La cité dans les fers/Le procès

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Éditions Édouard Garand (p. 4-5).

II

LE PROCÈS


Le lendemain matin, vers neuf heures, tel qu’il l’avait promis, André Bertrand se rendit au Bureau Central de la Sûreté.

En l’apercevant, le chef de Police, homme sans instruction ni éducation aucune et qui occupait ce poste pour quelques services rendus à des politiciens et parce qu’il possédait des moyens particuliers de chantage, appuya de toutes ses forces à la sonnette d’urgence et voulut se jeter lui-même sur celui qu’il avait désespéré de capturer. Mais Bertrand lui saisissant le poignet, le força à rasseoir.

— Je viens me livrer. Je veux être traité en gentilhomme.

Avertis par la sonnette, cinq agents firent leur apparition. Ils conduisirent le prisonnier aux cellules communes, dans le soubassement, en attendant sa comparution.

Les détenus, flâneurs nocturnes, ivrognes invétérés, bandits de grand chemin s’étonnèrent de voir un personnage aussi bien mis, et d’aspect aussi imposant, partager leur sort.

Colosse d’une force extraordinaire, légendaire au collège et à l’université, et qu’il a développée par la pratique de tous les sports, surtout ceux de défense et d’attaque. André Bertrand ne passe nulle part inaperçu.

Rasée de frais, la peau blanche du visage faisait ressortir davantage le noir luisant des yeux et de la chevelure frisée à la Alexandre Dumas. Le nez fin et droit amenuisait un peu cette figure osseuse aux pommettes des joues saillantes, aux yeux creux sous l’orbite, et au menton provoquant.

Ses vêtements étaient d’une correction impeccable : redingote gris fer, pantalons pâles, bottines vernies surmontées de guêtres beiges.

Il offrait un contraste frappant avec ses compagnons de cellule.

Vers dix heures moins le quart, on le vint chercher pour sa comparution devant la Cour de Police où il devait subir ce qu’on appelle l’enquête préliminaire.

Le magistrat Lambert, les coudes sur le pupitre, appuya le menton dans le creux de sa main, et, dans cette attitude nonchalante et somnolente qui était sienne, s’apprêta à suivre les différentes phases du procès.

— « Le Roi contre Bertrand » venait de crier la voix rauque du greffier.

Les têtes se dirigèrent de côté épiant sur les traits de l’accusé l’effet de ce qui allait se dire.

Le greffier lut l’acte et posa la question :

— « Coupable ou non coupable » ?

— Non coupable.

— Désirez-vous un procès expéditif ou par jury ?

— Expéditif.

— Avez-vous des témoins à faire entendre ? demanda-t-il alors au substitut du Procureur.

Il n’y avait qu’un seul témoin à charge : Donald Ferguson. Les autres avaient négligé ou refusé de se présenter devant le tribunal.

Ferguson avait entendu dire par quelqu’un, un nommé Flibotte qu’André Bertrand était à la tête d’une vaste conspiration dont le but inavoué était de faire main-basse sur les dépôts d’argent dans les banques, et de s’emparer de l’administration des chemins de fer d’État.

L’avocat de Bertrand se leva pour le contre interroger. Mais avant même qu’il eut parlé, un avocat, dans l’audience se leva, qui n’était pas intéressé dans la cause, et s’adressant au juge :

— Votre honneur, je n’accepterais pas le témoignage de cet homme, même sous serment.

Un autre à son tour se leva qui fit la même remarque puis un troisième.

— C’est bien, y a-t-il d’autres témoins.

— Flibotte, appela le greffier.

— Flibotte, répéta l’huissier de sa voix pâteuse.

Flibotte ne parût pas.

— Dufort.

— Dufort.

Pas plus que Flibotte, ce dernier ne répondit à l’appel de son nom.

Le substitut du Procureur se leva.

— Je dois déclarer à la Cour que vu l’absence de ces deux témoins je n’ai aucune preuve contre l’accusé.

Je demande donc sa mise en liberté et le renvoi de la plainte.