La Vie rurale/59

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Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 202-204).

VIII

APRÈS LES SEMAILLES

L’air est doux, le ciel pommelé
Est aujourd’hui blond comme l’ambre :
Soleil paisible, azur voilé,
C’est un des beaux jours de novembre.

Les travaux des champs sont finis ;
Partout s’est faite la semaille :
Déjà, dans les sillons unis,
Le blé silencieux travaille.

Sur la campagne et sur les bois
Je ne sais quel sommeil s’épanche,
Que berce au loin ta douce voix,
Cloche qui sonnes le dimanche !


C’est le jour du loisir sacré :
Aucun laboureur dans les plaines ;
Pas de faucheurs tondant le pré,
Pas de laveuses aux fontaines.

Le vent lui-même parle peu,
L’arbre n’agite aucune feuille.
On dirait que sous l’œil de Dieu
La terre prie et se recueille !

Ô Dieu, puisque c’est aujourd’hui
Que ta bonté sourit au monde,
Bénis ce cher vallon, sur lui
Ouvre ta main toujours féconde !

Sous le soleil et sous le vent,
Nos laboureurs toute une année
Ont repassé le sol mouvant :
Bénis cette œuvre terminée !

Tu les as vus dans les sillons
Au poids des jours pencher la tête.
Tu les as vus, sous les haillons,
Aller, venir dans la tempête.


En attendant que du labour
L’âpre fatigue recommence,
Souris à ce repos d’un jour,
Fais prospérer cette semence.

Ils ne demandent pas, Seigneur,
De recueillir l’or à mains pleines ;
Non, mais le pain du moissonneur,
Serait-ce trop pour tant de peines ?

Serait-ce trop, lorsque les blés
Seront tombés sous la faucille,
De voir les enfants attablés
Autour du père de famille ?

Ah ! quand juillet brûlant et doux
Viendra faucher le champ superbe,
Du blé qu’ils ont semé pour tous
Donne-leur du moins une gerbe !