La Vie du Bouddha (Herold)/Partie III/Chapitre 7

La bibliothèque libre.
L’Édition d’art (p. 217-220).

VII


Le Maître arriva dans la ville de Kauçâmbî, et là, d’abord, il fut heureux. Les habitants écoutaient sa parole avec empressement, et nombreux étaient ceux qui prenaient l’état de moine. Le roi Oudayana fut parmi les croyants, et il laissa son fils Râshtrapâla entrer dans la communauté.

C’est à Kauçâmbî pourtant que le Maître éprouva une de ses grandes tristesses. Un moine commit un jour une faute ; il en fut réprimandé ; la faute était peu grave, il ne voulut pas se reconnaître coupable ; on lui infligea un châtiment, il refusa de s’y soumettre. Comme il était aimable et que sa conversation était fine et savante, il trouva sans peine des défenseurs. Vainement, on voulut le ramener dans le droit chemin.

« Ne prends pas cet air suffisant, lui disait-on ; ne te crois pas incapable d’erreur ; écoute les bons conseils ; parle aux autres moines comme il sied de parler à ceux qui professent la foi qui est la tienne ; ils te parleront comme il sied de parler à celui qui professe la foi qui est la leur. La communauté ne peut croître, ne peut fleurir que si les moines s’instruisent les uns les autres.

— Vous n’avez pas à m’apprendre le bien et le mal, répondait-il. Cessez donc de me réprimander.

— Ne dis pas cela. Tu ne parles pas selon la loi. Tu enfreins la discipline ; tu sèmes la discorde dans la communauté. Change de conduite. Vis en paix avec la communauté. Évite les querelles ; sois fidèle à la loi. »

Rien n’y fit. Et l’on décida que le rebelle serait exclu de la communauté. Cette fois encore, il décida qu’il n’obéirait point, et qu’il resterait parmi les moines : puisqu’il était innocent, il n’avait point à subir une peine injuste.

Le Maître finit par intervenir dans la dispute. Il essaya de calmer les esprits ; il conjura les moines d’oublier mutuellement leurs griefs et de s’unir, comme auparavant, pour l’œuvre sainte. On ne l’écouta pas. Un jour même, un moine fut assez hardi pour lui dire :

« Reste tranquille, ô Maître, ne nous importune point de tes discours ; tu es parvenu à connaître la loi, médite-la ; tes méditations te seront pleines de charmes. Nous, nous saurons bien où aller ; nos querelles ne nous empêcheront pas de trouver notre chemin. Médite, et tais-toi. »

Le Maître ne s’irrita point. Il voulut parler. On l’en empêcha. Il vit alors qu’il n’aurait pas raison des moines de Kauçâmbî : ils semblaient tous en proie à quelque folie subite. Le Maître résolut de les abandonner, mais, d’abord, il leur dit :

« Heureux qui possède un ami fidèle, heureux qui possède un ami subtil. Quels obstacles ne vaincront pas deux amis dont l’esprit est sage ? Mais qui n’a point d’ami fidèle ressemble à un roi sans royaume : qu’il marche, celui-là, dans l’âpre solitude, pareil à l’éléphant dans la forêt farouche. Mieux vaut voyager seul qu’accompagné d’un fou. Que l’homme sage suive un sentier solitaire, qu’il évite le mal et qu’il garde le calme, pareil à l’éléphant dans la forêt farouche. »

On le laissa partir. Et il alla dans un village, où il savait trouver son disciple Bhrigou. Bhrigou l’accueillit avec joie, et il fut quelque peu réconforté. Puis, Anourouddha, Nanda et Kimbila le rejoignirent. Ils lui donnèrent des marques nombreuses de respect et d’amitié ; ils étaient unis entre eux. Et le Maître pensait : « Il en est donc parmi mes disciples, qui m’aiment et qui ne se querellent pas. »

Un jour, pourtant, il s’assit à l’ombre d’un arbre, et il songea aux tumultes de Kauçâmbi. Près de lui s’arrêta une harde d’éléphants ; le plus grand allait à la rivière prochaine ; il y puisait de l’eau qu’il apportait aux autres ; ils burent, puis, au lieu de remercier celui qui leur avait rendu service, ils le raillèrent, ils le frappèrent de leurs trompes, et, enfin, ils le chassèrent. Et le Maître se dit que son sort ressemblait à celui de l’éléphant : tous deux étaient victimes d’une grossière ingratitude. L’éléphant vit sa tristesse ; il vint à lui, il le regarda doucement, et il lui chercha à manger et à boire.

Le Maître regagna enfin Çrâvastî, et, dans le parc de Jéta, il goûta quelque repos.

Mais il ne pouvait penser sans affliction aux cruels moines de Kauçâmbî. Or, un matin, il les vit entrer dans le parc. Leur détresse était extrême : on ne leur faisait plus la moindre aumône, tant indignait le traitement qu’ils avaient infligé au Maître. Aussi venaient-ils implorer leur pardon. Le moine fautif reconnut que sa cause était mauvaise ; il subit un bref châtiment ; ses adversaires, comme ses amis, avouèrent leurs erreurs ; tous promirent d’observer étroitement les règles. Et le Maître fut tout joyeux : il n’y avait plus de querelle dans la communauté.