La Vie rurale/54

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Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 190-191).

III

À APOLLON

Les fusils ont reçu des balles de calibre,
Les couteaux aiguisés pendent au ceinturon.
Aux hommes dont le cœur de toute crainte est libre
Rendez-vous est donné là-haut, vers Mont-Furon !

Ce n’est pas le ramier, ce n’est pas la bécasse,
La perdrix, le lapin, ni le lièvre aux abois,
Qu’ils ont, eux et leurs chiens, pris pour but de leur chasse,
C’est le loup, c’est le loup reparu dans nos bois.

C’est le loup qui, trop fin pour donner dans les piéges,
A déjà mis la dent sur nos plus gras moutons.
Ils sont quatre ; on les a vus aux premières neiges,
Tous de taille à braver et pierres et bâtons.


Sitôt que vient le soir, aux étables, aux fermes,
On a peur ; on frémit si l’on entend leur voix.
Dans ton solide enclos, voisin, tu te renfermes,
Et tu fais, mécréant, de vrais signes de croix.

Plus de calme sommeil, de joie extérieure ;
Vers le bois, au bétail les prés sont interdits ;
La nuit, les coqs prudents n’osent plus chanter l’heure.
Qui nous délivrera de ces pillards maudits ?

Il faut exterminer l’engeance meurtrière,
Il faut que tout chasseur soit brave devant eux :
Ainsi l’a déclaré Perrine la fermière,
Ainsi l’a dit Jasmin, petit berger boiteux.

Fiers chasseurs, allez donc ; courez, ô troupe alerte !
Tandis que des halliers vous battrez l’épaisseur,
Poëte oisif, du seuil de la maison déserte,
J’adresserai pour vous des vœux au dieu chasseur.

« Tire du carquois d’or ta meilleure sagette,
Montre-toi, lui dirai-je, et seconde leurs coups,
Toi qui battais jadis les fourrés du Taygète,
Apollon, que les Grecs nommaient Tueur de loups ! »