La belle de Carillon/1

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Éditions Édouard Garand (p. 3-12).



I

LE GANT JETÉ ET RELEVÉ


On entrait dans la troisième année de la Guerre de Sept Ans qui allait coûter si cher à la France et dont l’Angleterre allait tirer de larges compensations.

Au printemps de 1758, tandis qu’une flotte anglaise d’au-delà de cent cinquante navires, sous les ordres de l’amiral Boscawen, voguait vers Louisbourg pour faire le siège de la place et l’emporter, le général anglais Abercromby se dirigeait vers la frontière canadienne, par voie du Lac Saint-Sacrement, avec plus de quinze mille hommes, une quantité énorme de bagages et un formidable matériel de campagne et de siège. Cette armée monstrueuse à elle seule était la plus grande menace de toutes les années d’épreuves et de combats qu’avait vécues la Nouvelle-France. Et si l’on ajoute une deuxième armée de sept mille hommes qui par l’Ohio gagnait Détroit et les Grands Lacs pour s’emparer de postes importants qu’y défendaient seulement quelques bataillons de Français et de Canadiens, nous avons une juste idée des dangers qu’offrait cette invasion. Encore une fois, la France se voyait contrainte de lutter, pour la sauvegarde de ses colonies, contre un ennemi dix fois supérieur tant par le nombre de ses combattants et de ses navires de guerre, que par la fécondité de son trésor national et la productivité de ses industries.

À ce moment, les maîtres de la France s’enlisaient dans un gâchis qui ne pouvait manquer d’amener de terribles et d’irrémédiables catastrophes. Louis XV, roi, trop pris par les affaires intérieures ou trop préoccupé par ses plaisirs et devenu le jouet d’une cour frivole qui voulait « les plaisirs avant les affaires », abandonnait les choses de l’extérieur à des ministres incompétents ou trop empressés à grossir leur fortune et à l’assurer contre les revers de l’avenir. Berryer, secrétaire de la marine royale, avait coutume de dire aux courtisans de son entourage : « La fortune ne favorise un homme qu’une fois dans sa vie ; c’est à cet homme d’en savoir profiter. » Et Berryer en profitait si bien, et les autres ministres et courtisans savaient si bien en profiter, que le trésor national se trouvait ruiné. Les agents anglais qui espionnaient la cour effrénée de Versailles en tiraient des renseignements précieux pour leur pays, et l’Angleterre, qui possédait encore cet avantage de mieux connaître la France et ses affaires que celle-ci ne connaissait sa rivale d’Outre-Manche, mettait à profit toutes les circonstances qui s’accumulaient en sa faveur. Bref, tandis que la France s’amusait ou se laissait aller à l’insouciance, l’Angleterre travaillait.

C’est pourquoi la France, trop imprévoyante et incapable de fournir à temps les secours et appuis nécessaires à ses colonies, allait éprouver un premier et dur revers par la perte de Louisbourg dont les Anglais allaient s’emparer, mais non sans que ses défenseurs eussent fait preuve du plus grand courage et tenu jusqu’aux dernières extrémités. La chute de Louisbourg pouvait être funeste à toute la Nouvelle-France ; mais la patrie canadienne fut sauvée une fois encore grâce à la prodigieuse victoire que remporta, à Carillon, le général Montcalm à la tête d’une petite armée fort mal équilibrée dans ses cadres et très médiocrement équipée. Cette victoire fut, en effet, si prodigieuse que, non seulement les soldats, mais aussi les généraux l’imputèrent à la protection de la Providence.

Et, de vrai, contre la formidable armée d’Abercromby, Montcalm n’avait à opposer que trois mille cinq cents combattants, dont quelques bandes de sauvages très indisciplinées. Les forces régulières, soldats de France pour la plupart, ne comptaient que dix-huit cents hommes et d’une discipline relâchée. Le reste de l’armée — et l’on pourrait dire avec plus de vérité la moitié de cette armée — était formée par des régiments des milices : paysans, commerçants, trappeurs et artisans canadiens. Mais si l’expérience des choses de la guerre chez ces derniers était très inférieure à celle des soldats réguliers, ceux-là l’emportaient de beaucoup sur ceux-ci par le moral et l’endurance. C’est pourquoi cette belle victoire, mais sans dédaigner la belle conduite des soldats de France, peut être mise au crédit des Canadiens dont Montcalm lui-même et ses principaux officiers reconnurent le courage et la bravoure. À la vérité, l’on ne saurait affirmer que les Canadiens, sans l’appui des soldats français, eussent pu gagner cette bataille contre une armée ennemie qui se totalisait par cinq fois leur nombre.

Ce fut le 30 juin de cette année, 1758, que la petite armée de la Nouvelle-France, commandée par Montcalm, Lévis et Bourlamaque, prit position entre le Fort Carillon et le Lac Saint-Sacrement. Ce même jour, l’armée anglaise campait près du Fort George à la tête du Lac Saint-Sacrement, et l’ennemi achevait de construire un nombre considérable de berges sur lesquelles il allait s’embarquer bientôt pour gagner Carillon.

Montcalm, qui n’ignorait pas le nombre et la force de l’ennemi, ne perdit pas de temps : de suite il ordonna de redoutables travaux de retranchements et de défenses entre le Fort Carillon et le Lac Saint-Sacrement. Ces retranchements étaient faits d’abatis d’arbres entrecroisés en tous sens et d’une hauteur variant de cinq à six pieds. Ils formaient une suite de barrages d’une grande solidité derrière lesquels, par surcroît de précautions, on avait creusé des tranchées d’une profondeur de deux pieds. Les combattants se trouvaient ainsi fort bien abrités contre les projectiles ennemis, et à cet avantage ils joignaient celui de pouvoir sans grand danger pour eux-mêmes, par des meurtrières ménagées dans les barrages, causer bien des dégâts à l’ennemi. Le général français avait encore ordonné qu’on abattit une bonne étendue des bois qui couvraient le terrain entre le camp retranché et le Lac Saint-Sacrement, de sorte que l’ennemi serait contraint de se mettre à découvert pour tenter l’assaut du camp, puis celui du Port. Ce dernier se dressait sur les hauteurs qui surplombaient la petite rivière La Chute, et dans le Port, Montcalm avait laissé une garnison de quelque trois cents hommes chargés de veiller sur les magasins de l’armée, et aussi de ravitailler les régiments français et les bataillons canadiens dans leurs retranchements.

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Au cours de la matinée du premier juillet de cette même année, c’est-à-dire le lendemain de l’arrivée de l’armée, si nous entrons dans le Port Carillon, nous assistons à une scène qui ne saurait manquer d’intérêt, attendu qu’elle allait être le prélude d’événements tragiques. La scène se passait sur une petite place où se trouvaient les magasins, et elle avait pour acteurs un officier français et un officier canadien, et pour spectateurs quelques miliciens et soldats de la garnison. Elle avait aussi des spectatrices… deux femmes qui, un peu plus loin, demeuraient immobiles, bras dessus bras dessous, et très inquiètes de la tournure que pourrait prendre l’incident. L’une de ces femmes était une jeune fille de pas plus de seize ans, blonde, délicate, menue. Son petit visage tout rose, éclairé de yeux bleus très doux, se trouvait ombragé par les larges bords d’un chapeau de paille rose enrubanné de blanc. L’autre femme était d’un âge plus avancé, mais jeune encore, d’une taille plus haute et plus forte et presque aussi blonde que la jeune fille. Elle était coiffée d’un chapeau de paille bleue, et, pour mieux se protéger, elle et sa compagne, contre les ardeurs du soleil, elle tenait dans sa main droite une ombrelle de soie noire toute déployée. Ces deux femmes portaient des toilettes claires et presque identiques, et à les voir ainsi on les aurait prises pour deux sœurs ; mais elles n’étaient pas les deux sœurs : la plus âgée était Mme Desprès, femme du commandant du Fort, et l’autre était sa fille, Isabelle. La mère et la fille, en compagnie du commandant, se promenaient ce matin-là dans le fort, lorsque des miliciens canadiens étaient venus chercher certains outils dont ils avaient besoin pour le travail des retranchements. Mais comme il était nécessaire de porter une réquisition signée par l’un des trois chefs de l’armée pour tirer quoi que ce fût des magasins, et vu que les miliciens n’avaient pas telle réquisition, mais uniquement un ordre de leur capitaine, le commandant du fort les avait renvoyés sans les outils requis.

Peu après les mêmes miliciens étaient revenus, mais cette fois ils étaient accompagnés de leur capitaine. À la vue de l’officier canadien, le commandant avait laissé ses deux compagnes à l’écart et s’était avancé, hautain, à la rencontre du capitaine canadien que suivaient un lieutenant et quatre miliciens.

Disons ici que le commandant Desprès était un homme d’une cinquantaine d’années qui, sans être de la noblesse française, affectait des airs de gentilhomme de haute lignée. Toujours richement vêtu, fier, vaniteux, hautain, portant l’épée en verrou, il se posait comme un esprit supérieur et un maître absolu dans le Fort. Militaire de peu de valeur, il avait obtenu, pour la durée de la présente campagne, le poste de commissaire des magasins du roi par l’influence de l’Intendant-Royal, François Bigot, dont il était une des créatures. Montcalm, à ce titre de commissaire, avait ajouté celui de commandant du Fort, et ce double titre avait suffi pour gonfler au suprême degré la vanité de cet homme. Comme trop d’officiers français de cette époque, Desprès se plaisait à exercer son mépris à l’égard des officiers canadiens dont il mésestimait injustement et méchamment la valeur, et rien ne le réjouissait autant que d’humilier les Canadiens qui l’approchaient. Aussi, en voyant paraître le capitaine canadien, se promit-il avec une joie secrète de lui faire son compte de la belle façon. Et il allait du haut de son personnage important apostropher le capitaine, lorsque celui-ci le devança brusquement et sur un ton qui n’avait pas l’air commode.

— Monsieur, avait dit le capitaine sans préambule, mon lieutenant se plaint que vous lui refusez les outils dont il a besoin lui et ses hommes pour le travail des retranchements, et je viens vous demander les raisons de votre refus.

Le commandant était demeuré sur le coup quelque peu estomaqué. Mais, retrouvant tout son orgueil, il se mit à toiser d’abord son interlocuteur avec le plus profond mépris.

Léandre Valmont, tel était le nom du capitaine canadien, était un jeune homme d’une trentaine d’années, de grand talent et d’une belle bravoure. Entré dans les milices dès l’âge de dix-huit ans, il s’était fait remarquer aussitôt par sa bonne conduite et son courage dans les escarmouches de la frontière. En peu de temps il avait franchi les sous-grades pour arriver à celui de capitaine de bataillon. Montcalm le tenait en une particulière estime, et il aimait à lui confier des postes importants dans les combats. Valmont s’était toujours montré digne de la confiance de son chef. À de nombreuses qualités le jeune canadien joignait encore celle d’entraîneur d’hommes, et les miliciens qui se trouvaient sous son commandement lui étaient obéissants et dévoués jusqu’à la mort. De belle et d’élégante taille, Valmont, quoique fils de paysan, possédait une telle distinction de manières qu’on l’aurait pris pour un gentilhomme. Pour tout dire, c’était un de ces beaux soldats qui attirent malgré eux les regards des jeunes filles et font soupirer bien des cœurs.

Si Léandre Valmont avait fait soupirer des cœurs, il s’était bien gardé de n’en choisir et prendre aucun. Dès l’âge de vingt ans, il aurait pu prendre une compagne qui n’eût pas manqué de le rendre heureux. Mais il avait préféré demeurer célibataire à cause du métier, non pas qu’il songeât à rester seul toute sa vie, mais il voulait attendre encore… attendre que la paix fût établie pour longtemps entre la France et l’Angleterre. Au reste, il avait encore son père et sa mère, pauvres cultivateurs, à qui il donnait la plus grande partie de sa solde de capitaine. Il est vrai que son grade, ses belles manières et son physique passable auraient pu lui faire trouver femme dans la grande bourgeoisie, mais pour arriver là il lui aurait fallu se mêler à la société des courtisans, chose qui lui répugnait. Car Valmont ne portait pas l’étoffe du courtisan, et il trouvait d’ailleurs qu’il y en avait déjà trop de ces officiers qui faisaient antichambre chez les hauts fonctionnaires dans l’espoir d’obtenir de l’avancement ou quelque poste à fortes prébendes. Au reste, sa solde pour le moment lui suffisait, et il est certain que le jeune capitaine ne désirait d’autre avancement que celui dû à ses seuls mérites.

Brave et courageux, ainsi que nous l’avons dit, Valmont, cependant, n’était pas un téméraire. Réfléchi et de sang-froid, il aimait à examiner les dangers avant de les affronter, non pas tant par crainte pour lui-même que pour la protection de ses subordonnés. Avant de lancer ses hommes à l’attaque il étudiait soigneusement le terrain et les manœuvres de l’ennemi, et quand il jugeait le moment venu il donnait le signal et lui-même et le premier se jetait à la tête de l’ennemi. Il va sans dire que, obéissant et fidèle à la consigne, il exécutait à la lettre les ordres de ses chefs, et s’il usait d’initiative dans les engagements, c’était par l’impossibilité de communiquer avec les officiers supérieurs. Aussi chaque fois qu’il avait usé d’initiative avait-il été assez heureux de s’en tirer à la plus grande gloire des armes canadiennes. Et ses chefs, le connaissant, lui abandonnaient volontiers cette initiative dans les détails du combat, certains que Valmont travaillerait ferme pour acquérir sa part de victoire. C’est pourquoi, la veille de ce jour, le général Montcalm avait assigné au capitaine canadien le poste le plus important dans la ligne des retranchements et des défenses, et lui, le capitaine, et tout en donnant l’exemple, avait mis ses hommes à l’œuvre. Mais bientôt on avait manqué de certains outils et plusieurs hommes demeuraient les bras croisés. Le capitaine dépêcha aussitôt son lieutenant, Bertachou, avec quatre miliciens pour rapporter du Fort les outils qui manquaient. Bertachou et ses hommes avaient été renvoyés les mains vides.

— C’est bien, dit Valmont quelque peu mortifié, venez avec moi, je saurai bien vous faire livrer ces outils.

Nous savons comment il s’était présenté au commandant du Fort, en lui demandant sur un ton décidé les raisons de son refus de livrer les outils.

Interloqué d’abord par le ton plutôt agressif du jeune homme, le commandant l’avait ensuite toisé avec quelque mépris, puis il avait répliqué avec hauteur :

— Capitaine, je comprends fort mal cette démarche de votre part. Vous n’ignorez pas les règlements qui spécifient que nul outil ne sera livré que contre réquisition signée par l’un des trois chefs de l’armée.

— Oui, mais sachez que les trois chefs sont partis en excursion pour examiner le pays environnant, et sachez aussi que nous avons besoin d’outils, attendus que dix de mes hommes se trouvent inactifs.

— Ce n’est pas ma faute, répliqua le commissaire avec un léger dédain. Attendez que soit revenu le général.

— Et s’il ne revient qu’à la nuit ?…

— Attendez à la nuit, sourit ironiquement Desprès.

Valmont tremblait de colère.

— Et vous croyez que dix de mes hommes vont demeurer à rien faire ?

— Ce ne sont pas eux qui s’en plaindront, j’imagine.

— Et les retranchements que nous avons ordre de compléter aujourd’hui ?

— Bah ! vous les finirez demain !

À la fin, il y avait de l’impertinence chez le commandant du Port, et le capitaine Valmont en sentait toute l’injure. Il essaya encore de se maîtriser et répliqua :

— Parfait, nous les finirons demain ces retranchements. Mais s’il est quelqu’un de blâmé ce soir parce qu’ils n’auront pas été complétés, ce ne sera pas vous ?

— Certainement non !

— Oh ! décidément, Monsieur, s’écria Valmont hors de lui cette fois, vous êtes insupportable !

Le commissaire pâlit et ordonna sur un ton menaçant :

— Capitaine, à votre poste ! Ce soir, je vous rapporterai à votre général !

— Ah ! ah ! se mit à rire Valmont… Et vous pensez que je ne vous rapporterai pas, moi ? Mieux que cela, Monsieur, je demanderai votre renvoi, car vous ne remplissez pas les devoirs de votre charge.

— C’est assez ! cria le commandant en colère. Allez-vous-en !

— Je ne m’en irai pas, riposta Valmont, que vous ne m’ayez livré les outils que je réclame.

— Vous ne les aurez pas !

— Je les prendrai par la force !

— Prenez garde, Capitaine !…

— C’est à vous de prendre garde, rétorqua le capitaine Valmont. Observez qu’ici vous êtes le serviteur d’une armée, et non plus celui d’un intendant-royal débonnaire qui, il me semble, prend sous sa protection un peu trop d’imposteurs.

Cette cinglante réplique fit bondir le commissaire qui voulut souffleter le Capitaine. Mais celui-ci évita la main qui s’était levée sur lui. Il tira son épée, marcha résolument à la porte du magasin et commanda à ses hommes :

— Venez et prenez les outils qu’il vous faut ! Le premier homme qui s’interposera fera connaissance avec cette lame !

L’affaire prenait une tournure grave. Plus loin, les deux femmes, spectatrices silencieuses jusque-là, jetèrent une exclamation d’émoi, mais elles n’osèrent intervenir. Très livide et le cœur dévoré par la rage, le commissaire jeta les yeux sur les quelques soldats de la garnison qui avaient été témoins de cette altercation, et il sembla qu’il allait leur donner l’ordre de s’opposer à l’audace de Valmont et de ses gens. Mais il eut peur, probablement, de donner un tel ordre. D’ailleurs, les quatre miliciens et le lieutenant qui les commandait n’avaient pas bougé à l’ordre de leur capitaine, stupéfiés qu’ils étaient eux-mêmes par l’audace de ce dernier. En effet, c’était pour Valmont se rendre maître de la place, à moins qu’il n’eût voulu seulement par une sorte de téméraire bravade intimider le commandant. Mais le capitaine était loin de songer à faire une simple et stupide bravade, il était venu chercher des outils dont ses hommes avaient un pressant besoin, et il les prendrait bon gré mal gré.

— Allons ! Bertachou, cria-t-il, viens prendre ces outils.

Bertachou, le lieutenant de Valmont, était un grand gaillard dépassant la cinquantaine, soldat de métier et ayant à son actif plusieurs campagnes en Europe. Depuis une dizaine d’années il guerroyait avec les troupes coloniales en Amérique. Un jour, dans une rencontre sanglante sur les frontières de l’Ohio avec des Sauvages qui avaient été soudoyés par les Anglais, Valmont, alors simple lieutenant, avait sauvé la vie à Bertachou. Celui-ci avait juré au jeune canadien une reconnaissance éternelle, et plus tard, quand Valmont fut nommé capitaine d’un bataillon de miliciens, Bertachou obtint qu’il fut porté lieutenant du nouveau capitaine. Et depuis ce jour, Bertachou avait dit qu’il mourrait plutôt que de quitter le bataillon de son capitaine. Sans instruction et sans initiative, Bertachou n’avait jamais pu dépasser le grade de lieutenant. D’ailleurs, il ne s’en plaignait pas. D’une vigueur et d’une souplesse extraordinaire pour son âge, brave et courageux, à cheval sur la consigne, le lieutenant Bertachou était un des plus beaux types de soldat de cette époque. Il était en outre joyeux camarade, d’esprit jovial et aimant le mot pour rire. Seulement, comme il était célibataire et ne se connaissait plus aucun parent vivant, il dépensait sa solde libéralement… mais il la dépensait surtout à boire. Oui, il aimait à boire… à boire à ventre ouvert. C’était son unique défaut. Il est vrai de dire que, à cette époque reculée, le plaisir de boire et de boire plus qu’il n’était raisonnable était assez commun parmi la soldatesque. Cela peut être dû aux terribles misères que les soldats devaient supporter, surtout dans les longues et interminables excursions à travers le pays, et à de longs mois d’abstinence. Souffrant de la faim et de la soif, brûlés par le soleil, trempés par les pluies, fouettés par les vents d’hiver, les soldats, au retour d’une de ces mortelles campagnes ressemblaient souvent à des loups affamés. Ils mangeaient et buvaient, festoyaient le plus possible avant de repartir pour la guerre. Or, comme ils étaient presque toujours en guerre, soit contre les Anglais, soit contre les Indiens, et comme ils n’avaient le plus souvent que de courts répits, ils profitaient des bons moments qui s’offraient à eux. Oui, comme bien d’autres, comme tous les autres, Bertachou buvait, mais il était toujours au poste. Rarement on l’avait vu ivre-mort, et pourtant il avait à son crédit de prodigieux faits de bouteilles. Il faut croire qu’il était particulièrement charpenté pour tenir contre la boisson. Ce n’était pourtant pas un géant, quoiqu’il fût de bonne taille. Il atteignait près de six pieds, mais il était mince et excessivement maigre. Les os lui perçaient la peau, comme il disait lui-même. Sa figure brûlée par les soleils et les vents du Nord était longue et famélique. Ses joues très creuses faisaient ressortir les pommettes et surtout le nez qui était très long, très gros et très busqué. Sans ses yeux noirs, vifs et perçants, souvent pétillants de malice, il eût été laid. Voilà, brièvement, ce qu’était l’un des principaux personnages de cette histoire.

Bertachou, comprenant enfin à l’ordre de son capitaine que celui-ci ne voulait nullement faire montre de simple bravade, répondit :

— Dame ! puisque c’est le seul moyen de s’outiller… Allons ! les enfants, cria-t-il, en se tournant vers les quatre miliciens, que le diable emporte Monsieur le Commissaire et… aux armes !

Et il entraîna les miliciens.

Le commissaire se rapprocha de Valmont et, lui dit sur un ton concentré :

— C’est bon, faites votre besogne ; mais observez que cet outrage ne peut rester sans réparation, et n’oubliez pas qu’un petit capitaine canadien a fait publiquement affront à un officier supérieur de l’armée du Roi de France et à un gentilhomme.

Le capitaine se mit à rire.

— Vous, un gentilhomme ?… En ce cas, je le suis aussi et… à vos ordres, mon gentilhomme !

Et Valmont s’inclina avec une politesse moqueuse.

— C’est bien, Capitaine, je vous prends au mot. Ce soir, à huit heures, après le coucher du soleil.

— À votre aise. Quel endroit ?

— Il y a non loin d’ici une clairière où vous serez très bien pour mourir !

— J’y serai, Monsieur, car il me fera grand plaisir de débarrasser l’armée et le pays d’un rogneux.

— C’est bien, à ce soir, manant ! rugit le Commissaire en pirouettant pour aller retrouver les deux femmes. Celles-ci n’avaient pas compris toutes les paroles qui avaient été échangées entre les deux officiers, mais aux gestes elles avaient aisément deviné comment l’affaire allait tourner. Aussi essayèrent-elles de faire revenir le commissaire sur son projet, mais lui, presque fou de rage, ne voulut rien entendre, et brusquement il entraîna ses deux compagnes vers le logis.

Valmont, tout en remettant son épée au fourreau, souriait.

— Diable, Capitaine, fit Bertachou, j’aime bien à vous voir sourire et j’admire surtout votre belle conduite à la face de ce cafard, mais il y a une chose que je sais bien et que vous ignorez probablement…

— Voyons, Bertachou, dis-moi vite cette chose que tu sais et que j’ignore !

— Celle-ci : ce sacripant de Commissaire tire comme un enragé qu’il est ! Il passe pour un duelliste de première force.

— Tant mieux, répliqua Valmont en riant. Lorsque je me bats, j’aime des ennemis de valeur. Il est vrai que je ne suis pas très fort au jeu de l’escrime, mais tout de même, Bertachou, crois-moi, je me sens capable de lui donner une leçon.

— Ne vous y fiez pas trop, Capitaine, car je le connais un peu ce Desprès…

— Un gentilhomme ?…

— C’est lui qui le dit, se mit à rire Bertachou. Non, pas plus gentilhomme que mon pied gauche, mais sorte de rastaquouère qui sait manier une lame et connaît tous les secrets du métier. Tenez, Capitaine, voulez-vous mon idée ?

— Voyons toujours !

— Je me battrai à votre place.

— Non, Bertachou, cela ne serait pas convenable. D’ailleurs, Desprès refuserait certainement, connaissant ta force à l’escrime, de t’accepter pour adversaire.

— C’est vrai. Eh bien ! je vous servirai de témoin pour un.

— Merci, Bertachou, j’accepte. L’autre témoin sera mon ami d’Altarez, capitaine aux Grenadiers.

— C’est entendu. Mais comme le temps est court, si vous le voulez, Capitaine, aujourd’hui nous ferons des armes pour vous remettre en forme.

— J’accepte, mon vieux Bertachou. Car, je te le dis, ce cuistre devra rester sur le terrain.

Tout le reste de ce jour, en effet, après que le capitaine et Bertachou furent revenus à leur poste avec les outils, les deux officiers gagnèrent un endroit écarté dans les bois du voisinage et s’exercèrent au jeu de l’épée. Sur la fin de l’après-midi, Bertachou dit avec satisfaction :

— Capitaine, si vous tenez le terrain comme ça ce soir, et surtout votre épée, Desprès est un homme mort !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il passait quatre heures de l’après-midi quand le capitaine Valmont et son lieutenant revinrent dans leurs retranchements. Tous les hommes étaient au travail, et tous se hâtaient afin de compléter leur besogne avant la nuit. Valmont quitta Bertachou et se mit à parcourir les équipes et à examiner les ouvrages. Lorsqu’il eut terminé son inspection, il monta sur un petit plateau du voisinage pour prendre une vue d’ensemble du travail accompli. Le plateau était fortement boisé de bouleaux et de saules et traversé par un étroit sentier qui semblait conduire vers les hauteurs où s’élevait le Fort. Le capitaine, par pure curiosité, voulut s’assurer exactement de la direction que suivait ce sentier et savoir si, à l’occasion, il pourrait être utilisé. Il s’engagea sous les bouleaux et les saules et dans un ombrage bienfaisant après les ardeurs du soleil qui plongeaient avec intensité là-bas dans les abatis. Le sentier suivait tout d’abord une ligne droite vers l’Est, puis il obliquait vers le Nord-Est à peu près dans la direction du Fort Carillon. Valmont marchait d’un bon pas depuis quatre ou cinq minutes quand il crut distinguer devant lui à travers les feuillages une forme blanche. Il s’arrêta net pour mieux regarder ce qui venait d’attirer son attention. Il reconnut une femme vêtue de blanc, mais une femme dont il ne pouvait encore voir les traits. Elle ne voyait pas le capitaine, et elle marchait d’un pas assuré et rapide comme si elle eût eu hâte de quitter cette solitude. Valmont n’entendait pas cette femme marcher à cause des feuillages remués par la brise, et, surtout, à cause du bruit continu des haches qui montait de l’abatis en bas du plateau. Mais il voyait sa robe, et peu après il put voir son visage blanc et rosé sous les bords d’un chapeau de paille rose. Mais au même instant l’inconnue apercevait le capitaine et s’arrêtait brusquement, l’air confus et timide. Vingt pieds au plus séparaient les deux personnages, et alors Valmont put reconnaître sans peine l’une des deux femmes qu’il avait entrevues au Fort le matin de ce jour, c’est-à-dire la fille du commissaire Desprès. Valmont ne connaissait cette jeune fille et sa mère que de réputation, mais sur le coup il demeura ébloui devant cette beauté blonde et délicate.

La jeune fille tenait dans sa main gauche un bouquet de roses sauvages et souriait avec une certaine tristesse. Valmont retira son tricorne et s’inclina sans mot dire, puis il s’effaça hors du sentier pour laisser lire passage.

— Pardon, Monsieur, fit la jeune fille d’une voix hésitante. Si je ne me trompe pas, vous êtes le capitaine Valmont ?

— J’ai bien l’honneur d’être la personne que vous avez nommée, mademoiselle, répondit le capitaine avec surprise. Et si, à mon tour, je ne me trompe pas, vous êtes l’une de ces deux dames que j’ai vaguement entrevues ce matin…

— Oui, capitaine, je suis Isabelle… Mon père est le commandant Desprès.

— Je suis enchanté, mademoiselle, de rencontrer celle qu’on surnomme la Belle de Carillon…

La jeune fille se mit à rire ingénument.

— J’ai en effet appris ce matin que les soldats du Général Montcalm m’ont ainsi surnommée…

— Et avec raison, interrompit galamment Valmont. Je répète donc, mademoiselle, que je suis enchanté de vous voir, non seulement parce que vous êtes belle et bonne selon qu’on le dit dans l’armée, mais surtout pour l’opportunité que j’ai de vous offrir mes excuses au sujet de l’incident survenu ce matin entre votre père et moi. Je remercie donc le hasard…

— Oh ! capitaine, ne croyez pas à un hasard dans cette rencontre, du moins en ce qui me concerne. Je me rendais dans les retranchements avec le dessein d’avoir avec vous une courte entrevue.

— En ce cas c’est le hasard qui m’a fait m’engager dans ce sentier. Eh bien ! mademoiselle, je suis à votre disposition.

Et cette fois le capitaine s’approcha tout près de la jeune fille dont il put à son aise contempler la beauté. Et, disons-le, pour la première fois en sa vie le capitaine subit le charme de cette enfant, pour la première fois une jeune fille faisait battre son cœur plus vite que d’ordinaire, et pour la première fois il se sentit devenir gêné et timide. Mais c’est que pour la première fois aussi une jeune fille osait le regarder bien en face de ses yeux doux, caressants, profonds. Et il les aima ces yeux bleus qui avaient toute la douceur d’un ciel d’aurore. Il aima les longues boucles de cheveux dorés qui s’échappaient follement sous le chapeau de paille pour se poser en un ravissant désordre sur les épaules de la jeune fille. Il aima toute cette enfant, c’est-à-dire qu’il ressentit subitement pour elle une sympathie qu’aucune femme encore n’avait pu faire naître. Et il se grisa du sourire si bon qui entr’ouvrait des lèvres admirables, et pour dompter cette griserie qui aurait pu lui faire commettre des gaucheries, sinon des sottises, il dut faire un très grand effort de volonté.

De son côté, Isabelle considérait avec attention ce jeune capitaine dont elle avait à maintes reprises entendu vanter les exploits devant l’ennemi. Elle le voyait pour la première fois ce capitaine Valmont, si l’on omet la scène du matin, car le matin de ce jour elle ne l’avait vu que de loin et si peu. Elle lui trouva fort bonne mine, et surtout elle ne manqua pas de lire sur la physionomie ouverte du jeune homme ce mâle et rare courage dont on le disait doué, et elle découvrit dans ses regards des reflets de son âme qui révélaient un caractère généreux et droit. Elle se réjouit grandement en elle-même songeant que les qualités de ce jeune homme lui seraient comme un appoint pour remplir avec succès la mission dont elle s’était chargée. Mais quel genre de mission La Belle de Carillon venait donc accomplir auprès du capitaine Valmont. Elle s’en expliqua de suite.

— Je vous demanderai d’abord, Monsieur, d’excuser mon importunité et ma hardiesse. J’avais assez souvent entendu parler du Capitaine Valmont, mais je ne l’avais jamais vu…

— Vous l’avez vu ce matin, Mademoiselle… sourit Valmont.

— Oh ! à peine… voyez-vous, je ne savais pas ce matin que c’était le Capitaine Valmont… Mais là je vous vois tel qu’on m’a fait votre portrait.

— Vous voyez un mauvais garnement, Mademoiselle, se mit à rire le Capitaine, très rude, un peu sauvage et manquant de savoir-faire. Que voulez-vous, je ne suis qu’un pauvre soldat toujours en guerre, et je n’ai pas eu le temps ni l’occasion de me faire au beau monde. Je vous prie donc de m’excuser… Oui, Mademoiselle, excusez le soldat, le sauvage qui, ce matin, n’a pas su se contenir… Et puis, je ne sais pas… Je n’aurais pas pensé que cette jeune fille, si belle, si gracieuse, qui était là pas bien loin fût la fille de celui avec qui je me suis disputé…

— Soyez certain que je vous excuse, monsieur le Capitaine. Comme vous, mon père est vif, bouillant, il s’emporte aisément, mais ça ne dure pas. Il est bien bon, généreux, et il oublie les torts et les injures d’autrui…

Valmont voulut protester contre ces paroles. La jeune fille ne lui en donna pas le temps.

— Soyez calme, Capitaine, et comprenez bien que je ne vous impute ni torts ni injures à l’égard de mon père. Je veux simplement vous peindre à l’envolée le tempérament de mon père, afin que vous puissiez mieux l’excuser.

Malgré cette explication et se trompant sur les véritables intentions de la jeune fille, Valmont se révoltait. Il demanda rudement et avec défiance :

— Est-ce votre père qui vous envoie me faire des excuses, ou m’en demander ?

— Non, non, Capitaine, vous me comprenez mal. Je viens de moi-même, sans l’influence de personne, et sans que personne connaisse ma démarche. Ne vous formalisez donc pas trop tôt, pas avant de m’avoir entendue, voulez-vous ?

Elle était si candide, si douce, si charmante…

— Pardonnez-moi, Mademoiselle, reprit Valmont confus et rougissant, vous le voyez de vos propres yeux, je suis un sauvage. Mais, au fait : je m’empresse de vous dire que l’incident de ce matin ne doit pas être tenu comme une chose qui vous touche de trop près, c’est-à-dire que vous ne devez le regarder que comme un événement étranger, une dispute entre deux officiers quelconques de l’armée, sans tenir compte que l’un de ces officiers était votre père. Me comprenez-vous ?

— Oui, oui. Seulement, moi, Capitaine, je désire que l’on tienne compte de ce détail…

— J’en serai bien fâché, Mademoiselle, car, je vous l’avoue, il me répugnerait que cette affaire vous touchât le moindrement.

— Je n’en suis pas moins fâché que vous, répliqua la jeune fille avec quelque impatience, car je ne peux pas oublier, que c’est mon père qui est en cause. Et je l’aime, mon père… N’aimez-vous point le vôtre ? Je l’aime, parce qu’il est bon pour moi, mais surtout parce qu’il y a là ce secret de la Nature qui nous fait aimer nos parents. C’est donc à cause de cet amour de mes parents que je suis venue vous demander, Capitaine, de ne pas donner suite à cette affaire, en somme, très insignifiante.

— Vous me demandez cela, Mademoiselle, de votre part ?

— Je vous l’ai dit.

— Mais qu’en dira votre père ?

— Monsieur, je désire seulement votre promesse de ne pas vous rendre sur le terrain ce soir. Quant à mon père, soyez tranquille, je vous promets, de mon côté, qu’il n’y sera pas lui non plus à ce rendez-vous.

— Je vous comprends très bien, Mademoiselle, et j’admire votre dévouement et votre générosité. Mais, moi, ne passerai-je pas pour un poltron aux yeux de votre père et de ceux qui furent témoins de l’incident ?

— Mais non, mais non, Capitaine, soyez donc tranquille, je vous dis. Je vous l’affirme, j’arrangerai la chose tout à votre honneur. Voyons, Capitaine, une seule petite fois pour toutes, voulez-vous me faire plaisir en abandonnant votre projet ?

Elle le regardait d’yeux si tendres, si suppliants, des yeux qui avaient envie de pleurer, que Valmont se sentit troublé jusqu’au tréfonds de son être. Ah ! s’il voulait faire plaisir à cette belle enfant !… Mais il ne demandait que cela, lui faire plaisir !

Il répondit :

— Mademoiselle, je suis incapable de vous refuser. Néanmoins, avant de vous donner ma parole, je désire que vous me disiez que vous consulterez votre père ; et quand vous l’aurez consulté, je vous prierai de me faire part de ses pensées.

— Mais, Monsieur, va-t-il falloir que je revienne jusqu’ici ? Il sera trop tard…

— Non ! Non ! Je ne veux pas vous imposer cette course et cette fatigue. Ce soir, avant l’heure du rendez-vous, je serai à la porte du Fort où j’attendrai votre message.

— Vous tenez absolument que je consulte mon père ? fit la jeune fille avec une petite moue dépitée.

— Comprenez, Mademoiselle, que c’est votre père qui m’a donné rendez-vous pour ce soir, ce n’est pas moi.

— C’est vrai, avoua la jeune fille avec confusion, j’avais oublié ce détail.

Et elle fit quelques pas de recul, comme si elle allait reprendre le chemin du fort.

Valmont sentit un gros chagrin gonfler son cœur.

— Croyez bien, Mademoiselle, reprit-il, que je veux vous faire plaisir ; aussi serai-je très heureux, à cause de vous, si votre père, le premier, renonce à ce rendez-vous. Je désire vous avouer aussi que, sachant maintenant qui vous êtes, j’aurai un bien grand regret de croiser l’épée avec celle de votre père.

La jeune fille demeura une minute silencieuse et indécise, les yeux baissés sur son bouquet de roses sauvages que, de temps à autre, elle portait, à ses lèvres. Puis elle releva ses regards sur le capitaine qui crut voir des larmes tout près de tomber des beaux yeux bleus, et elle dit tout à coup et brusquement :

— C’est bien, Capitaine, à ce soir !

Elle pirouetta agilement, et, prenant son élan, elle se mit à courir vers le Fort, comme si elle eût été poursuivie par un ennemi qu’elle aurait redouté. Elle disparut peu après derrière le rideau de feuillages et dans l’ombre qui se faisait peu à peu sous les bois.

Pendant plusieurs minutes Valmont demeura immobile à la même place, le front chargé de pensées chagrinantes ; puis il poussa un long soupir, comme un soupir d’amertume, et il revint sur ses pas vers l’abatis.