La Vie du Bouddha (Herold)/Partie I/Chapitre 6

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L’Édition d’art (p. 24-28).



VI


Le prince grandit encore, et l’on jugea venu pour lui le temps de prendre les leçons du maître qui enseignait l’écriture aux fils des Çâkyas. Ce maître s’appelait Viçvâmitra.

Siddhartha fut donc confié au maître Viçvâmitra. On lui donna, pour écrire, une tablette de santal doré, encadrée de pierres précieuses. Mais, dès qu’il l’eut entre les mains, il demanda :

« Quelle écriture, maître, vas-tu m’apprendre ? » Et il énuméra le nom de soixante-quatre écritures diverses. Puis il interrogea de nouveau le maître :

« Eh bien, maître, de ces soixante-quatre écritures, laquelle vas-tu m’apprendre ? »

Mais Viçvâmitra restait muet, frappé d’étonnement. Enfin, pourtant, il dit quelques paroles :

« Je vois, seigneur, que je n’ai rien à t’apprendre. Tu m’as nommé des écritures dont je ne connais que le nom, tu m’as nommé des écritures dont je ne connaissais même pas le nom. C’est de toi que je pourrais prendre des leçons. Non, seigneur, non, je n’ai rien à t’apprendre. »

Il souriait, et le prince n’avait pour lui que des regards favorables.

En quittant Viçvâmitra, le prince s’en alla dans la campagne, vers un village où habitaient des laboureurs. Il s’arrêta d’abord à observer le travail des paysans, puis il entra dans un pré, où étaient plantés quelques arbres. Un d’eux lui parut de bel aspect. Il était midi, il faisait chaud ; le prince alla s’asseoir à l’ombre de l’arbre. Et là, il se mit à réfléchir, et, bientôt, il fut tout entier à ses méditations.

En ce moment même, cinq ascètes, qui voyageaient, passèrent devant le pré, et ils aperçurent le prince qui méditait. Ils se demandèrent :

« Serait-ce un Dieu qui s’est arrêté là ? Serait-ce le Dieu des richesses, ou le Dieu de l’amour ? Serait-ce Indra qui porte la foudre, ou encore le berger Krishna ? »

Mais ils entendirent une voix qui leur disait :

« Quelle que soit la splendeur des Dieux, elle pâlit auprès de la splendeur du Çakya qui, au pied de l’arbre, contemple des vérités majestueuses ! »

Et ils s’écrièrent alors :

« Oui, celui qui médite au pied de l’arbre est marqué des signes de la toute-puissance, et, deviendra, sans doute, le Bouddha ! »

Puis ils le louèrent, et le premier dit : « Dans le monde, que brûle un feu corrupteur, il a paru comme un lac. Sa loi rafraîchira le monde. »

Le second dit : « Dans le monde qu’obscurcit l’ignorance, il a paru comme un flambeau. Sa loi éclairera le monde. »

Le troisième dit : « Sur la mer rude à traverser, sur la mer de la douleur, il a paru comme un navire. Sa loi fera faire la traversée au monde. »

Le quatrième dit : « Devant ceux qu’enchaîne la corruption, il a paru comme un libérateur. Sa loi délivrera le monde. »

Le cinquième dit : « Devant ceux que tourmentent la vieillesse et la maladie, il a paru comme un sauveur. Sa loi délivrera de la naissance et de la mort. »

Ils le saluèrent trois fois, et ils poursuivirent leur route.

Cependant, le roi Çouddhodana ne savait pas ce qu’était devenu le prince, et il envoya de nombreux serviteurs à sa recherche. Un d’eux l’aperçut : il était absorbé dans la plus grave méditation. Le serviteur s’approcha de lui, mais tout à coup il s’arrêta d’admiration : l’ombre de tous les arbres avait tourné, sauf celle de l’arbre qui abritait le prince ; cette ombre là ne bougeait pas ; elle ne s’écartait pas de celui qui méditait.

Le serviteur courut au palais du roi :

« Seigneur, cria-t-il, j’ai vu ton fils : il médite, assis sous un arbre dont l’ombre ne tourne point, alors que tournent les ombres de tous les autres arbres ! »

Çouddhodana sortit ; il se fit conduire près de son fils ; il pleura :

« Il est beau comme le feu sur la crête des montagnes. Il m’éblouit. Il sera la lampe du monde, et je tremble de tous mes membres, quand je le vois dans la méditation. »

Le roi, non plus que le serviteur, n’osait bouger ni parler. Mais des enfants passèrent, qui traînaient un petit chariot, et ils firent quelque bruit. Le serviteur leur dit, à demi-voix :

« Il ne faut pas faire de bruit.

— Pourquoi ? demandèrent les enfants.

— Voyez celui qui médite, au pied de cet arbre. C’est le prince Siddhârtha : l’ombre de l’arbre ne l’a point abandonné. Ne le troublez pas, enfants : ne voyez-vous pas qu’il a l’éclat du soleil ? »

Le prince pourtant s’éveilla de sa méditation. Il se leva, il marcha vers son père, il lui parla :

« Il faut cesser de labourer, mon père, il faut chercher les grandes vérités. »

Et il rentra dans Kapilavastou.