La Vie rurale/66

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Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 229-230).

XV

AU DÉTOUR D’UNE ALLÉE

« Riez, ô belle enfant ! — comme au jour la lumière,
Comme l’active abeille à la fleur printanière,
Comme au rameau pliant l’oiseau mélodieux,
Comme au festin des rois la chanson d’une lyre,
Le sourire vous sied ; le rayonnant sourire
Sied à vos belles dents, il sied à vos grands yeux !

» Riez, chantez, courez sur les pentes fleuries,
Frôlez nos gravités de vos espiègleries,
Faites au grand soleil briller vos dix-sept ans.
Si les feuilles des bois au vent d’automne pleuvent,
Si le ciel s’assombrit, que d’autres s’en émeuvent :
Qu’importe cette brume à ce ciel de printemps ?


» Les meilleurs de vos jours ne sont pas nés encore.
Vous avez devant vous encor toute l’aurore ;
Vous ne touchez qu’à peine à cet âge d’amour,
Où la femme apparaît, jeune triomphatrice,
Et, vers chaque horizon promenant son caprice,
Va cueillir à souhait son miel de chaque jour.

» Allez, partez, courez où le sort vous invite ;
Mais ressouvenez-vous du cher et premier gîte ;
Parfois au vieux château rendez un doux rayon.
Revenez : rajeunis par votre fraîche haleine,
Nous nous lèverons, nous, comme devant Hélène
Se levaient autrefois les vieillards d’Ilion ! »

Ainsi je lui chantais un avenir de fêtes.
Les poëtes, hélas ! ne sont plus des prophètes !
Quand à la vierge en fleur je répondais du sort,
Qui m’eût dit que, l’automne à peine revenue,
Un soir, dans les gazons d’une sombre avenue,
Je lirais en passant : « C’est ici qu’elle dort ! »