La Vie véritable du citoyen Jean Rossignol/08

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CHAPITRE VIII

Je reprends mon métier. — Bonne paye et malchance. — Entre maître et compagnon. — Je me moquais de ses grenades. — Bousculade dans la cour du Palais. — «  Montez en voiture  !   » — Étapes du travail.

Mon camarade resta avec moi quatre jours pour se divertir ; après ce temps il partit pour Angers, son pays natal. Pour moi, au bout de huit jours, je me mis à travailler : ce fut chez le nommé Sommier, que je travaillai en sortant de la troupe. Pendant un an il fut assez content de moi, et moi de lui ; mais il survint une dispute entre le maître et le compagnon qui fut une cause que nous ne nous sommes jamais parlé depuis. Voici le fait en peu de mots : j’avais, depuis un mois, occupé une place avantageuse et très préférable, puisque celle que je quittais ne me rapportait qu’un écu par jour, tandis que la dernière me rapportait huit et neuf francs, ce qui fait deux fois de plus la valeur. Il est bon de savoir que j’avais remplacé un autre ouvrier qui revint demander de l’ouvrage. La place lui fut rendue et l’on voulut exiger de moi que je reprisse ma première. Je ne voulus pas d’évêque devenir meunier, et je fus porter mon mémoire au patron en lui disant que je ne voulais plus travailler chez lui. Cet homme était brutal, fier, hautain ; jamais ouvrier ne lui avait demandé son compte ; il fut si en colère qu’il déchira mon mémoire et dit qu’il fallait que je finisse la semaine. Je lui dis qu’il ne cherchait pas le jour, lui, pour me faire une sottise, qu’il n’y avait pas d’arrêt de la cour du Parlement qui me forçât à travailler chez lui… Enfin, de part et d’autre, nous nous échauffâmes et l’on fut obligé de nous séparer. Je sortis de la boutique ; il me suivit et me voulut forcer à me battre. Il est bon d’observer qu’il avait servi dans l’arquebuse. Je le plaisantais, à la vérité, sur ses grenades… Il me proposa d’aller aux Champs-Élysées nous battre à coups de canne ; je ne voulus jamais y consentir. Il me mit à plusieurs reprises le poing sous le nez. La patience à la fin m’échappa : je le jetai, lui d’un côté, sa pipe et son bonnet de l’autre. Cette affaire se passait dans la cour du Palais. J’eus la chance de sortir et d’échapper à la garde, qui courait après moi. Il ne fut pas content de cette petite correction : il me suivit et, au quai de la Vallée, il voulut me faire monter en voiture pour aller nous battre. Je ne voulus pas, mais je lui dis : Montez dans la voiture, je vais vous suivre ; — ce qu’il fit, et il crut, jusqu’au quai des Théatins, que réellement je le suivais ; cependant il en fut désabusé, et il s’en retourna chez lui en voiture.

Cette dispute me fit tellement haïr que personne ne voulait plus me donner de l’ouvrage. Cependant j’entrai chez un orfèvre pour le moins aussi brutal. Ce fut dans cette boutique que je me perfectionnai. L’ouvrage vint un peu à baisser ; j’eus quelque dispute militaire ; je fus contraint de quitter Paris, et je fus trois ans passés en province. Je n’avais pas vu la Provence et ce fut de ce côté que je fis une tournée.

Je suis resté deux ans à Toulouse.