La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre IX

La bibliothèque libre.
P. Fort (p. 32-35).

CHAPITRE IX

UNE ÉTOILE MIROBOLANTE

Vers cette époque, de nombreux petits royaumes se trouvaient dans l’extrême Orient, et ces royaumes étaient gouvernés par des monarques qu’on appelait « mages, » parce qu’ils s’occupaient de magie, d’astrologie et autres sciences du même acabit.

Trois de ces rois mages, notamment, étaient liés d’amitié ; ils quittaient leurs états et allaient à tour de rôle, chez l’un d’eux, se livrer à l’étude de leurs grimoires.

Les évangélistes ne connaissaient pas les noms de ces trois savants monarques ; mais saint Bède, un vieux moine anglais, qui vivait au huitième siècle, en a eu la révélation, et, grâce à lui, tout le monde catholique les sait aujourd’hui par cœur.

Ils s’appelaient donc : le premier, Melchior ; le second, Gaspard ; et le troisième, Balthazar.

Saint Bède, qui en connaît plus long là-dessus que les quatre évangélistes ensemble, nous donne encore bien d’autres renseignements. « Melchior était un vieillard à cheveux blancs, à la longue barbe ; Gaspard, jeune au contraire, n’avait pas de barbe et était rouge de couleur ; quant à Balthazar, il appartenait à la race nègre et portait toute sa barbe. »

L’enfant Jésus adoré par les trois rois-mages (chap. X).
L’enfant Jésus adoré par les trois rois-mages (chap. X).
L’enfant Jésus adoré par les trois rois-mages (chap. x).
 

Nos trois rois-mages, par une belle nuit d’octobre, se trouvaient réunis à l’observatoire de l’un d’entre eux, et là ils regardaient dans les astres, cherchant à découvrir quelque nouvelle comète.

Tout à coup, ils virent surgir, du fond de la voûte céleste, une étoile plus brillante que toutes les autres, laquelle, au lieu de rester fixe, se donnait un mouvement extraordinaire,

Ce phénomène surprit fort les trois observateurs.

— Vous voyez bien ? demanda Melchior aux deux autres ; cette étoile bouge, n’est-ce pas ?

— Elle va de droite à gauche et de gauche à droite, fit Balthazar.

— Bien mieux, je crois, ma parole, qu’elle danse une polka, riposta Gaspard.

Et les mages ajoutèrent :

— Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?

Melchior, en sa qualité de doyen de la royale société, émit la proposition suivante :

— Nous allons nous retirer, pendant une bonne heure, chacun en un cabinet particulier ; dans le silence et la méditation, nous creuserons ce problème, et ensuite, nous nous communiquerons le résultat de nos calculs.

Il fut fait ainsi.

Durant une heure, les trois savants monarques entassèrent sur d’interminables parchemins des montagnes et des montagnes de chiffres. Le délai expiré, ils étaient affreusement pâles, tant le travail auquel ils s’étaient livrés les avaient fatigués.

Revenus dans la grande salle de l’observatoire, ils déposèrent avec gravité leurs parchemins chiffrés sur la table du milieu ; puis, ils se mirent encore un moment à la fenêtre.

L’étoile brillante était toujours là et se livrait de plus belle à un chahut échevelé.

— Étrange ! étrange ! étrange ! murmurèrent les mages, en reprenant place près de la table.

Melchior prit le premier la parole ;

— J’ai compté tous les bonds de l’étoile pendant dix-sept minutes ; j’en ai fait le total ; j’ai multiplié ce total par 4,228,695. Du produit, j’ai retranché 5,672. J’ai ensuite divisé le chiffre qui me restait par 47. Après quoi, j’ai fait 29 multiplications, suivies d’autant de soustractions et d’autant de divisions, en opérant toujours avec le même multiplicateur, la même quantité soustractive et le même diviseur. Voici mon quotient définitif.

En disant cela, il montrait un nombre d’une longueur démesurée.

Gaspard et Balthasar, de leur côté, avaient aussi pioché dur et exécuté des tours de force mathématiques, en prenant pour bases de leurs opérations les premiers nombres qui leur étaient venus à l’idée.

Or, — voyez la merveille ! — leur quotient définitif était le même que celui de Melchior.

Alors, les trois rois mages se regardèrent et dirent lentement, tous les trois ensemble :

— Le résultat de nos opérations sur les mouvements de cette étoile indique, clair comme il fait jour à midi, quand il n’y a pas d’éclipse, que, dans un village des environs de Jérusalem, il va naître, cet hiver, un nouveau roi aux Juifs, et que, ce roi étant un dieu, nous devons aller l’adorer.

Quelle belle chose que les mathématiques ! Quelle belle chose que les sciences exactes !

Notez que je n’exagère rien. — D’après l’Évangile lui-même, ce n’est pas un ange qui est venu annoncer aux mages la naissance de l’Oint[1] ; non, c’est une étoile mobile qui leur a donné à comprendre, par ses allures, que, dans un village des environs de Jérusalem, etc…

L’étoile ne leur ayant pas parlé, c’est donc par suite de calculs extraordinaires qu’ils ont eu le fin mot de ce problème phénoménal.

— Allons adorer ce nouveau roi des Juifs, répétèrent Gaspard, Balthazar et Melchior.

Sans prendre le temps de donner le bonsoir à leurs épouses, ils se mirent en route, ne se souciant même pas de laisser leurs États sans monarque pendant leur voyage qui avait des chances d’être long.

Il dura quatre mois, ce voyage. On était dans les premiers jours de février quand les trois potentats arrivèrent à Jérusalem.

Leurs calculs avaient indiqué à ces savants princes qu’un nouveau roi était sur le point de naître aux Juifs ; mais les calculs en question n’avaient pas désigné l’endroit exact de cette naissance miraculeuse. Pour trouver l’endroit en question, ils eurent un guide infaillible : l’étoile elle-même.

Cette étoile marchait devant eux, brillant le jour comme la nuit. Ils n’avaient que la peine de la suivre.

Elle les conduisit de la sorte jusqu’à Jérusalem, peu de jours après que Marie s’était purifiée et avait présenté son enfant au Temple.


  1. N’oublions pas que Christ veut dire Oint.