La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre IV

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P. Fort (p. 16-18).

CHAPITRE IV

MARIE CHEZ ÉLISABETH

Donc, le pigeon avait agi, et il faut le reconnaître, le pigeon faisait bien les choses. Si bien même qu’au bout de quelques jours la petite Marie se rendit parfaitement compte de l’heureux accident qui lui était arrivé. Elle ne disait rien à personne, nous affirme l’Évangile, mais elle savait très bien à quoi s’en tenir. Voyez-vous, la friponne !

Du matin au soir, elle restait absorbée dans ses pensées, se rappelant avec délices la visite du joli Gabriel et l’événement qui s’en était suivi.

Le père Joachim et la mère Anne, le soir en rentrant de leur travail, se demandaient pourquoi la petiote était devenue si songeuse.

— Elle pense à Joseph, disait Joachim en clignant de l’œil.

— Que nenni ! répondait Anne, plus maligne ; il y a quelque anguille sous roche… et cette anguille ne s’appelle pas Joseph.

— Tu crois ?

— C’est comme j’ai l’honneur de te le dire, Joachim.

— Mais alors, ce serait très grave !

— Peuh ! pas si grave que ça ! Marion n’est pas une bête ; et puis, notre chère espiègle a, sans doute, comme je le crois, sa petite idée en tête… À son âge, cela est permis, elle est arrivée au moment où le cœur parle… Mais Marion est vertueuse au fond, dans tout ça : nous pouvons être tranquilles… Elle est bien trop sage pour faire le moindre faux pas… Je la connais, ma fille, que diable ! Ce n’est pas pour des prunes que je suis sa mère !

Quant à Joseph, il continuait à montrer envers Marie toute l’assiduité d’un fiancé qui prend son rôle au sérieux. Il ne laissait pas passer une semaine sans venir chez Joachim, armé d’un superbe bouquet où dominaient, parmi les fleurs, de magnifiques lis ; c’était délicat et de bon goût. Dans la charpente, on a toujours su être galant, tout en demeurant réservé.

Joseph étant soupçonneux, Marie dit : C’est le pigeon ! (chap. V).
Joseph étant soupçonneux, Marie dit : C’est le pigeon ! (chap. V).
Joseph étant soupçonneux, Marie dit : C’est le pigeon ! (chap. v).
 

Cependant, Marion, qui n’osait confier son secret ni à son papa ni à madame sa maman, éprouvait le besoin de verser le trop plein de son âme dans une âme discrète et dévouée. Ce besoin de confidence n’avait rien, du reste, que de très naturel. Elle demanda à Joachim et à Anne la permission d’aller passer quelque temps chez sa cousine Élisabeth.

Joachim et Anne se consultèrent. Ils ne virent aucun inconvénient à déférer à ce désir. Marie se rendit donc à Youttah.

Il est bon de dire qu’à ce moment la femme de Zacharie n’avait pas encore mis au monde le petit Jean ; le précurseur du Messie était seulement en train. En effet, l’évangéliste Luc, qui est très précis dans ses renseignements, nous apprend qu’Élisabeth conçut juste six mois avant la fiancée de Joseph.

Lorsque Élisabeth, qui vivait dans la retraite au milieu des montagnes de Juda, vit venir à elle sa cousine, elle éprouva une surprise toute remplie d’une douce satisfaction. Au premier coup d’œil, les deux femmes se comprirent.

— Soyez la bienvenue, Marie, fit Élisabeth.

On s’embrassa sur les deux joues.

— Cousine, dit Marion un peu timide et rougissante, que je suis contente de vous voir ! Si vous saviez ?…

— Oui, je connais ça… Nous sommes toutes les deux bien heureuses, mais vous surtout, n’est-ce pas ?… Sitôt que je vous ai vue, voyez comme cela est curieux, mon enfant a tressailli dans mon sein… C’est d’un bon augure, croyez-moi.

Marie ne demandait pas mieux que de croire à toutes les bonnes paroles de sa cousine.

On causa, on causa longuement.

— Je vous garde pour quelques jours, ma chère mignonne, disait Élisabeth ; votre présence ici me portera bonheur.

Il était impossible d’être plus aimable.

Aussi Marion n’eut plus rien de caché pour Élisabeth. Elle lui raconta la visite de l’ange et comment elle aimait Celui qui avait bien voulu jeter les yeux sur elle.

Elle s’épanchait et s’écriait dans l’explosion de sa joie :

— Mon âme glorifie mon Seigneur, et mon cœur, en pensant à lui, est tous les jours rempli d’allégresse. Je suis la servante de mon Seigneur, il a daigné m’accorder ses faveurs ; il a fait en moi de grandes choses…

Élisabeth souriait, pleine d’amitié pour Marie.

Celle-ci continuait :

— Son nom m’est sacré. J’étais affamée, il m’a rassasiée. Il a déployé pour moi la puissance de son bras ; aussi, toutes les générations m’appelleront la bienheureuse.

Élisabeth lui prenait les mains :

— Vous êtes adorable, ma chère Marie !

Ces épanchements de cousine à cousine durèrent comme cela trois mois, jusqu’au jour où le sacrificateur Zacharie fut déclaré papa au nom de la loi.

Ce jour là, Marion retourna à Nazareth. Seulement, comme il y avait trois mois que le Verbe s’était fait chair, le bedon de la brune enfant commençait à attirer les regards.