La Vie du Bouddha (Herold)/Partie I/Chapitre 18

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XVIII


Depuis six ans qu’il les portait, les vêtements du héros s’étaient fort usés, et il pensa :

« Il serait bon que j’eusse des vêtements neufs ; sinon, j’irai bientôt nu, et je manquerai à la décence. »

Il passait près du cimetière. Or, la plus pieuse des dix jeunes filles qui, longtemps, l’avaient nourri, Soujâtâ, avait une esclave qui venait de mourir. Elle avait enveloppé le corps d’un linceul de toile rougeâtre, et l’avait fait porter au cimetière. L’esclave morte gisait dans la poussière. Le héros l’aperçut ; il se pencha, et il prit la toile.

La toile était toute poussiéreuse, et le héros n’avait pas d’eau pour la laver. Du ciel, Çakra vit son ennui ; il descendit sur terre, frappa le sol, et un étang apparut aux pieds du Saint.

« C’est bien, dit-il, voici de l’eau ; mais il me faudrait encore une pierre à laver. »

Çakra sut former une pierre, et il la posa sur le bord de l’étang.

« Homme pur, dit le Dieu, donne-moi la toile, et je te la laverai.

— Non pas, répondit le Saint. Je sais les devoirs du religieux, et c’est moi-même qui laverai la toile. »

Quand la toile fut propre, il prit un bain. Mais, depuis quelques jours, Mâra, le Malin, le guettait ; il éleva les rives de l’étang et les rendit abruptes ; le Saint ne pouvait plus sortir de l’eau. Par bonheur, il y avait, tout près de l’étang, un grand arbre, et le Saint fit une prière à la Déesse qui y vivait.

« Que par toi, Déesse, une branche de cet arbre se courbe vers moi ! »

Aussitôt, une branche se courba ; le Saint la saisit et il put sortir de l’étang. Il alla s’asseoir sous l’arbre, et se mit à coudre la toile pour s’en faire un vêtement.

La nuit vint. Il s’endormit, et il eut cinq rêves.

D’abord, il se vit couché dans un grand lit, qui était toute la terre ; sous sa tête, il y avait un coussin, qui était l’Himâvat ; il posait la main droite sur la mer occidentale, la main gauche sur la mer orientale, et ses pieds touchaient à la mer du sud.

Ensuite, il vit un roseau qui sortait de son nombril, et le roseau grandissait très vite, jusqu’à toucher la voûte du ciel.

Puis, il vit des vers qui montaient le long de ses jambes et les couvraient tout entières.

Puis, il vit des oiseaux, qui, de tous les points de l’horizon, volaient vers lui ; et, quand ils furent près de sa tête, ils semblèrent d’or.

Enfin, il se vit au pied d’une montagne d’immondices et d’excréments ; il gravit la montagne, il en atteignit le sommet, il descendit, et les immondices ni les excréments ne l’avaient souillé.

Il s’éveilla, et, par ces rêves, il comprit que le jour était venu où, ayant atteint la science suprême, il serait un Bouddha.

Il se leva, et il se mit en route vers le village d’Ourouvilva, pour y mendier.

Or, Soujâtâ venait de traire huit vaches merveilleuses qu’elle possédait ; le lait de ces vaches était gras, onctueux, d’une saveur délicate. Elle le mêla avec du miel et de la farine de riz, et elle mit à cuire le mélange dans un pot neuf, sur un fourneau neuf. De gros bouillons se formaient, qui tournaient vers la droite, sans que le liquide montât ni qu’une goutte s’en répandît. Du fourneau ne sortait point de fumée. Soujâtâ était toute étonnée, et elle disait à Pournâ, sa servante :

« Pournâ, les Dieux, sans doute, nous sont favorables, aujourd’hui. Va donc voir si le saint homme n’approche pas de la maison. »

Pournâ, du pas de la porte, aperçut le héros qui marchait vers la maison de Soujâtâ. Mais une grande lumière émanait de son corps, une lumière dorée, et Pournâ fut éblouie. Elle courut à sa maîtresse :

« Maîtresse, il vient ! il vient ! Et tes yeux ne pourront pas supporter la splendeur qui l’environne !

— Ah, qu’il vienne ! qu’il vienne ! s’écria Soujâtâ. C’est pour lui que j’ai préparé le lait des vaches merveilleuses. »

Elle versa dans un vase d’or le lait mêlé de miel et de farine et elle attendit le héros.

Il entra. La maison fut toute illuminée. Soujâtâ, pour l’honorer, le salua par sept fois. Il s’assit. Soujâtâ se mit à genoux et lui lava les pieds avec de l’eau parfumée, puis elle lui tendit le vase d’or, plein de lait à la farine de riz et au miel. Il pensa :

« Les Bouddhas de jadis ont, paraît-il, pris dans un vase d’or leur dernier repas avant d’arriver à la connaissance suprême. Puisque Soujâtâ m’offre ce lait au miel dans un vase d’or, le moment est venu pour moi d’être un Bouddha. »

Puis il demanda à la jeune fille :

« Ma sœur, que faut-il faire de ce vase d’or ?

— Il est à toi, répondit-elle.

— Je n’ai pas besoin d’un pareil vase, reprit-il.

— Fais-en donc ce que tu voudras, dit Soujâtâ. Je serais bien vile, si je donnais la nourriture sans donner le vase. »

Il sortit, tenant le vase d’or, et il alla au bord de la rivière. Il se baigna ; il mangea. Quand le vase fut vide, il le jeta dans l’eau, et il dit :

« Si je dois devenir Bouddha aujourd’hui même, que ce vase remonte la rivière ; sinon, qu’il la descende. »

Le vase gagna le milieu de la rivière, et là il remonta le courant avec une extrême rapidité. Il disparut dans un tourbillon, et l’on entendit le son harmonieux qu’il rendit quand il heurta, au monde souterrain, les vases où avaient mangé les Bouddhas d’autrefois.

Le héros se promena le long de la rivière. Il vit venir le soir. Les fleurs se fermaient ; les parfums les plus doux montaient des champs et des jardins ; les oiseaux avaient des chansons tranquilles.

C’est alors que le héros marcha vers l’arbre de la science.

La route était sablée d’or ; des palmiers précieux, couverts de pierreries, la bordaient. Il longea un étang dont les eaux bienheureuses répandaient les plus aimables senteurs ; des lotus blancs, des lotus jaunes, des lotus bleus, des lotus rouges s’y épanouissaient, et des cygnes mélodieux y chantaient des chansons pures. Près de l’étang, sous les palmiers, dansaient des Apsaras. Les Dieux, dans le ciel, admiraient le héros.

Il approchait de l’arbre. Il vit, près de la route, le faucheur Svastika :

« Ces herbes que tu fauches sont tendres, Svastika. Donne-moi des herbes ; j’en couvrirai le siège où je vais m’asseoir pour acquérir la science. Les herbes que tu fauches sont vertes, Svastika. Donne-moi des herbes ; et, toi-même, plus tard, tu connaîtras la loi, car je te l’enseignerai, et tu pourras l’enseigner aux autres. »

Le faucheur donna au Saint huit poignées d’herbe.

L’arbre de la science était là. Le héros le salua sept fois ; il se tint à l’orient. Il jeta sur le sol les poignées d’herbe, et voici qu’apparut un large siège ; comme un tapis, l’herbe légère le couvrait.

Le héros s’assit, le buste droit, le visage vers l’orient. Il dit d’une voix ferme :

« Dût ma peau se dessécher, dût ma chair se flétrir, dussent mes os se dissoudre, tant que je n’aurai pas pénétré la science suprême, je ne bougerai pas de ce siège. »

Il croisa les jambes.