La cathédrale de Montréal

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LA

CATHÉDRALE

DE

MONTRÉAL.

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I.


Une circulaire de Sa Grandeur Mgr  de Montréal, a été publiée dans La Minerve du 20 Sept. dernier et quelques autres feuilles, intimant aux fidèles du Diocèse que Sa Grandeur a décidé, après des années d’attente, de reconstruire sa cathédrale, et leur demandant leur aide à cette fin.

Que cette reconstruction soit bonne et utile en soi, nul ne le conteste, et il est très vrai qu’un Évêque, en règle générale, doit avoir une cathédrale, qui est regardée avec raison comme l’Église-mère du Diocèse et celle qui doit servir aux autres églises d’exemple, de modèle et de guide. Ainsi tout ce que Sa Grandeur dit à ce sujet est juste en principe et nous l’admettons de tout cœur.

Mais comme il s’agit ici d’une entreprise à laquelle tout le monde, c’est-à-dire, tous les fidèles du Diocèse, sont appelés à coopérer ; comme il s’agit aussi d’une entreprise qui touche non seulement à la religion, mais qui concerne assez directement les intérêts nationaux et sociaux de ces mêmes fidèles, et qui doit dans une grande mesure affecter assez directement la prospérité de la ville où elle va réaliser ; comme cette entreprise est de nature à augmenter ou diminuer le progrès moral et matériel des citoyens suivant le site adopté, nous pensons qu’il est permis aux intéressés de faire part au public de leurs vues sur l’ensemble de la question ainsi que sur le choix, à notre avis très malheureux, du site qui a été assigné à l’érection de cette cathédrale.

D’abord il est un fait considérable dans la question et qui doit frapper les yeux les moins clairvoyants.

Sa Grandeur n’a jamais jugé à propos d’avoir le moindre rapport avec les citoyens, de provoquer la moindre consultation avec ses diocésains, sur cette importante question. Au contraire Sa Grandeur a décidé exclusivement dans sa sagesse personnelle tout ce qui a eu rapport au choix du site, comme si cette question était purement religieuse ; et pourtant, dans la position toute particulière où se trouve la ville de Montréal, une pareille question devenait au moins autant nationale que religieuse. Mais nous avons toujours souffert l’arbitraire sans mot dire ; nous avons toujours permis à l’autorité ecclésiastique d’agir sans nous et souvent malgré nous dans les questions qui ne sont pas exclusivement de sa compétence, et nous voyons cette abdication morale culminer en une faute prodigieuse commise par l’autorité diocésaine. Tout le monde voit la faute, et personne n’ose dire un mot tant on a réussi à emmailloter l’opinion. Nous croyons pourtant pouvoir démontrer à la satisfaction de tous les esprits non préjugés que sous les deux rapports religieux et national, le site choisi est précisément celui qui méritait le moins de l’être.

II.


Le fait dominant de la question nous paraît être celui-ci : Sa Grandeur vient dire au Diocèse, après mûre considération :

« J’ai décidé telle chose devant le Seigneur. À vous maintenant, ouailles et troupeau, de me fournir l’argent dont j’ai besoin. Que ma décision vous convienne ou non, il ne vous reste que l’acquiescement à ce que j’ai résolu. Et pour prévenir toute observation que l’on pourrait être tenté de me faire sur la justesse des décisions que j’ai prises, je commence immédiatement les travaux, me préoccupant fort peu que le site choisi par moi convienne ou non à la majorité des intéressés. »

Sa Grandeur vient donc nous dire très vertement au fond, quoiqu’avec des ménagements infinis de forme : « J’ai résolu, payez !! »

C’est son droit nous diront certains membres du troupeau. Cela se peut. Mais c’est aussi le droit incontestable de ceux que l’on ne veut jamais consulter sur quoique ce soit, même quand on a besoin d’eux, de refuser leur adhésion et surtout leur argent, quand ils voient que des fautes graves se commettent à leur détriment précisément parce que l’on veut toujours tout décider en secret, ne jamais consulter personne et toujours dominer l’esprit au lieu de s’attacher le cœur.

Nous croyons donc devoir aujourd’hui soumettre au public certaines considérations que la construction d’une cathédrale soulève forcément et auxquelles les citoyens de Montréal ne nous paraissent pas assez songer.

On va crier à l’esprit d’opposition et d’insubordination, mais cela nous importe infiniment peu. Nous venons tranquillement protester contre cette malheureuse habitude de décider in petto de toutes choses et d’en commander arbitrairement l’exécution, qui distingue l’autorité diocésaine actuelle. S’il y a aujourd’hui des symptômes graves d’indifférence, d’éloignement ou même de résistance, cela vient uniquement de ce que la tactique de la domination morale a pris beaucoup trop de développement dans ces derniers temps.

Nous venons d’ailleurs parler à ceux qui peuvent apercevoir les conséquences d’une faute ; parler aux gens indépendants et sensés, et non pas à ceux qui vont chaque matin prendre leur mot d’ordre afin d’être bien préparés, sur un signe auguste, à dire le contraire de ce qu’ils pensent.


III.


Sa Grandeur nous rappelle, dans sa circulaire, que l’Évêque est sans cathédrale depuis dix-huit ans ; que sa construction « s’est fait bien longtemps attendre, » et qu’enfin, « après bien des années d’attente et de silence, » Elle se décide à mettre la main à l’œuvre.

De nombreuses églises, dit-Elle, et de jolies chapelles, se sont construites, mais non une cathédrale ; de nombreux couvents se sont élevés, mais non une cathédrale ; de vastes hôpitaux ont surgi, mais non une cathédrale ; de nombreux temples protestants ont été érigés, mais non une cathédrale. Sa Grandeur ne veut pas descendre dans la tombe sans reconstruire sa cathédrale, car il ne serait pas juste qu’Elle laissât à son successeur la charge de réparer le grave malheur de 1852. »

Voilà bien des assertions ; mais avec tout le respect que nous devons à Sa Grandeur, nous sommes tenus de dire en toute franchise, pour lui emprunter une expression dont Elle se sert, qu’aucune de ces assertions n’affecte le moins du monde la question fondamentale du site qui a été si malheureusement choisi.

Sans doute de vastes collèges et hôpitaux se sont construits, mais ils l’ont été par les riches communautés auxquelles ils appartiennent. Sans doute des églises et chapelles ont été bâties, mais elles l’ont été par le Séminaire, que sa charte, telle que reçue des rois de France, y obligeait ; et qui de plus a agi sous une pression constante de l’Évêque pour le voir ensuite aller intriguer à Rome dans le but de se faire donner l’administration et la jouissance de ces églises. Sans doute de nombreux temples protestants se sont érigés, et Sa Grandeur en sait quelque chose puisque son palais épiscopal en est littéralement étouffé ; au point qu’un mauvais plaisant se permettait naguère de demander si c’était bien la cathédrale qui avait fait tous ces petits.

Mais aussi pourquoi Sa Grandeur est-elle allée si singulièrement planter sa tente précisément là où Elle devait prévoir que les temples protestants finiraient par pulluler et envelopper la cathédrale d’un aussi formidable cercle hérétique ? Sa Grandeur a voulu, en dépit des plus sages conseils, suivre le courant protestant et Elle se donne l’air d’avoir la vue offusquée de tous ces temples protestants ! Mais grand Dieu, pourquoi donc est-Elle allée les chercher.

D’abord qui est responsable du long retard dont se plaint Sa Grandeur ? Elle y revient si souvent que les citoyens de Montréal peuvent à bon droit y voir la matière d’un reproche. Transportons-nous donc à dix-huit ans en arrière et voyons un peu ce qui se passait alors.

Une catastrophe terrible a lieu. Un quart de la ville est détruit. L’ancienne cathédrale, et le splendide Évêché tout neuf que l’on venait d’occuper, ne sont pas épargnés. La main de la Providence s’appesantit également sur le pasteur et le troupeau, et l’Évêque reste sans asile à lui.

Une pareille catastrophe devait nécessairement lui attirer la sympathie universelle, et en effet toute la population catholique de la ville, ceux qu’avait atteint l’incendie comme les autres, comprirent que la reconstruction de la cathédrale et de l’Évêché était l’une des plus urgentes choses auxquelles on dût songer.


IV.


Dans le premier moment Sa Grandeur avait, dans la chapelle de la Providence autant que nous pouvons nous le rappeler, bien assuré les fidèles de Montréal qu’une pareille catastrophe devait resserrer encore s’il était possible, les liens qui unissaient le pasteur au troupeau ; que l’on n’avait pas oublié, à l’Évêché, les grands sacrifices que les citoyens avaient faits pour ériger la cathédrale qui venait d’être détruite, et que plutôt que d’abandonner des gens auxquels tant de liens la rattachaient, Sa Grandeur consentirait volontiers à vivre dans une simple cabane de planches. Belle parole sans doute, mais dont la suite n’a pas démontré l’entière sincérité.

Mais les citoyens ne l’entendaient pas ainsi ; d’autant plus qu’aucune des graves erreurs qui ont été commises depuis quinze ans n’était encore venue contrister ou aliéner personne, et ils se mirent de suite en mesure d’aller offrir à Sa Grandeur non seulement l’assurance de leurs plus profondes sympathies, mais l’offre sincère d’une aide efficace pour la mettre en état de rebâtir d’une manière plus grandiose que jamais les édifices détruits.

Personne n’a oublié l’excessivement pénible impression que causa à la nombreuse réunion de citoyens qui avaient réellement cru aller au devant des désirs de Sa Grandeur, la raide et sèche réponse qu’ils reçurent alors. Non seulement l’offre de reconstruire ne fut pas acceptée ; non seulement il n’était plus question de la simple cabane de planches, mais Sa Grandeur rappela sévèrement à la réunion que la petite ville d’Albany construisait en ce moment là même une magnifique cathédrale ; et cela voulait clairement dire ; « Que ne doit donc pas faire la grande ville de Montréal. »

Que cela eût pu se dire dans le cours normal des choses, nous ne le nierons pas ; mais après la terrible catastrophe qui à ce moment là se chiffrait par des centaines de cheminées debout et autant de maisons rasées, la leçon parut encore plus décourageante que déplacée, d’autant plus que tous les citoyens sans exception voulaient sincèrement réparer grandement le désastre. Mais on resta ébahi devant la terrible antithèse de la demande qui venait d’être si directement glissée avec la suggestion, faite six semaines auparavant, de la simple cabane de planches.

Sa Grandeur devait en effet avoir complètement perdu le souvenir de ce mot quand Elle pouvait se résoudre à dire aux citoyens dans cette même réunion, qu’Elle ne voulait plus rougir de sa cathédrale comme Elle l’avait fait si souvent avant l’incendie. Le mot parut un peu dur alors à des gens dont la moitié était occupés à rebâtir les maisons que l’incendie venait de détruire. D’ailleurs, si Sa Grandeur rougissait tant de sa cathédrale, pourquoi donc s’était-Elle bâti un palais magnifique et avait-Elle ainsi logé le serviteur bien mieux que le maître, la créature bien plus magnifiquement que le Créateur ?

Tout tomba donc à l’eau, et il nous paraît difficile d’admettre que les citoyens méritent vraiment aujourd’hui de s’entendre rappeler trois fois dans la circulaire ce retard de dix-huit ans dont eux précisément moins que personne doivent porter la responsabilité.

Quelle fut alors la vraie raison de ce refus, et surtout de la forme arrogante, dure et blessante que Sa Grandeur sut lui donner ? Ça été, il faut bien le dire puisque nous sommes venus dire toute la vérité, ça été la suggestion faite par quelques flatteurs de placer l’Évêché et la Cathédrale dans l’une des positions dominantes de la ville. Cette suggestion toucha évidemment la corde sensible, et dès ce moment fut formé le projet grandiose de la création d’un petit St. Pierre qui rappellerait de loin les splendeurs du plus magnifique temple du monde.


V.


Le projet de reconstruire immédiatement ayant donc échoué par suite du refus si peu prévu de l’Évêque d’accepter ce qui lui avait été si spontanément et si libéralement offert, Sa Grandeur, au lieu de voir que les projets grandioses n’avaient que peu de chances de succès en ce pays, s’y jeta au contraire avec plus de parti pris que jamais. On avait d’abord assez sérieusement songé à faire l’acquisition des terrains à l’est de la rue St. Denis sur le coteau Barron, terrains que leurs propriétaires, au reste, offraient en plus grande partie gratis ; puis ce projet fut abandonné, Sa Grandeur ayant eu la lumineuse idée d’aller planter sa tente en plein centre de l’élément protestant de la ville. Quelles raisons l’ont portée à réaliser ce projet, voilà ce que l’on n’a jamais bien su, Sa Grandeur n’ayant jamais jugé que les fidèles eussent le moindre droit de connaître les raisons d’actes qui les concernent pourtant assez directement puisque c’est toujours à eux, en définitive, que l’on s’adresse pour obtenir les fonds nécessaires.

On a dit alors que comme les citoyens désiraient que l’Église St. Jacques fût reconstruite, et la population des quartiers St. Louis, St. Jacques et Ste. Marie trouvant le coteau Barron trop éloigné, on ne pouvait pas en même temps bâtir au haut et au bas du coteau. C’était vrai sans doute, mais ce n’était pas là la seule raison de l’abandon du vieux terrain, il y en avait d’autres que l’on n’a jamais voulu dire. Si cette raison eut été la seule, elle démontrait tout au plus que le projet de placer dès lors l’Évêché dans cette position dominante que l’on convoitait avec tant d’ardeur était tout simplement prématuré. Un homme sage aurait compris cela, d’autant plus que d’autres hommes sages, appelés à dire leurs avis, le comprenaient si bien qu’ils firent toutes les remontrances possibles contre l’abandon du vrai centre catholique de la population ; contre cet oubli complet d’assurances réitérées qui équivalaient à des promesses ; contre cette désertion inexplicable du milieu de ses amis dévoués, désertion qui ne faisait qu’ajouter une perte d’importance sectionnelle au si terrible désastre que l’on verrait de subir. Mais tout, saine raison et inopportunité du projet, dut céder devant les habitudes d’inflexible obstination que l’on sait ; et les projets gigantesques forcèrent le sens commun de vider la place. La vente du vieux terrain fut décidée, mais Sa Grandeur se donna bien garde de dire cela de suite. Elle intima cependant à la réunion des citoyens qu’elle était décidée à s’en aller du côté de l’ouest. Six semaines plus tôt, on devait vivre dans une cabane de planches plutôt que de les abandonner. On voulut hasarder quelques représentations, quelques prières même, mais les citoyens virent qu’ils avaient affaire à un homme qui, par calcul autant que par caractère, ne cède jamais ; et l’on se sépara avec la ferme détermination chez les citoyens de laisser s’arranger comme il l’entendrait un homme qui montrait si peu de déférence et de considération envers ceux auxquels on adresse de si tendre paroles quand on a besoin d’argent.

L’Évêque décida donc de faire de la tactique et d’attendre que le mécontentement produit s’apaisât un peu avant de faire de nouvelles demandes. Il existe tant de moyens d’influence sur une population aussi naturellement docile et religieuse que la nôtre, que Sa Grandeur jugea qu’au bout de trois ou quatre ans elle saurait bien donner un autre cours à l’opinion.


VI.


En 1867 c’est-à-dire cinq ans après la signification faite aux citoyens réunis que Sa Grandeur entendait agir en tout et partout comme bon lui semblait, Elle crut qu’il s’était écoulé assez de temps pour que le mécontentement des citoyens se fut apaisé et Elle émana une lettre pastorale, toute chargée d’expressions affectueuses, informant ses ouailles que l’on allait reprendre le projet de reconstruire la cathédrale. L’ensemble du plan fut élaboré avec tout le soin que la prudence humaine put y mettre, et l’on commença à solliciter des contributions. Mais on ne dit pas alors d’une manière explicite où serait placée cette cathédrale. Au contraire on imagina l’adroite tactique de se mettre à l’enchère, en quelque sorte, en regard des différents quartiers de la ville. Sa Grandeur jugea cette tactique un moyen infaillible de doubler la souscription ; et les intimes allèrent glisser à toutes les oreilles riches que le quartier qui montrerait le plus de zèle aurait naturellement la préférence. Ce qui le prouve, c’est que quelques citoyens riches de la partie Est souscrivirent de fortes sommes, mais avec la réserve que la cathédrale se construirait dans cette partie. On savait parfaitement que si on eût dit de suite que la cathédrale se bâtirait dans l’Ouest, nombre de citoyens de la partie Est ne donneraient rien ; et l’on calculait qu’une fois les souscriptions signées on trouverait toujours moyen, par les mille influences dont on dispose, de faire verser les fonds.

Mais ce grand coup de diplomatie vint échouer contre le bon sens public qui vit plus de ruse que de véritable prudence humaine dans les moyens employés ; et la souscription ne produisit pas le vingtième des sommes nécessaires à la construction de la cathédrale.

C’était une leçon et l’on aurait peut-être pu en profiter ; mais il est des hommes dont le caractère distinctif est de s’obstiner contre l’évidence ; et au lieu d’abandonner un projet auquel la grande majorité se déclarait si clairement hostile, on ne fit que l’ajourner encore, comptant toujours que l’on viendrait à bout de cette résistance dans un temps donné. Mais la lettre pastorale de 1857 n’en démontre pas moins que s’il y a eu dix-huit années d’attente, il n’y a certainement pas eu, comme Sa Grandeur semble l’intimer, dix-huit années de silence.


VII.


Mais, dans l’importante question qui nous occupe, Sa Grandeur se trouve être le meilleur témoin contre elle-même. Car enfin, Elle avait, deux ans seulement avant l’incendie, décidé de reconstruire l’Évêché sur le vieux terrain ; et, en y érigeant le beau palais que nous avons vu, Elle signifiait bien par là aux fidèles de la partie Est qu’Elle entendait se fixer permanemment là où l’Évêque doit être, c’est-à-dire au milieu de la population qui fait ici sa force morale et sociale.

Pourquoi donc ce changement deux ans plus tard ? Quelles nouvelles raisons étaient survenues ? La catastrophe n’en créait certainement aucune. Elle aurait dû au contraire attacher plus que jamais le pasteur au troupeau, et l’Évêque lui-même avait formellement exprimé cette idée dans sa première allocution à la Providence. Il n’était pas de très bon exemple, quoiqu’on puisse dire, d’abandonner celui-ci précisément à la suite d’un si terrible malheur. L’Évêque ne faisait tout simplement en s’en allant, qu’augmenter la diminution de valeur que cette partie de la ville avait déjà subie par l’incendie. C’était ajouter un mal à un mal déjà bien assez grand. C’était en un mot dire à ses ouailles : « Un terrible malheur vous a frappés, eh bien, arrangez-vous le mieux que vous pourrez. Quant à moi je m’en vais porter à l’élément anglais l’importance sectionnelle que je retranche de l’élément canadien. »

Quelle nouvelle lumière avait donc lui dans l’esprit de Sa Grandeur pour lui faire infliger ce tort et cette injure morale à ses compatriotes ? Pourquoi a-t-Elle éprouvé tout-à-coup cet invincible éloignement à rester sur le terrain choisi par son illustre prédécesseur et qu’Elle-même avait jugé le meilleur deux ans seulement plus tôt ?

On prétendit alors que ce changement fut dû au mécontentement que Sa Grandeur avait éprouvé parce que les citoyens, après le grand incendie, n’avaient pas fait des offres aussi considérables qu’Elle l’avait présumé d’abord ; mais nous avons peine à croire que cette mesquine considération ait pu l’influencer au point de lui faire commettre de gaieté de cœur cette grave erreur d’abandonner comme Elle l’a fait le principal noyau du troupeau qui lui est confié. D’ailleurs, les amis de l’Évêché nient formellement que cette considération ait jamais pu avoir le moindre poids pour déterminer l’abandon du vieux terrain. Or, si ni l’une ni l’autre des deux raisons que nous venons de citer n’est la bonne, et que pourtant il y ait eu des raisons, il faut bien admettre que l’on n’a jamais voulu en faire part au public. Donc le tout a été décidé sans le moins du monde se préoccuper de l’opinion ou les désirs des intéressés, de ceux auxquels on savait bien qu’il faudrait demander des contributions pour réaliser l’œuvre ; donc on a tout décidé en secret et d’une manière arbitraire ; donc on exige toujours la soumission aveugle de l’esprit même dans les questions qui concernent directement les intérêts temporels des citoyens.

Si Sa Grandeur avait bien voulu condescendre à respecter les légitimes désirs de ceux auxquels Elle vient forcément demander leurs contributions ; et si Elle avait voulu accepter les offres de secours qui lui furent si libéralement faites, il y a longtemps qu’Elle se fût trouvée logée plus magnifiquement que jamais. Mais il faut bien dire, pour être franc et sincère, que s’il y a eu hésitation, indifférence, hostilité même quelquefois, cela n’est qu’à la tactique que Sa Grandeur Elle-même a cru devoir adopter, tactique où l’on voyait tant de secret, de réserves, de vues cachées, de projets que l’on n’osait pas communiquer, de moyens d’action auxquels un Évêque n’aurait pas recourir, que l’on s’est généralement décidé à laisser Sa Grandeur à elle-même puisqu’Elle se montrait si peu disposée à respecter l’opinion de ses diocésains.


VIII.


De puissantes considérations pourtant, à part les grands souvenirs qui se rattachaient à la fondation de l’Évêché, semblaient devoir militer péremptoirement en faveur de la reconstruction de l’établissement épiscopal sur l’ancien terrain. On restait au milieu de la population qui fait en Bas-Canada la principale force de la religion, et à Montréal la principale force du clergé. On restait au milieu de cette population qui autrefois n’avait reculé devant aucun sacrifice pour loger son Évêque, persécuté alors par une corporation puissante, et qui refusait même de lui donner un logement. On n’aurait pas non plus diminué notablement comme on l’a fait, l’importance de la partie canadienne catholique de la ville. On aurait songer que la population canadienne et catholique étant le principal point d’appui de la religion dans le Bas-Canada, on devait rigoureusement se donner garde de rien faire qui pût retrancher tant soit peu de son importance sociale et nationale, et nuire à son progrès.

Il y a pourtant bien assez de causes puissantes, et profondément combinées de tout temps par l’oligarchie métropolitaine, d’affaiblissement graduel et irrésistible de la population canadienne, sans que le premier pasteur de cette population dans notre plus grande ville, vienne ainsi, pour des considérations tout à fait secondaires et inacceptables, ajouter aux causes déjà si puissantes de diminution d’influence et de progrès local qui subsistent déjà et qui nous minent si vite.

On ne comprend absolument pas quels motifs ont pu porter un Évêque catholique à laisser là le noyau principal de son troupeau, la population canadienne catholique, pour suivre le courant anglais et protestant ! Toutes les considérations possibles de religion, de nationalité, d’affection pastorale, d’intérêt spirituel des administrés, s’unissent pour démontrer que l’Évêque devait, coûte que coûte, se cramponner à l’élément canadien catholique que tant de causes sociales et politiques contribuent à affaiblir graduellement. Il y a, dans cet abandon, dans cette obstination à se placer dans la partie essentiellement anglaise et protestante de Montréal, un manque d’intelligence de la situation qui est profondément triste. Et nous pensons encore qu’il sera bientôt démontré même à Sa Grandeur que la tactique contraire eût été la meilleure à suivre même dans l’intérêt de l’œuvre.


IX.


Sa Grandeur nous rappelle avec beaucoup de vérité les grandes difficultés que son illustre prédécesseur a surmonter dans la fondation de l’Évêché. Elle nous rappelle surtout à quel point il manquait de ressources pour élever la cathédrale et l’Évêché qui se construisirent alors.

Mais où les a t-il trouvées ces ressources, sinon chez ces mêmes citoyens de la partie Est de la ville que l’on a si volontiers abandonnés depuis ? Et une chose très remarquable nous a frappés, c’est le soin tout particulier avec lequel Sa Grandeur semble éviter de parler des sacrifices que les citoyens s’imposèrent alors pour loger leur Évêque. Elle affecte de n’en pas dire un mot, mettant le tout sur le compte de la Providence. Que la Providence ait pu bien disposer les cœurs à être généreux et sympathiques au nouvel Évêque, et à multiplier dix ou quinze mille fois les deux pauvres écus français dont Sa Grandeur nous parle, nous ne le nions certes pas, mais n’eût-il pas été au moins convenable de constater le fait des sacrifices des citoyens au lieu de n’en pas dire un mot ? Si l’on a ainsi oublié leurs services au point de n’en pas faire mention et de les abandonner pour aller favoriser la partie anglaise aux dépens de la partie canadienne, les citoyens sont loin, eux, d’avoir oublié quels vifs remercîments leur furent adressés, en même temps que les protestations de bonheur que leur exprimait leur Évêque en se voyant ainsi fixé pour toujours au milieu d’eux, fait qui le comblait de joie et de reconnaissance. Ce « pour toujours » n’a pas duré longtemps !

Certes, personne alors ne prévoyait que le successeur immédiat de cet illustre Évêque trouverait moyen d’interpréter son devoir et sa mission de manière à se persuader qu’il fait un acte louable en abandonnant définitivement le principal noyau de la population canadienne pour aller se fixer permanemment au centre de l’élément anglais et protestant. À franchement parler, l’anomalie n’est-elle pas renversante ?

Si quelqu’un eût prédit alors cet abandon, n’eût-on pas repoussé cette prédiction comme la plus sanglante injure que l’on pût faire à l’autorité diocésaine ? Et c’est cette même autorité diocésaine qui s’est sitôt chargée de la réaliser !

Qui eût pu jamais prévoir alors que la reconnaissance du premier Évêque de Montréal envers les fidèles de la partie Est deviendrait un fardeau trop lourd pour son successeur immédiat ?


X.


Et pourtant c’est ce successeur lui-même qui nous dit dans sa circulaire qu’il a été le témoin des plus intimes communications de Mgr Lartigue, et l’héritier de ses dernières volontés.

Sa grandeur a été en effet témoin et acteur dans tout ce qui s’est passé à l’occasion de la fondation de l’Évêché. Tout le monde se rappelle cet homme bon et sans prétention qui, comme secrétaire de l’Évêque, savait toujours trouver moyen, par ses manières conciliantes et sa constante politesse, d’émousser les petites aspérités de caractère d’un grand esprit, mais en même temps d’un homme qui savait écouter et juger dans les matières importantes. Et bien des personnes se demandent aujourd’hui comment il est possible de concilier les manières si pleines d’affabilité et de bienveillance naturelle de l’ancien secrétaire, que tout le monde aimait, avec l’arbitraire et l’implacabilité que l’on a eu si souvent occasion d’observer depuis quinze ans surtout dans l’administration du Diocèse.

Quoi qu’il en soit, qui oserait dire aujourd’hui que les dernières volontés de Mgr Lartigue ont été que son successeur déguerpit comme nous l’avons vu faire du quartier essentiellement canadien et catholique ? Est-ce avec la hauteur des vues qui le caractérisait qu’il aurait jamais pu recommander pareille faute ? Tout le monde dira avec nous : certainement non !

D’ailleurs quand Sa Grandeur a-t-elle réellement agi d’après les inspirations de son illustre prédécesseur ? Est-ce quand elle abandonne ceux au milieu desquels il se disait si heureux de se voir fixé pour toujours, ou quand, agissant dans le cercle des traditions de l’ancien Évêque, Elle se construisait une demeure permanente sur le terrain même que Mgr  Lartigue avait consacré pour toujours à l’établissement épiscopal ? Est-ce quand Elle promettait, six jours après l’incendie, de ne pas abandonner son troupeau ; ou quand, six semaines plus tard, Elle lui signifiait d’une manière blessante, qu’Elle s’en irait ailleurs !

Mgr  Lartigue aurait-il jamais songé à profiter d’une catastrophe pour sortir du milieu de ceux qui l’avaient si magnifiquement logé pour le temps ? Nous ne le pensons pas, et nous croyons au contraire qu’avec le coup-d’œil de l’homme supérieur qui ne lui faisait jamais défaut, Mgr  Lartigue n’eût rien vu autre chose que la plus pénible erreur, sinon la plus inexcusable faute, dans le fait d’un Évêque allant planter définitivement sa tente au centre même de la population qui est adverse au culte qu’il représente.


XI.


La nouvelle cathédrale, si elle se construit, va se trouver entourée de neuf ou dix églises protestantes sans compter celles à venir, cortège d’un genre assez nouveau pour une cathédrale catholique dans une ville où l’élément catholique est si dominant. Il nous semble que voilà une nouveauté à laquelle Sa Grandeur devrait être particulièrement hostile, Elle qui les abhorre à peu près toutes.

Eh bien, qu’est-ce que cette affluence d’églises protestantes autour de la cathédrale catholique démontre invinciblement ? C’est que, dans ce quartier de la ville, l’élément protestant est dominant. Ce n’est donc pas là la place de l’Évêque. Pourquoi encore une fois abandonner ses ouailles, ses amis, ses soutiens, pour aller s’exiler au milieu de ses adversaires ?

Au reste, il y a cette notable différence entre les difficultés éprouvées par Mgr  Lartigue et celles éprouvées par son successeur, que Mgr  Lartigue n’a eu à combattre que les difficultés qui lui étaient suscitées par autrui, pendant que l’Évêque actuel n’a réellement à combattre que les difficultés qu’il s’est en quelque sorte suscitées à lui-même de gaieté de cœur.

Y aurait-il eu l’ombre d’une difficulté si Mgr  de Montréal eût accepté, en 1852, l’offre qui lui a été faite ? Certainement non. D’où sont venues les difficultés et les retards ? De l’indifférence de la population. Qui a causé cette indifférence ? Rien autre chose que la réponse blessante de fond et de forme que Sa Grandeur fit en 1852 aux citoyens qui étaient allés lui offrir de le bâtir mieux qu’auparavant.

Les citoyens sont encore prêts à l’aider, mais à condition que les fautes cessent ; à condition que l’on revienne à une plus saine notion de la situation ; à condition que l’on ne consomme pas un acte qui nuit tout à la fois à leurs intérêts religieux et à leurs intérêts temporels.

De ce qu’il n’a pas plu à Sa Grandeur d’admettre ce que tout le monde comprend, il ne suit pas que les citoyens n’ont pas conscience de la terrible faute qui se commet.


XII.

Sa Grandeur nous a fait un tableau très vrai de ce qu’est la cathédrale d’un Diocèse. « C’est dans cette église mère, dit-Elle, qu’avec plus de pompe, l’Évêque célèbre les offices, administre les sacrements, confère les ordres, convoque le clergé en synode, préside aux grandes assemblées des fidèles aux plus saints jours de la religion. Dans cette église-mère doivent se dérouler les cérémonies les plus augustes qui sont les signes visibles de la foi, les images sensibles de la piété et le sceau sacré des grandeurs de la religion. »

Tout ceci est très vrai et très bien dit. Mais comment se fait il donc que Sa Grandeur oublie combien ces raisons sont puissantes et péremptoires à l’encontre du projet même qu’Elle a si malheureusement mûri ? Comment obtiendra-t-Elle les grandes assemblées des fidèles dans une église si éloignée du principal noyau des fidèles auxquels on la dit destinée ? Ce ne sont pas les protestants au milieu desquels on est allé planter sa tente qui iront remplir la cathédrale. On y verra probablement quelques uns des catholiques aisés des différents quartiers ; mais les pauvres, ceux qui vont à pied, comment s’y rendront-ils en grand nombre ? À l’heure qu’il est, que l’on compare le nombre des fidèles qui fréquentent la cathédrale et celui des fidèles qui vont à l’église St. Jacques. Le chiffre de ceux-ci décuple l’autre. Sa Grandeur ne peut pas à l’heure qu’il est louer plus des trois quarts des bancs de sa chapelle. Comment louera-t-Elle les bancs de l’énorme église qu’elle veut faire ? Nous savons bien qu’il ne s’agit plus des projets gigantesques d’autrefois, mais on va toujours construire un édifice qui ne sera inférieur en étendue qu’à Notre-Dame.[1] L’église des Jésuites est beaucoup moins éloignée du centre catholique que ne le sera la cathédrale, et dès à présent un nombre considérable de bancs n’y sont pas loués. Sur quoi peut-on donc espérer que les bancs de la cathédrale se loueront ? Mais il n’y a pas un sixième de la population canadienne de l’autre côté de la rue Bleury ! Cela seul n’indique-t-il pas à l’évidence où la cathédrale doit être pour y obtenir les grandes réunions des fidèles ?

L’Évêque, nous dit-on, et c’est vrai, est comme un père au milieu de ses enfants. Pourquoi donc alors va-t-il s’établir définitivement si loin d’eux ? Quel est ce père de famille qui se construit une maison où cinq sur six de ses enfants ne pourront se rendre !


XIII.


— Mais la population se portera de ce côté.

— Quelle population ? Seulement les riches ! Seulement ceux qui pourront acheter des terrains de grande valeur. Il n’y en a pas d’autres dans ce quartier. La masse de la population canadienne restera forcément attachée à la partie Est ; restera donc toujours forcément éloignée de la cathédrale ; et les augustes cérémonies, et les pompes du culte ne se verront que par une partie de l’heureux sixième qui demeure dans le quartier.

Est-il bien juste, encore une fois, que l’Église-mère semble craindre de se placer au milieu de ses enfants ? Où sont les vraies mères qui en agissent ainsi ?

Quel est d’ailleurs dans la question le véritable intérêt de la religion et du clergé ? Évidemment de tenir compacte et serrée autour de son Évêque la population canadienne catholique. On préparerait ce résultat d’une manière certaine en bâtissant sur le côteau Barron à l’est de la rue St. Denis. De suite la population canadienne se porterait de ce côté, et tout en favorisant ses intérêts religieux on placerait du coup le côté national de la question dans la meilleure situation possible. On favoriserait ainsi l’expansion de l’élément canadien de la population dans la seule direction où il puisse maintenant s’étendre à volonté. On favoriserait du même coup l’intérêt religieux et l’intérêt national. Ces deux intérêts marchent nécessairement de pair pour ceux qui ne veulent pas fermer les yeux à l’évidence. De même que l’on fait du mal à la religion en affaiblissant l’élément canadien, de même on favorise ses intérêts en donnant de la force et de la cohésion à cet élément. L’Évêque lui donne-t-il de la cohésion en s’en éloignant ? Certainement non. Il lui inflige donc un tort, et du même coup il en inflige un à la religion qui, temporellement, en ressentira un contre coup. « C’est un grand avantage pour vous, dit Sa grandeur aux fidèles, qu’il se construise une Cathédrale. » Et cet avantage pour eux, elle le nullifie pratiquement en leur rendant la Cathédrale inabordable ! C’est absolument à n’y rien comprendre !

Dans la même mesure que l’on affaiblit l’influence et le progrès de la population canadienne, on affaiblit l’influence de la religion en Canada. Voilà le seul résultat possible de l’incompréhensible erreur que commet Sa Grandeur.

En restant dans la partie Est, elle favoriserait l’expansion de la population canadienne ; donc elle favoriserait en même temps celle de son culte. En bâtissant là-bas, Elle désagrège l’élément canadien, donc elle diminue son influence, et du même coup, inflige un tort à son culte. Cela est de toute évidence.

C’est donc aux fidèles qu’il appartient maintenant de voir s’ils doivent encourager de leurs sympathies et soutenir de leurs contributions un projet qui, nationalement parlant, leur est clairement hostile, et qui, au point de vue religieux, éloigne d’eux au lieu de l’en rapprocher cette église-mère qui doit servir aux autres d’exemple, de modèle et de guide.


XIV.


Et puis, pourquoi cette inexplicable hâte, cet empressement extraordinaire à commencer les travaux ? Pourquoi ne pas attendre le résultat des quêtes annoncées ? Que signifie cet éternel parti pris de tout décider à part soi et de ne laisser aux intéressés que le soin de s’exécuter et de payer ? Il ne s’agit pas ici d’une définition de croyance ou de devoir, il s’agit tout simplement d’une question d’argent. La plus simple prudence ne disait-elle pas qu’avant de commencer les travaux, il serait bon de s’assurer si l’on aurait la coopération cordiale de la population ? Peut-on ignorer que le site choisi ne convient pas à la très grande majorité ? Certainement non. Eh bien, cela ne devait-il pas faire craindre que le concours cordial de cette majorité ne fût pas assuré à priori à l’entreprise ? Or, sans le concours de la grande majorité, l’entreprise n’a clairement aucune chance de succès. Si Sa Grandeur croit qu’il lui suffit de vouloir pour emporter une pareille question d’assaut, Elle nous paraît commettre une de ces erreurs dans lesquelles les hommes de véritable expérience ne tombent jamais.

Ne nous dit-Elle pas, dès le premier paragraphe de sa circulaire, qu’Elle doit procéder selon toutes les règles de la prudence chrétienne, pour ne pas attirer sur Elle et sur la religion qu’Elle représente dans ce Diocèse, « la honte attachée à tout homme qui commence à bâtir et qui ne peut achever. (Luc 14-28.) »

Or est-ce bien procéder selon les règles de la prudence chrétienne que de commencer des travaux si importants quand on sait à n’en pouvoir douter que l’opinion blâme universellement l’entreprise, non en elle-même, mais à cause du site choisi ? Les trois quarts du clergé du diocèse, les sept-huitièmes de la population canadienne de la ville (car nombre de fidèles de la partie ouest comprennent la faute que l’on commet) blâment le choix de la localité ! Ceux même qui ont souscrit paient avec répugnance ! Comment peut-on espérer mener une pareille entreprise à bonne fin en dépit de l’opinion publique ? C’est toujours dans de pareilles conditions que l’on échoue, c’est-à-dire que l’on attire sur soi « la honte attachée à tout homme qui commence à bâtir et qui ne peut achever. »

Quelques hommes prudents, qui voient que l’Évêque se met en conflit avec l’opinion universelle, n’ont pas voulu commencer les travaux avant son arrivée, espérant peut être qu’un dernier effort ferait fléchir cette persistance obstinée à ne tenir jamais compte de l’opinion d’autrui. Mais dès l’arrivée de Sa Grandeur, ordre a été donné de commencer immédiatement les travaux ; puis Sa Grandeur s’est tranquillement mise à écrire sa lettre circulaire où il est bien question des retards du troupeau à porter son argent, mais où il n’est naturellement pas dit un mot des nombreuses fautes du pasteur qui ont seules causé ce retard. Dans cette production Sa Grandeur ne tient pas plus de compte de l’opposition des citoyens à son projet quant à la question du site que si elle songeait à bâtir une maison à louer. Elle est seule de son avis et elle n’en prend pas moins pour acquis que les fidèles doivent et vont payer sans mot dire. Et si quelqu’un eût conseillé de consulter au moins les contribuables afin de se les concilier en majorité avant de commencer les travaux, Elle eût peut être regardé bien en face ce quelqu’un pour voir s’il jouissait de toute sa raison.

Reste maintenant aux citoyens de voir s’ils sont disposés d’abdiquer toute liberté d’opinion et d’action sur une question qui les concerne de si près, et qui ne peut être menée à bonne fin sans leur concours zélé et leur assistance pécuniaire.

Quoiqu’en puissent dire les flatteurs, il n’en reste pas moins vrai que Sa Grandeur est tenue à une certaine déférence envers le corps des Diocésains de Montréal, et que le moyen de leur témoigner cette déférence n’est pas de leur signifier que tout s’est décidé sans eux et qu’il ne leur reste plus qu’à porter leur argent à la caisse épiscopale.

Si Sa Grandeur veut que le corps des Diocésains respecte ses décisions, Elle doit commencer Elle-même par tenir compte de l’opinion et des désirs légitimes des contribuables.


XV.


Sa Grandeur nous dit qu’« Elle a sous les yeux des preuves irrécusables du bon vouloir que tous portent à cette œuvre ; » et Elle nous apprend qu’à son insçu, et pendant son séjour à Rome, Mess. les Curés du Diocèse se sont spontanément engagés à payer de fortes contributions pour la reconstruction de l’Église.

Nous pensons pourtant que Sa Grandeur a pu voir, par le rapport qu’on a dû lui faire sur le produit de la quête qui se fait maintenant, que ces preuves irrécusables du bon vouloir de tous doivent s’être considérablement dépoëtisées à ses yeux. Nous concevons que le vif désir qui domine Sa Grandeur de voir triompher son opinion individuelle sur l’opinion générale du clergé du Diocèse et des fidèles de Montréal ait pu lui faire regarder comme preuves irrécusables ce qui n’en était pas même l’ombre aux yeux d’un observateur impartial ; mais les faits réels ont dû désenchanter un peu Sa Grandeur du singulier système de démonstration qu’Elle paraît avoir co-ordonné dans son esprit. Plusieurs de ceux qui ont fait la quête de dimanche dernier ont dû lui fournir au contraire la preuve indubitable que la partie Est ne veut pas aider une entreprise qui fait un si notable tort, et qui est une si permanente injustice, à la population canadienne. Quand on voit la riche rue St. Denis souscrire quatrevingt six piastres au lieu des vingt mille qu’on y trouverait si l’on respectait l’opinion publique, cela devrait faire comprendre que les Évêques comme les autres doivent en tenir compte.

Que Sa Grandeur ne s’y trompe pas. Nombre de gens, simplement pour ne pas paraître refuser entièrement et absolument, ont donné quelques piastres ; mais ces mêmes personnes en souscriraient de suite plusieurs centaines si Sa Grandeur voulait bien adopter le seul projet praticable et rationnel, celui de placer la cathédrale là où l’opinion publique et le plus simple bon sens l’exigent. Nombre d’hommes riches ont refusé net. Sa Grandeur va-t-elle maintenant s’obstiner à vouloir deux choses illégitimes ; bâtir loin du vrai centre de la masse des fidèles, et ne tenir aucun compte de leurs intérêts et de leur opinion ? Sa Grandeur trouverait-elle bien facilement un texte de l’Évangile pour appuyer la légitimité de son acte ? Celui qu’elle cite ne la condamne-t-il pas déjà assez ?

Au reste il ne s’agit pas ici de textes de l’Évangile ; il s’agit seulement de comprendre une situation et de ne pas s’aveugler soi-même sur la réalisation d’un projet impossible par ce qu’il heurte trop violemment la notion du sens commun chez les citoyens. Sa Grandeur commettant incontestablement une faute grave, les citoyens sont bien tenus de protester contre cette faute par leur abstention. On n’a pas daigné les consulter, c’est donc là le seul moyen qui leur reste de se faire comprendre.

Quant au petit coup de tactique de « l’offre spontanée de Messieurs les Curés à l’insçu de l’Évêque », nous doutons fort que les citoyens voient-là, au même degré que Sa Grandeur, « la manifestation de la volonté de Dieu. »

Ceux qui savent comment les choses se passent comprennent parfaitement comment ces actes spontanés s’obtiennent. Comment croire aussi spontanée qu’on le dit l’action d’un clergé qui, en majorité, blâme le site choisi ? Comment accepter cette action comme spontanée quand on entend les Curés se plaindre assez haut de l’importance des sommes que l’on exige d’eux ?

— Pourquoi payez-vous, alors, demandait-on à l’un d’entre eux ?

— Eh ! il le faut bien ! Pensez-vous que je vais m’exposer à être envoyé dans une petite cure où j’aurai peine à vivre ?

Voilà un mot qui nous paraît fortement ébranler le système de spontanéité que la circulaire offre à notre admiration. Et puis enfin ceux qui ont des rapports intimes avec Messrs. les Curés savent que dès avant le départ de Sa Grandeur, plusieurs de ces Messieurs protestaient contre le chiffre des sommes demandées. On se rappelle les difficultés assez graves que Sa Grandeur a eues avec plusieurs curés importants de son Diocèse pour cette seule et unique raison. Ceci encore nous paraît peu cadrer avec le système de la spontanéité, comme avec l’assurance que l’aide du clergé a été offerte à l’insçu de Sa Grandeur ; comme enfin avec l’affirmation que Sa Grandeur a en main des preuves irrécusables du bon vouloir de tous !


XVI.


Non ! Tous ces petits moyens ; toute cette tactique de petite adresse et de petits calculs ; toute cette malheureuse habitude de ruser avec les faits pour les présenter sous un jour favorable à la réalisation d’un désir que tout le monde repousse ; tout cela ne peut aller loin dans les projets sérieux.

Cela peut très bien faire, peut-être, dans l’organisation d’une confrérie, mais non dans la construction d’une cathédrale, quand on vient ainsi heurter obstinément de front l’opinion générale.

Nous devons le dire en toute franchise à Sa Grandeur. Cette assertion que l’action du clergé a été complètement spontanée et en dehors de la connaissance de Sa Grandeur a fait sourire nombre de ses meilleurs amis. Messieurs les Curés avaient un peu trop parlé pour que cette assertion pût passer inaperçue. Elle a exactement la même valeur que celle des preuves irrécusables. Elle nous a tout simplement rappelé la petite tactique de 1857, celle de mettre la cathédrale à l’enchère entre les différents quartiers de la ville. Cela ne pouvait pas réussir, de même que ce dernier petit moyen va réellement avoir nui plus qu’il n’aura servi.

Mais on nous parle aussi de l’accueil que les paroisses de la campagne ont fait au projet.

Nous savons bien qu’à la campagne on dit que la ville est unanime, comme, à la ville on parle de l’unanimité de la campagne. Mais c’est là encore ruser avec les faits. C’est encore là de la tactique qui nuit plus qu’elle ne sert. Si les paroisses de la campagne connaissaient exactement l’opinion véritable de la ville, elles verraient que les demandes excessives qu’on leur fait n’ont pas d’autre but que de parer au déficit énorme que l’on prévoit dans la ville. Et ici encore on fait une grave injustice à la campagne. Car enfin si les campagnes ont besoin d’un Évêque, elles n’ont aucun intérêt direct dans la construction de la cathédrale, car les pompes de la cathédrale ne sont pas pour elles. C’est la ville seule qui a tout à la fois besoin de l’Évêque et de la cathédrale. La question des réunions du Clergé ne concerne vraiment que les curés et non les fabriques. Pourquoi donc alors demander aux paroisses de la campagne des contributions aussi considérables que celles indiquées dans la circulaire ? La seule raison de ces demandes exagérées est la conviction où l’on est que la ville ne contribuera pas dans la mesure de ses moyens. Pourquoi ne le fait-elle pas ? Parce qu’on la maltraite. Mais en même temps on maltraite aussi la campagne en lui demandant ce que la ville refuse.

Nous doutons fort que si les paroisses de la campagne savaient qu’elles vont à elles seules, si le projet marche, fournir plus de la moitié des sommes nécessaires à la construction d’une cathédrale qui ne peut pas coûter moins d’un million de piastres si l’on copie le modèle que l’on a fait faire, elles consentissent à des sacrifices aussi onéreux uniquement pour aider à réaliser un projet insensé et pour faire plaisir à un Évêque qui se refuse absolument à voir et à comprendre ce que tout le monde voit et comprend clairement autour de lui, peuple et clergé. Si les paroisses de la campagne savaient qu’on les engage sans le dire pour au moins vingt ou trente ans, peut-être y regarderaient-elles à deux fois avant d’accorder ce qu’on leur demande.

Quant à cette considération que Sa Grandeur ne peut laisser à son successeur le soin de réparer le désastre de 1852, nous pensons au contraire qu’il eût bien mieux valu, après les graves fautes commises, laisser cette question dormir jusqu’à ce que les auteurs des fautes eussent fait place à d’autres.

Personne ne tient Sa Grandeur responsable de l’incendie, Conséquemment Elle n’était pas le moins du monde personnellement tenue de réparer le désastre. C’est bien sans doute sa faute personnelle s’il ne l’a pas été de suite, mais maintenant que toute la grande et la petite tactique sont venues échouer devant le bon sens public, il valait certainement mieux ne pas réveiller cette affaire pour commettre une dernière faute, et la plus grave de toutes, celle d’aller se faire le centre d’un cortége de temples protestants, assez curieux moyen, pour un Évêque, de promouvoir les intérêts catholiques.

Il vaut bien mieux au contraire que cette importante question soit laissée maintenant à un successeur qui ne sera pas lié par le déplorable système d’erreurs et de fautes dont nous avons suivi avec chagrin le développement depuis quinze ans.

Quant au terrain de l’Évêché temporaire actuel, dont on voudrait aussi tirer un argument, il est bien clair qu’il peut se vendre plus de quatre fois ce qu’il a été payé, et qu’en y renonçant, Sa Grandeur aura encore fait une fort belle spéculation en l’achetant.


XVII.


Mais on dit qu’il est trop tard pour changer de projet, que les travaux sont commencés.

Cette raison peut sans doute influencer des enfants, mais non des hommes sérieux. Nous ne voyons, nous, dans cette hâte coupable de commencer les travaux avant de savoir si l’on obtiendra les moyens nécessaires, qu’une dernière petite ruse pour imposer à la ville une volonté qui se croit forte parcequ’elle s’opiniâtre contre la raison, l’évidence et le bon sens général. Sa Grandeur n’a commencé sitôt, décidément trop tôt pour un homme prudent, que parcequ’elle ne veut pas céder, parcequ’elle veut au contraire que tout cède à sa volonté. Mais où sont donc rendus les murs ! Eh ! les fondations ne sont pas rendues aux quart ! Ce commencement des travaux n’avait pas d’autre objet que de hâter les contributions de ceux qui ne songent qu’à obéir aveuglément même quand on fait des fautes à leur détriment, et d’opérer une espèce de prise de possession qui lierait d’avantage la ville à un projet absurde. Cela non plus ne réussira pas, car c’est encore de la ruse et de la tactique au service de l’obstination.

D’ailleurs il n’est jamais trop tard pour revenir d’une erreur, ou arrêter les conséquences d’une faute. Quand on voit la population intéressée à peu-près unanime à protester contre cette erreur ou cette faute, c’est montrer bien peu de considération à cette population, dont on admet avoir tant obtenu, que de s’obstiner jusqu’à la fin à faire ce qu’elle désapprouve.

Que Sa Grandeur veuille bien faire l’estimé des sommes que la population de Montréal a versées dans les œuvres de bienfaisance ; que Sa Grandeur veuille bien aussi songer un peu aux sommes énormes qu’elle a réussi à obtenir de cette population pour pousser l’entreprise si clairement illusoire dès l’abord de maintenir le Pape avec une poignée de Zouaves que le premier souffle de l’Italie unifiée devait faire disparaître comme les légères brumes d’une belle matinée d’automne ; et Elle verra peut-être que quand on a tant demandé et tant obtenu d’une population, on devrait au moins savoir respecter ses désirs sur une question qui intéresse gravement ses intérêts nationaux et sociaux.

Ce n’est certainement pas exagérer que de porter à $150,000 les sommes que Sa Grandeur a tirées depuis dix ans, sous diverses formes, du Diocèse, pour maintenir en Italie un ordre de choses impossible et condamné par l’opinion universelle éclairée. Toute cette dépense se trouve aujourd’hui avoir été faite en pure perte ; et eût-elle été sage en soi, la perte n’en a pas moins été encourue. Mais son inutilité n’en était pas moins prévue et prédite dès l’abord par les gens qui savent un peu voir l’avenir et que la grosse tactique des organes n’empêche pas de comprendre les choses telles qu’elles sont et non telles qu’on les présente aux gens simples et de bonne foi pour leur faire admirer un ordre de choses dont la Providence semble avoir si volontiers permis la chute.

Eh bien, il nous sera bien permis de dire que cette grande somme aurait été bien mieux employée à la construction d’une cathédrale qu’à entretenir cette parodie d’armée à laquelle on ne pouvait pas même permettre de se battre vu que c’eût été tout simplement une boucherie et non une lutte. Même s’il a été louable de consacrer à une entreprise évidemment désespérée une aussi grande somme pour nos moyens, on pourrait au moins, maintenant que l’on a infligé la perte, laisser respirer un peu la population qui a montré son bon vouloir de tant de manières, et au milieu de laquelle, par dessus le marché, on a autorisé tant de souscriptions destinées à bâtir des églises en différents pays quelquefois plus riches que celui-ci. Épuiser la poule aux œufs d’or n’est guère plus sage après tout que la tuer.

Et pourtant, malgré tout cela, malgré les pertes qu’un faux zèle lui a fait subir, cette population est encore prête à faire grandement les choses pour loger son Évêque, mais à condition au moins qu’il ne s’entête plus dans un projet que tout le monde blâme parce qu’il offense la plus commune raison. En un mot, nous voyons d’un côté la grande majorité du clergé et l’immense majorité de la population de la ville qui repoussent une erreur évidente ; et de l’autre nous voyons Sa Grandeur seule, avec un petit entourage de flatteurs, s’obstiner contre l’opinion, l’évidence et l’impossibilité ! Eh bien cela est pénible, mais il n’en faut pas moins que ce soit celui qui se trompe d’une manière si terrible qui revienne de son erreur.


XVIII.


Croit-on donc qu’il n’existe pas un peu de mécontentement dans une population qui a tant donné et qui voit son premier pasteur décider seul, et contre l’avis de tous, une question aussi grave ; commettre ainsi une faute qui saute aux yeux ; poursuivre par tous les moyens depuis quinze ans la réalisation de cette faute ; ne tenir compte d’aucunes raisons, d’aucunes représentations ni d’aucuns conseils ; s’obstiner contre tous ; recourir à mille petites ruses pour influencer les esprits ; commencer intempestivement de si importants travaux sans savoir s’il obtiendra les sommes nécessaires à leur complétion, et jeter par là un véritable défi à ceux auxquels il vient demander leurs contributions ; et par-dessus le marché citer l’Évangile pour parler de la honte qui retombe sur ceux « qui commencent à bâtir sans savoir s’ils pourront finir !  ! » C’est-à-dire, illustrer lui-même, par un texte évangélique, la faute qu’il commet !

En vérité on compte trop sur la bonne volonté, nous oserions dire, la simplicité des gens. Les citoyens de Montréal commencent à se fatiguer de ce système qui consiste à commencer mille choses sans les consulter le moins du monde et à finir par leur dire : « Ah ça, nous avons jugé à propos de commencer telle fondation, à vous de payer. »

Nous commençons à voir et à toucher du doigt, que quand une population, par pur esprit de zèle, à longtemps donné sans compter, et sans jamais songer à exercer le moindre contrôle, les donataires finissent par regarder comme leur appartenant déjà même ce qui n’est pas encore demandé !

Eh bien, malgré tout, que Sa Grandeur revienne dans la partie Est, dont elle n’aurait jamais dû s’éloigner, et de suite l’affaire de la Cathédrale va se retrouver sur des roues, pour nous servir d’une expression usuelle. Elle n’aura pas besoin alors de faire un appel aux campagnes pour suppléer au défaut de la ville. Montréal peut loger son Évêque et le loger convenablement, et même magnifiquement si c’est exigé. On ne songeait pas, en 1852, à aller dire à soixante paroisses qui ont déjà assez de peine à se suffire à elles-mêmes, (pour ne pas parler des paroisses riches.) « Veuillez donc nous aider à loger l’Évêque. » C’est par l’Évêque que cette demande leur est faite aujourd’hui, et cela pourquoi ? Parce qu’il s’est aliéné l’opinion de la ville en maltraitant, par un choix erroné de localité, la population qui est encore prête à le seconder, s’il veut revenir à la raison et à une plus saine appréciation des choses.

S’il ne veut rien entendre ; s’il démontre à la population qu’il n’agit que par cet aveugle sentiment d’opiniâtreté qui veut que tout, vérité, justice, à propos, bon sens, devoir chez soi, droit chez les autres, considérations de toutes sortes, religieuses, nationales et sociales, recule devant son ipse dixit et cède devant un désir illégitime et une erreur évidente, qu’il en prenne la responsabilité, mais qu’il ne soit pas surpris non plus s’il reste isolé et s’il subit un dernier désappointement.

Ce n’est pas le troupeau, ici qui s’isole du pasteur, c’est le Pasteur qui s’isole du troupeau qu’il abandonne pour s’aller perdre dans un centre protestant.


XIX.


Nous pourrions présenter nombre d’autres considérations importantes dans la question, mais nous croyons en avoir dit assez pour convaincre ceux qui n’apportent aucun parti-pris dans ce projet que ce serait un malheur s’il se réalisait sous sa forme actuelle. Là dessus il semble n’y avoir aucune divergence d’opinion. Mgr  de Montréal est le seul homme qui soit déterminé coûte que coûte à bâtir sur le terrain de l’Ouest. Mais il ne le peut toujours que si les citoyens de la ville souscrivent les sommes nécessaires. Ce que l’on obtiendra des paroisses de la campagne sera nécessairement peu de chose en regard de l’importance de l’entreprise. On leur demande sans doute beaucoup, mais si les fabriques riches peuvent donner, les deux tiers des paroisses auront la sagesse de pourvoir de préférence à leurs besoins pressants plutôt que de verser leur nécessaire pour suppléer à ce que la ville ne veut pas faire. Les citoyens de Montréal ont donc la chose entre leurs mains. Convaincus qu’ils sont que l’Évêque commet une véritable injustice envers la population canadienne en plaçant sa cathédrale hors de la portée du plus grand nombre, il leur suffit clairement de refuser leurs contributions pour amener l’Évêque à une plus saine et plus juste appréciation de la situation.

Mais qu’il nous soit permis en terminant de dire que nous avons peine à nous expliquer l’attitude du Clergé sur la question actuelle. Qu’une grande majorité de ses membres regrettent sincèrement de voir l’Évêque tomber dans le terrible faux-pas d’aller s’établir définitivement dans la partie essentiellement protestante de la ville, voilà ce que les faits et les conversations de tous les jours démontrent.

Mais alors, si le Clergé voit du même œil que les citoyens l’erreur de l’Évêque, comment se fait-il qu’il ne fasse aucun effort pour arrêter celui-ci avant que l’erreur ne devienne irréparable ?

Il s’agit ici d’une affaire de la plus haute gravité, affectant au moins autant les intérêts temporels que les intérêts religieux. Il s’agit d’une question qui affecte gravement l’avenir de la population canadienne dans Montréal. Il s’agit enfin pour celle-ci d’une cause de progrès local et de cohésion nationale que l’Évêque lui fait perdre. Il est bien évident qu’il ne s’écoulera pas dix ans avant que la preuve irrésistible de l’étendue de la faute qui se commet maintenant ne soit devant tous les yeux. Il est bien plus facile d’empêcher une faute de se commettre que de la réparer une fois commise. Sur qui retombera la responsabilité de la faute actuelle ? Sur l’Évêque nécessairement, mais le Clergé n’en restera-t-il pas forcément un peu solidaire ? D’ailleurs sera-t-il bien agréable pour lui d’entendre dire pendant deux générations que sans l’obstination de l’Évêque on n’aurait pas aussi mal appliqué quant au site une somme d’un million de piastres ? Car qu’on ne s’y trompe pas, et nous défions la dénégation d’hommes compétents à juger d’une pareille entreprise, il ne s’agit pas de cent, ni de trois cent mille piastres, il s’agit au moins d’un million, et probablement d’un million et demi de piastres. Que ceux qui en doutent aillent voir le modèle qui va servir de règle aux architectes.

XX.


Et puis si l’Évêque réussit à placer définitivement sa Cathédrale dans le centre protestant de Montréal, quelle en sera la conséquence pour le clergé ? S’il ne loue pas aujourd’hui les bancs de sa chapelle temporaire, comment louera-t-il ceux d’une Église qui en contiendra huit fois autant ? Sa cathédrale ne lui donnera donc qu’un revenu très restreint. Qui devra combler en partie le déficit de la caisse de l’Évêque ? Nécessairement le clergé ; puis les citoyens. Si l’Évêque s’endette irrémédiablement pour bâtir sa cathédrale, qui devra payer cette dette tôt ou tard ? Nécessairement le clergé, car les citoyens ne seront guère disposés à payer une dette contractée malgré eux et en leur infligeant un tort grave et d’un caractère permanent. Voila des choses que le plus simple bon sens prévoit.

Les souscriptions ne marchant pas, si l’Évêque s’obstine à continuer, il va nécessairement se créer une dette énorme. Qu’est-ce que cela lui fait personnellement ? Il arrive au terme de sa carrière, nous dit-il ; la dette qu’il va créer retombera donc sur son successeur et sur le clergé. Marchant comme il le fait à l’encontre de l’opinion générale, il fait nécessairement ce calcul : « Il faudra toujours bien que l’on s’arrange pour payer après moi. » Eh bien, l’énergie personnelle et la générosité de caractère ne consistent certainement pas à rejeter sur d’autres les conséquences aussi couteuses de ses propres actes. Comment d’ailleurs Sa grandeur, qui prétend qu’il y aurait injustice à laisser à son successeur le soin de rebâtir, ne voit-elle pas qu’il sera bien plus injuste encore de lui léguer une grosse dette uniquement due à son obstination personnelle ?

Mais Sa Grandeur ne vient-elle pas de condamner, si nous sommes bien informés, le projet de réparer l’église de Notre Dame et d’en rendre l’intérieur plus régulier comme œuvre d’architecture ? Pourquoi ? Parceque la Fabrique se serait endettée. Eh bien mais alors, pourquoi donc se jeter lui aussi à corps perdu dans les dettes ? Pourquoi ne pas suivre pour lui-même les préceptes qu’il applique aux autres ?

Et puis pourquoi Sa Grandeur ne touche-t-elle pas le moins du monde, dans sa circulaire, à la question des sommes payées déjà sur l’ancienne souscription. Elle nous informe qu’elle n’a aucune ressource pour entreprendre l’œuvre de la Cathédrale. « Tous les moyens de l’évêché passent à recevoir le clergé, » mais on sait pourtant que la table de l’évêché n’est que raisonnablement suffisante et que le luxe n’en approche pas. Quant à l’Évêque lui-même, ce serait être injuste que de ne pas admettre qu’il pousse l’abstinence à ses dernières limites. Or on sait assez que l’évêché jouit déjà d’un très beau revenu, que des personnes bien informées portent à neuf mille louis au moins. L’évêché pourrait donc sans grande difficulté verser au moins dans les fonds de la Cathédrale les sommes qui ont été payées sur les souscriptions anciennes. La circulaire n’en dit rien, mais il eût mieux valu qu’elle en parlât. Nous ne prétendons pas que l’on n’est pas dans l’intention de le faire, mais quand on parlait des moyens requis, comment se fait-il que l’on n’ait pas touché précisément à celui-là ?

Toujours est-il que ce qui est constaté aujourd’hui c’est que l’Évêque persiste, malgré toutes représentations au contraire, à faire céder la volonté générale devant sa volonté personnelle. Il vient signifier aux contribuables qu’ils n’ont rien à voir dans la question, mais qu’il leur faut bien et dûment payer ce qu’il leur demande. Il affirme qu’il est sans ressources, et il va demander ces ressources à ceux dont il méprise tellement l’opinion qu’il n’a jamais voulu seulement condescendre à leur expliquer ses projets. Et pour leur mieux forcer la main, il commence les travaux avant de savoir si la souscription produira les sommes voulues.

Je décide, payez !  ! Voilà comme il nous traite.

Eh bien, des fautes de cette gravité ne s’effacent pas vite de la mémoire de ceux qui ont dû les subir, et il est certain que le clergé se les entendra toujours reprocher même quand l’Évêque n’y sera plus, car le corps reste quoique les individualités s’effacent.

Et puis le clergé a bien un certain intérêt à ce que la population canadienne de Montréal ne subisse pas l’échec que son Évêque persiste à lui infliger. Il a bien aussi quelqu’intérêt à empêcher la réussite d’un projet que tout condamne, que rien ne recommande, et dont les résultats inévitables, pécuniairement, retomberont principalement sur lui.

Le Clergé du Diocèse doit plutôt désirer voir la population canadienne de Montréal compacte et serrée autour de l’Évêché, que de l’en voir séparée. Le Clergé doit préférer la voir satisfaite et conciliée plutôt que mécontente et repoussée.

Si l’Évêque ne voit pas ces choses, le clergé est un peu tenu de les voir pour lui. Si le clergé parle fermement raison à l’Évêque, il ne peut en être repoussé. C’est son devoir après tout, dans les questions importantes de dire la vérité, et de la faire entendre avec l’énergie voulue. « Dire la vérité, » disait un père de l’Église, « est le plus grand acte de charité possible. »

Si le clergé ne veut rien faire pour combattre une erreur ; s’il est si comprimé que de ne pas pouvoir empêcher une faute aussi prodigieuse, il accepte par là même la solidarité de cette erreur et de cette faute aux yeux de la population à laquelle on les inflige contre son opinion. Eh bien, dans un cas comme celui-ci, nous osons dire en toute déférence qu’il est tenu d’exprimer cette opinion à qui de droit. S’il ne fait rien, et qu’il y ait par suite diminution de sympathie et de confiance de la part de la population, et conséquemment affaiblissement de respect, le clergé pourra sans doute s’en prendre un peu à l’Évêque, mais plus encore à lui-même.

Ne pas savoir parler et agir à propos est souvent aussi nuisible, quelquefois aussi coupable que de parler et d’agir mal à propos.


Plusieurs citoyens de la partie Est de Montréal.


Montréal, 12 Octobre 1870.
  1. Les informations que nous venons de recevoir nous obligent de rectifier cette assertion. Des amis de l’Évêché nous avaient affirmé cela avec tant de bonne foi apparente que nous avions cru à leur sincérité ; mais la vérité est que la Cathédrale va être beaucoup plus grande que la paroisse. Sa Grandeur veut éclipser celle-ci même en étendue. Elle veut faire de suite ce qui ne sera nécessaire que dans cent ans.

    La Cathédrale aura quatrevingts pieds de longueur de plus que la paroisse, et soixante pieds de largeur de plus dans la croix, quoique d’une largeur un peu moindre peut-être ailleurs. Elle sera donc beaucoup plus grande que la paroisse. Mais pour faire souscrire les gens, non seulement on leur cache ces faits, mais on leur dit que le projet primitif est considérablement modifié et diminué. Eh bien, cela n’est pas exact. Le projet primitif, le plan gigantesque, s’exécutent au contraire à la lettre, et l’Évêque n’en veut pas démordre d’un iota. Il est seul de son avis, mais tout doit se courber sous sa volonté. Si les citoyens veulent continuer à ne rien dire et à laisser faire, libre à eux ; mais ils finiront toujours par payer les pots cassés de la folie qui se commet.