La fin de l’empire des Carmathes du Bahraïn

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LA FIN DE L’EMPIRE
DES CARMATHES DU BAHRAÏN,
PAR
M. J. DE GOEJE.


Lorsque je publiai, en 1888, mon Mémoire sur les Carmathes du Bahraïn et les Fatimides, je me suis vu dans l’obligation d’avouer que je n’avais pu trouver une seule notice sur l’histoire de ces sectaires depuis la visite de Nâcir ibn Khosrau à Lahsa, en 442. Je viens d’en découvrir une dans le commentaire sur la grande qaçida en mīm d’Ibn Moqarrab. Ce poète distingué du commencement du viie siècle de l’hégire, étant originaire de Lahsa et descendant du prince qui avait mis fin à leur dynastie, devait être bien informé. Le commentateur ne se nomme pas, mais à en juger d’après sa connaissance du Bahraïn et de l’histoire de ce pays, on est en droit de conclure qu’il en était originaire lui aussi. Il me semble avoir écrit peu de temps après la mort du poète.

Les troubles sérieux qui amenèrent la chute de l’empire des Carmathes commencèrent dans l’île d’Owāl peu de temps après la visite de Nâcir. Un certain Abou’l-Bahloul (al-ʽAuwām ibn Mohammed ibn Yousouf ibn az-Zaddjādj), de la tribu autrefois dominante au Bahraïn des Abdalqaïs, et son frère Abou’i-Walīd Moslim, orateur (khatib) de l’île, tous les deux pieux sonnites, s’adressèrent au gouverneur (ناظر) carmathe, nommé Ibn ʽArham, sollicitant son intervention auprès du gouvernement de Lahsa pour leur concéder le droit de bâtir une mosquée, parce que les marchands étrangers évitaient de venir à Owāl, où ils ne trouvaient pas de place convenable pour célébrer les prières du vendredi. En fréquentant les marchés de l’île, ils y apporteraient le bien-être et beaucoup d’autres avantages indirects. En outre, Abou’l-Bahloul et son frère offrirent pour la concession une somme de 3,000 dinars. Sur le rapport d’Ibn ʽArham, la permission fut donnée. Lorsque la mosquée fut construite, Abou’l-Walîd monta en chaire et récita la khotba au nom du khalife abbaside al-Qāim bi-amrillah. Les partisans des Carmathes se récrièrent : « C’est, dirent-ils, une innovation damnable qu’Abou’l-Bahloul a introduite par ruse et fraude ; il faut la leur interdire. » Abou’l-Bahloul répondit : « Il est vrai que notre but véritable n’était pas d’attirer les marchands, mais bien de remplir nos devoirs religieux. Nous avons fait pour cela des sacrifices considérables. Si l’on ne veut pas le permettre, on n’a qu’à rendre la somme versée et nous obéirons. » Le gouverneur écrivit à Lahsa et obtint pour Abou’l-Bahloul et les siens la permission du libre exercice du culte sonnite et même celle de dire la khotba au nom du khalife de Bagdad. La restauration du culte musulman attira les marchands des ports du golfe persique, et le marché d’Owāl prit un grand essor. Mais bientôt les partisans des Carmathes manifestèrent une opposition nouvelle. « La personne, dirent-ils, à laquelle vous portez hommage dans la khotba n’a plus d’autorité. On fait la khotba, même en ʽIraq, au nom d’al-Mostancir, le prince d’Égypte ; c’est son nom que vous devez citer dans la prière et non pas celui d’un homme dont la dignité n’est plus reconnue. » Ces paroles fournissent la preuve que cette opposition se produisit en 450, puisque l’inauguration de la souveraineté du prince fatimide et la restauration du khalifat abbāside ont eu lieu dans cette même année. Abou’l-Bahloul écrivit à Lahsa pour prier le gouvernement de lui permettre de continuer à faire la khotba au nom du khalife abbāside, ayant soin de joindre à sa lettre un riche cadeau et de belles promesses. Les chefs de Lahsa lui accordèrent ce qu’il demandait, et Abou’l-Bahloul vit s’accroître, de jour en jour, ses ressources et son influence. Peu de temps après, le gouvernement de Lahsa, ayant besoin d’une forte somme d’argent[1], ordonna à Ibn ʽArham d’en répartir une partie sur les habitants d’Owāl, mais de la manière la moins onéreuse. Ibn ʽArham, étant peu disposé à obéir, eut une entrevue secrète avec Abou’l-Bahloul et les siens, leur communiqua les ordres qu’il avait reçus et se concerta avec eux sur les mesures à prendre. Ensuite il écrivit au gouvernement de Lahsa que les habitants d’Owāl refusaient de payer l’impôt, qu’il n’avait pas les moyens de les y contraindre et qu’il s’était vu obligé de laisser l’ordre sans exécution. En même temps, il conseillait au gouvernement de revenir sur sa résolution. Cette lettre irrita les chefs de Lahsa. Ils envoyèrent un gouverneur pour remplacer Ibn ʽArham, avec ordre de s’emparer de ceux qui s’opposaient aux mesures du gouvernement et de leur faire payer la somme fixée. Cependant Abou’l-Bahloul n’avait pas seulement convoqué les siens, mais il s’était assuré de l’alliance d’Ibn abi’l-ʽOryân, un des seigneurs les plus puissants de l’île, et ensuite de l’aide des principaux fermiers, en leur disant : « Le kharādj doit être payé par les seigneurs (domini soli, ارباب الضياع), non par les cultivateurs (اصحاب الضياع). » On s’accorda à déclarer aux chefs carmathes qu’on refuserait de leur obéir, à moins qu’Ibn ʽArham ne fût rétabli, et qu’on s’opposerait à l’installation du nouveau gouverneur. Celui-ci, après avoir vainement essayé de s’emparer d’Abou’l-Bahloul et d’Ibn abi’l-ʽOryân, se vit obligé de reculer devant les troupes des insurgés qui comptaient 30,000 hommes, et de se réembarquer au plus vite après avoir perdu plusieurs des siens. Les insurgés écrivirent de nouveau aux chefs carmathes pour demander le retour d’Ibn ʽArham. Mais cette fois la réponse fut menaçante, Ibn ʽArham ne reviendrait pas, mais on enverrait une armée pour mettre ordre aux affaires d’Owāl. Le vizir des Carmathes, Abou Abdallah ibn Sanbar[2], expédia un de ses fils à Oman pour aller quérir des armes et de l’argent. À son retour, les chefs des insurgés le surprirent, le tuèrent lui et quarante de ses hommes et s’emparèrent de 5,000 dinars et de 3,000 lances qu’il avait apportés, et qu’ils distribuèrent parmi leurs gens. Ibn Sanbar comprit, mais un peu tard, qu’il fallait employer d’autres moyens. Il s’engagea secrètement envers Ibn abi’l-ʽOryān à lui conférer le gouvernement de l’île, à condition qu’il tâcherait de ruiner l’influence d’Abou’l-Bahloul. Ibn abi’l-ʽOryān se laissa gagner. « Nous avons entrepris une chose très dangereuse, commença-t-il à dire à ses amis ; les Carmathes ont le pouvoir de nous écraser et ils ne manqueront pas de le faire. Tâchons de réparer les fautes que nous avons commises. » Son avis fut écouté, ce qui inquiéta Abou’l-Bahloul, parce qu’Ibn abi’l-ʽOryān avait une influence prépondérante. Peut-être avait-il eu connaissance aussi du plan suivant arrêté entre son adversaire et Ibn Sanbar : le vizir viendrait avec sa flotte et quand elle serait en vue, Ibn abi’l-ʽOryān s’emparerait d’Abou’l-Bahloul et le tuerait. Dans un conseil de famille convoqué par Abou’l-Bahloul, on résolut de faire assassiner Ibn abi’l-ʽOryān. Celui-ci avait coutume de se baigner dans un ruisseau situé sur ses terres, accompagné d’un seul serviteur. C’est là qu’un soir sa famille le trouva mort. Abou’l-Bahloul, accusé de ce meurtre, fit les quarante serments[3] et réussit à apaiser les parents du défunt. Sur ces entrefaites, Ibn Sanbar partit de la côte avec une flotte de cent quatre-vingts galères (شذاة) dont l’équipage se composait pour la plupart d’Arabes des ʽAmir Rabīʽa (branche des ʽAmir ibn Çaʽçaʽa), avec leurs chevaux au nombre de cinq cents qu’Ibn Sanbar avait emmenés, ne s’attendant pas à la résistance. Abou’l-Bahloul n’avait à lui opposer que cent galères équipées en toute hâte. Au moment de s’embarquer, il eut le malheur de tomber de cheval et de se casser la jambe. Cet accident fut cause de la défaite des Carmathes. Cédant aux instances de son frère, Abou’l-Bahloul donna l’ordre de battre en retraite. Or les chevaux des Bédouins, déjà excités par l’embarquement et le mouvement des galères, s’effarouchèrent tout à fait à la vue des drapeaux flottants, au son des tambours et des trompettes, et causèrent le naufrage d’un certain nombre de vaisseaux. Les Bédouins, perdant la tête, se jetèrent dans la mer et Ibn Sanbar prit la fuite. Abou’l-Bahloul s’empara du reste des galères et de deux cents chevaux, de grandes quantités d’armes et de bon nombre de prisonniers. Les gens de l’équipage jurèrent qu’ils avaient été forcés par les Carmathes de prendre part à l’expédition et furent graciés, mais quarante chefs carmathes furent tués. Cette victoire consolida la puissance d’Abou’l-Bahloul. Il nomma vizir son frère Abou’l-Walîd et lui ordonna d’entrer en correspondance avec Ibn abī Mançour[4] ibn Yousouf, le chef du diwan de Bagdad, pour obtenir la sanction et l’appui du gouvernement afin de combattre les Carmathes sur le continent et d’y rétablir la souveraineté des Abbāsides.

Nous lisons dans le commentaire sur un autre vers du même poème que la ruine des ʽAmir Rabīʽa datait d’une expédition malheureuse contre l’île d’Owāl, entreprise pour soumettre Abou’l-Bahloul qui avait chassé les fonctionnaires des Carmathes et s’était proclamé émir. L’armée expéditionnaire, commandée par Bishr ibn Moflih al-ʽOyounī, fut jetée à la mer près de l’île, dans une localité appelée Keshloush Owāl. On ne peut affirmer, mais il est probable que cette expédition est la même que celle qu’avait organisée Ibn Sanbar. Or l’affaiblissement des ʽAmir Rabīʽa qui étaient les protecteurs (خفراء) du Bahraïn, c’est-à-dire qui fournissaient des troupes aux Carmathes, en échange d’une partie des récoltes, obligea ces derniers à appeler à leur aide des Arabes de la tribu d’Azd de l’Omān. Ceci se passait trois ans avant qu’Abdallah ibn ʽAli eût commencé la guerre contre les Carmathes. Or cette guerre ayant duré sept ans et s’étant terminée en 469, l’arrivée des Azdites eut donc lieu en 459.

Abou’l-Bahloul ne jouit pas longtemps du résultat de sa victoire. Car nous lisons que déjà, en 469, l’île d’Owāl était soumise au seigneur d’al-Katīf, Yahya ibn ʽAbbās. On peut donc croire sans témérité que ce Yahya profita du désastre des Carmathes près d’Owāl pour s’emparer d’al-Katīf. Le commentateur nous raconte que ce chef entama des négociations avec un Alide nommé Ibn az-Zarrād qui était au service de Kadjkīna (كجكينا), chambellan du sultan Malikshāh. Il demandait au gouvernement de Bagdad deux cents cavaliers pour conquérir Lahsa et y rétablir la souveraineté des Abbāsides, s’engageant de son côté à verser, chaque année, une somme considérable au trésor. Kadjkīna parvint à trouver des alliés pour la conquête de Lahsa à la condition que le khalife et le sultan auraient chacun 1/11e du butin, les ministres Nizām al-Molk et Saʽd-ad-daula Kouhrāy ensemble 1/11e, Kadjkīna et Ibn Moharish, le chef des ʽOqaïl, chacun 4/11es. Kadjkīna partit de Basra avec quatre cents cavaliers arabes et turcs et leur suite ; après avoir été harcelé en route par des Bédouins, il arriva à 4 parasanges d’al-Katīf et annonça son arrivée à Ibn ʽAbbās. Celui-ci répondit froidement qu’il avait demandé deux cents cavaliers pour être sous ses ordres, que si Kadjkīna était disposé à les lui donner, il aurait soin de le faire reconduire sain et sauf à Basra. « Sinon, ajoutait-il, le désert est devant vous ; allez à votre guise. » Kadjkīna, furieux, tenta de soumettre Ibn ʽAbbās à sa volonté par la force et eut un commencement de succès. Mais le rusé Ibn ʽAbbās sut si bien faire avec ses Bédouins que Kadjkīna et les siens furent dépouillés de tout ce qu’ils possédaient et leur camp fut mis au pillage ; obligés de rebrousser chemin, ils rentrèrent à Basra en l’année 668, épuisés de fatigue et dans la condition la plus misérable. Cependant un ennemi beaucoup plus terrible s’était levé contre les Carmathes dans la personne de Abdallah ibn ʽAli. Le district le plus septentrional de la province de Lahsa porte le nom d’al-ʽOyoun « les Sources », parce qu’il y a quatre cents sources d’eau courante qui arrosent les plantations de dattiers et les champs[5] C’est là que résidait la famille d’Ibrahim ibn Mohammed, appartenant aux Banou Morra ibn ʽAmir ibn al-Hārith, frères des Banou Mālik (Wüstenfeld, Geneal. Tabulæ, A, 17), de la tribu des Abdalqaïs. En 462, le chef de cette famille, Abdallah ibn Ali ibn Mohammed ibn Ibrahim, commença la guerre contre Lahsa. À la tête de quatre cents hommes il battit les Carmathes qui comptaient alors quatre-vingts chefs bien armés et de nombreuses troupes recrutées parmi les Azdites et les ʽAmir Rabīʽa. Par cette victoire Abdallah prit place parmi les guerriers les plus renommés, comme autrefois le Carmathe Abou Tāhir. Nous ne savons pas au juste quand cette bataille eut lieu, mais il est assez probable qu’à la suite de cette première défaite les Carmathes durent se retirer dans leur capitale et y soutenir un siège de sept ans. Abdallah, voyant que ses forces ne suffisaient pas à prendre Lahsa, ouvrit des négociations avec la cour de Bagdad où elles furent bien accueillies. En 467, Oksok-Salār, surnommé Ibn Toubek (توبك), feudataire (مقطع) de Holwān et dépendances, fut expédié avec sept mille cavaliers seldjoucides, que le poète nomme Shorsikiya[6]. Arrivés à Basra, ces soldats se livrèrent, pendant trois jours, à toutes sortes d’exactions envers les habitants, et refusèrent de continuer leur route si l’on ne leur donnait mille chameaux de monture et cinq cents chameaux pour porter les outres d’eau, cinq cent mille mann de farine et autant d’orge et de dattes, enfin 19,000 dinars. Après avoir reçu une grande partie de cette contribution de guerre, Oksok-Salār se mit en route pour al-Katīf, afin de punir tout, d’abord Yahya ibn ʽAbbās de ses mauvais procédés à l’égard de Kadjkīna, comme on l’a vu plus haut. Il s’ensuit que l’expédition ne partit de Basra au plus tôt qu’au commencement de l’année 468. À l’approche de l’armée, Ibn ʽAbbās alla se réfugier à Owāl, et Oksok-Salār continua sa route sur Lahsa. Grâce à ses troupes auxiliaires, Abdallah ibn ʻAli pouvait enfin bloquer sérieusement la capitale. Bientôt la disette obligea les Carmathes à entrer en composition. Ils consentirent à se soumettre et à payer au khalife une grosse somme d’argent, à la condition d’obtenir l’amān pour leur vie et leurs biens et un mois de délai pour le payement. Comme garantie de ces propositions, ils s’engagèrent à fournir treize otages. Le délai ayant été accordé, les Carmathes en profitèrent pour se ravitailler dans des magasins secrets et se mettre de nouveau en état de défense. Ils savaient que les Turcs étaient dans l’impossibilité de prolonger leur séjour au Bahraïn à cause de la chaleur (l’an 468 finit un des premiers jours d’août) et de la dévastation de la campagne. Oksok-Salār, dans sa fureur, tua une partie des otages, mais se voyant obligé de quitter le pays immédiatement, il laissa à Abdallah ibn ʻAli deux cents cavaliers sous le commandement de son frère al-Baghoush, promettant de revenir bientôt pour achever la conquête du Bahraïn.

Lorsque Oksok-Salār arriva à Bagdad, il se présenta au diwan et y rendit compte de la guerre contre les Carmathes et de la victoire que Dieu lui avait accordée, annonçant en même temps son intention de retourner immédiatement pour réduire Lahsa. On communiqua ces nouvelles au khalife, sur l’ordre duquel on rédigea le diplôme suivant pour être lu devant Oksok-Salār :

مَضْمونُ نُسْخَة التَّوْقيع

بسم اللّه الرحمن الرحيم الحمدُ لله المتوحّد بالجمال والبَهاء المتفرّد بالقدرة والكبرياء المنجى من غياهب الشرك بانوار الحق المختار لرسالته ودينه اكرم خلقه محتدا واصلا واشرفهم درجة وبعد النبي العرت سید الانبیاء وخاتم الاصفياء صلى الله علیه وستم ارسله بالهدى ودين لق ليظهره على الدين كله ولو كره المشركون والحمد لله الذي عضد الاسلام بالخلفاء الراشدين من بني العباس المهديين الذين أزال الله البدع والمنكر وجعل ولاءهم سبیل التجاة يوم الفزع الأكبر وقرن طاعتهم بطاعته وطاعة رسوله قائل (Qor., IV, vers. 62) واطیعوا الله واطيعوا امر منکم حتى صار الى امير المؤمنين وشرف الامامة ارنه بالوجوب وأنت قلوب اهل الريغ بعر أيامه [ في ] الهلع والوجوب وغدت رایات اولیائه حيث منصورة ظاهرة وأمداد الفتوح اليهم منقاطرة متناظرة والله يمتع امیر المؤمنين بالنية فيه ولا يخلی دولته من جيد مساعيه ففي الأثر أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال أتانی جبرئیل علیه السلام وعليه قباء اسود وفي وسطه كالخنجر فقلت یا جبرئیل ریاستهم في من تكون فقال في ولد العباسابن عبد المطلب فقلت یا جبرئيل أتباعهم من يكون (تكون.1) فقال من أهل خراسان أصحاب المناطق ومن وراء دهاقنة الصعيد وترك اليغرغر (التغزغز.ا) او اهل الخناجر من اهل الجبال قلت یا جبرئیل أي شيء تملك ولد العباس فقال يا مجد ملك ولد العباس الدر والوبر والاحمر والأصفر والمروة والشعر والصفا والمتجر والقبة والمغفر والسرير والدنيا إلى المحشر ذلك فضل الله يؤتيه وليعلم أن توبك بن اكسب (ابن توبك اكسك.1) الوقوف على خدمته والامتثال على طاعته (correction du copiste pour لطاعته) والاجاد المساعيه في جهاد المبطلين والقرامطة الملحدين وليستفز معه متاجرة الله تعالى في استيصال ذكرهم وتطهيرتيك البقعة من دنس قال تعالى (Qor., IX, vers 14.) قاتلوهم يعذبهم الله بایدیکم ويخزه وينصركم عليهم ويشفي صدور قوم مؤمنين وليعقد اجاد السيرة والسيرة فيا يفتتحه من الاعمال وليقدم امدًا بعيدًا ويحذِّركم الله نفسه والله رؤف بالعباد


(Qor., III, vers 28.)

Au nom de Dieu, le clément, le miséricordieux. Louanges à Dieu qui est unique dans la possession de la beauté et de la splendeur, qui est seul dans le maintien de la puissance et de la grandeur ; qui, par les lumières de la vérité, a sauvé des ténèbres du polythéisme celui qu’il a élu pour sa mission et son culte, la plus noble de ses créatures d’origine et de souche, le plus élevé des hommes en degré et en rang, le prophète arabe, le seigneur des prophètes, le sceau des élus. Que Dieu lui accorde sa bénédiction et sa paix ! Il l’a envoyé avec la direction et la vraie religion pour la faire triompher de toute autre religion, nonobstant la résistance des polythéistes. Et louanges à Dieu qui a soutenu l’Islam par les khalifes orthodoxes des Banou’l-‘Abbās qui, conduits eux-mêmes sur la voie droite, sont l’instrument par lequel Dieu fait disparaître les hérésies et tout ce qui est blâmable ! Leur patronage a été établi par Dieu comme le chemin du salut au jour de la terreur suprême ; l’obéissance qui leur est due a été jointe par lui à celle qu’on doit à Dieu et à son envoyé. Car il a dit (son nom soit exalté !) : « Obéissez à Dieu, à l’Apôtre et à vos chefs. » Jusqu’au jour où l’Empire échut au Prince des Croyants et qu’il honora la dignité héréditaire de l’imamat en en rendant la reconnaissance indispensable pour tout le monde, la gloire de ses combats faisant palpiter de crainte les cœurs des dissidents, les drapeaux de ses armées étant couronnés partout de victoires, ses conquêtes se suivant dans une série continuelle. Que Dieu accorde au Prince des Croyants la jouissance de ses bienfaits et qu’il ne permette pas que les efforts louables du Prince fassent jamais défaut à la dynastie ! La sainte tradition nous apprend que le prophète (à qui Dieu accorde sa bénédiction et sa paix !) a dit : « Gabriel (la paix soit sur lui !) vint à moi, vêtu d’une robe noire, ayant à la ceinture une arme semblable à un poignard. Je lui dis : « Ô Gabriel, qui aura la principauté sur eux (sur les Musulmans) ? » Il répondit : « Les fils d’al-‘Abbās ibn Abd-al-Mottalib. » Je continuais : « Ô Gabriel, et quels seront leurs soutiens ? » — « D’abord, dit-il, les Khorāsāniens, les porteurs de ceintures, ensuite les chefs cantonaux de la Haute-Égypte et les Turcs Toghozghoz[7], ou bien les gens au poignard de la Médie, » Je demandai encore : « Ô Gabriel, quelle sera l’étendue du domaine des fils d’al-‘Abbâs ? » — « Ô Mohammed, répondit-il, les fils d’al-‘Abbâs régneront sur les gens à demeure fixe et les habitants des tentes ; sur les hommes à peau rouge et à peau jaune ; sur les lieux saints et les marchés ; sur la coupole (d’Ozaïn) et sur le trône (le Caucase) ; enfin sur le monde entier jusqu’au jour de la résurrection. C’est la faveur de Dieu et il l’accorde à qui il veut. »

Or il faut qu’Ibn Toubek Oksok sache qu’on a pris connaissance de ses hommages, qu’on désire récompenser son dévouement, et qu’on applaudit à ses exploits dans la guerre sainte contre les mécréants et les Carmathes hérétiques. Puissent ceux qui espèrent mériter les récompenses de Dieu dans la vie future, se sentir animés de zèle pour l’aider dans l’effacement de leur souvenir, dans la purification des souillures et de l’impiété de ces contrées ! Le Très-Haut a dit : « Faites-leur la guerre, Dieu les punira par vos mains et les confondra. Il vous concédera la victoire sur eux et donnera satisfaction aux cœurs des fidèles. » Qu’il fasse son possible pour que ses intentions et ses actions dans les contrées qu’il va conquérir soient dignes de louanges, et qu’il se procure « un long ajournement ! Et Dieu nous exhorte à le craindre, car Dieu est miséricordieux envers ses serviteurs ».

Après la lecture de ce document, Oksok-Salâr se leva, baisa la terre, exprima ses remerciements et ses vœux, puis s’en alla. On lui offrit de la part du khalife, outre les cadeaux ordinaires faits aux hôtes, des vêtements, un cheval avec une selle dorée et ornementée (بمركون مغموس ومنموق) et trois galères (شذاة). Il avait sollicité cette marque de distinction qu’il ambitionnait et pour laquelle il s’était rendu à la cour. Ensuite il descendit le Tigre jusqu’à Wâsit, dans l’intention de continuer son voyage jusqu’à Basra. Mais un courrier vint lui remettre des lettres de la part de son frère qui était resté à Lahsa avec Abdallah ibn ‘Ali. Il lui communiqua qu’après son départ les Carmathes et les Azd s’étaient réunis aux ‘Amir Rabī‘a et menaçaient de l’écraser lui et Abdallah qui n’avaient pas le cinquantième de troupes à opposer aux leurs. « Bien que nous désespérions presque de pouvoir leur tenir tête (disait ce message), nous résolûmes de les attaquer, et nous commençâmes par les ‘Amir Rabi‘a que nous mîmes en fuite. Puis nous marchâmes contre les Carmathes et les Azdites que nous attaquâmes au lieu nommé « Entre les deux places » (ما بين الرحبتين). Nous leur tuâmes un très grand nombre d’hommes et les contraignîmes à se réfugier au château. La plus grande partie des guerriers ayant péri, ils demandèrent à se soumettre à condition d’avoir la vie et la liberté sauves. Abdallalh ibn ‘Ali les leur accorda et prit possession du château où il entra au son des trompettes. Mais il ne permit pas aux Turcs d’y monter avec lui. »

Cette lettre finit au milieu de la phrase et elle est suivie de la continuation d’un autre récit dont le commencement nous manque. Mais nous avons une seconde relation de ces événements. On lit ce qui suit dans le commentaire sur un autre vers du même poème : « Lorsque Abdallalh ibn ‘Ali eut fait la conquête de Lahsa et que les Turcs furent partis, à l’exception d’un petit nombre, il laissa les Carmathes et les Azd tranquilles, sans tuer ni bannir personne. Ceux-ci en profitèrent pour entrer en négociations avec les ‘Amir Rabī‘a, qui bientôt arrivèrent en grand nombre camper dans Lahsa, requérant d’Abdallah ibn ‘Ali les contributions en céréales, etc., qu’ils avaient reçues du temps des Carmathes comme protecteurs du pays. Sur le refus d’Abdallah, ils s’armèrent, eux et leurs chevaux, et s’avancèrent en poussant les chameaux devant eux pour écraser les soldats d’Abdallah ibn ‘Ali. La rencontre eut lieu entre les ruisseaux Nahr Mohallim et Solaïsil. Abdallah, entrevoyant le stratagème de l’ennemi, fit battre les tambours et les timbales et sonner les trompettes, tandis que les Turcs décochaient leurs flèches contre les chameaux. Épouvantés par le bruit et frappés par les flèches, ces animaux s’effarouchèrent, firent volte-face et foulèrent aux pieds les cavaliers des ‘Amir Rabī‘a, aussitôt poursuivis par la cavalerie d’Abdallah. Les ‘Amir Rabī‘a éprouvèrent une défaite complète. Il ne se sauva qu’un seul chef avec un émir allié, lesquels arrivèrent dans la condition la plus misérable au camp des Montafik, dans les environs de Basra. Abdallah épargna les femmes et les enfants et défendit aux Turcs d’y toucher. Plus tard il les fit déporter en Oman. Il s’empara de quatre mille chamelles avec leurs étalons et leurs bergers et de beaucoup de chevaux et d’autre butin, mais il ne prit pour lui que quelques coursiers, cédant tout le reste à ses hommes et aux Turcs. Après la défaite des ‘Amir Rabī‘a, Abdallah attaqua les Carmathes. La rencontre eut lieu entre la rivière dite al-Khandak (le fossé) et la porte Bāb al-Açfar, au nord de la ville. La bataille fut sanglante ; quatre-vingts chefs de Carmathes armés de pied en cap y périrent. Elle eut lieu en l’année 470.

Nous avons vu qu’al-Baghoush avait écrit à son frère qu’Abdallah n’avait pas admis les Turcs au château. Ce refus paraît les avoir exaspérés. Abdallah, ayant appris qu’al-Baghoush nourrissait le projet de lui arracher la souveraineté, le fit arrêter et tuer dans la prison. Lorsqu’on apprit cela en Irāk, Rokn-ad-daula partit avec deux mille cavaliers pour Lahsa afin de punir Abdallab. Bon gré mal gré les habitants de Lahsa se soumirent à lui, de sorte qu’Abdallah resta seul au château avec ses parents et ses fidèles partisans, et fut assiégé pendant une année. Enfin Rokn-ad-daula, lassé des lenteurs du siège, fit savoir à Abdallah qu’il consentirait à lever le blocus et à retourner en Irāk s’il lui livrait son fils aîné pour expier le sang d’al-Baghoush. Abdallah refusa et offrit, mais en vain, le double de l’argent d’expiation. Ali, le fils d’Abdallah, l’ayant appris, sortit du château à l’insu de son père et alla se livrer à Rokn-ad-daula qui l’emmena avec lui et l’enferma dans un château au Kirmān, d’où Abdallah parvint à le sauver plus tard. Au départ de Rokn-ad-daula plusieurs seigneurs du pays, craignant la vengeance d’Abdallah, s’apprêtèrent à le suivre. Mais Abdallah s’empressa de proclamer l’amnistie générale. Seulement il annexa au domaine plusieurs terres qu’il avait données en fief aux seigneurs an commencement de sa carrière, et depuis ce temps il mit une certaine distance entre sa maison et les familles seigneuriales du pays.

À peine ce danger était-il surmonté qu’il en survint un autre. Deux émirs, le kādhī de Qârout, district aux environs de Wâsit, et un des officiers de Khomārtekīn qui, après le départ d’Oksok-Salār pour la Syrie, avait la plus grande autorité dans le pays de Basra, entreprirent une expédition à Lahsa pour s’en rendre maîtres. Abdallah, faisant contre mauvaise fortune bon visage, les reçut avec une grande bienveillance, sans toutefois les inviter au château, et leur donna le conseil de poursuivre leur chemin vers Oman où ils trouveraient des trésors immenses. Prié de leur fournir des guides, il fit venir quelques khāridjites du désert entre l’Omān et le Bahraïn, et leur donna secrètement l’instruction de les faire marcher jusqu’au jour où la provision d’eau serait épuisée, puis de les abandonner en un lieu dépourvu de puits. De tous ces hommes il n’en revint qu’un seul qui s’était enfui sans savoir où son cheval le menait. Cet événement se passait en 474.

Abdallah n’était pas encore entièrement maître du Bahraïn ; la province d’al-Katīf et l’île d’Owāl obéissaient à la famille de Yahya ibn ‘Abbās. Il est probable que ce prince mourut peu de temps après la défaite finale des Carmathes, car nous trouvons dans la troisième qacīda en mīm la preuve que son fils al-Hasan avait été en guerre avec Abdallah et obligé d’acheter la paix par des présents considérables en or, en perles et en dattiers. Cet al-Hasan sut attirer à lui un petit-fils d’Abdallah[8] qui avait pris part à ses expéditions contre Lahsa, et il se donna beaucoup de peine pour engager d’autres membres de la famille d’Abdallah à faire cause commune avec lui ; c’est ce que nous lisons dans le commentaire. Dans la glose de la grande qaçīda, le commentateur raconte qu’al-Hasan fut tué par son frère Zakarīya et que celui-ci conduisit son armée vers Lahsa. Mais Abdallah fondit sur lui à Nāzira (ناظرة), mit son armée en fuite, prit al-Katīf et donna à son fils al-Fadhl l’ordre de poursuivre Zakarīya qui s’était réfugié dans l’île d’Owāl. Fadhl s’illustra en tuant de sa propre main l’homme le plus fort de l’île, un certain al-‘Okrout (العكروت), et en dispersant les troupes de Zakarīya. Celui-ci s’enfuit à al-’Oqaïr, d’où il fit une dernière tentative pour reconquérir al-Katīf avec l’aide de tribus bédouines. Mais il perdit la bataille et la vie, et Abdallah devint enfin maître de tout le Bahraïn.

« Alors les cœurs des Abdalqaïs furent rafraîchis ; on voyait rire joyeusement ceux qui avaient enfin pu assouvir leur vengeance », dit le poète. Ces paroles nous ramènent à l’époque du fondateur de la dynastie des Carmathes, Abou Sa‘īd. Sur ce personnage aussi le commentaire donne les détails suivants qui ne sont pas sans intérêt. Lorsque les Abdalqaïs étaient divisés entre eux et se faisaient la guerre les uns contre les autres, leur puissance au Bahraïn s’était affaiblie. Le Carmathī, c’est-à-dire Abou Sa‘īd al-Hasan ibn Bahram[9] en profita pour se rendre maître d’al-Katīf. Il était fermier des droits de port pour les seigneurs de cette province (ضامن ماوكها وضامن قرضتها sic), les fils d’Abou’l Hasan ’Ali ibn Mismār, famille apparentée aux Djadhīma ibn ‘Auf[10]. Avec les richesses qu’il sut amasser grâce à ses fonctions, il s’était fait à al-Katīf beaucoup d’amis. Alors ayant formé une armée composée d’habitants de cette province, de Bédouins du voisinage et d’Omaniens, il attaqua les Banou Mismār et se rendit maître du pays, après avoir saccagé et brûlé la résidence d’al-Zāra. Puis il se dirigea sur Lahsa. Les deux familles les plus puissantes, les Banou’l-‘Ayâsh et les Banou’l-‘Oryān, ayant repoussé l’ordre qu’il leur donna de se retirer avec les leurs, se virent obligés après une bataille sanglante de se soumettre au vainqueur avec tous les autres seigneurs du Lahsa. Abou Sa‘īd les réunit tous dans un quartier de la ville nommé ar-Rammāda, qu’il fit incendier après en avoir fait occuper toutes les issues par ses soldats. Il n’en échappa pas un seul ; ceux qui tâchaient de se sauver du feu furent tués par les gardes. Ils périrent en grand nombre et parmi eux plusieurs « porteurs du Koran » (حملة القران). Un peu plus haut, le commentateur dit qu’al-’Ayāsh ibn Sa‘īd, le chef des Mohārib (de Abdalqaïs), avait sa résidence dans la montagne d’al-Sha’bān, près de Hadjar, au milieu de ruisseaux et de jardins, et qu’al-’Oryān ibn Ibrahīm était le chef des Banou Mālik ibn ‘Amir ibn al-Hārith (les frères des Banou Morra auxquels appartenait la famille d’Abdallah ibn ‘Ali al-’Oyounī).

Ces détails qu’on trouve dans le commentaire sur la septième qaçīda en noun forment avec ceux que donnent Masoudi dans son Tanbîh, pages 392 et suivantes, et Hamdānī dans sa description de l’Arabie, page 136, un supplément important à l’histoire du commencement de l’empire des Carmathes au Bahraïn. Hamdānī avait reçu ses renseignements d’un certain Ibn Çabbāh al-Yashkori qui doit les avoir recueillis antérieurement aux premières expéditions d’Abou Sa‘īd. Cet auteur et Masoudi nomment également ‘Ayāsh le Mohāribī, seigneur de Hadjar, et ‘Ali ibn Mismār, des Banou Djadhīma, seigneur d’al-Katīf. Masoudi décrit en détail la marche victorieuse d’Abou Sa‘īd. Ibn Çabbâh ne fait pas mention de Djowātha, la résidence d’al-‘Oryān, ni de ce chef lui-même, quoique celui-ci soit bien connu par sa résistance contre l’Alide qui, en 255, organisa l’insurrection terrible des esclaves nègres (les Zendj) dans le pays de Basra. À cause de ce silence, je crois devoir donner à son rapport la date de l’année 250 environ. Les deux auteurs disent que Lahsa, avec son fameux marché d’al-Djar‘ā (Gerra), situé sur une colline, appartenait aux Banou Sa‘d, branche des Tamīm. Puisque les Tamīm avaient secondé l’Alide Çāhib az-Zendj et qu’ils nourrissaient un ancien ressentiment contre les Abdalqaïs (voir Tanbîh, p. 393, dans les poèmes du Chef des nègres), il est très probable qu’ils embrassèrent le parti d’Abou Sa‘īd et que Lahsa doit à ce fait l’honneur d’être devenu la résidence des Carmathes, au lieu de la capitale Hadjar.

Si j’avais connu, en 1888, les renseignements fournis par Masoudi, je me serais épargné la conjecture que j’ai avancée, pages 35 et 135 de mon Mémoire, à savoir qu’Abou Zakarīya, qu’on disait avoir prêché au Bahraïn la doctrine des Carmathes avant Abou Sa‘īd, en 281, serait identique au Zakarī qui, en 319, parut au milieu des Carmathes comme rejeton de la maison royale des Persans. En avançant ce fait, je m’appuyais sur Birouni qui a confondu les deux personnages. Mais ma conjecture était fausse. Abou Zakarīya se nommait Yahya ibn al-Mahdī aç-Çammāmī et il fut emprisonné et tué par Abou Sa‘īd. Quant à Zakarī, le jeune homme de vingt ans qui a été vénéré et obéi comme une incarnation de la divinité, Dhahabī, qui le nomme Abou’l Fadhl le Mage (al-Madjousī), donne sur lui des détails qu’il doit à un médecin nommé Hamdān qui l’avait vu lorsqu’il pratiquait son art à al-Katīf (autographe de Leide, ms. 1721, fol. 201 ).

Pour tout le reste, le commentaire ne nous donne sur les Carmathes que des faits déjà connus. Le seul fait que j’ignorais c’est qu’Abou Tāhir avait le surnom de « court d’étrier » (قصير الركاب). Le nom d’al-Carmathī est toujours écrit sans voyelles, à l’exception d’un seul passage où l’on trouve Qaçr al-Qirmithī (comp. Mémoire, p. 203).

Pour la géographie du pays, les poèmes et les commentaires fournissent quelques données. Ainsi la capitale de la province d’al-Katīf y est nommée très souvent al-Khott (الخُطّ). C’est probablement la même place qu’on appelait aussi al-Khatt, l’un et l’autre nom signifiant proprement « chemin » ; c’est de là que les lances fameuses de bambou avaient reçu le nom de khattīya. Hadjar porte encore le nom de « capitale de la province de Lahsa ». Dans les poèmes ce dernier nom, proprement al-Ahsā, est plusieurs fois écrit al-Hasā. On célébrait encore au temps du commentateur les grandes fêtes de l’islam à al-Djar‘ā.

Le diwan d’al-Moqarrab fait partie d’une belle collection de manuscrits dont M. Houtsma a fait le catalogue et qui appartient à la maison Brill. Les chefs de cette maison ont eu la générosité de me confier ce manuscrit, faisant pour moi une exception à leur règle de ne rien communiquer de leur collection. Il est assez correctement écrit et donne les poèmes selon l’ordre alphabétique des rimes. La plupart de ces poèmes ont été l’objet de commentaires et on y trouve beaucoup d'excursus importants. spécialement pour l’histoire de la dynastie des ‘Oyounides et celle de la tribu des Abdalqaïs. Outre cet exemplaire du diwan, il y en a un au Musée britannique (catal., p. 288, n. DCVII, add. 7598 Rich.) qui est incomplet et donne les poèmes sans aucun ordre et sans commentaire. Le premier poème de ce manuscrit est le huitième rimé en du manuscrit de MM. Brill, qui commence par le vers :

بِيِنى فما انت من جِدِّى ولا اَعِبِ
ما اى بشَىْءِ سِوَى العَلْياءِ من آُرَبِ

Le texte de ce vers, comparé avec le même vers dans le catalogue du Musée britannique, est une preuve évidente de la supériorité du manuscrit de Brill sur celui de Londres. Ce dernier manuscrit se termine par un poème panégyrique adressé au vizir Sharafad-dīn ‘Amīd ad-daula, à Bagdad, mais qui ne se trouve pas dans le manuscrit Brill, le prototype de cette copie ayant eu une lacune. On passe d’une phrase incomplète du commentaire sur un vers d’une qaçīda en āilo au beau milieu de l’introduction sur une qaçīda en āmoha. Par la même raison, la qaçīda adressée à l’émir de Moçoul Badr-ad-dīn Loulou que cite Yaqout (III, 766) manque dans le manuscrit. Yaqout avoue qu’il ne trouve pas beaucoup de mérite dans ce poème ; et, en effet, les panégyriques composés par Ibn Moqarrab en l’honneur de cet émir et d’autres, pour lesquels le poète n’était inspiré que par la reconnaissance du bon accueil qu’il avait trouvé auprès d’eux, témoignent bien de son habileté, mais non pas de ses dons poétiques. Son talent se montre dans les poèmes où, célébrant les faits et gestes de sa famille et de sa tribu, il tâche de réveiller parmi ses contemporains et spécialement chez le prince régnant la noblesse d’âme et l’énergie des ancêtres. Il faut louer aussi les poésies où il se plaint de l’injustice dont il a été l’objet et dénonce ceux qui l’ont obligé de quitter sa patrie comme ennemi de la dynastie. On peut opposer, du reste, au témoignage de Yaqout le jugement très favorable de Mohibb ad-dīn Abou’l-baqā al-‘Okbarāwī, qui a été inséré dans le catalogue du Musée britannique.

  1. Le texte présente ici une lacune que je crois devoir combler comme je l’ai fait.
  2. Le manuscrit porte Shanbar.
  3. C’est-à-dire le grand serment. Dans les livres de droit musulman, tant orthodoxes que shi’ites, le nombre des serments est de cinquante. (Comp. le Minhadj de Nawawi, par M. van den Berg, III, 191 ; Querry, Recueil de lois concernant les Musulmans shyites, II, 583 et suiv.)
  4. Ibn al-Althir l’appelle « Abou Mançour ».
  5. Le commentateur dit qu’une partie de ce district a été envahie plus tard par les sables.
  6. Dans un autre poème, le nom est vocalisé Shasakiya, avec l’explication suivante  : يعنى بالشرشكية السلجوقية ملوك الاعلجم. Je n’ose pas décider laquelle des deux prononciations est préférable. La forme du mot semble exclure une dérivation du turc شرى = جرى (comp. Houtsma, Ein Türkisch-Arabisches Glossar, p. 79, شارى) qui donnerait Sharishkiya. Une dérivation du persan شورش s’accorderait avec la prononciation Shorshikiya, mais je ne sais pas si ce mot s’employait communément dans le sens de « guerre ».
  7. Nous savons maintenant qu’on doit prononcer ainsi et non pas Toghozghour, par les Alttürkische Inschriften der Mongolei publiées par M. Radloff, p. 10, 61 (Togus-Ogus). Voir aussi la note de M. Nöldeke que j’ai donnée dans la préface du septième volume de ma Bibliotheca geogr. arab.
  8. Nommé Abou Sa‘īd al-Hasan, fils de Ali le fils aîné d’Abdallah.
  9. Le manuscrit a souvent Bohrām ; le grand-père d’Abou Sa‘īd est nommé ibn Behrest (بهرست, une fois بهرشت).
  10. Le commentateur donne la généalogie qui peut servir à compléter la table A de Wüstenfeld.