La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre XXXVIII

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P. Fort (p. 183-192).

CHAPITRE XXXVIII

UNE RIPAILLE CHEZ LES PUBLICAINS

Messire le Verbe, après ce joli coup, s’imaginait s’être acquis l’admiration de la nouvelle population qu’il visitait.

Là-dessus, il se trompa fort.

Sitôt que les habitants de Gergésa connurent l’aventure, ils se réunirent et vinrent en foule supplier Jésus de quitter leur pays.

Ils ne se souciaient pas, en effet, d’avoir plus longtemps parmi eux un sorcier qui possédait le pouvoir de fourrer des diables dans leurs moutons, leurs canards, leurs bœufs, leurs chiens, leurs chats et leurs poules.

L’Oint consentit à partir, mais à une condition : c’est que l’ex-possédé s’engagerait à célébrer sa gloire immense par toute la contrée.

Notre homme en prit l’engagement, et les autorités de Gergésa, qui ne lésinaient pas du moment qu’il s’agissait de se débarrasser de Jésus, payèrent le passage du Verbe et de ses apôtres sur un nouveau bateau.

On accompagna la sainte bande jusqu’à bord.

— Où faut-il que je transporte ces messieurs ? demanda le patron de la barque, en s’adressant à la municipalité gergésienne.

— Transportez-les où ils voudront, pourvu que ce soit le plus loin possible d’ici.

Jésus demanda à être rendu à Génésareth. Comme c’était tout à fait à l’autre extrémité du lac, les autorités acceptèrent avec enthousiasme.

Il était bon matin quand le Christ avait endiablé les six mille cochons ; reprenant aussitôt la mer, il put le soir même aborder aux rives de Génésareth.

Sitôt débarqué, Matthieu fit à la bande une proposition.

— Mes amis, leur dit-il, nous avons tous une faim atroce. Jugez donc ! Nous sommes à jeun depuis hier soir ; ces nigauds de Gergésiens ne nous ont pas seulement offert à déjeuner ce matin, tant ils avaient hâte de nous voir partir… Or ça, j’ai ici d’excellents camarades ; les publicains de Génésareth sont à tu et à toi avec ceux de Capharnaüm, ils se feront un plaisir de nous recevoir et même de nous offrir un banquet de premier ordre. Rapportez-vous-en à moi. Je vais les prévenir, et je reviens vous chercher.

Matthieu ne fut pas long.

Quand les publicains apprirent que Jésus serait aise de godailler en leur compagnie, ils en sautèrent de joie jusqu’au plafond.

L’apôtre, du reste, les avait renseignés.

— Bien qu’il parle comme un livre, leur avait-il dit, notre puissant chef n’est pas fier. Il est toujours disposé à rigoler d’une bonne farce. C’est un garçon charmant en société. Avec ça, d’une galanterie renversante ! Quand il est d’une partie, pour peu qu’il y ait aussi quelques femmes, on est sûr de s’amuser.

— Ah ! vraiment, la présence des femmes ne le gêne pas ?

— Pas le moins du monde.

— C’est que nous entendons parler des femmes que nous avons avec nous, de nos gonzesses, quoi ! ce sont des luronnes.

— Plus elles ont criblé leurs contrats de coups de canif, mieux elles lui vont. Il n’est pas bégueule, vous verrez.

— En ce cas, amenez-le vite. Le temps de mettre le couvert et de convoquer les dames, et nous commençons notre balthazar.

Jésus fut enchanté d’apprendre qu’on lui préparait pareille fête. Matthieu voulut lui adresser un petit discours pour expliquer que ses camarades, les publicains de Génésareth, étaient de bons vivants, malgré leur détestable réputation ; qu’ils étaient mal appréciés du public bêtasse, qui ne comprend ni la filoute-

Jésus loge 6,000 diables dans un troupeau de cochons (chap. XXXVII).
Jésus loge 6,000 diables dans un troupeau de cochons (chap. XXXVII).
Jésus loge 6,000 diables dans un troupeau de cochons (chap. xxxvii).
 
rie ni l’alphonsisme, etc. Mais l’Oint l’arrêta par ce proverbe si connu : « Ventre affamé n’a pas d’oreille. »

— Rengaine ton boniment, Matthieu, dit-il, et allons nous mettre à table.

La sainte bande se rendit donc à la maison où se tenaient les publicains. Inutile de dire que c’était une des maisons les plus mal famées de Génésareth. Des femmes de mauvaise vie s’y trouvaient par douzaines, se vautrant sur les canapés-lits qui étaient les sièges de l’époque. Tout ce monde-là grouillait, vociférait, buvait et s’embrassait. C’était un spectacle de lupanar.

Quand Jésus et les apôtres parurent, ils furent accueillis par une explosion de cris de joie qui n’avaient rien d’humain.

Matthieu, spécialement, fut l’objet d’une ovation de la part des femmes. Elles se levèrent d’un bond, et, se prenant par les mains, dansèrent autour de lui une ronde folle en chantant :

Tiens ! voilà Matthieu !
Comment vas-tu, ma vieille ?
Tiens ! voilà Mathieu !
Tu n’es pas mort ?… Tant mieux !

On se rend facilement compte de ce que fut ce dîner : une véritable orgie.

Inviteurs et invités firent un tel charivari, que les voisins arrivèrent. On était au dessert, moment des grivoiseries. Chacun avait porté son toast. Jésus avait bu à la santé du petit Jean, son disciple bien-aimé.

À ce propos, des paris avaient été engagés.

Jean était si joli garçon et le Verbe le choyait tant, que quelques-uns des convives avaient émis l’idée que Jean étaient une fille. Au fait, il avait un visage imberbe, une physionomie extrêmement douce, des cheveux blonds bouclés, des yeux bleus au regard noyé de langueur. On aurait juré une jeunesse du beau sexe.

Quelques publicains, croyant à un travestissement, avaient embrassé le joli garçon, et celui-ci, timide à l’excès, rougissant, s’était laissé faire.

On discutait donc en riant, sur son sexe, lorsque les voisins entrèrent dans l’accubitoire[1]. Cette scène qui était remarquable par son débraillé, les scandalisa. Ils ne purent même s’empêcher de dire, en voyant Jésus qui criait plus fort que les autres et cassait les assiettes avec entrain :

— C’est honteux ! Un homme qui serait réellement docteur de la loi ne se galvauderait pas dans un pareil lieu et avec de pareilles fripouilles !

Sur quoi, Jésus, frappant un coup de poing sur la table, répliqua :

— De quoi ? de quoi ? des remontrances à Bibi ?… Ces messieurs sont scandalisés, voyez-vous ça !… Je vous demande un peu si nos affaires les regardent !…

— Pardon, riposta un pharisien, vous vous donnez comme un personnage public ; votre vie doit donc être connue de tout le monde. Or, nous constatons que vous passez votre belle existence à manger et boire avec les publicains et les femmes de mauvaise vie.

— On nous insulte ! clamèrent les gadoues. Jésus, vengez-nous de ces outrages !

Le Messie se tourna vers les pharisiens et, avec un sourire rempli d’ironie :

— Et quand bien même mes compagnons de table seraient ce que vous dites, fit-il, ma présence parmi eux serait parfaitement justifiée. Vous, vous êtes irréprochables, et eux sont des pécheurs endurcis, à vous entendre. Fort bien… Mais puisque je m’intéresse à l’humanité, je dois prendre plus souci des pécheurs que des irréprochables. Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin du médecin, ce sont les malades.

Un tonnerre de bravos accueillit cette déclaration. Les pharisiens, comprenant qu’ils s’attireraient une mauvaise affaire s’ils insistaient, se turent.

Mais le Verbe n’en avait pas fini avec les admonestations.

Des disciples de Baptiste étaient venus aussi, attirés par le vacarme. Ils interpellèrent à leur tour Jésus.

— Notre maître, dirent-ils, est plongé dans les cachots de Machéronte ; il mange du pain noir et boit de l’eau malsaine ; et vous, son cousin, vous êtes là à faire ripaille !… Vous oubliez donc votre précurseur ?… C’est cependant un grand prophète… Nous, nous le pleurons, nous jeûnons pour imiter ses privations, nous portons son deuil !…

— Nom de nom ! répondit Jésus avec humeur, c’est agaçant, à la fin !… Est-ce ma faute, à moi, si Baptiste s’est bêtement laissé coffrer par Hérode ? Et puis, après tout, Baptiste m’a comparé il y a quelque temps à un époux ; comme époux, il est tout naturel que je sois à la noce ; et, d’autre part, quand l’époux dîne, ses compagnons ne doivent point jeûner… Ils auront bien le temps de se faire de la bile quand ils ne m’auront plus, c’est-à-dire le jour où il m’arrivera quelque anicroche à mon tour.

Et, pour bien accentuer sa conclusion, Alphonse Christ ouvrit son robinet à paraboles.

— Personne, fit-il avec un air malin, personne ne met une pièce de drap non foulé à un vieux vêtement ; autrement, le neuf, rétréci par l’humidité, emporte le vieux, et la déchirure est bien plus grande qu’avant le rapiéçage. De même, on ne met pas le vin nouveau dans des tonneaux vieux ; sans quoi, les tonneaux éclatent et le vin se répand par terre. En outre, si vous vous habituez à boire du vin vieux, vous ne trouverez pas bon le vin nouveau quand on vous en présentera, et vous réclamerez du vin vieux comme étant meilleur…

— Parfait, dit quelqu’un ; mais qu’est-ce que voulez dire par là ?

— Comment ! vous ne comprenez pas l’allusion ?

— Nous ne comprenons rien du tout à ce galimatias.

— C’est bien dommage. Mais, moi, je sais ce que je veux dire, et cela me suffit.

Il allait entamer une nouvelle parabole, lorsqu’un vieux bonhomme, le sieur Jaïre, ange de la synagogue de Génésareth, fendit la foule et s’approcha de Jésus.

— Maître, fit-il, vous voyez un père navré. Oh ! oui, il faut que je sois bien navré pour que j’aie pu consentir à me rendre dans une pareille maison ; mais puisqu’il faut aller courir les bouges de ce genre pour vous rencontrer, je me suis résigné. L’important est que je vous aie trouvé. Voici donc ce qui m’amène : j’ai une fille, une fille unique ; elle se meurt, elle est même certainement morte à l’instant où je vous parle. Vous avez un pouvoir miraculeux, à ce qu’on assure. Eh bien ! maître, venez, imposez les mains à ma fille, et, j’en suis convaincu, cela suffira pour la faire revivre.

— À la bonne heure ! s’écria Jésus, au moins voilà un homme qui a confiance en moi ; sa confiance ne sera pas déçue. Allons chez lui, chers apôtres et amis. Nous reviendrons ensuite ici déguster les liqueurs qui doivent terminer notre festin.

Tous les convives se levèrent de table, et, cette escorte, grossie de la foule qui était entrée dans la maison, se rendit au domicile du papa Jaïre.

Les boutiquiers de la ville, voyant passer cette multitude, sortaient de leurs magasins et interrogeaient curieusement les gens du cortège.

— Qu’est-ce que c’est ? demandaient-ils.

— C’est Jésus qui va remettre sur pattes une jeune fille à l’agonie, répondait-on.

La foule augmentait à chaque pas. Le Verbe avait peine à avancer.

Une bonne femme, qui se grattait le derrière, suivait l’escorte, cherchant à s’y faufiler. Petit à petit, tout en marchant, elle réussit à arriver assez près de l’Oint. Quatre ou cinq pas de plus, et elle le touchait. La foule était tassée comme au retour d’un feu d’artifice. Cette bonne femme avait depuis douze ans des hémorroïdes dont elle ne pouvait pas se débarrasser ; l’anus de cette malheureuse était dans un état lamentable. C’est, du moins, l’Évangile qui nous donne ces détails. La pauvre malade, que le livre saint nous représente à Génésareth, manœuvrant dans la foule pour arriver jusqu’à Jésus, est appelée « une hémorroïsse » par les évangélistes. Ce mot ne se trouve dans aucun autre ouvrage ; il n’est employé que dans le Nouveau Testament. Il n’y a pas de doute que, par ce mot, les secrétaires du pigeon n’aient voulu désigner une infortunée affligée de ces tumeurs sanguinolentes dont le siège ordinaire est à l’anus.

Douze ans d’hémorroïdes ! Vous voyez si cette bonne femme souffrait le martyre. Elle se tordait en serrant les fesses et, de temps en temps, se grattait le trou-de-balle avec rage, tant la douleur était atroce.

Or, cette hémorroïsse avait la foi.

— Si je parviens seulement, se disait-elle, à loucher la tunique de Jésus, je serai guérie.

Enfin, elle fut à portée du grand rebouteur, elle saisit vive-

La femme aux hémorroïdes se guérit en touchant Jésus (chap. XXXVIII).
La femme aux hémorroïdes se guérit en touchant Jésus (chap. XXXVIII).
La femme aux hémorroïdes se guérit en touchant Jésus (chap. xxxviii).
 
ment une frange de sa robe : à l’instant, ses hémorroïdes se fondirent.

Mais en voici bien d’une autre !… Le fils de Marie était tellement guérisseur, qu’il faisait des miracles sans le savoir. Cela est encore dans l’Évangile. Il ne savait pas qu’une malheureuse hémorroïsse circulait autour de lui de façon à pouvoir le toucher. Il fallut le prodige pour le mettre au courant de la guérison qu’il venait d’accomplir. Tandis que la malade saisissait le bas de sa robe, Jésus éprouva une sorte de commotion, comme un chat à qui on tire des étincelles en lui passant la main à rebrousse-poil : c’était le miracle qui sortait de lui pour passer sur les hémorroïdes de la bonne femme.

Il se retourna alors vers la multitude et dit :

— Quelqu’un m’a touché ; qui est-ce qui m’a touché ?

Pierre de lui répondre :

— Vous êtes bon, vous ! le peuple vous presse, vous accable, et vous demandez : « Qui m’a touché ? » C’est comme si vous vouliez chercher une aiguille dans une botte de foin.

— Je n’ai pas la berlue, poursuivit Jésus : j’ai senti un miracle sortir de moi ; donc, c’est que quelqu’un m’a touché.

Et, parcourant des yeux la foule, il fixa sur celle qu’il avait guérie un de ces regards qui sondent les cœurs et les hémorroïdes. La bonne femme, se voyant découverte et croyant que le grand rebouteur était irrité de ce qu’elle lui avait soutiré un miracle en cachette, se jeta, en larmes et toute tremblante, aux pieds de l’Oint.

— Seigneur ! seigneur ! implorait-elle, ne me remettez pas mes hémorroïdes !

Jésus sourit.

— Allez, bonne femme, dit-il ; je ne suis pas un mauvais diable au fond. Votre guérison a été un carottage ; n’importe, c’est tant mieux pour vous !

En même temps, survinrent les domestiques du papa Jaïre.

— Qu’y a-t-il ? qu’y a-t-il ? demanda l’ange de la synagogue.

— Patron, ce n’est pas la peine que vous dérangiez le sorcier ; votre fille est morte.

Le papa Jaïre tourna vers Jésus un regard de supplication qui signifiait :

— Vous venez d’enlever les hémorroïdes de cette bonne femme ; comme je suis un pékin un peu plus haut placé qu’elle, vous devriez bien accomplir maintenant pour moi un prodige proportionné à ma valeur. Puisque ma fille est définitivement défunte, voilà l’occasion de vous distinguer.

— En route ! commanda Jésus qui avait compris.

On reprit donc la marche vers le domicile du papa Jaïre. Le grand rebouteur et la foule arrivèrent quelque temps après à la maison.

En entrant, Jésus trouva les pleureuses qui étaient déjà à leur besogne. Oh ! elles ne perdaient pas leur temps, ces commerçantes en larmes. À peine un décès était-il signalé, qu’elles arrivaient, sanglotant, à la maison mortuaire. Un trépas de jeune fille leur représentait une journée de lamentations fortement rétribuées.

Elles étaient là, faisant retentir l’habitacle de leurs gémissements intéressés, poussant des clameurs lugubres.

— Ne pleurez point, leur dit le Verbe, l’enfant n’est point morte ; elle dort.

Les pleureuses accueillirent ces paroles par des railleries.

— Avec ça que la jeune fille n’est pas trépassée !… Nous nous serions dérangées pour rien ?… Il ne manquerait plus que ça !…

— Il est étonnant, le monsieur !… Pour un médecin, il n’est pas fort, puisqu’il prend un cadavre pour une personne endormie…

Et elles prétendaient continuer leurs lamentations.

Jésus ne le permit pas.

— Que tout le monde sorte, commanda-t-il. Il ne doit rester avec moi, dans la chambre de la défunte, que le père, la mère, Pierre, Jacques et Jean.

On lui obéit.

Alors, il prit la main du cadavre et lui cria :

Talitha Koumi ! Jeune fille, lève-toi !

Retenez bien ces mots, pour en faire l’essai quand vous aurez envie de ressusciter un camarade. Talitha Koumi ! Avec ces cinq syllabes, Jésus redonna la vie à la fille de Jaïre ; c’est l’évangéliste Marc (qui n’assistait pas à l’opération, par parenthèse) qui nous les a rapportées. Quant à l’apôtre Jean, que les théologiens catholiques nous donnent comme ayant été témoin intime du miracle, il n’en souffle pas un mot dans son évangile.

En entendant Talitha Koumi, la jeune fille se leva, et, folle de joie de se sentir revivre, elle se mit à courir dans l’appartement.

Les parents étaient dans la jubilation jusqu’au cou.

Jésus dit encore, cette fois en s’adressant à eux :

— Je suis très charmé de vous avoir été agréable ; mais ce n’est pas tout, ça ! Il faut que vous pensiez un peu à cette pauvre enfant. Elle doit avoir faim, depuis le temps qu’elle n’a pris aucune nourriture. C’est pourquoi, donnez-lui à manger.

Sur ce, il s’en retourna à la maison des publicains boire le coup de l’étrier avec ses disciples, comme il l’avait promis aux amis et amies de Matthieu (Matthieu, chap. IX, versets 10-26 ; Marc, chap. II, versets 15-22 ; chap. V, versets 21-43 ; Luc, chap. VIII, versets 29-56).

Après ces faits mémorables, Jésus alla de plus belle à Nazareth ; mais il ne réussit encore qu’à faire rire de lui. Il était écrit que les Nazaréens demeureraient insensibles à la parole de leur concitoyen. Somme toute, on se demande, parfois, pourquoi le Verbe prenait cette peine inutile : en sa qualité de dieu, il connaissait très bien le passé, le présent et l’avenir, et il ne pouvait se faire aucune illusion.

L’évangéliste Marc rapporte (chap. VI, versets 1-6) que les gens de Nazareth accueillirent de nouveau Jésus par une incrédulité des plus complètes.

— D’où pourraient lui venir, disaient-ils, la sagesse et la puissance ? C’est un charlatan qui en impose aux badauds des autres villes ; car ils ne le connaissent pas. Mais nous, ne savons-nous pas que c’est un vulgaire charpentier ? Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie ? Ses frères ne s’appellent-ils pas Jacques, Joseph, Simon et Jude ? et ses sœurs ne sont-elles pas toutes parmi nous ? (textuel).

— Nul n’est prophète en son pays, pensa le Verbe, et il n’essaya pas, pour le quart d’heure, de convertir ses compatriotes.

Il résolut même de prendre quelques jours de vacances.

À cet effet, il réunit ses douze apôtres et leur dit :

— Jusqu’à nouvel ordre, vous allez me remplacer. Je vous délègue mes pouvoirs. Vous entreprendrez sans moi une petite tournée, et vous annoncerez partout que le royaume du ciel n’est pas si loin qu’on se l’imagine communément. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, redressez les bossus, et faites déménager les démons du corps des possédés. Surtout, pas de fumisterie ; comme vos miracles ne vous coûteront rien, vous aurez la bonté de ne pas vous les faire payer. Toutefois, vu qu’on ne vit pas d’amour et d’eau fraîche, acceptez l’hospitalité de quiconque vous l’offrira. N’oubliez pas que les femmes qui prennent plaisir à forniquer sont particulièrement intéressantes ; ce sont de jolies pécheresses à qui nous avons beaucoup à pardonner. Je vous recommande aussi les petits enfants ; il faut leur témoigner une grande affection. Enfin, propagez bien ma doctrine en tous lieux. Soyez prudents comme les serpents et simples comme les pigeons.

À ce mot, Pierre, qui avait de la méfiance, répliqua :

— D’accord ; seulement, nous sommes entourés d’ennemis ; nous allons jouer le rôle de brebis tombant au milieu d’une bande de loups.

— Parfaitement.

— Mais si les loups dévorent les brebis ?…

Jésus fit à Pierre cette réponse, qui est à encadrer :

— Quand l’agneau est mort, il ne craint pas le loup !

Finalement, on se sépara ; les apôtres partirent deux par deux, dans diverses directions, promettant de donner fréquemment de leurs nouvelles (Matthieu, chap. X, vers. 5-42 ; Marc, chap. VI, vers. 7-13 ; Luc, chap. IX, vers. 1-6 ; on peut consulter aussi à ce sujet saint Clément d’Alexandrie, Deuxième épître aux Corinthiens, chap. V) ; quant à Jésus, il alla se reposer dans le sein de Magdeleine, Joanna, Suzanne et autres adoratrices.


  1. C’est ainsi qu’on appelait la grande salle à manger.