La Vie véritable du citoyen Jean Rossignol/22

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CHAPITRE XXII

Au Comité de salut public. — Je retourne à l’armée. — Nous rencontrons Biron au relai. — Je commande à Saumur. — Les travaux de défense. — Les bourgeois de la ville en bonnet de nuit. — Général de division. — Un courrier extraordinaire. — Il fallut accepter. — Me voilà général en chef.

À Paris, je me présentai chez le ministre de la Guerre avec l’intention de lui faire part de mes observations sur la guerre de Vendée. Il me dit de venir le soir au Comité de salut public : c’était la première fois que je lui parlais. À mon départ pour l’armée de l’Ouest, j’avais vu Beurnonville, ministre de la Guerre, mais je ne connaissais pas son remplaçant, ni directement ni indirectement.

Le lendemain de mon arrivée, c’était le jour de l’assassinat de Marat, j’allai au Comité de salut public que je trouvai rassemblé. Pache, maire de Paris, et le ministre Bouchotte y étaient. Je fus présent à toutes les mesures prises jusqu’à une heure du matin, et ne me retirai qu’après avoir communiqué toutes mes réflexions. Le lendemain, j’instruisis mes concitoyens sur les manières de la guerre de Vendée ; ensuite je retournai chez le ministre pour lui demander de quoi faire mon voyage, car j’avais l’intention de retourner à l’armée : un bon de 2 400 livres me fut délivré. Je partis le troisième jour après mon arrivée, emmenant avec moi deux officiers qui étaient venus à Paris solliciter ma mise en liberté auprès du Comité de salut public.

Nous arrivâmes à Tours.

L’armée avait essuyé une déroute complète à Vihiers et s’était retirée en mauvais ordre, une partie sur Tours, une autre partie sur Chinon. Ce fut à cette bataille que le général Menou fut blessé. Le bruit se répandit que les Brigands étaient rentrés à Saumur. Alors c’était La Barolière qui commandait en chef, car Biron avait été destitué. (J’avais rencontré ce dernier en chaise de poste au-dessus d’Étampes. Nous n’étions pas assez amis pour nous parler, mais les deux officiers qui m’accompagnaient lui lancèrent quelques sarcasmes piquants en changeant de chevaux à la poste.)

Je voulus savoir par moi-même si l’ennemi était à Saumur, comme on le disait ; j’abandonnai donc à Tours mes deux camarades, en leur recommandant de faire tous leurs efforts pour rassembler notre division  ; je pris mon domestique avec moi et m’assurai de bons chevaux de selle, et nous galopâmes à franc étrier jusqu’à Saumur[1].

J’appris au faubourg que l’ennemi n’était pas encore dans la ville, mais qu’il allait y entrer. En ville, le premier citoyen que j’accostai fut le maire de Saumur ; je le connaissais, mais lui ne me reconnaissait pas, car je portais un déguisement ; je lui dis mon nom et nous liâmes conversation. Je lui demandai où était l’ennemi ; il me répondit que les Brigands étaient à Doué. Il était bien fâché que la troupe ne se fût pas arrêtée à Saumur. Après plusieurs renseignements, je sus de lui qu’il y avait à Saumur un membre du département de Paris que je connaissais ; c’était le capitaine Momoro. Je fus le trouver et l’invitai à se transporter à Tours ou à Chinon, afin de faire marcher les troupes sur Saumur et d’approcher l’ennemi. Il me dit que c’était son intention, mais que, restant seul, il ne pouvait quitter la ville. Alors je fus trouver à la poste mon domestique et je repris mon costume militaire, car j’avais reçu un ordre des représentants du peuple, qui me nommait au grade d’adjudant général. Il était donc de mon devoir de rassembler le plus possible de forces et de commander Saumur. En cette qualité, j’écrivis sur l’instant une lettre au général La Barolière. Comme je finissais cette lettre, on vint m’annoncer que Ronsin avec sa suite venait d’arriver. Je n’avais jamais vu Ronsin, mais j’avais beaucoup entendu parler de lui. Il y avait avec lui le citoyen Parein, que je connaissais pour un homme éclairé, vrai républicain attaché par principe à la Révolution et vainqueur de la Bastille[2]. Je fus le voir : il me dit que j’étais nommé général de brigade et que le citoyen Ronsin, adjoint au ministre de la Guerre, avait ma lettre de service, puis il me présenta à Ronsin qui m’accueillit très patriotiquement et me dit qu’il fallait que je vinsse avec lui à Chinon, pour me faire reconnaître général par les représentants du peuple et le général La Barolière. Nous prîmes une chaise de poste et partîmes de suite.

En arrivant nous fûmes chez les représentants à qui nous communiquâmes nos idées sur l’avantage qu’il y avait à faire marcher des troupes sur Saumur ; de là, nous fûmes chez le général à qui je fis voir mon brevet : il me donna de suite le commandement de Saumur et mit à ma disposition les troupes que je lui demandais pour composer ma brigade. J’eus soin de lui demander ma gendarmerie et les ordres furent expédiés en conséquence.

Nous ne partîmes à Chinon qu’après avoir engagé les représentants du peuple à venir à Saumur : ils furent de cet avis et vinrent y établir quelques jours après leur quartier général.

À Saumur, je distribuai les forces dont je disposais sur les points capables d’être soutenus ; je désignai le poste de chaque bataillon ; je fis entrer dans le château une bonne garnison ; je fis monter des canons, réparer les fortifications sur la ligne de défense, creuser des retranchements, et je conservai un point de retraite assuré par une batterie de deux pièces de huit soutenue par ma gendarmerie ; une autre batterie fut montée dans le faubourg, vis-à-vis la rivière, en position de battre le quai par où les Brigands avaient tourné Saumur ; un bataillon campa sur la rive droite pour garder les endroits qui étaient guéables. Je fis encore miner un pont de pierre avec une mèche gardée par des sentinelles de distance en distance. Les Brigands informés ne vinrent plus attaquer Saumur. J’avais fait abattre un bois sur la droite, par où l’ennemi risquait de venir : citoyens et citoyennes pouvaient aller y chercher du bois pour leur consommation.

Une fois l’ennemi marcha de nuit sur Saumur. Il était à Doué. Je fis battre la générale à deux heures du matin et ma troupe se rassembla sur la place d’Armes en bataillon carré. J’envoyai un escadron avec ordre de ne point revenir sans avoir reconnu la marche de l’ennemi et sans avoir fait le coup de feu. Après avoir expédié les ordres nécessaires, je me rendis sur la place d’Armes, et au centre du bataillon, je vis les bourgeois de la ville en robe de chambre et bonnet de nuit. Un d’entre eux disait aux soldats que toute résistance était inutile, car nous n’étions pas en état d’empêcher les Brigands de prendre la ville, et il déconcertait par un pareil langage les troupes républicaines ; je le fis arrêter et conduire en prison ; puis je dis aux autres citoyens, devant leur refus de défendre leurs foyers et puisqu’ils tendaient eux-mêmes les bras à l’ennemi, que j’allais me retirer dans le faubourg et battre la ville à boulets rouges, quand les Brigands y seraient entrés. Beaucoup de citoyens voyant ma résolution vinrent se ranger sous le drapeau républicain. Je les mis à droite et à gauche le long de la rive, en seconde ligne. Je sortis alors avec quatre bataillons et j’arrivai assez à temps pour soutenir mon escadron aux prises avec l’avant-garde des Brigands. Je déployai mes troupes et le feu fut si bien soutenu, pendant une bonne heure, que nous avions sur eux un avantage marqué ; cependant j’ordonnai la retraite jusqu’au pont afin de les attirer dans le piège que je leur avais tendu, mais ils étaient si bien avertis qu’ils ne vinrent pas s’y frotter. Abandonnant l’attaque sur Saumur, ils portèrent leurs forces sur les buttes d’Érigné, vis-à-vis les Ponts-de-Cé.

Ce fut quelques jours après que je fus nommé général divisionnaire et, en huit jours de temps, promu, par la Convention nationale au grade de général en chef de l’armée de l’Ouest[3].

Ce courrier extraordinaire arriva vers les deux heures du matin. Le paquet était adressé à Ronsin qui me manda aussitôt : j’y fus. Il me remit les lettres à mon adresse, mon brevet de général en chef et le décret de la Convention nationale portant cette nomination : j’avoue franchement que cela me surprit beaucoup, et je dis moi-même à tous ceux qui étaient présents que je ne pouvais accepter, vu que je n’avais pas les moyens requis pour remplir ce grade, que c’était impossible, et que je remerciais, et qu’il y avait bien d’autres hommes plus éclairés que moi, et que je ne connaissais rien aux affaires de cabinet. On me donna deux jours pour faire mes réflexions. Je fus trouver les représentants Richard et Choudieu à qui je tins le même langage. On s’assembla dans cette journée. Au milieu de tous les républicains, je démontrai mon peu de valeur pour cette fonction. Malgré toutes mes observations, je fus engagé par les représentants du peuple, par tous les généraux, par les commissaires du pouvoir exécutif du département et de la Commune de Paris à accepter la proposition qui m’était faite au nom de la République française. Tous voulaient m’aider de leurs conseils ; ils disaient qu’il y aurait toujours un représentant du peuple avec moi, qu’aucun patriote ne m’abandonnerait et que ce serait agir en mauvais citoyen que de refuser le service du pays. Toutes ces belles paroles, leur disais-je, avec la bonne volonté que j’ai ne me donnent pas le talent que je voudrais avoir ; j’ai des intentions, mais peu de lumières… Et voilà à peu près le discours que je leur tins pendant deux jours. Enfin il a fallu me résoudre à accepter ce grade important, et je l’ai fait. J’observe qu’à ce moment toute la classe des nobles était rappelée des armées et suspendue de ses fonctions.

Me voilà général en chef. Je ne pouvais concevoir par qui et comment cela m’était venu[4]

    lorsqu’il poursuivait les rebelles sur la rive droite. On aurait pu les attribuer aussi à l’envie que lui portaient quelques officiers-généraux, à la désobéissance et au mépris de ses ordres qui en étaient la suite. »

    « Général Turreau. »
    (Mémoire pour servir à l’histoire de la guerre de Vendée.)

    Extrait d’une lettre de Rossignol à Bouchotte, ministre de la guerre, lue à la Convention nationale, dans la séance du vendredi 9 août :

    « Saumur, 5 août 1793, l’an IIe.

    « Les généraux Ronsin et Salomon chargèrent, à la tête de la cavalerie, jusqu’aux portes de Doué, où l’on fit halte de peur de surprise. À peine la cavalerie fut-elle répandue autour des murs de Doué, que le feu des rebelles commença avec vigueur. Le général Ronsin fit alors avancer au pas de charge mille hommes d’infanterie, composant l’avant-garde, et les dispersa lui-même en tirailleurs, à droite et à gauche pour soutenir les 35e et 36e divisions de gendarmerie qui donnèrent l’exemple du courage ; les 4e, 5e et 15e bataillons de la formation d’Orléans les suivirent et marchèrent avec eux sur tous les points. En moins d’une demi-heure, l’ennemi fut débusqué de tous ses postes, Doué fut pris et l’armée de rebelles en déroute jusqu’à Concourson. Officiers, soldats, tous ont donné avec la même ardeur.

    « La ville de Doué tout fouillée jusque dans les caves, malgré les coups de fusil tirés de toutes parts et particulièrement du clocher.

    « Plus de six cents rebelles ont été tués, cinquante furent faits prisonniers, parmi lesquels se trouvaient des chefs et des prêtres.

    « Nous avons perdu six hommes, dont trois du 8e régiment de hussards. Nous ne trouvâmes dans Doué que des femmes qui firent à nos troupes l’accueil le plus hospitalier.

  1. RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
    Au nom du peuple français,

    À tous officiers civils et militaires chargés de maintenir l’ordre public dans les différents départements de la République et de faire respecter le nom français chez l’étranger  : laissés passer librement, le citoyen Jean Rossignol, né à Paris, district d… département de Paris, âgé de 33 ans, taille de 5 pieds, 4 p°, cheveux et sourcils châtains, nez moyen, yeux verdâtres, bouche moyenne, menton fourchu, visage plein, cicatrice sur la joue. Partant en poste pour se rendre à Saumur, lieutenant-colonel de la 35e division de gendarmerie nationale, sans lui donner ni souffrir qu’il lui soit donné aucun empêchement. Le présent passe-port valable pour quatre jours seulement.

    Donné à Paris, le 17 juillet 1793, l’an IIe de la République une et indivisible.

    Et a signé avec nous,

    Rossignol,
    Le Ministre de la guerre  :
    J. Bouchotte.

    Ce passe-port, que Rossignol se délivrait à lui-même, le 17 juillet, porte sa signature au seul titre de colonel commandant la division bien qu’il eût été promu le 4 juillet au grade d’adjudant-général (le Comité de salut public confirmant ainsi le brevet qu’il avait reçu dès le 25 juin de la Commission centrale de Tours), le 12 juillet, général de brigade, le 15 juillet, général de division.

  2. Parein entra plus tard dans la police de Fouché.
  3. CONVENTION NATIONALE : Extrait de la séance du 27 juillet 1793.

    Le ministre de la guerre annonce que le conseil exécutif a donné au citoyen Rossignol le commandement de l’Armée de La Rochelle.

    L’assemblée applaudit cette nomination et la confirme.

  4. « Alors il s’opéra une grande révolution dans l’armée des Côtes de La Rochelle ; elle commença par la chute d’un grand : Biron fut destitué. Le Conseil exécutif lui donna pour successeur un général plébéien : Rossignol vint prendre le commandement de l’armée et établit son quartier général à Saumur. Cette promotion, contre laquelle tant d’hommes puissants se sont élevés, n’en était pas moins un coup de parti, un événement très heureux dans l’Ouest. Les chefs des Rebelles s’en alarmèrent : ils sentirent bien qu’ils n’avaient rien à espérer d’un général républicain dont les principes n’étaient pas équivoques et que Rossignol ne serait pas aussi complaisant que son prédécesseur.

    « L’élévation de Rossignol au premier grade de l’armée produisit encore un effet salutaire sur l’opinion ; elle arrêta cette défection morale qui enlevait chaque jour de nombreux partisans à la République ; on vit bien qu’il fallait enfin se décider ; que les partis mitoyens n’étaient plus de saison ; que le patriotisme ne composerait pas avec l’aristocratie. La plupart des administrateurs, des agents de toute espèce employés dans les pays voisins de la Vendée, et qui jusqu’alors avaient cherché et n’avaient que trop réussi à se neutraliser et à ménager les deux partis, furent obligés de se prononcer. Plusieurs de ceux qui avaient favorisé secrètement les Vendéens, et qui n’osaient pas passer avec eux, devinrent républicains par crainte ; et si tous les malveillants ne furent pas comprimés, au moins leurs intelligences avec les rebelles ne furent plus aussi actives, leurs moyens aussi faciles, leurs secours aussi puissants.

    « Je suis l’ami de Rossignol et j’en fais gloire ; mais cela ne doit pas m’empêcher d’émettre librement mon opinion sur son compte : magis amica veritas. Brave, franc, loyal, désintéressé, Rossignol a toutes les qualités d’un républicain et n’a pas les talents nécessaires à un officier-général. Et cela ne contredit pas ce que j’ai dit plus haut de l’heureux effet qu’a produit sur l’opinion la promotion d’un plébéien au commandement de l’armée. Le seul reproche sérieux qu’on puisse faire à Rossignol, c’est de s’être mal entouré, et il avait d’autant plus besoin d’avoir près de lui des officiers instruits qu’il l’était peu, et que, souvent malade, il ne pouvait ni agir, ni rien voir par lui-même.

    « On a attribué à son impéritie les échecs qu’il a éprouvés,

    Toutes les propriétés furent respectées. Aucun désordre ne fut commis. Depuis vingt-quatre heures le tocsin avait sonné dans les campagnes environnantes, et, après avoir pris l’état nominatif de tous les citoyens qui venaient se réunir à nous, nous les avons invités à rentrer dans leurs foyers pour y achever leurs moissons, jusqu’au moment où, par une mesure générale, nous pourrons employer plus utilement leur ardeur pour la défense de la République.

    « Cette expédition avait pour but de dissoudre l’armée des Brigands qui était à Doué et qui n’attendait que le moment, d’être renforcée par celle de Thouars pour attaquer Saumur.

    « Les adjudants-généraux Moulins, Grignon et Joussard ; les colonels Chambon et Donnieau ; l’adjudant Canuel et l’aide de camp Daubigny se sont particulièrement distingués dans cette action. Les commissaires nationaux Parein et Millier, de la Croix-Rouge, ont rempli avec un zèle infatigable les fonctions d’aide de camp.

    « Rossignol. »