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La petite Vérole

La bibliothèque libre.
É. Dépierris aîné (p. 5-7).

LA PETITE VÉROLE.

Le cœur gros de soupirs, les yeux noyés de larmes,
Et repoussant loin d’elle un miroir renversé ;
Bélinde déplorait la perte de ses charmes,
Et la fin d’un printems à peine commencé.

Dieux ! que je suis changée ! un mal impitoyable
A converti mon corps en un spectre effroyable.
Qu’est devenu ce teint si brillant de fraîcheur,
Cet éclat de jeunesse, hélas ! si peu durable,
Et ces lèvres de rose, et leur sourire aimable ?…
Tout s’est évanoui : j’ai rêvé le bonheur.

Pourquoi ne plus me rendre, ô miroir infidèle,
Ces traits divins, ces traits qui faisaient mon orgueil ?
Vœux superflus ! Bélinde a cessé d’être belle ;
Pour elle désormais la vie est un long deuil.
Ils sont passés les jours où l’heureuse Bélinde
Voyait avec dédain de nombreux courtisans,
Déposer à ses pieds les filles du printemps,
Les vases du Japon, et les trésors du Pinde,
Plus de beauté, plus de présens.

Dans l’espoir d’obtenir un coup d’œil au passage,
Le ministre quittait brusquement le conseil ;
Le lord fuyait la cour, pour m’offrir son hommage ;
Le marquis attendoit l’heure de mon réveil ;

Pour moi le misantrope avait l’air moins sauvage.
J’ai vu Motteux, Lilly, jeunes présomptueux,
M’aborder en tremblant, bégayer leur martyre ;
Le timide écuyer, plein d’un tendre délire,
S’enhardir près de moi, me parler de ses feux.
Ils n’avaient tous pour moi qu’une âme ;
Épris des mêmes sentimens,
Tous brûlaient d’une même flamme…
Mais plus de beauté, plus d’amans.

Emportez loin d’ici ce portrait dont la vue
Est au cœur de Bélinde un supplice nouveau ;
Plus il est enchanteur, plus son aspect me tue :
J’y vois de tous mes maux l’effroyable tableau.
Déchirez-en la toile, effacez la peinture ;
Il m’outrage, il me fait la plus cruelle injure.
Toi qui me révélais l’art d’enchaîner les cœurs
Ô ma toilette, ô toi, qui me prêtant tes charmes,
Donnais à ma beauté de si puissantes armes ;
Tu m’appris à placer une mouche et des fleurs,
À déployer les plis d’une robe flottante,
À ranger avec grâce une boucle tombante,
À relever parfois de mon teint les couleurs ;
Mais ton art ne peut plus embellir ma figure :
Ton éclat trahirait ma honte et mes malheurs…
Plus de beauté, plus de parure.

Beautés du second ordre, allez jouir des droits
Que le sort trop jaloux ravit à la plus belle ;
Mes charmes sont détruits, allez dicter des lois :

Bélinde ne fait plus à vos vœux de rebelle.
Ah ! si le ciel encor me rendait mes attraits,
Que je verrais bientôt s’éclipser votre gloire !
Je changerais en deuil votre courte victoire,
Et sur vous les regards ne tomberaient jamais…
Où m’entraînent et mon délire
Et l’orgueil d’un bien qui n’est plus ?
Trop faible, hélas ! mon cœur soupire ;
Je répands des pleurs superflus :
Non, plus de beauté, plus d’empire.

« Pourquoi pleurer, » m’a dit le savant Iphiclus ?
« Pourquoi vous désoler ? Vous serez belle encore ;
» J’en jure par le dieu que révère Épidaure… »
Vain serment ! ma beauté n’est plus.

Cesse, cesse ta plainte, & fille infortunée ;
Une belle eut toujours d’un roi la destinée :
Hors du trône, il n’est rien ; sur le trône, il est dieu.
Reine de tous les cœurs, te voilà détrônée ;
Va pleurer ta disgrâce, en quelque sombre lieu
Où nul être vivant n’afflige ta misère :
Mais plutôt soumets-toi, pardonne au sort contraire ;
Et quand tu n’es plus belle, ose en faire l’aveu :
Fuis les regards, et dis, sans dépit, sans colère :
Beauté, parure, monde : adieu.


FIN.