La femme au doigt coupé/05

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Bibliothèque à cinq cents (p. 18-21).

CHAPITRE V
PAPIERS VOLÉS

Cependant Jenny s’était remise à l’ouvrage, il n’y avait pas une heure, quand un pas léger se fit entendre sur l’escalier.

À ce pas bien connu, la jeune fille tressaillit ; ses joues se colorèrent d’un rose vif ; son cœur battit à se rompre dans sa poitrine. Tout à coup la porte s’ouvrit brusquement et Ben parut.

— Ah ! Enfin ! dit la jeune fille en comprimant l’élan de son cœur, qui l’entraînait avec force vers le jeune homme.

— Enfin ! Oui, c’est moi, ma Jenny. J’ai échappé miraculeusement à la mort ; je n’ai pris que le temps de rassurer ma vieille mère, et me voilà, chère Jenny, ajouta-t-il en prenant les mains de la jeune fille. Ainsi, tu as été inquiète ?

— Oh ! Oui, répondit-elle, bien inquiète. Tu le sais, Ben, tu es mon seul ami, et il me semble que… elle n’acheva pas et rougit.

Ben s’élança vers elle.

— Tu ne sais pas, Jenny, lui dit-il, je vais te faire un aveu. Si tu savais combien j’ai pensé à toi, lorsque je croyais ne plus te revoir. Je te voyais alors, seule, sans soutien et… Jenny, veux-tu être ma femme ?

À ces paroles la jeune fille pâlit, puis s’affaissa sur la chaise voisine ; de ses deux mains, elle comprimait les violents battements de son cœur et ne pouvait articuler une parole.

— Tu ne réponds pas, Jenny, s’écria Ben éperdu ; tu ne m’aimes donc pas ! Ah ! Je suis bien malheureux !

Alors, levant ses beaux yeux noyés de larmes sur son ami : Je t’aime, Ben et serais heureuse et fière d’être ta femme. Peut-être même, ajouta-t-elle en souriant, t’ai-je aimé la première. Mais je dois te révéler aujourd’hui le secret de ma vie. Je n’ai pas connu mes parents ; il ne me reste qu’un faible souvenir de ma mère. Elle était jeune et belle et devait être riche. J’ai été élevée par une vieille bonne, qui s’appelait Agathe, et qui, en mourant, m’a remis des papiers, en me disant qu’ils me serviraient à retrouver ma mère et ma fortune.

— Et ces papiers, Jenny ? s’écria Ben.

— Je les ai ; ils sont ici.

Alors, la jeune fille se dirigea vers son lit où elle les tenait cachés ; puis, tout à coup, Ben la vit chanceler et pâlir ; un cri rauque s’échappa de sa poitrine.

— Volés ! fit-elle, ils ont été volés !

— C’est impossible, Jenny, tu cherches mal, ou tu as oublié l’endroit où ils étaient.

— Non ! Non ! Ben ! Ils n’ont, jamais quitté cette place !

— Mais depuis quand ont-ils disparu ? Te rappelles-tu la dernière fois que tu les as regardés ?

— Il ne doit pas y avoir plus de deux jours. Ah ! Je sais ! reprit elle vivement, je ne puis oublier la date ; car un incident s’y rattache. C’était hier. J’étais assise dans ma chambre et occupée à feuilleter ces papiers, tâchant d’y découvrir quelque chose, quand tout à coup, tu sais, madame Martin, la voisine, qui demeure à côté, de moi, se précipita dans ma chambre, en me disant qu’un meurtre venait d’être commis à l’hôtel Saint-André… Tu as dû entendre parler de cela ?

— Certainement, répondit Ben, intéressé au plus haut point. Mais tu es sortie alors ? Car enfin, pour les voler il fallait que tu n’y fusses point ?

— Oui, je suis allée, hier soir entre cinq et six heures, reporter une robe au Beaver Hall.

— Ah ! fit simplement Ben, en se parlant à lui-même, c’est une étrange coïncidence : cette femme, cet anneau, ces papiers… puis voyant le désespoir de Jenny : Rassure-toi, ma chérie, je connais intimement des détectives renommés. Nous les retrouverons tes papiers, je te l’assure ; et, quoi qu’il arrive, tu seras ma femme. Cette idée me donne du courage ; et, dès à présent, à l’œuvre, ma Jenny !

— Cher Ben, comme je t’aime, soupira la jeune fille ; et les deux jeunes gens échangèrent alors leur premier baiser de fiançailles, dans la petite chambre, au milieu des fleurs et du tic-tac du coucou ; chaste baiser dans lequel leurs deux âmes s’unirent dans un lien indissoluble.

Ben s’arracha le premier à cette délicieuse étreinte et s’élança vers la porte.

— À bientôt, chère petite femme ; tes papiers seront mon cadeau de noce !