La Vie véritable du citoyen Jean Rossignol/19

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CHAPITRE XIX

La retraite au hasard. — À la recherche des canons. — Qui vive ? — Le général prit le devant. — Je commandais la colonne. — Les officiers se rassemblèrent. — Nous jurons de marcher en masse — Devant le Conseil de Niort. — Biron un fouet à la main. — Ripostes à Bourdon (de l’Oise). — Je leur tiens tête.

Nous arrivâmes à Thouars à quatre heures du matin. Les soldats étaient si fatigués qu’ils se couchèrent par terre. Le général n’entra point dans la ville : il voulait se reployer sur Niort. Je fis tous mes efforts pour entraîner la troupe, mais il y avait deux chemins et nous n’avions aucun guide : les uns prenaient à gauche ; pour moi, avec deux cents hommes de gendarmerie et une seule pièce de canon, je suivis la même route que le général ; le tout au hasard, et nous le trouvâmes avec sa cavalerie qui nous attendait. Il me demanda des nouvelles de son artillerie ; je lui dis que les canons n’étaient pas derrière moi. Une demi-heure après, on vint nous dire qu’ils avaient pris l’autre chemin et qu’ils ne pouvaient être éloignés de nous que d’une demi-lieue. Le général commanda à des ordonnances de les aller chercher ; mais aucun ne voulut y aller. J’y fus avec le guide qui venait d’arriver et le général me promit de m’attendre. Je traversai la plaine et j’aperçus l’artillerie. Il ne faisait pas encore jour. Les canonniers me crièrent dessus : « Qui vive ? » Je leur répondis : Républicain ! — mais ils ripostèrent par une décharge de trois ou quatre coups de fusil. Mon guide piqua des deux et foutit le camp comme si le diable de ses pères courait après lui. J’étais bien embarrassé. Je fis retraite hors de la portée des coups de fusil, et comme j’entendais la troupe en marche qui continuait de suivre la grande route, je criai : Qui vive ! à mon tour. Tous s’arrêtèrent. Je recommençai une seconde fois ; ils me répondirent. Je leur dis : Le général le Rat est par ici (c’était le sobriquet que la colonne avait donné au général Salomon) ; vous n’êtes pas dans la bonne route. — Un d’entre eux reconnut ma voix ; je m’approchai et je leur fis traverser la plaine. Nous rejoignîmes le général à la pointe du jour : il fut très charmé d’avoir son artillerie avec lui, moins une pièce qui avait été enclouée par le lieutenant des canonniers de la 35e division de gendarmerie et qui resta sur le champ de bataille près Montreuil.

Nous prîmes le chemin de Niort par Fontenay et Saint-Maixent. Arrivé dans ce dernier endroit, le général prit le devant et fut à Niort auprès du général en chef Biron. Il y eut là, le lendemain, un conseil de guerre, auquel notre général assista, mais dont je ne puis rendre compte.

En nous quittant à Saint-Maixent, le général Salomon m’avait confié le commandement de la colonne. À la halte, tous les officiers s’assemblèrent en tête de la colonne : je ne savais pourquoi et je leur en fis la demande. Un d’eux, qui était colonel de la légion Rosenthal, me dit qu’il fallait faire appeler un officier de chaque corps avec un sous-officier et le plus ancien soldat afin de prononcer un serment et de réclamer à Niort auprès du général en chef l’ordre de ne point nous diviser, et, autant qu’il serait possible, de nous battre ensemble. Je fus de cet avis, connaissant cette brave petite brigade, et je dis que si l’on voulait nous présenterions, en arrivant, un officier de chaque corps chez le général Biron. Les mêmes firent aussi la motion de ne plus marcher par petites portions, disant que si nous étions souvent battus, c’est que l’on nous envoyait toujours quatre contre quarante. Je fus de cet avis et nous jurâmes de ne plus marcher qu’en masse sur ces coquins-là ; — mais ce serment ne fut pas tenu. Une députation choisie parmi nous devait donc porter notre vœu au général en chef, dès que nous serions arrivés à Niort ; chacun fit son observation et je pris aussi la parole : Mes amis, nos réclamations sont fondées. Plusieurs échecs que nous venons d’essuyer nous prouvent plus que jamais le besoin de grouper nos forces. Ce sont toujours les mêmes en garnison et toujours les mêmes au feu. Je certifierai cette vérité.

Notre députation devait se réunir encore le lendemain matin. Je me suis trouvé au rendez-vous avec quatre personnes. L’heure était passée ; plus personne n’arrivait : on avait eu soin de nous éloigner à une bonne lieue les uns des autres. Cependant nous partîmes seuls et nous allâmes chez le général Biron.

On nous dit qu’il était au conseil avec les représentants du peuple. Le conseil se tenait chez un parent de Goupilleau. Je demandai le général Salomon ; il vint nous parler, et, après quelques instants, on nous annonça que je pouvais entrer seul. J’entrai donc et je dis : Citoyens, mes camarades sont à la porte… Je demande pour eux la permission d’entrer puisqu’ils sont envoyés comme moi. — Bourdon de l’Oise me dit qu’ils n’entreraient pas, mais que je pouvais m’expliquer. Je m’expliquai :

Les officiers m’ont chargé de vous dire, au nom des braves camarades qu’ils commandent, que nous avons juré de nous battre ensemble et résolu de ne plus marcher en détail. Les Brigands donnent en masse, il nous faut faire de même. On nous envoie toujours quatre contre quarante… Le sang républicain est trop cher pour en faire si bon marché.

Biron était debout dans le Conseil, un fouet à la main : il tira sa clef de sa poche et la jeta sur le bureau en disant qu’il n’y avait qu’un lâche pour tenir de pareils propos, qu’il allait prendre un fusil et me montrer ce que c’était qu’un brave. Je lui dis : Vous pouvez être aussi brave que moi, mais pour davantage je vous en défie.

Depuis ce moment je fus en horreur aux amis et aux flatteurs de Biron[1].

Bourdon de l’Oise me tint ce propos  : il faut qu’un militaire qui a reçu un ordre l’exécute. — Oui, quand il y a possibilité. — Si l’on vous commandait de marcher devant une batterie de canons, vous devriez le faire. — J’irais. Mais si je trouvais moyen par quelque position ou par ruse de prendre la batterie sans m’exposer devant les bouches à feu, ce serait à moi d’aviser pour m’en tirer le mieux possible.

On me dit que je pouvais sortir et que je ne devais pas souffrir que mes hommes prêtassent de tels serments. Alors, en m’en allant je dis  : Je l’ai juré moi-même  ! Ainsi nous sommes tous coupables. — Et je m’en fus.

Je rendis compte à mes camarades des résultats de l’audience. Ils ne furent pas des plus contents.

J’observe que l’on a divisé cette colonne. Cependant nous fîmes un coup de feu ensemble au Bureau contre les Brigands, et ce fut le dernier, puisque Biron nous divisa.

  1. Ce n’était point assez de nous avoir envoyé le Suisse Witenkok qui commandait au 10 août la division de Paris, on remplaça le général plébéien Berruyer par un grand seigneur. Mais Beurnonville, ministre de la Guerre, qui, comme Biron était un commensal ou un ami de Philippe d’Orléans, avait ses raisons pour faire un pareil choix ; n’ayant pas de confiance dans la durée de la République, c’était un général en chef qu’il envoyait aux royalistes de la Vendée. Aussi Biron n’a-t-il jamais dirigé un mouvement contre eux du point où il commandait.

    Biron, nommé depuis six semaines général en chef de l’armée, au lieu de se rendre de suite à son poste dirigea sa route sur Bordeaux, où il s’arrêta assez longtemps pour attendre les événements qui se préparaient à Paris. Cette ville était, comme l’on sait, le centre du fédéralisme. Il était tout naturel qu’un général nommé sous l’influence du parti girondin, qui composait le Comité de défense générale, prît le mot d’ordre du Comité directeur siégeant à Bordeaux ; aussi des députés fédéralistes arrivèrent-ils presque en même temps que Biron à Niort et à Poitiers. C’était dans les derniers jours de juin. De grands événements venaient d’avoir lieu à la frontière du Nord. Dumouriez entretenait des correspondances secrètes avec les généraux autrichiens. La Convention nationale venait d’ordonner qu’il comparaîtrait à sa barre. Sur son refus d’y comparaître elle chargea quatre de ses membres de l’aller arrêter au milieu de son armée. Le ministre de la Guerre Beurnonville fut chargé de les accompagner dans cette mission difficile. Dumouriez les fit arrêter tous les cinq et les livra à l’ennemi. Il se disposait à marcher sur Paris, mais l’armée ayant refusé de le suivre, il se jeta dans les mains des Autrichiens.

    Ce fut à cette époque que fut créé le Comité de salut public dont l’énergie sauva la France. Un nouveau ministre de la Guerre fut nommé : ce fut un simple colonel de hussards qui s’était distingué aux batailles de Valmy et de Jemmapes. C’était un républicain franc et loyal, nommé Bouchotte, grand travailleur, il voyait tout par lui-même. Ses premiers regards se portèrent sur la Vendée. Il nous envoya plusieurs bataillons de Paris qui furent dirigés sur Niort : deux restèrent à Saumur, malheureusement on reçut dans ce corps beaucoup de remplaçants. Aussi furent-ils surnommés « les héros à cinq cents francs ». Ces deux bataillons furent suivis par une compagnie franche des Pyrénées, dont la composition contrastait singulièrement avec celle des bataillons de Paris : tous ceux qui formaient ce corps étaient des hommes dévoués, mais ils étaient en petit nombre.

    Biron arrive enfin à l’armée ; il en confie l’avant-garde à Westermann qui malheureusement avait beaucoup plus de courage que de prévoyance et qui, jaloux de faire parler de lui, compromit plus d’une fois par son imprudence le salut de l’armée. (Choudieu : Notes sur la Vendée.)