire exercé une très grande, seulement par des voies tout autres que celles qu’on suppose. Ils ont agi comme le chemin de fer, comme le télégraphe électrique, comme toutes les grandes découvertes modernes. Il est bien évident que, sans le tribut des mines de la Californie et de l’Australie, nous n’aurions pas vu les prix varier ainsi qu’ils l’ont fait, celui de certaines denrées alimentaires s’élever de 90 pour 100, celui des salaires de 25 à 30 pour 100. Pourquoi? Parce qu’il n’y aurait pas eu le même développement de la richesse publique. On ne veut considérer les métaux précieux que comme des instrumens de circulation, des moyens d’échange plus ou moins onéreux; on s’imagine qu’on en possède une quantité suffisante, et que toute production qui fait plus que de réparer les pertes est plutôt un mal qu’un bien. Les métaux précieux sont autre chose que des instrumens de circulation; ils sont les moteurs en même temps que les véhicules de la richesse, ils servent à la faire naître aussi bien qu’à l’échanger. C’est absolument comme lorsqu’il s’agit d’ouvrir des voies nouvelles au commerce. Il n’y en a jamais trop, l’expansion de l’activité humaine ne tarde pas à les remplir toutes et à les rendre insuffisantes. Qui aurait prédit, lorsqu’on créait en France des chemins de fer, le développement qu’ils prendraient? Qui aurait deviné que le trafic décuplerait, centuplerait aussi vite, que les gares seraient bientôt trop étroites, le matériel d’exploitation insuffisant? Eh bien! il en est de même pour la monnaie. L’or aura beau devenir très abondant, il trouvera toujours des débouchés, et plus il en arrivera, plus il y aura d’activité commerciale pour l’absorber. Voilà le côté vrai de la question, celui qu’il aurait fallu envisager au lieu de conclure à une dépréciation des métaux précieux par une moyenne générale tirée de la variation des prix. C’était négliger les grandes considérations pour ne s’attacher qu’aux petites.

Un autre économiste anglais également distingué, M. Cliffe Leslie, a mieux vu les choses. Il a montré que les modifications survenues dans les prix étaient en général beaucoup plus le fait des communications faciles que celui d’un changement dans la valeur des métaux précieux. Après la découverte de l’Amérique, le principal effet de l’importation du numéraire se fit sentir dans les villes, dans les grands centres industrieux ; cela se comprend : il n’y avait que là qu’il pût trouver un emploi, et comme cet emploi était en définitive très restreint, il s’ensuivit une modification sérieuse dans les prix. Il ne faudrait pas croire qu’elle existât au même degré dans les campagnes : les tableaux qu’on nous donne, et qui ont servi à faire des comparaisons à diverses époques, sont relevés dans les villes, sur les principaux marchés; ils n’indiquent pas les prix des campagnes, qui devaient être tout différens. On peut en juger par ce qui se passait encore autour de nous il y a quelques années. On se souvient qu’avant les chemins de fer, lorsque la France était divisée en zones pour l’établissement des mercuriales nécessaires à la taxe du pain, il y avait souvent entre ces zones des écarts de 5 et 6 fr. par hectolitre de blé; nous nous souvenons aussi d’avoir vu la viande se vendre 40 et 50 centimes la livre à vingt-cinq et trente lieues de Paris, lorsqu’elle en valait 70 et 80 dans la capitale; de même pour les légumes, pour les fruits, pour toutes les denrées d’un transport coûteux et difficile. Cette situation est aujourd’hui singulièrement modifiée. Le prix du blé tend à se mettre partout en France à un niveau commun; celui de la viande et des denrées alimentaires varie bien moins qu’autrefois suivant les localités. Qu’est-ce qui a opéré ce changement? Sont-ce les métaux précieux? Évidemment non. Ce sont les chemins de fer, ce sont les voies de communication devenues plus faciles. Dès qu’un chemin de fer pénètre dans une contrée, les prix s’élèvent, ils se mettent au niveau de ceux de la contrée voisine, de ceux des pays vers lesquels on trouve des débouchés. On en fait l’expérience tous les jours : les chemins de fer et les bateaux à vapeur, voilà en fait de prix les grands régulateurs, les grands niveleurs de notre époque.

Autrefois, dans un certain rayon, on avait le monopole de l’approvisionnement des grandes villes; pour la capitale, c’était une distance de vingt-cinq à trente lieues; il était difficile de l’étendre davantage à cause de la cherté et de la difficulté des communications. Aussi dans ce rayon la terre, à qualité égale, avait-elle plus de valeur qu’ailleurs, et les fermages montaient plus rapidement. Depuis les chemins de fer, il n’y a plus de monopole, plus de rayon privilégié. Les grandes villes tirent leur approvisionnement de partout, de cent lieues aussi bien que de vingt-cinq. On voit arriver à Paris des distances les plus grandes, non pas seulement de la viande de boucherie et quelques primeurs, mais jusqu’aux légumes et aux fruits usuels; la compagnie d’Orléans notamment y apporte des cerises et des fraises qui viennent des extrémités de la France. Ce n’est plus qu’une question de frais de transport, et, comme ces frais diminuent de plus en plus grâce aux immenses ressources dont disposent les chemins de fer et à l’intelligence de leurs administrateurs, qui savent approprier les tarifs aux marchandises qu’ils ont à déplacer, les prix tendent partout à s’égaliser; ils montent peu ou point là où ils s’étaient déjà fort élevés précédemment, et beaucoup là où ils étaient restés très en arrière. Il est curieux de constater par exemple que c’est surtout dans les provinces les plus éloignées qu’on a vu les plus grandes modifications. Nous pourrions citer à une distance de vingt lieues de Paris un domaine d’excellentes terres, très bien cultivées, qui s’est vendu, il y a dix ans, au même prix qu’il y a trente ans, et dont le fermage n’a pas augmenté; il ne vaudrait pas davantage aujourd’hui. A cent lieues de la capitale et au-delà, la valeur de la terre et le revenu qu’elle donne ont pour ainsi dire doublé. Il en est de même pour la plupart des choses. C’est le contraire de ce qui avait eu lieu après la découverte de l’Amérique. Les prix se sont plus élevés dans les campagnes que dans les villes, parce que les campagnes ont plus gagné aux chemins de fer; elles ont trouvé les débouchés dont elles manquaient.

La modification dans les prix est si bien une question de débouchés qui ont changé les rapports entre l’offre et la demande, que, là où ces rapports sont restés les mêmes, les prix n’ont pas varié. La stagnation des loyers loin des grands centres en est la preuve. Les maisons ne se transportent pas comme les denrées alimentaires, et si le nombre des habitans ne s’est pas élevé, quelle que soit du reste la richesse acquise, le loyer n’augmente pas. Il a fort augmenté à Paris, parce que la population s’y est tellement accrue par des causes naturelles et artificielles que les logemens y ont été insuffisans, et qu’il a fallu en construire de nouveaux. Je citerai encore dans le même ordre d’idées le taux des salaires et de la main-d’œuvre. Les salaires ont assurément monté beaucoup en France et partout depuis un certain nombre d’années : nous avons évalué la moyenne de cette élévation à 30 pour 100; mais ils n’ont pas monté également dans toutes les localités, et le niveau n’existe pas là comme pour les denrées alimentaires, comme pour tous les autres produits. On peut lire dans la Statistique générale de la France pour 1862, due aux recherches de M. Legoyt, que l’ouvrier agricole, qui en dehors de la moisson gagne aux environs de Paris 3 fr. 10 cent, par jour, sans être nourri, 2 fr. 55 cent, dans le département de Seine-et-Oise, 2 fr. 05 cent, dans celui de Seine-et-Marne, ne gagne que 1 fr. 18 cent, dans le Morbihan, 1 fr. 14 cent, dans le Finistère et 1 fr. 44 cent, dans les Landes; c’est une différence de plus de 100 pour 100, et, les environs de Paris mis à part, l’inégalité des salaires en moyenne est bien au moins de 25 à 30 pour 100. Les faits relevés en 1862 doivent être encore à peu près les mêmes aujourd’hui, et ils s’appliquent aux ouvriers des autres professions aussi bien qu’à ceux de l’agriculture. Cela tient à ce que la main-d’œuvre, bien que se déplaçant plus aisément que les maisons, n’obéit pourtant pas toujours à la loi exclusive de l’intérêt. L’ouvrier est retenu dans le pays où il est né, où il a vécu, par des considérations diverses : il y a une famille, des relations, quelquefois une petite propriété; il n’abandonnera pas volontiers tout cela pour aller gagner 25 ou 30 pour 100 de plus ailleurs en courant tous les risques du chômage et de l’incertitude. C’est ce qui fait que, malgré les chemins de fer et malgré les facilités de locomotion, il ne peut pas y avoir égalité absolue dans les salaires. Les trop grandes inégalités s’effacent; mais il reste toujours ce qui ne peut pas s’effacer, ce qui tient à la nature de l’homme. Or, si l’égalité s’accomplit pour tous les produits qui se transportent aisément, si l’inégalité persiste pour tout ce qui ne se transporte pas ou ce qui est retenu par des considérations particulières, c’est bien la preuve que la cause qui agit principalement sur les prix n’est pas la dépréciation des métaux précieux. Autrement, en ce qui concerne les logemens par exemple, il y aurait eu augmentation générale des loyers par cela seul qu’il y avait changement de valeur dans l’instrument de paiement.

En résumé, nous ne nions pas la hausse des prix en général, nous croyons qu’elle a eu lieu depuis 1850 dans une proportion beaucoup plus forte qu’auparavant; nous croyons même qu’elle est en partie due à l’influence des mines d’or, mais à l’influence s’exerçant par voie de stimulant, poussant au développement de l’industrie et de l’activité sociale, augmentant la prospérité publique, et non par voie de dépréciation. La différence est essentielle; si l’augmentation des prix est le résultat du développement de la prospérité, d’une concurrence plus grande pour les mêmes choses, il n’y a qu’à s’en applaudir : on est plus riche, on consomme davantage, cela se traduit naturellement par plus de bien-être. Si elle vient au contraire de la dépréciation monétaire, toutes les situations sont faussées, on ne sait plus sur quoi compter; le débiteur se libère pour des sommes moindres que celles qu’il a empruntées, le créancier est lésé injustement; il faut un long temps pour que des rapports nouveaux s’établissent en vue de cette dépréciation, outre qu’il est parfaitement inutile d’avoir plus de numéraire qu’il n’en faut pour les transactions, et d’être obligé, comme le dit Hume, de donner plus de pièces jaunes ou blanches pour acquérir les mêmes choses. Dans la première hypothèse, il y a bien trouble aussi, mais ce n’est point parce que le débiteur paie moins qu’il ne doit et qu’il n’a reçu; la somme qu’il donne a toujours intrinsèquement et rigoureusement la même valeur; seulement le prix de la plupart des choses a changé, parce qu’il y a eu progrès dans la richesse publique. Qui peut s’en plaindre? Les oisifs et les rentiers. Tant pis pour les oisifs; la société démocratique ressemble de plus en plus à une ruche où chacun a sa place à la condition de travailler. Si on travaille, on est au niveau des changemens ; les salaires, les traitemens, les profits, augmentent. Si on ne travaille pas, on est débordé, cela est naturel. Quant aux rentiers, à ceux surtout qui ont des revenus fixes, ils n’ont pu penser que la société resterait immobile parce que leurs revenus l’étaient. C’est à eux de prendre part à l’activité générale et d’augmenter leurs ressources par le travail. En un mot, on ne peut pas se plaindre d’une élévation de prix qui est l’indice de la prospérité, la glorification du travail, tandis qu’on aurait à regretter qu’elle fût seulement le résultat d’une diminution dans la valeur de la monnaie. En définitive, quelles sont aujourd’hui les sociétés les plus riches? Ce sont celles où les prix sont le plus élevés. On n’a qu’à considérer l’Italie et l’Espagne, où tout est à bas prix, et l’Angleterre et la Hollande, où tout est cher. Les gens qui se récrieraient contre une élévation de prix qui serait la conséquence indirecte de l’abondance des métaux précieux commettraient la même erreur que ceux qui contestent les avantages de la liberté commerciale, parce qu’elle n’a pas amené le bon marché qu’ils espéraient; elle ne l’a pas amené par la raison même qui a fait son succès, parce qu’en augmentant la richesse publique elle a développé le bien-être de chacun et accru le nombre des consommateurs. La question de prix plus ou moins forts est une question accessoire. Ce qui importe, c’est de voir si avec la même somme de travail on peut se procurer autant et plus de choses qu’autrefois. Or, quand on examine ce qui a eu lieu depuis vingt ans, il ne peut pas y avoir de doute à cet égard. Nous sommes aujourd’hui, malgré tout, beaucoup plus riches qu’avant 1848. On a beaucoup parlé des élémens factices de la prospérité actuelle. Il est sûr qu’avec des travaux comme ceux qui ont été entrepris dans la capitale depuis quelques années, et qui ont eu pour effet d’augmenter artificiellement la main-d’œuvre et le prix de bien des choses, avec l’esprit de spéculation qui s’est emparé de tant de gens, avec la diffusion de certaines valeurs mobilières qui ne reposent pas toutes sur des bases solides, il y a quelque chose de surfait dans le développement présent des affaires. Cependant, si l’on parcourt l’ensemble du pays, les villes et les campagnes, on est frappé de l’augmentation générale du bien-être; il y a des résultats qu’on ne peut méconnaître : les habitations sont plus propres et mieux installées, on se nourrit mieux, on s’habille avec plus de soin, et il n’est pas jusqu’au niveau moral de toutes les classes qui ne se soit élevé sensiblement, tant il est vrai qu’il y a une solidarité étroite dans tous les progrès de la société, et que s’enrichir matériellement, c’est aussi se développer moralement : les mêmes effets n’existeraient pas, ou tout au moins au même degré, si l’élévation du prix des choses était due simplement à la dépréciation des métaux précieux.


VICTOR BONNET.

  1. Cette production se répartit ainsi suivant les époques : ¬¬¬
    Epoques Production totale Production annuelle
    1492 à 1521 37 millions. 1,300,000 fr.
    1521 à 1545 392 — 15,750,000 fr.
    1545 à 1600 2,835 — 52,500,000 fr.
    1600 à 1640 3,320 — 83,500,000 fr.
    6,584 millions.

    Dans les trois premières périodes, les chiffres indiqués ne se rapportent qu’à la production des mines américaines; dans la quatrième, on y a joint les métaux extraits en Europe.

  2. ¬¬¬
    Production totale. Production annuelle.
    De 1640 à 1700 5 milliards. 83 millions.
    De 1700 à 1809 22 — 200 —
    27 milliards.
  3. Voyez, dans la Revue du 15 mai 1868, la Grève du milliard.