La grande cuisine illustrée/Potages

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POTAGES


La Grande Marmite

Formule 1

Le grand bouillon, appelé aussi bouillon blanc, est la base du travail du potage.

C’est de la Grande Marmite que sortent tous les consommés clarifiés, et c’est encore le même bouillon qui sert à mouiller les veloutés destinés à appuyer les crèmes délicates.

Le bouillon blanc demande à être traité en raison des services que l’on attend de lui.

La cuisson de la Grande Marmite doit être lente, méthodique. Les viandes destinées à charger ce bouillon de leurs sucs nutritifs, seront choisies parmi les plus fraîches et les plus saines.

Leur quantité sera toujours subordonnée à la somme de bouillon que l’on veut obtenir, en se basant sur la proportion de 3 livres de maigre de bœuf pour 4 litres de bouillon blanc.

Il est bon d’ajouter à ces éléments de base une notable proportion d’os charnus.

Toutes ces viandes seront mises à l’eau froide. Le liquide sera progressivement amené à l’ébullition, afin que les parties impures montant à la surface, puissent être enlevées complètement. Cette opération constitue, on le sait, l’écumage.

Saler alors le bouillon d’une poignée moyenne de sel gris et ajouter 4 carottes bien ratissées, 2 navets, un panais, un oignon piqué d’un clou de girofle et un bouquet garni composé de 2 poireaux et d’une branche de céleri.

Laisser cuire à très léger frémissement pendant 4 heures. Dégraisser soigneusement.

Retirer les viandes et passer le bouillon à la serviette.

Une cuisson plus prolongée n’ajouterait rien à la sapidité du bouillon. À ce point précis de leur cuisson, les viandes réabsorbent, au contraire, une partie de leurs sucs nutritifs, ce qui affaiblit le bouillon blanc.

Consommé clarifié

Formule 2

Ce consommé est aussi dénommé Consommé Riche, ce qui, mieux que tous les enseignements théoriques, dénote le point de perfection auquel il doit être amené.

Nous avons toujours employé pour donner à ce consommé toute la valeur savorique qu’il réclame, les bases suivantes :

Pour 4 litres de consommé clarifié :

2 kilog. 400 de maigre de bœuf haché.
1 carotte coupée en paysanne.
2 poireaux coupés en paysanne.
2 blancs d’œufs.
4 litres 1/2 de bouillon blanc.

Mélanger la viande, les légumes et les blancs d’œufs, mouiller avec le bouillon.

Faire partir en plein feu et laisser bouillir à bouillons imperceptibles pendant une heure environ.

Passer à la serviette et réserver au bain-marie.

Petite Marmite

Un écrivain de grand talent[1] a accusé d’imposture la Petite Marmite du restaurant.

Elle n’est, dit-il, qu’un mirage fallacieux du tranquille pot-au-feu familial. Le viveur solitaire se jette sur elle, essayant de se tromper à ses vaines apparences d’intimité : et c’est un leurre !

Certes, au point de vue extérieur, un tel jugement semble juste. Elle ne sera jamais, cette pauvre Petite Marmite qu’une pâle copie de l’honnête marmite bourgeoise et ne parviendra jamais à créer autour de ses flancs vernissés une atmosphère de calme sérénité.

Mais tel n’est pas son rôle dans le répertoire de la grande cuisine. Sa mission, plus haute, plus délicate, n’est pas d’évoquer la vie de famille, mais plutôt de procurer au gastronome qui la savoure la sensation d’une exquise chose, paradoxalement emprisonnée dans un récipient d’aspect vulgaire.

Sa beauté tient tout entière dans sa perfection et son pittoresque dans sa forme extérieure.

Il n’est donc pas de soins trop minutieux à donner à cette préparation.


Petite Marmite Type

Formule 3

(Proportions pour quatre personnes)

Bases Nutritives :


1 kilogr. de pointe de culotte bien dégraissée.

500 gr. de plat de côte (l’os scié régulièrement).
200 gr. queue de bœuf divisée en deux morceaux.
1 os à moëlle (recouvrir les deux extrémités de papier parchemin).

1/2 petite volaille bien en chair.

Toutes ces viandes blanchies et rafraîchies.

Garnitures :


125 gr. carottes tournées en grosses gousses.

50 gr. navets tournés en grosses gousses.
80 gr. poireaux divisés en petits tronçons.
25 gr. céleri »  »  »

100 gr. chou fortement blanchi et roulé en petite boule.

Mouiller avec deux litres de consommé blanc simple. Cuire pendant deux heures et demie, trois heures au maximum.

Il est de toute nécessité de ne pas laisser plus longtemps la marmite en cuisson ; cette durée suffit pour permettre aux viandes de dégager leur osmazôme ; une cuisson plus prolongée nuirait certainement à la réussite de la marmite.

Servir en même temps que la marmite quatre petits toasts grillés que le maître d’hôtel tartinera de moëlle ; quelques croûtes à croûte-au-pot et une douzaine de petites tranches minces de flûte à potage.


Pot-au-feu Henri IV

Formule 4

Sous cette appellation évocatrice du passé, on sert une marmite préparée selon la méthode ordinaire, mais moins forcée en viande de bœuf.

On ajoute à cette marmite un morceau de lard de poitrine et un tronçon de jarret de jambon de Bayonne, le tout fortement blanchi.

Dans ce potage on met une poule entière. On ne doit pas oublier, en effet, que la Poule au Pot dans l’esprit d’Henri IV, symbolisait le bonheur matériel du peuple.

Une heure environ avant de servir, on met quelques pommes de terre à cuire dans la marmite.


Potage à la Jambe de Bois

Formule 5

Dans son perpétuel souci de l’élégance, Carême avait rejeté cette appellation trop pittoresque selon lui.

À cette époque, il est vrai, la cuisine était encombrée de noms barbares qui rendaient difficile la compréhension des formulaires spéciaux. Les recettes étaient plus ou moins empiriques et les livres n’étaient, la plupart du temps, qu’une compilation hétéroclite de mets de toutes sortes.

Aussi, devons-nous de la reconnaissance à Carême pour avoir coordonné d’admirable manière le monument de la cuisine ancienne et, surtout, pour avoir édifié, sur ces bases vétustes, l’œuvre magnifique qui restera l’éternel modèle de nos travaux.

Mais nous n’osons trop nous élever avec lui contre ce trop somptueux potage que nous sommes heureux de sortir de l’oubli.

(Proportions pour 10 personnes)

Bases Nutritives :


1 jarret de bœuf (raccourci des deux bouts), du poids de 4 kilog. environ.

1 kilog. 500 de maigre de bœuf.
1 poule.
1 canard.

500 grammes de lard de poitrine fortement blanchi.

Garniture ordinaire de marmite.

Empoter les viandes ; mouiller de 5 litres de consommé blanc et laisser cuire à feu réglé pendant 5 heures environ. (Le canard et la poule ne s’ajoutent qu’après la première heure d’ébullition).

Passer le consommé à la serviette et réserver au chaud.

Dresser toutes les viandes : bœuf, volaille et lard sur un grand plat et les entourer de croûtes garnies de légumes à croûte au pot. (Voir la planche hors-texte).

Servir en même temps un coulis de tomates et une sauce au raifort.


Potage à la Jambe de Bois (Planche 1)

Les éléments nombreux composant ce potage le rattachent, par d’étroites analogies, à l’Olla Podrida que nous étudions aux potages espagnols. Son ascendant direct est l’Oille du XVIIe et du XVIIIe siècles.

Comme truculence, il détient certainement le premier rang parmi les plats plantureux de la cuisine ancienne.

Il serait peut-être abusif de le servir dans les piètres agapes modernes où les estomacs débilités s’effarent devant les grands mets, se découragent devant des plats de haute envergure.

Nota. — Le nom de Jambe de Bois donné à ce potage, vient de l’aspect décharné du jarret de bœuf après la cuisson.


Croûte au pot

Formule 6

Ce potage est le succédané du précédent. La pratique moderne en a toutefois modifié l’aspect. Il se compose d’un consommé un peu gras, largement garni de légumes de marmite (carottes, navets, poireaux et choux) taillés : les carottes et navets en bâtonnets, les poireaux et les choux en paysanne.

On sert en même temps des petites croûtes gratinées dans du dégraissis de marmite ou simplement séchées à l’étuve.


Consommé de Volaille à l’Ancienne

Formule 7

Ce potage demande une grande richesse de fonds. Il doit être d’une haute valeur savorique, car sous ce nom si simple de Consommé de Volaille à l’Ancienne, il importe de servir un mets irréprochable à tous les points de vue.

(Proportions pour 10 personnes)

Bases Nutritives et Légumes :


1 volaille un peu ferme dorée au four.
12 cous et pattes de poulets.
1 estomac de volaille tendre.
1 poireau coupé en paysanne.
2 carottes coupées pareillement.
1 branche de céleri.

3 litres de consommé double.

Empoter la volaille, les pattes et cous dans une casserole et mouiller du consommé.

Ajouter les légumes indiqués et laisser cuire, à léger frémissement, pendant 2 heures.

Une demi-heure avant de faire clarifier, ajouter l’estomac de volaille.

Passer le consommé à la serviette.

Clarification : Hacher 2 kilog. de maigre de bœuf et lui mélanger un blanc d’œuf.

Mouiller avec le consommé, faire partir en plein feu et laisser cuire à feu doux pendant 35 minutes environ.

Passer à la serviette et réserver au bain-marie.

Garnir le consommé de petites escalopes prises dans les filets de l’estomac de volaille et servir en même temps une vingtaine de petites croûtes creuses, garnies d’un gros salpicon de légumes de marmite et gratinées.


Potage queue de Bœuf

Formule 8

(Proportions pour 10 personnes)

Bases Nutritives :


1 queue de bœuf (coupée en tronçons réguliers de 6 cent.).
2 kilogr. jarret de veau.

2 kilogr. os de bœuf charnus.

Légumes et Aromates :


2 gros oignons (coupés en grosses rondelles).
2 grosses carottes (coupées en grosses rondelles).
2 poireaux.
1/2 pied de céleri.
8 clous de girofles, thym et laurier.

1 tête d’ail.

De tous ces légumes foncer une casserole à rebords élevés ; sur cette couche placer les jarrets de veau ; couvrir et laisser suer lentement.

D’autre part, faire colorer les os de bœuf au four ; les placer sur les jarrets et laisser pincer légèrement.

Ajouter les morceaux de queue préalablement blanchis et enveloppés dans une mousseline. Mouiller avec du consommé froid et ramener lentement à l’ébullition.

Laisser cuire pendant cinq heures.

Faire colorer au beurre un petit ragoût composé de maigre de bœuf et de veau ; singer de 80 gr. d’arrow-root et mouiller avec le fond passé à la mousseline. Laisser cuire pendant trois quarts d’heure.

Repasser à la serviette à consommé.

Garnitures :


1o Carottes et navets tournés en petites gousses et cuits au consommé.
2o Les tronçons de queue de bœuf parés et désossés.

Au moment de servir, ajouter un décilitre de vin de Madère.


Potage aux abatis de Volaille

Formule 9

Nous donnons cette recette immédiatement après celle de la Queue de Bœuf en raison de l’analogie existant entre les deux méthodes.

Les abatis (ailerons, gésiers, pattes et cous) forment la base caractéristique de ce potage.

On les flambe, on les épluche et, après les avoir blanchis un instant, on les empote dans une marmite que l’on aura marquée comme il est indiqué au potage queue de Bœuf. (La queue de bœuf supprimée bien entendu).

Laisser cuire pendant 3 heures.

Retirer les abatis, les parer, les tronçonner régulièrement et les réserver au chaud.

Passer le consommé et le lier comme il est indiqué dans la recette précédente.

Garnir le potage de même et ajouter au dernier moment un décilitre de vin de Madère.

Les potages qui précèdent forment, avec les consommés garnis que nous étudions plus loin, la série dite des grands Potages clairs.

Il est un autre groupe, d’allure plus simple, tenant le milieu entre les potages riches et les soupes ordinaires.

Parmi toutes ces préparations, il convient de citer la Julienne, la Brunoise, le Cultivateur et la Paysanne.

Ces potages figurent à poste fixe dans le plus grand nombre des cartes de restaurants.

Ils méritent donc d’être étudiés dans ce livre avec autant de minutie que les grands potages clairs.

Julienne

Formule 10

(Proportions pour 10 personnes)

Légumes de Base :


6 carottes.

4 navets.
2 poireaux.
1 cœur de choux.
1/2 oignon.
1 paquet d’oseille.

1 laitue ; le tout ciselé en Julienne très fine.

Assaisonner de sel et d’une pincée de sucre fin ; faire fondre méthodiquement au beurre jusqu’à ce que les légumes aient pris une couleur acajou-clair. Mouiller de trois litres de consommé simple, dégraisser et amener l’ébullition.

Ajouter une poignée de haricots verts coupés (à cru) en Julienne et quelques petits pois. Laisser cuire à feu doux pendant 1 heure 1/2.

Ajouter une pluche de cerfeuil.

Observation. — Il convient, lorsqu’on emploie le cerfeuil, soit en pluches, soit en réduction, de ne l’ajouter qu’au dernier moment.

Cette plante potagère contient une huile essentielle trop volatile pour supporter une ébullition prolongée.


Brunoise

Formule 11

La Brunoise a pour base les mêmes légumes que la Julienne. On supprime la chiffonnade d’oseille et de laitue.

Les haricots verts sont coupés en petits dés, ainsi que les autres légumes.

La cuisson et la fonte des légumes doivent être aussi méthodiques que pour la Julienne, parce que là seulement réside la qualité de ces potages.


Cultivateur

Formule 12

Ce potage a pour base les mêmes légumes que la Brunoise. La taille des légumes seule diffère : on les coupe en dés plus gros.

Paysanne

Formule 13

Mêmes proportions que pour la Julienne. Supprimer l’oseille et la laitue. Les légumes sont émincés en paysanne et fondus au beurre.

Une demi-heure avant de servir on ajoute 4 pommes de terre émincées.

Aux quatre potages décrits plus haut, il convient d’ajouter les préparations suivantes, souvent inscrites aussi sur les menus de restaurant.


Soupe Normande

Formule 14

Bases :


6 navets.

4 poireaux.
4 laitues.
6 pommes de terre.

1 poignée haricots verts (le tout émincé en paysanne).

Faire fondre tous ces légumes au beurre (sauf les haricots que l’on ajoute après le mouillage).

Mouiller avec trois litres de consommé blanc ; laisser cuire pendant 1 heure ½.

Lier, au moment de servir, avec un demi-litre de crème double et 100 grammes de beurre d’Isigny.


Soupe Fermière

Formule 15

Bases :


6 carottes.

4 navets.
4 poireaux.
2 oignons.

½ chou (le tout coupé en paysanne).

Faire fondre au beurre.

Mouiller avec un litre et demi de consommé et un litre et demi de cuisson de haricots blancs ; laisser cuire une heure et demie.

Lier avec un quart de litre de crème double et ajouter une poignée de haricots blancs au moment de servir.

Bonne Femme

Formule 16

Bases :


10 pommes de terre.
8 poireaux (coupés en paysanne).

Faire fondre les poireaux au beurre ; mouiller de deux litres de consommé blanc et d’un litre de purée de pommes de terre très claire cuite au consommé ; ajouter les pommes de terre ; laisser cuire une heure et demie.

Lier d’un quart de litre de crème double et de 100 grammes de beurre.

Cette série, dont nous donnons seulement les trois types principaux, contient encore de nombreux potages combinés à l’aide des purées de légumes. Nous réservons ces recettes pour le chapitre des crèmes et purées, pensant rendre ainsi leur compréhension plus facile.


  1. Alexandre Hepp.