Lamartine intime de 1820 à 1830 - Lettres inédites

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Lamartine intime de 1820 à 1830 - Lettres inédites
Revue des Deux Mondes5e période, tome 41 (p. 330-360).
LAMARTINE INTIME
DE 1820 Á 1830

LETTRES INÉDITES


L’oranger et les vers ne poussent qu’à Florence.
LAMARTINE.


Peu d’existences offrent des contrastes plus frappans que cette vie de Lamartine si étroitement régie par une logique intérieure, mais si variée dans ses aspects. Avant 1820, ce sont les années de l’enfance robuste et pieuse, auxquelles succèdent les années de jeunesse inquiète, impatiente, désolée. Après 1830, c’est la période d’activité dépensée dans le « tourbillon » et qui aboutit à la voie douloureuse de l’âpre vieillesse gravie comme un calvaire. Entre deux, se place une époque de calme et de bonheur intime, que remplissent les joies domestiques, les succès d’une carrière brillante, les travaux littéraires. C’est celle dont nous voudrions retracer quelques épisodes, ou préciser quelques traits, en mettant à profit et, le plus souvent possible, en reproduisant une partie de la correspondance du poète jusqu’ici restée inédite.

On sait en effet qu’il y a dans la correspondance de Lamartine, telle qu’elle a été publiée, une importante lacune : elle ne contient pas une seule des lettres adressées par le poète à sa femme. Pourtant, à chaque absence qui l’éloignait d’elle, il tenait minutieusement Mme de Lamartine au courant des incidens de toutes sortes qui marquaient son séjour, démarches, visites faites ou reçues, affaires, projets, espérances, déceptions. Il avait tout de suite compris qu’il avait dans cette compagne d’élite une amie, la meilleure des confidentes et des conseillères. Les lettres souvent charmantes qu’il lui écrivit ont pour nous cet intérêt incomparable, que Lamartine s’y exprime avec plus de confiance encore et plus de naïveté que dans ses lettres à ses amis, si sincères pourtant et d’une si belle franchise ! C’est la pensée saisie à l’instant où elle jaillit du cerveau et fixée tout uniment, sans détours, sans réticences et sans nuances. C’est l’impression du moment jetée toute vive sur le papier. Ces lettres qui se réfèrent, comme il est naturel, à des époques délicates de la vie de Lamartine, nous renseignent jour par jour, heure par heure. On peut compter sur Mme de Lamartine pour les avoir conservées précieusement. M. Charles de Montherot, petit-neveu de Lamartine, a bien voulu ouvrir pour nous les malles de Saint-Point où dormait cette correspondance. Le public y a gagné déjà de connaître les délicieuses Lettres à la fiancée. En publiant quelques-unes des lettres de la période qui suivit le mariage du poète, nous n’oublierons pas que notre seule excuse à pénétrer dans l’intimité d’un écrivain est par là d’arriver à mieux comprendre le caractère de ses œuvres et à on sentir plus vivement les beautés. C’est aussi bien l’intérêt que nous aurons à suivre Lamartine de l’époque des Méditations à celle des Harmonies.


UN DIPLOMATE EN CONGÉ

Nous avons, dans une précédente étude[1], laissé Lamartine sur la route de Naples. L’été qu’il passa, auprès d’une femme aimée d’amour, soit à Naples même, soit dans l’île ravissante d’Ischia, fut un pur enchantement. La mauvaise saison fit surgir des difficultés imprévues. On savait que la santé toujours précaire du poète recommença de s’altérer et qu’il fut repris de ces douleurs qui le torturèrent toute sa vie. On devine maintenant des ennuis d’un autre ordre. Il n’y avait à Naples aucune société, pas une personne avoir : excellentes conditions pour deux amoureux. Mais les jeunes mariés avaient emmené avec eux Mme Birch. L’excellente dame, éloignée de ses habitudes, sans relations, peu sensible aux beautés du paysage, et qui n’avait pas les consolations du tête-à-tête, s’ennuya horriblement. Sa fille en souffrait pour elle. Son gendre, peu patient de son naturel, s’irritait. Les lettres de cette époque portent la trace de scènes d’explications assez vives. Mme Birch, en mariant sa fille à un Français, n’avait pas dit pour toujours adieu à l’Angleterre ; en tout cas, elle ne voulait sacrifier Londres qu’à Paris, ou à une capitale importante. Mais la vie dans une légation d’ordre secondaire lui était tout à fait insupportable. D’autre part, elle n’avait, en aucun temps, voulu d’un gendre sans position ; et les ressources pécuniaires du ménage étaient des plus modestes. Cela rendait la situation fort embarrassante. C’est pour la débrouiller que Lamartine arrivait à Paris, quoique toujours souffrant, à la fin de 1821. Le 31 décembre, il voyait le duc de Montmorency à son lever, et la conversation qu’il avait avec lui ne lui laissait guère d’illusions. Il ne pouvait compter sur aucun poste à Paris. Que faire donc et où aller ? A Turin ? Ce serait recommencer Naples. A Florence ? Cette résidence agréerait-elle à Mme Birch ? Et sinon, Lamartine ne ferait-il pas mieux de sacrifier les médiocres avantages, que lui marchandait la « carrière, » à la bonne entente en famille ? Il conserverait un titre d’attaché ou de secrétaire, et resterait indéfiniment sans emploi effectif. Au surplus, Lamartine qui, à Naples, n’avait trouvé rien à faire, et qui se mourait d’un besoin d’activité, semble n’avoir eu, à cette époque, que fort peu de goût pour le métier de diplomate.

Telle est la crise à laquelle vont nous faire assister ces lettres de janvier 1822, dont la première, pour être une « lettre de jour de l’an, » ne semblera tout de même pas banale.


Paris, mardi 1er jour de 1822[2].

Que ce jour commence par toi, ô mon unique amour ! Que tous nos jours commencent et finissent de même, toi qui les remplis, les embellis et me les fais seule chérir ! Que toutes les bénédictions que je te donne, à toutes les minutes de mon existence, soient ratifiées par le Dieu qui nous a unis. Qu’il nous conserve l’un pour l’autre, nous soutienne l’un par l’autre et reçoive comme le plus pur et le plus doux hommage à sa bonté, l’expression toujours nouvelle de notre mutuelle félicité ! Qu’il bénisse notre enfant pendant cette année et les autres ! Qu’il protège et rende heureux nos parens, ta mère et la mienne ! J’ai eu ta divine lettre. Jamais tune m’as plus aimé, jamais du moins tu ne l’as si bien dit ! Que je voudrais pouvoir répondre ce que je sens ! Mais tu sais que je ne puis sans me tuer écrire une page. Je réserve tout pour le retour…


3 jeudi 1822[3].

Rien de nouveau, cher ange. Je persévère dans mon idée de me faire nommer secrétaire d’ambassade ici ou là, en attendant ensuite la possibilité d’autre chose. But the other thing is very incertain by the position of the ministery. Je dîne aujourd’hui chez le ministre. J’y dîne encore dimanche avec la duchesse de Devonshire, dont je suis le voisin et qui vous adore. Je viens de passer ces deux jours en courses. Je recommence ce matin. Je ne suis pas trop mal, sauf l’impossibilité d’écrire. Cela me donne ces accès sur la poitrine. Aussi je ne te dis qu’un seul mot : je t’aime, je t’adore, je ne pense qu’à toi.

Mais mes affaires ne s’arrangent pas à ma guise. Je serai vraisemblablement nommé à Turin faute de mieux et je n’ai nulle envie d’y aller. S’il y avait moins loin d’ici à Florence, j’écrirais à M. de Château et j’aurais le temps d’avoir sa réponse. Je m’y ferais alors nommer en sûreté de conscience, mais je ne veux pas le faire renvoyer sans son avis et comme le temps presse, by the position of man, je me presse aussi.

Demande à ta mère si elle veut s’établir pour six mois à Paris et six mois à la campagne ; tels que nous sommes, nous le pourrions si cela vous plaît plus que Mâcon ; je consens à tout. Je puis mettre pour ma part 450 louis, et 500 suffiraient pour être très bien ainsi.


Lundi matin, 7 janvier 1822[4].

Ma pauvre petite belle, c’est toujours moi et jamais rien de nouveau. J’ai passé une partie de la matinée chez le ministre. Je lui ai porté un travail sur l’Italie, nous avons longtemps causé en ami plus qu’en ministre. Rien ne s’éclaircit ni ne s’affermit ; il m’a promis à défaut de tout ceci de ne laisser aborder personne à Florence que moi, si l’on peut colloquer M. Château. Je ne lui ai pas dit que j’avais écrit à ce dernier de manière que je pourrais bien être nommé avant la réponse ; alors je refuserai s’il ne consent à rien et je resterai dans notre misère, mais sans reproche de conscience. M. de Montmorency m’a dit : J’aimerais mieux vous garder, je vous arrangerais bien, mais si je sors, vous perdrez tout (ce qui est juste). Demande catégoriquement à ta mère si Florence lui convient et si elle y viendra.

Adieu, ange céleste, objet unique de mon culte ici-bas ! toi à qui je ne cesse de penser et de rêver.

Je dîne demain chez M. de Laroche Jacquelein, ou plutôt je fais semblant de dîner. Demande à M. Delahante si son intention serait de louer son appartement pour six mois et combien. J’ai couru hier pour en voir. Il y en a de très beaux pour 80 louis l’année. Tu vois que nous aurions du bénéfice sur nos calculs, si nous nous établissions ici. Je serais, si j’étais seul, d’avis de prendre nettement ce parti sans emploi : six mois ici, six à Saint-Point ou en Angleterre, alternativement. Qu’en dites-vous ?


9 janvier, mardi[5].

Ceci ne sera qu’une ligne, ange de ma vie ! Je n’ai aucune nouvelle à te donner, peut-être n’en aurai-je pas avant la réponse de M. de Château. Tous mes amis du ministère, hors Rayneval à qui je n’en ai rien dit, m’approuvent de cette demande ; ils sont au fond bien aises d’avoir affaire eux-mêmes à un homme honnête. Je ne m’en repens donc point. Je me confie en cette Providence qui a bien su te donner à moi malgré tous les obstacles et qui saura aussi nous arranger selon nos besoins et ses volontés. Ta mère seule m’inquiète. Je voudrais savoir décidément ce qu’elle désire. Je le ferais pour lui rendre l’existence douce avec toi, car je sens bien que si nous nous séparons il n’y aura plus de bonheur parfait ni pour elle, ni pour toi, ni par conséquent pour moi. Je ne tiens, pour mon compte, ni à ceci, ni à cela. Je ne puis pas avoir d’ambition, je suis trop heureux comme je suis. Mon seul but véritable est d’écrire un jour pour le temps et pour l’avenir, et de tâcher de me rétablir pour cela. D’après ce que je vous dis là, décidez-vous absolument à votre guise et mande-moi votre parti, je m’y conformerai sans une hésitation. J’aime exactement autant aller que rester, rester qu’aller. Je puis me passer de la place, j’accrocherai bien quelque autre chose ou pension ici ; l’enthousiasme n’y est pas mort tout à fait pour moi ; le Roi même en parle d’une façon très belle. Dis-moi donc ce qui vous convient.


Vendredi matin, 11 janvier[6].

J’ai reçu vos deux lettres, cher ange ; remercie bien ta mère pour moi des choses bonnes et obligeantes qu’elle me dit dans la sienne. Elle ne s’explique pas cependant tout à fait assez franchement pour régler définitivement ma conduite. Je voudrais qu’elle me dît si elle préférerait s’établir à Paris pour six mois chaque année avec nous sans plus songer à aucune carrière, à aller à Florence. L’un et l’autre parti me sont indifférens. Mais si nous ne nous décidons pas tout à fait à nous établir définitivement et pour toujours à Paris avec ou sans place, je ne pense pas qu’il soit bon et sage pour nous d’y venir faire à présent et pour bien peu de temps peut-être, un demi-établissement avec tout notre train et avec une grande dépense sans résultat, qui nous gênerait beaucoup ensuite dans le cas de notre envoi en Toscane.

Je m’ennuie à périr sans toi, je ne puis vivre maintenant sans ma seconde vie ! tu sais où elle est, ô mon cher amour !

Si ta mère pouvait aller faire son petit voyage à Londres d’ici au mois d’avril, cela serait peut-être aussi bien dans le cas de Florence. Tu pourrais l’accompagner avec moi. Pense à tout cela, mon cher petit conseil ! penses-y sans humeur, sans vivacité, sans impatience, et puis décide, ou plutôt ne décide encore rien. Attends-moi et attendons nous-mêmes les décisions d’ici qui nous dirigeront. Adieu pour un moment, bel ange de ma vie !

Je n’ai pas pu voir le ministre hier au soir, à cause de la mort de la duchesse de Bourbon.


Mme Birch accepta Florence. Seulement le poste n’était pas vacant. Celui qui l’occupait, ne songeait pas à se retirer. Et on a vu que Lamartine se fût fait scrupule de contrarier les convenances d’un collègue. Il n’y avait qu’à attendre. On organisa la vie en conséquence. Lamartine alla d’abord rétablir sa santé en prenant les bains et buvant les eaux à Plombières. Il s’y ennuya royalement. « Nous avons reconnu hier soir le pays et la société, écrit-il ; l’un ressemble à l’autre ; tous deux sont nuls. Plombières est un trou dans une vallée profonde, ténébreuse, sans issue : on a tout vu du premier coup d’œil et rien ne change. La société consiste en cinq ou six vieilles femmes des environs, tout ce qu’il y a de plus vulgaire. Nos hôtes sont des cuisiniers ; il n’y aurait pas même la ressource d’une Mme Perrier. Il n’y a aucune maison à prendre dans la campagne pour nous, si nous y venions. C’est à mourir d’ennuy. Veydel en prend le spleen. Pour moi, cela m’est égal, tout me serait ennuyeux sans toi. Je regrette seulement de ne pouvoir pas dire : elle serait bien là ! J’envoie mille tendresses à nos chers jolis enfans[7] ! » Puis ce fut le funeste voyage en Angleterre. Si encore il n’avait eu que l’inconvénient de donner à Lamartine le goût de l’architecture gothique et d’inspirer les futurs « embellissemens » de Saint-Point ! Mais il coûta la vie à l’aîné des « chers jolis enfans. »

On revint passer à Paris les premiers mois de 1823. Ce paysan de Lamartine ne se trouvait jamais bien du séjour dans notre ville. Il avouait n’être pas un animal de salon, pas plus d’esprit que de corps. Il enrageait et tombait malade. La poésie profitait de ces loisirs forcés. C’est la règle pour Lamartine. Chaque fois que la diplomatie ou la politique lui manquent, la littérature y gagne. Ce n’est pas en Italie, c’est au retour qu’il écrit les vers rêvés en Italie. D’ailleurs, il faut vivre. Bénies soient ces nécessités matérielles qui ont été l’unique origine de tant de chefs-d’œuvre ! Lamartine a vendu ses Nouvelles Méditations en février 1823 : les ayant vendues, il est bien obligé de les faire. Il s’y met, et le travail, rondement mené, est achevé au mois d’août. À cette époque, il vient à Paris, pour traiter d’une autre affaire : la vente du Socrate[8]. Le mauvais succès des Nouvelles Méditations, — aussi belles que les premières, mais sur qui on se vengea de l’accueil enthousiaste fait à leurs aînées, — n’a pas si fort découragé le poète, qu’il ne s’attaque à de nouveaux et plus hardis projets. Une bonne partie de l’année 1824 est consacrée à ébaucher les premiers chants du grand poème des Visions.

C’est sur ces entrefaites que, Lacretelle aîné étant mort, l’auteur du Lac et du Crucifix posa sa candidature à l’Académie.


PREMIÈRE RENCONTRE AVEC L’ACADÉMIE

À vrai dire, l’idée ne venait pas de lui. Il était de l’Académie de Mâcon ; pour l’instant, cela lui suffisait. Très sincèrement, il n’avait pas pensé à l’Académie française. Ses parens, qui étaient des gens de province et tenaient aux consécrations officielles, sa femme, qui était femme, y avaient songé pour lui. Il se laissa pousser. Il arriva à Paris, au début de novembre 1824, ayant promis de faire en conscience son métier de candidat.


Lundi 8 novembre 1824[9].

Mon cher amour, je suis arrivé, logé à l’hôtel de Rastadt très confortablement. J’irai voir Genoude tout à l’heure pour savoir si les nominations sont faites et j’agirai en conséquence. Je ferai toutes les visites possibles et très insolemment. Ainsi sois en repos. Si j’avais besoin de soins, j’en aurais ici par Revillon. Adieu, adieu, je vais sortir, toujours pensant à toi et t’adorant.

ALPH.


Lundi soir. J’ai beaucoup agi et couru, rien de décisif contre moi encore. Mais peu de probabilités. Il est trop tard, et les jalousies trop en jeu, et les amours-propres trop choqués de mon attitude isolée : je continuerai demain et après ; la séance est remise et les nominations n’auront peut-être pas lieu de quinze jours. Mais les paroles sont données. Au reste, sois tranquille, je fais comme s’il n’en était rien. Adieu, à après-demain. Je vais me coucher ; lis cette Étoile, il y a un mot sur moi de lord Byron. J’ai le livre, il est charmant.


Ce dernier trait n’a d’ailleurs aucun rapport avec l’affaire académique. L’Étoile, journal de Genoude, venait de publier un article sur un livre récemment paru : Conversations de lord Byron recueillies par Th. Medwin. Ce Medwin, que Lamartine connut en Italie, avait rencontré lord Byron à Pise en 1821. Il lui conta qu’un de ses amis venait de traduire les vers où le poète français le comparait « à un aigle qui se nourrit de cœurs humains. » Lord Byron reprit : « Je n’ai jamais lu les Méditations poétiques ; je serais bien aise de les voir. Apportez-les-moi demain. » Le lendemain, continue Medwin, je lui fis lire la traduction qu’il compara avec l’original. Il dit que les vers étaient admirables, et qu’au total il les trouvait très flatteurs pour lui : « Dites-le à votre ami, et priez-le de ma part de faire mes complimens à M. de Lamartine, et de lui dire que je le remercie de ses vers. »


Mardi soir, 9 novembre[10].

Je rentre, mon ange. J’ai fait trente visites au moins dans ma journée, je n’en puis plus. Quel métier ! Le recommence qui voudra, ce ne sera jamais moi. Il y a une coterie de Lacretelle, Roger, Auger, Campenon, et deux autres qui mènent tout contre moi pour un M. Droz ou, à son défaut, pour quelque autre. Ils prétendent que je viens trop tard : c’est faux. La plupart des membres que j’ai vus sont pour moi individuellement, mais en masse ils ne répondent pas d’eux ; ils sont joués et dominés par ces trois ou quatre intrigans actifs et rusés. J’ai été très accueilli par M. Lainé, M. Daru, M. Michaud, M. Pastoret le père, et bien d’autres. J’aurais, si l’on allait aux voix séparément, 25 voix sur 30. Mais malgré cela je ne réussirai pas, à ce qu’ils assurent, si je ne triomphe pas de cette coterie. Je ne néglige rien, tu peux être tranquille. Si je ne réussis pas, ce sera au destin à t’en prendre. Demain je recommence et ainsi de suite. On ne croit pas que la nomination ait lieu avant la fin du mois, le dernier peut-être. J’en enrage, car j’aimerais mieux que ce fût après-demain ; ils sont maintenant pris par le temps et confondus, ils vont se retourner à loisir contre moi. On voit qu’ils me détestent cordialement. Mme de Lacretelle me servira certainement mal. Mais en voilà assez. Adieu, soigne-toi bien, c’est l’essentiel. J’en ferai autant. Le jour va encore, les nuits sont tout de même : l’éveil à une heure et demie et accès de goutte à l’estomac et à la tête ; cela cédera, je pense, aux premiers froids. Je n’en puis plus de fatigue. Je viens encore d’écrire à M. de Lacretelle, pour l’embarrasser, que mon sort dépendait de sa voix. Je ne cesse d’agir et d’écrire. Ne parle à qui que ce soit de ces détails, ils reviendraient ici j’en suis sûr. Adieu, embrasse ma mère, la tienne, Julia. Comment êtes-vous ?


Lamartine avait pour lui les royalistes ultra et les romantiques. Les libéraux firent campagne contre lui. Il se persuada, — à tort, d’ailleurs, — que son pire ennemi était Lacretelle, l’historien, frère de celui qu’il voulait remplacer et qui, pendant l’été à Mâcon lui avait promis de soutenir sa candidature[11]. Son principal concurrent était Droz, naguère habitué de la société d’Auteuil. Les lettres suivantes nous montrent le candidat s’énervant de plus en plus parmi ses courses, démarches, combinaisons et pointages :


Paris, 11 au soir[12].

Mon cher ange. Dieu merci, j’ai ta lettre, ta mère est mieux, tout est donc bien là-bas ! Dis-lui que je suis désolé de la savoir malade et de n’y pas être !

Ici ma santé est exactement la même. Le jour de fièvre laisse toujours sa trace, mais j’ai à présent deux nuits bonnes contre une mauvaise. Je me soigne avec Alain[13] tout sagement. Je suis bien logé à sa portée, bien chauffé, bien servi quand je rentre, ce qui est rare. Quant aux affaires, hier je les croyais sûres. Ce matin il m’est démontré qu’elles sont perdues. Je regrette vivement d’avoir voulu lutter seul contre une intrigue vieille et bien liée : j’ai 17 voix, et ils en tiennent 21 à peu près. Mais ils les tiennent invariablement. Cependant je leur ai déclaré qu’il était trop tard pour reculer ; je combattrai jusqu’au bout et puis je les enverrai à tous les diables et ne m’y présenterai jamais. C’est la ligue de la médiocrité contre le talent en tout genre. Il faut voir pour croire.

Je suis content et très content de mes partisans. — Les voici : Chateaubriand (franchement et noblement), Bonald, Pastoret, de Sèze, Daru, Villemain, Michaud, Laîné, d’Aguesseau, Parseval, Ferrand, Lally, duc de Lévis, Laplace, Soumet, l’archevêque de Paris et M. Frayssinous qui me sert bien.

Quant aux autres royalistes qui me sont contraires, c’est pitoyable : ils préfèrent tout à moi. Si M. de Lacretelle eût été bien, tout serait changé pour moi ; mais je n’en espère que de mauvais tours. N’en parle pas : mais ôte-toi toute espérance, elle est impossible. Dans Paris on croit que je triomphe, mais j’ai vu ce matin le dessous des cartes en confidence. Je ne cesse de courir et d’écrire. Adieu, je vais dîner chez Pastoret et puis me coucher. Je n’ai pas encore fait une course pour mon plaisir : et je suis tout le jour en voiture !

A toi mille amours ! mille amitiés à ta mère ! à Julia, mille baisers ! mille tendresses à maman et mon père et Vignet.

AL.


13 novembre, le samedi[14].

Bonjour, chère vie de mon aine ! Je me lève et je t’écris. Aujourd’hui j’ai du temps, je ne veux pas sortir qu’un moment pour me promener ; il faut se donner un peu de repos de tête, car elle se briserait, tant elle a été tendue ces jours-ci ! Et puis je vois clairement qu’il y a impossibilité, par conséquent peine perdue en vain, et tout à fait en vain puisque pour rien au monde je ne recommencerais cette humiliante cérémonie : je donnerais cent louis de n’avoir pas affiché cette prétention vraiment au-dessous du vrai talent ! Excepté quatre ou cinq hommes que la longueur des années et la vie publique a amenés là, le reste est une coterie d’imbéciles menés par quatre intrigans. Ces derniers sont si furieux que j’aie osé les attaquer de front devant leurs confrères et l’opinion du public, qu’ils remueront ciel et terre pour m’empêcher d’arriver : beaucoup de mes partisans sont faibles et peureux devant eux et ils donneront les mains à un troisième ou quatrième choix pour me repousser et repousser aussi [mon concurrent Droz. Je n’aurai gagné que beaucoup d’ennuis et de dépenses et de fatigues. Cependant, malgré la certitude où je suis de ma défaite, je ne fais semblant de rien et je continue à agir : lundi, je me remets en action. Je laisse passer aujourd’hui et demain, pendant lesquels jours mes amis écrivent et sollicitent. J’ai passé tête à tête hier la soirée avec M. le duc de Montmorency qui court pour moi aujourd’hui, mais il n’espère rien non plus.

Du reste, j’ai vu Prévôt qui est en faveur et excellent pour nous. Il surveille Florence, nous l’aurons au premier mouvement qui se fera. Il la fait porter à 400 louis au lieu de 300, à notre intention. Il m’a fait maintenir par le ministre nouveau mes 4 000 francs de traitement en attendant. Ma pension de 2 000 au ministère de l’Intérieur n’est pas ébranlable par un changement de ministère, parce qu’elle est signée par le Roi et ainsi à jamais. J’ai demandé Londres, mais il est difficile que je l’aie comme il convient, c’est-à-dire en chef, avant d’avoir passé un an ou six mois en qualité de secrétaire seul à Florence. Si je suis de l’Académie, on me dit que cela va me nuire beaucoup pour cela, n’étant plus alors employable dans nul emploi subalterne d’après les usages. Cette considération doit nous consoler. Je dis nous, c’est-à-dire toi et ma mère (car pour moi, je m’en moque). Je n’y mets tant d’action que pour vous.

ALPH.


Du 13 plus tard. — J’ai été plusieurs fois chez M. de Chateaubriand. J’en suis très content. Il m’a dit : « Non seulement ma voix vous est acquise, mais elle vous est due, et je crois faire honneur jà l’Académie, etc. » Quant au Roi, je ne m’y ferai présenter que dans le cas d’un succès que je n’espère plus du tout, qui est même impossible. Ce matin et tous les jours, les journaux, même les petits journaux libéraux comme la Pandore et le Diable boiteux, sont pleins d’articles relatifs à moi et très bien pour moi ; la jeunesse libérale est scandalisée de cette préférence des vieilles médiocrités à un jeune homme que l’opinion littéraire porte presque unanimement. A présent j’en suis bien aise, et une fois la chose faite, ce sera un concert universel contre cette coterie Lacretelle et Cie.

Pour moi, je ne m’en mêlerai pas. Adieu, adieu, adieu. On ne nommera pas avant le 1er décembre. J’ai déjeuné avec Alain et je dîne avec Hugo. Soumet est contre moi.


La Pandore du 3 novembre avait publié un petit article où l’auteur, après avoir cité les noms de divers écrivains dignes de l’Académie, concluait : « Enfin, si vous ajoutez à cette liste MM. Victorien Fabre, Lamartine, Delatouche, Charles Nodier, de Senancourt, Pouqueville, Carrion-Nisas père et M. Girault Duvergier, on trouvera que ce nombre de littérateurs distingués s’élève jusqu’au nombre de quarante nouveaux immortels et peut former en dehors une contre-Académie française. » Etre mis sur le même rang que Pouqueville et Carrion-Nisas ! Et s’en réjouir ! Mais l’imagination du poète embellit toutes choses. — Quant au Diable boiteux, il faisait moins encore : il ne prononçait pas le nom de Lamartine.


Dimanche soir 14[15]. Mon ange, rien de bien nouveau ; à toutes les heures, la position change. J’ai mis tout à fait en déroute mon concurrent, M. Droz, par les journaux et le cri public ; ils m’en ont déterré deux autres que je crois également vaincus d’avance ; mais ce soir ils m’en déterrent encore de nouveaux : ils ont eu un dîner entre eux dont je viens d’avoir les détails, où ils ont décidément déclaré qu’ils ne voulaient pas de moi. M. de Lacretelle et sa femme sont ceux qui me nuisent avec la persévérance la plus invincible : sans lui, les autres eussent été en partie ramenés, en partie défaits. J’ai pour moi tous les gens tranquilles et impartiaux, mais les intrigans s’obstinent contre. Il n’y faut plus penser ; il me faut un peu de charité chrétienne pour ne pas me venger sur ce Lacretelle et Cie.

Adieu, mon cher ange, qu’il me tarde de l’aller rejoindre et de secouer la poussière de cet infâme pays de sottise, et d’intrigues, et d’envie !

A demain.

Du 15 à 4 heures. — Les chances varient encore, la cabale des bonnes lettres est furieuse et bien liée, mais les autres ne sont pas perdus encore pour moi. J’ai gagné 3 voix libérales ce matin contre Guiraud. J’ai été chez MM. Pasquier, Mounier et autres, qui me servent en dehors ; M. de Talleyrand est furieux contre mes ennemis. On ne peut savoir ce que tout cela deviendra au dernier moment. J’irai avec vigueur jusqu’au bout ! Je reçois à l’instant une lettre où l’on me dit que Guiraud va être invité par ses amis à se retirer devant moi, car les autres l’ont lancé et en lanceront un autre à sa place. Un parle même de Delavigne ; alors je nie retirerai moi-même, et le diable ne m’y reprendra plus. Adieu, je te quitte pour aller dîner chez les Pernetty, où l’on nie sert très activement, les Montcalm et Montmorency aussi.

Mme de Raigecourt me mande qu’elle sera ici dans 8 jours, l’élection est le 2 décembre ou le 1er.


19[16].

Tout de même, cher ange, les espérances sont belles et les craintes grandes. Mais tout est soulevé dans la société pour moi et dans les journaux : les libraires font queue pour que je leur vende, et tout me sert même à mon insu. Hier j’ai diné chez Mme de Saint-Aulaire. M. Decazes, M. de Staël, M. Guizot, M. de Saint-Aulaire, se sont partagé les académiciens de leur connaissance pour les séduire s’il y a moyen. Demain, je dîne encore chez Mlle de la Trémouille. Mais, malgré ce concours, on dit et l’on soutient que j’échouerai. Adieu, je t’embrasse un million de fois.


Lundi 29.

Cher amour, mon affaire va moins bien. Les lâches m’abandonnent, mais je ne renonce à rien qu’après avoir combattu. J’espère que jeudi on finira. Cependant, ce n’est pas sûr, ils y mettent de l’astuce et une lenteur qui m’inquiète, mais au plus dans huit jours.

Adieu encore. Voici le Journal de Paris d’hier. J’ignore qui parle ainsi ; mais c’est trop bien parlé ; cela me nuira beaucoup pour l’Académie. J’aurais paré le coup, si je l’avais su. Envoie-le à mon père et à mon oncle.


On ne voit pas qu’il y eût là de coup à parer. L’article publié dans le Journal de Paris du 28 novembre, sous le titre d’ « Élections académiques » était au contraire rédigé avec une grande habileté. L’auteur anonyme énumérant les candidats, Lamartine, Droz, Pongerville, Guiraud, se défendait de discuter « le mérite relatif des personnes ; » il préférait indiquer « un aperçu plus élevé » qui, d’après lui, devait exercer une influence décisive sur les suffrages de l’Académie. Que reproche-t-on surtout à notre époque, se demandait-il ? De n’avoir pas de poètes. « Répondons à ce mot par quelques noms, par un surtout, celui de M. de Lamartine, ou plutôt laissons à l’Académie l’honneur de répondre aux ennemis de notre gloire littéraire par l’adoption de ce nom éminemment poétique qui réunit seul tous les genres de mérite qu’on s’obstinait à contester à nos poètes modernes. Ce n’est donc pas ici la supériorité relative d’un candidat sur ses concurrens que nous cherchons à faire triompher, mais la nouveauté du genre de poésie dont notre langue lui est redevable et qui lui mérite une sorte de reconnaissance de la part de tous les hommes intéressés à l’honneur des lettres françaises. » Il était difficile de mieux préciser le point du débat. Lamartine avait-il rapporté à la France cette poésie que, depuis le temps de Racine, elle ne connaissait plus ? Et dans ce cas l’Académie ne se devait-elle pas à elle-même d’accueillir ce poète qui lui manquait ? C’était toute la question.

On sait quelle fut la réponse : Droz fut élu. Lacretelle n’était pas le coupable : l’Académie était résolue, en tout état de cause, à faire attendre l’auteur du Lac et du Crucifix. Il y a une heure académique : elle n’avait pas sonné pour Lamartine. Celui-ci, qui ne connaissait pas les usages, fut profondément ulcéré. Une fois entré dans la lutte, il en avait bientôt ressenti la fièvre. Ce qu’il éprouva, à la suite de son échec, ce fut moins le dépit de la vanité blessée que l’emportement de la colère. On trouvera que son irritation se traduit en termes un peu vifs : « La ligue de la médiocrité contre le talent… Une coterie d’imbéciles menés par quatre intrigans, etc. » Mais ces rudesses de langage sont habituelles à Lamartine dans l’intimité. Il avait été humilié : il ne devait plus l’oublier. Lui qui ignore les longues rancunes, il ne pardonna jamais à l’Académie.


LA VIE EN TOSCANE VUE DE MACON ET DE MILLY

Lamartine se vengea, comme lui seul pouvait le faire, en écrivant un nouveau poème. Childe Harold, lu avant la publication à quelques connaisseurs, les enthousiasma. « Childe Harold paraît enchanter tous ceux qui en goûtent. Je l’ai récité hier au plus sévère des critiques, M. Villemain. Il a été dans un transport d’admiration sans égal et m’a assuré le plus brillant et surtout le plus durable succès. Cela se répand dans le monde et fait très bien. Il m’a proposé de faire lui-même un article des Débats. Les libraires sont vraiment à ma queue, comme les créanciers chez un débiteur[17]. » Enfin la nomination de secrétaire d’ambassade est signée au mois de juillet 1825, et Lamartine arrive le 2 octobre à Florence. C’est pour lui une nouvelle vie qui commence.

On aimera à entendre l’écho qui en parvenait, là-bas, à Mâcon et à Milly. Le poète diplomate était trop occupé et de soins trop divers : sa femme tenait le plus souvent la plume pour lui. Chaque semaine arrivait de Florence une lettre où l’on ne trouvait jamais qu’il y eût assez de détails. Chaque semaine arrivait à Florence une lettre qui apportait à Lamartine dans son « brillant exil » une bouffée de l’air natal. Oh ! cette délicieuse correspondance d’une mère, et ce mélange exquis des pensées les plus élevées et des plus humbles soucis de l’intérieur ! Quand on lit le Manuscrit de ma mère, tel que l’a publié Lamartine, on est toujours un peu inquiet, et on se demande quelle part y revient au pieux éditeur. Dans les lettres que j’ai sous les yeux[18], une âme adorable s’exprime au jour le jour, avec sa bonté, ses inquiétudes, ses scrupules, sa religion de la Providence, et ce charme de simplicité domestique et rustique.

Tout en s’affligeant d’être éloignée de son fils, la mère de Lamartine se réjouissait d’une situation qu’elle avait longtemps souhaitée pour lui et qui comblait tous ses vœux. « Il faut dans ce monde faire fructifier les talens que la Providence nous a confiés, et il me semble qu’il y a peu de carrières où l’on puisse les employer aussi utilement et aussi noblement que dans la sienne, et sans nuire à sa grande et première vocation, celle d’élever les âmes à Dieu par sa belle poésie. » Elle lui faisait toutes sortes de recommandations, dont la première était « de ne pas trop se laisser aller à cette excessive réserve qui lui est naturelle. » D’ailleurs, elle comptait sur sa bonne grâce et sur son éloquence pour le faire bien accueillir de tout le monde.

Soudain éclate une tragique nouvelle. On jugera de l’émoi où elle mit toute la famille, par cette lettre du 1er mars 1826 : « Oh ! mes enfans, quel événement ! Et quelle révolution m’a fait éprouver votre lettre ! Je ne peux pas encore m’y appesantir sans frémir. Faut-il louer, faut-il blâmer cette terrible action ? Les jugemens de Dieu, sont souvent si contraires à ceux des hommes ! Et, dans cette circonstance, ils me paraissent si décidés ! Mais je ne suis pas là pour juger ; j’y suis pour remercier cette divine Providence, pour me prosterner à ses pieds, soit en expiation, soit en action de grâces. Quels affreux dangers nous avons courus ! Et j’étais tranquille dans ce moment-là ! Et vous, mon héroïque Marianne, saviez-vous tout ? Comment avez-vous vécu pendant cette attente ? Quant à toute la noblesse, la générosité de la conduite d’Alphonse, je le reconnais bien là, et cela ne m’étonne pas du tout. Mais n’y avait-il pas d’autre moyen qu’un… En vérité, je ne puis dire ce terrible mot, tant il m’a toujours fait frémir ! Votre pauvre père et votre oncle sont comme moi, heureux que tout soit terminé, et combattus entre l’honneur de ce monde et les maximes de l’Evangile, si rarement d’accord… Adieu, mes trop chers enfans. Oui, ma Marianne, vous saviez tout ; je le vois par votre précédente lettre. Quelle âme que la vôtre ! » Le terrible événement auquel cette lettre fait allusion est le duel que venait d’avoir Lamartine avec le colonel Pepe, à propos des deux vers de Childe Harold, où le futur secrétaire d’ambassade à Florence avait eu l’imprudence de qualifier le peuple italien de « poussière humaine. » Tant d’affaires, sommes-nous tentés de dire, pour la plus banale des rencontres ! Tant d’émoi pour une piqûre ! Mais c’est la piété d’une mère chrétienne qui s’alarme. Cette lettre nous renseigne mieux qu’aucun document sur l’atmosphère religieuse où Lamartine avait été élevé et à laquelle, tant que sa mère vécut, il n’échappa jamais complètement.

Le calme ne tarda pas à renaître. Les lettres d’Italie donnaient l’impression d’un perpétuel enchantement. Lamartine avait loué pour l’été à Livourne une villa au bord de la mer. « Cette délicieuse vie que vous nous peignez si bien, ce repos à l’ombre de vos figuiers et de votre vigne, comme les anciens patriarches, ces beaux vers religieux que tu y fais sûrement puisque tu fais des vers et que je verrai peut-être une fois, tout cela me charme. » (29 août 1828.) Et, en regard du tableau qu’on lui faisait de la campagne italienne, elle plaçait ce coin de paysage français, plein, pour celui qui y avait vécu, d’images familières et de souvenirs, a Donnez-moi, écrivait-elle, le plus de détails que vous pourrez sur tout ce que vous faites. Il faut bien aider mon imagination qui ne peut pas vous voir où vous êtes, comme vous nous voyez où nous sommes. Par exemple, moi, vous pourrez, sans beaucoup d’efforts, me voir bien souvent me promenant dans mon jardin, pensant à mes chers enfans, priant Dieu de les bénir, regardant ce chemin de la montagne avec un triste souvenir et une douce espérance, cueillant mes pommes avec plus d’intérêt en pensant que j’en conserverai peut-être encore pour vous. Voilà comme on rapporte tout à ce qu’on aime. » Peu à peu la situation de Lamartine grandissait ; à Florence, le grand-duc lui témoignait une faveur particulière ; à Parme, Marie-Louise l’accueillait et Neipperg le décorait[19] ; depuis le départ du marquis de la Maisonfort, il dirigeait seul la légation avec le titre de chargé d’affaires, et de beaux appointemens qu’il dépensait au quadruple pour faire fête « à toute l’Europe voyageante. » Ils étaient « tout à fait dans le grand momie, » comme on disait à Mâcon, où l’on ne laissait pas d’être un peu ébloui par tout cet éclat, et inquiet du contraste que ferait au retour la platitude de la vie provinciale : « Nous vous suivons dans toutes vos fêtes, nous jouissons de tous vos succès… Je ne sais si je n’aurai pas un peu peur de vous, quand vous aurez été en société si intime avec tant de gens célèbres en tout genre. Je n’aurai autre chose à vous dire, si ce n’est que je vous aime de tout mon cœur. Mais ce sera assez pour vous plaire, ma chère Marianne. » Les compatriotes de ce poète qui faisait si belle figure dans les cours princières, commençaient à être fiers de leur grand homme ; ils le fêtaient chaque fois qu’il venait passer parmi eux son congé de diplomate. La mère de Lamartine conte à ce sujet une charmante anecdote : « Il y avait jeudi un jeune homme qui était dans un enthousiasme à perdre la tête. Il ne savait comment faire pour voir Alphonse. Il était venu plusieurs fois à la porte de la maison, sans oser sonner ; quand il passait devant, il était son chapeau et quand on lui demandait qui il saluait, il disait : « Je salue la demeure de Lamartine. » Enfin on m’a demandé la permission de l’amener à l’assemblée. Il était transporté. Alphonse lui a dit quelques vers, ce qui a été le complément de son bonheur. Il disait : « Je le savais par cœur, je voulais le voir, je l’ai vu et je l’ai entendu ! Cette soirée sera l’époque la plus mémorable de ma vie. »

Il n’y avait qu’une ombre à ce tableau si séduisant : la question d’argent. C’était, pour la mère, — qui se souvenait et qui prévoyait, — le grand sujet d’inquiétude, l’empoisonnement de tout son plaisir. A la mort de son oncle l’abbé, survenue en 1826, Lamartine avait hérité du beau domaine de Montculot. Il avait, contre l’avis de toute la famille, voulu le garder. Et tout de suite il s’était mis à le réparer : « Ces grands bois de Montculot, ce beau château ; tout cela me fait bien peur, je ne veux pas y penser. » Mais le moyen ? Lamartine ne venait-il pas d’acheter une maison à Florence, d’y mettre les ouvriers, et, pour faire face à cette nouvelle folie, n’était-il pas obligé d’emprunter ? Cela, au moment où il songeait à quitter non seulement la Toscane, mais la « carrière ! » Ce projet de démission était le seul où la mère eût bien de la peine à s’accorder avec son fils. Elle feignait de baisser pavillon. « Je partage, je t’assure, écrivait-elle en 1828, ta manière de voir relativement à recommencer le métier de secrétaire d’ambassade. Je conviens qu’à ton âge, et de la manière dont tu es placé dans la société, ce n’est guère plus convenable. Seulement il est fâcheux, si tu ne peux pas espérer sans cela d’être ministre un jour à Luques ou à Florence. Mais à la grâce de Dieu ! J’ai besoin de pratiquer la première le conseil que je donne souvent de s’abandonner à la Providence, sans vouloir trop prévoir l’avenir. » C’est ainsi que, de Mâcon à Florence, l’entretien se poursuivait. On continuait de vivre dans la même intimité qu’autrefois. Et tel est le double intérêt de ces lettres : outre qu’elles nous apportent le reflet de la vie en Toscane, elles nous font mieux comprendre comment l’image de la terre natale restait toujours présente à l’esprit du voyageur. C’est de leurs pages que se dégageait cette intime poésie dont Lamartine a fait les vers de Milly.


L’ « ÉCLAT DE RÉPUTATION TOUJOURS CROISSANT »

Lamartine avait de toutes manières et parfaitement réussi à Florence. Pendant les dix mois où il dirigea seul la légation, il avait fait ses preuves de tact et d’habileté[20]. C’est pourquoi, lorsqu’il quitta l’Italie, ne pouvant s’entendre avec le nouvel ambassadeur, le baron de Vitrolles, et qu’il vint à Paris, pour rendre compte au ministre de sa mission et recevoir du Roi l’audience d’usage, il trouva sa situation singulièrement grandie. On songeait à lui pour les premiers postes, et loin que son rôle de diplomate eût nui à sa réputation d’écrivain, son nom était sur toutes les lèvres.


9 octobre 1828[21].

Un mot seulement, ma chère Marianne, entre cent mille visiteurs et affaires. Je me porte bien et je vous aime… Au ministère, on m’accueille à ravir, M. de Rayneval est parfait. Il n’y a pas de doute qu’avant cinq ans je ne sois ministre. On m’enverra d’abord à une des grandes Cours du Midi ou peut-être à Londres. Je vais insister sur ce dernier point qui m’arrangerait mieux qu’un autre par sa proximité. Je suis un peu ruiné par mes comptes ici comme là-bas, et je suis forcé de donner mille francs à cette pauvre famille de ce brave J… qui vit dans la détresse. C’est une œuvre indispensable et qui nous sera rendue là-haut.


10 octobre[22].

Bois le Comte qui est maintenant à la tête de l’intérieur de notre ministère sort de chez moi. Il est venu me dire que l’intention du ministère était de m’envoyer à Londres en premier où je convenais éminemment, mais que le Roi ayant demandé impérativement la place pour M. le comte de Vaudreuil, on me demandait si je voulais aller de suite en Espagne comme secrétaire provisoire, ou, dans le cas où je trouverais ce poste au-dessous de moi, comme on s’y attendait, me promettre Londres après M. de Vaudreuil qui assure ne devoir pas y rester plus d’un an ou dix-huit mois, après quoi il a parole du Roi de passer ministre. J’ai répondu que, si on me nommait définitivement à Madrid, je partirais à l’instant, ne voulant rien mettre avant mon devoir, mais que l’expectative de Londres était tout ce que je pouvais désirer et demander de mieux. C’est entendu ainsi et m’arrange infiniment. Je n’ai qu’à me louer de la façon dont je suis apprécié et traité, car passer de rien à Florence, de Florence au premier poste de Londres, et de Londres ministre, est la plus belle manière de faire sa route. Prions Dieu que les bonnes dispositions continuent avec les mêmes hommes ou les hommes de cette même société !

Je vois tous mes amis importans. Nous dînons ce soir chez Mme de Montcalm avec MM. Pasquier, Portai, Mounier, Pozzo di Borgo, Rayneval et Villemain. Je les ai vus ce matin toujours bons amis. Je travaille pour J… Nous avons samedi un grand dîner de pure littérature chez Emile Deschamps que tu connais. Je suis au mieux avec ce tourbillon de monde. Ma chambre ne désemplit pas, quand j’y suis, de connus et d’inconnus. C’est une procession.


Dimanche, 19 octobre[23].

Je reçois ta lettre, mon cher ange. Je crois comme toi que plus de la moitié de mon absence est écoulée. Je ne reste pas pour mon plaisir, tu le sais. Je ne soigne ni dames de Lyon, ni dames de Paris, ni dames de Florence. Je ne soigne que mon ami Fido, et je ne fais que vingt visites par jour, et cependant je suis toujours en arrière.

Je viens d’être souffrant ces deux jours d’une espèce d’indigestion avec lièvre. J’ai fermé ma porte et suis resté au lit sans manger ni boire. Cela m’a guéri tout seul. Mon ami Alain vient tous les jours bavarder une heure avec moi et voilà toute ma médecine.

Londres est une affaire arrangée. Je ne peux pas être plus content que je ne le suis du ministère, de M. Rayneval surtout : Bois le Comte aussi à merveille. Toutes les personnes que nous avons reçues à Florence nous ont fait une renommée superbe et viennent s’écrire chez moi.

Je vois le duc de Rohan souvent.


L’ « affaire arrangée » ne devait pas aboutir, non plus que celle de Grèce dont il sera question plus tard. Lamartine, en attendant, coupe ses bois à Montculot, répare ses routes, commande à des équipes d’ouvriers, à l’aise dans ce rôle de grand propriétaire terrien qu’il aimait. Il fait des vers aussi, trace une fois de plus le plan du fameux poème ; puis il vient à Paris.


Mercredi 3 juin, Paris (1829).

On m’offre 40 000 francs de mes deux volumes. Je retarde, pour ne rien donner d’indigne, jusqu’au printemps prochain. On m’aime toujours et m’accueille bien partout. Je n’ai rien à désirer sous ce rapport. Hier, chez Hugo, un jeune homme qui causait avec moi sans savoir qui j’étais, s’est trouvé mal d’émotion quand on est venu à me nommer. Il est tombé tout en larmes, et suffoquant sur sa chaise. Je n’ai jamais vu la poésie produire un effet si profond.

Ma mère court Paris et s’amuse.

La mère de Lamartine était en effet alors à Paris, où elle jouissait passionnément de la gloire de son fils. Elle assistait, avec lui, à la fameuse lecture du Moïse de Chateaubriand, comme elle l’écrit à sa belle-fille :


Ce mardi, 23 juin.

Nous avons eu dimanche une soirée très curieuse chez Mme Récamier. C’était une lecture d’une tragédie de M. de Chateaubriand, où étaient tous les gens célèbres de l’époque. J’étais fort aise de voir cela. M. de Chateaubriand est venu hier faire une visite à Alphonse, et M. Villemain doit lire aujourd’hui de ses vers à son cours. C’est des fragmens de l’Harmonie de la Prière dans un temple. C’est fort beau. Il est ici dans un éclat de réputation toujours croissant[24].

Hélas ! C’étaient les dernières joies d’une vie qui aurait pu être longue encore, et qu’un accident allait brusquement interrompre.


LA MORT DE LA MÈRE

Pour blessé qu’il fût des procédés de quelques académiciens à son égard, Lamartine n’avait cessé de croire que sa place fût marquée à l’Académie française. Au début de 1826, il s’adressait à Mathieu de Montmorency pour savoir de lui, s’il devait entrer de nouveau en campagne. Quelques mois plus tard, et justement à propos du fauteuil de Montmorency, il écrivait à Mme de Lamartine : « On a nommé à l’Académie M. Guiraud. Il ne paraît pas qu’il ait été question de moi du tout. Je ne sais ce qu’aura pensé Vignet. J’aurais été flatté de faire l’éloge de M. de Montmorency que je sens dans mon cœur ; mais du reste je ne tiens plus à faire partie d’une agrégation ainsi composée et jugeant ainsi (16 mai 1826). » Après la mort de Daru, à l’automne de 1829, les amis de Lamartine jugèrent que l’heure avait enfin sonné. Ils obtinrent que le poète posât sa candidature, — mais non pourtant qu’il vînt faire ses visites ! Rien ne put vaincre sa répugnance : il ne céda ni aux pressans appels des patrons de sa candidature, ni au courroux de son père. Il s’était juré de ne pas s’exposer une seconde fois aux humiliations dont il avait gardé l’amer souvenir : il se tenait parole. Il fut élu le 5 novembre.

Il n’avait pas voulu solliciter ses juges ; mais il convenait qu’il remerciât ses nouveaux confrères. Il arriva à Paris sans tarder. C’est pendant son absence que sa mère allait mourir à Mâcon. Elle succomba à des brûlures qu’elle s’était faites au bain. Sa belle-fille, qui était auprès d’elle, n’osa pas annoncer tout de suite l’affreuse nouvelle à Lamartine. Elle lui écrivit une lettre afin de le préparer, en même temps qu’elle priait Virieu de choisir son moment pour lui dire toute la vérité. On a inséré dans la Correspondance du poète les deux lettres que Mme de Lamartine adressait à Virieu les 18 et 19 novembre, toutes pleines de recommandations minutieuses et si touchantes ! Elle en avait joint une pour son mari contenant tous les détails des dernières heures. Les quelques billets qui vont suivre, tracés à la hâte par Lamartine, nous font assister aux pénibles scènes, et nous rendent témoins de son émotion. Il est précisément à l’une de ces minutes où la destinée semble ne plus vouloir que sourire. Il vient d’être élu : il subit la griserie du succès et des félicitations. Les premiers billets sont d’un ton exceptionnellement joyeux.


13 novembre, 1829.

J’arrive en bonne santé et sans accident. J’ai déjà, depuis huit, jours, trente visites par jour. Je n’ai vu qu’Alain. Les journaux sont pleins de choses flatteuses et même trop flatteuses, insolentes pour l’Académie. — Virieu est à Paris. — J’ai un charmant logement et une voiture pour moins me tuer. Adieu.

Ton Alphonse.


15 novembre.

Ma chère Marianne,

Ma première et dernière pensée du jour sont à toi. Tout va bien. Je cours du matin au soir et voudrais pouvoir arrêter l’aiguille des pendules pour avoir plus de temps. Les distances en mangent trop à Paris. J’ai dîné hier chez M. Lainé, qui est plus joyeux que moi. Il n’a pas dormi de quatre jours. Je verrai le prince de Polignac demain…


Puis voici les mauvaises nouvelles qui arrivent graduellement :


Paris, mercredi.

Ce que tu me dis de maman, ma chère Marianne, m’inquiète, ou du moins m’afflige beaucoup. Tiens-moi bien au courant, et dis-moi tout de suite s’il y a inquiétude ou non. Je laisserais tout et partirais à l’instant…

Rien de nouveau ici. Courses de visites, affaires, libraires, Académie, politique, amitiés, connaissances sans fin.

Je dîne chez le prince de Polignac ce soir. Je vois les Virieu, Raigecourt, Vignet, etc.

L.

Du 19 au matin. — Je rouvre ma lettre pour te dire que le prince de Polignac me parle d’aller ministre en Grèce. N’en parle qu’à la famille : cela nous arrangerait. J’y ai dîné hier et j’y dîne aujourd’hui tête à tête. La princesse me plaît beaucoup et me comble. Adieu ! J’attends le courrier pour des nouvelles de maman. Dis-moi le vrai. Voici aussi un mot pour maman où je lui prête un peu d’argent. N’en dis rien.


Jeudi, à deux heures.

J’apprends le triste état de ma mère par Virieu. Je redoute tout. Je pars à l’instant. Envoie-moi quelqu’un à Chalon à l’auberge du Duc de Bordeaux pour m’apprendre plus tôt ou la guérison, ou… Je ne puis arriver ainsi sans savoir. Juge comment je suis.

— Je ne puis avoir des chevaux avant la nuit. La lettre ira plus vite que moi.


Jeudi, à trois heures.

On vient de me dire la nouvelle affreuse. Je fuis tout. Ne m’envoie personne. J’irai. Mais, grand Dieu ! arriver là ! Ah ! je n’irai pas vite !

Tranquillise-toi. Je remets tout en Dieu ! Ah ! mon pauvre père !


Chalon, dimanche au soir.

Nous sommes ici, ma chère Marianne ; mais je ne puis arriver de jour dans cette maison si vide d’elle. Nous arriverons entre cinq et six heures… Je me résigne à la céleste volonté. Une telle fin, quoique si cruelle pour notre avenir, est si belle, qu’elle donne de la sérénité et du courage pour la supporter. Je pense à mon père, à toi, à Julia, et je pense qu’elle veut que je vous reporte tous les sentimens que je lui portais sur la terre, hors ceux qui lui sont consacrés dans le ciel. Que tu as été admirable ! Une j’ai été heureux au moins d’être remplacé par un ange comme toi ! Adieu. Adieu Amédée a été bien bon pour moi, ainsi que mes amis de Paris. Amédée est avec moi.


Un mois après, pour exaucer un vœu de la morte, Lamartine la fit transporter de Milly où elle avait été inhumée, à Saint-Point. Dans l’Épilogue du Manuscrit de ma mère, rédigé par Lamartine en 1858 et qui ne parut qu’en 1871. Lamartine écrit : » Les paysans de Milly devaient venir un à un et sans bruit emporter sur leurs épaules, à travers quatre heures de marche, le corps de leur dame. A minuit, nous nous mîmes en route à pied, dans une couche profonde de neige glacée. » Il est très curieux de confronter avec ce récit les billets écrits de Saint-Point par Lamartine à sa femme.


Dimanche soir.

Je viens d’arriver sans fatigue. Mais les chemins seraient impraticables pour des chevaux. J’ai organisé des bœufs depuis Milly jusqu’ici. Le corps sera déposé dans la chapelle souterraine jusqu’à ce que la nôtre soit faite…

Je n’assisterai pas au moment même dans l’église.

Mais je reste ici jusqu’à mercredi matin. Ne te tourmente pas. C’est une consolation immense pour moi.

J’envoie cette lettre à Milly pour que les vignerons te la remettent demain soir.


Mardi, à midi.

Je te remercie. J’ai reçu ta lettre. La triste et cependant consolante cérémonie a eu lieu avec toutes les convenances et l’assistance de tout le pays. Le corps est déposé dans la chapelle souterraine. J’ai versé bien des larmes, mais au moins elles ne sont pas accompagnées d’horreur comme sur la terre de Mâcon.


Dans ces billets, écrits sur l’heure, il n’est pas fait allusion à cette circonstance pourtant très frappante : Lamartine suivant, la nuit, le cercueil porté à bras d’hommes. Il semble plutôt que, ne pouvant supporter la vue du cercueil maternel, même au moment de la descente en chapelle, Lamartine soit allé à Saint-Point et y ait attendu la dépouille mortelle, transportée par un de ces attelages de bœufs très usités dans la région[25].

Comment donc expliquer l’erreur de souvenir que contient le récit de l’Epilogue ?

Mais Lamartine est de ces poètes qui prennent dans les émotions de leur propre cœur la matière de leurs chants les plus beaux. En écrivant Jocelyn (1831-1836) il était tout plein de sa douleur récente. La « mort de la mère » occupe toute une époque de son poème, la septième. Il y a dans Jocelyn des funérailles, celles de Laurence. En les décrivant, Lamartine ne s’est pas fait scrupule de mêler à ses souvenirs les traits que lui fournissait son imagination :


Quatre hommes des chalets sur des branches de saules,
Étaient venus chercher le corps sur leurs épaules ;
Nous partîmes la nuit, eux, un vieux fluide et moi…
C’était une des nuits sauvages de novembre.


Les grands créateurs ne savent plus bien où ils commencent à imaginer, où ils finissent de se souvenir. Les créations de leur esprit égalent en intensité les spectacles de la vie réelle. Est-il impossible que Lamartine venant, après vingt-huit années, à raconter les funérailles de sa mère, les ait revues à travers la transcription poétique qu’il en avait lui-même donnée ?


COMMENT FURENT COMPOSÉES LES HARMONIES

C’est à la Toscane que nous devons les Harmonies. Dès les premiers temps de son séjour, et désespérant de mener à bien, au milieu des occupations de sa charge, le grand poème aux perspectives décevantes, Lamartine commence une série de pièces lyriques, toutes pénétrées d’un même sentiment, et accordées à l’état qui est alors celui de son âme. Ce sont les Méditations encore, mais transportées dans un autre cadre de nature, et baignées d’une autre atmosphère morale. Le génie est le même, mais les circonstances et le milieu extérieur et intérieur ont changé. Les deux premiers recueils lyriques de Lamartine enveloppés de nos brumes d’automne, ou réchauffés par les brises voluptueuses de Naples, et qui contiennent des pièces d’inspirations et d’époques si différentes, témoignent d’une conscience troublée et d’une destinée incertaine : au contraire, on sent partout l’unité de dessein à travers ces Harmonies que le poète écrivait dans l’air pur de Toscane et dans la paix de son âme.

Les premières semblent avoir été inspirées par des visites aux églises. Lamartine aimait ces églises d’Italie et les préférait à nos cathédrales. On sait quelle avait été, à Rome, son admiration pour Saint-Pierre. Il alla de même errer souvent dans les belles nefs de Florence. L’Invocation, placée en tête du recueil, l’Hymne du soir dans les temples, un des premiers composés, témoignent de ces rêveries pieuses. C’est bien là qu’a dû naître l’idée même des Harmonies. Lamartine avait été jusqu’ici le poète de la montagne, du vallon, du lac, de la mer ; l’inspiration va lui venir cette fois, non de la Nature, mais du Temple.

L’impulsion est donnée ; désormais la rêverie du poète ne cessera plus de suivre la même pente. A Livourne, dans l’été de 1826, il se retrouve au bord de la Méditerranée ; la chanson de ses vagues lui est familière : il écrit Poésie dans le golfe de Gênes. Une lettre inédite du poète à son beau-frère de Montherot et datée du 27 septembre 1826 contient le récit d’une visite à l’abbaye de Vallombreuse : c’est le germe de la pièce intitulée de ce nom. Au mois de janvier 1827, l’éboulement d’un rocher ayant ruiné Tivoli et anéanti les Cascatelles, le poète saisit cette occasion de faire quelques vers flatteurs en réparation à l’Italie et de célébrer cette terre des souvenirs. La Perte de l’Anio portait en manuscrit la mention : 19e Harmonie. Cette Italie dont Lamartine admire les merveilles, ne lui fait pourtant pas oublier l’aride et cher Milly. Il se sent quand même un étranger dans ce « paradis de Toscane. » Comme il arrive chaque fois que nous nous éloignons du coin de terre qui garde nos plus intimes souvenirs, il comprend, mieux qu’il n’avait jamais fait, de quelle espèce sont les liens qui l’attachent à son pays d’origine. Milly ou la Terre natale, qui portait la mention : 17e Harmonie, était copié et mis au net le 25 janvier 1827. Cependant une nouvelle, celle du retour de Xavier de Maistre en Savoie, une lettre d’un ami d’enfance, Guichard de Bienassis, ramènent l’imagination de Lamartine à cette Savoie, à ce Dauphiné, eux aussi peuplés pour lui de souvenirs, et lui dictent le Retour et la Vie cachée. Au printemps de 1829, à Saint-Point, il ébauche l’Hymne au Christ. Comme la solitude de Saint-Point, ses grands bois de Bourgogne l’inclinent à la tristesse, à une heure où peut-être, si près de la mort de sa mère, le poète, qui croyait aux pressentimens secrets, sentait sur lui cette


Ombre des mauvais jours qui parfois les devance.


C’est à Montculot, dans l’automne de 1829, qu’il écrit les Novissima Verba, cri de détresse d’abord intitulé Job. Au mois de mai 1830, il n’avait plus qu’à corriger ses épreuves.

A mesure qu’il les a composées, Lamartine envoie ses Harmonies, souvent par fragmens, à quelques lecteurs de choix, dont l’opinion compte seule à ses yeux. Avant tous les autres, Aymon de Virieu. Celui-ci, aussi bien que son ami et son confident, est son guide littéraire. Le poète a dans sa critique une confiance entière. Et il n’y a pas de doute que Virieu n’ait, par son goût propre et sa conception personnelle de la poésie, influé profondément sur le génie de Lamartine. Ce goût nous le connaissons, et c’est le goût classique au sens large du mot[26]. Virieu est l’ennemi de toute rhétorique, — pareillement de la rhétorique surannée des poètes de la fin du XVIIIe siècle et de la rhétorique nouvelle que les romantiques sont en train d’accréditer. Il n’apprécie ni la Perte de l’Anio, ni les vers à Bienassis. Lorsqu’il les trouvait bons, Virieu était prié de montrer les vers de son ami à tels connaisseurs jugés dignes d’en avoir la primeur : le Désir à Lamennais, le morceau final du Paysage dans le golfe de Gênes et le commencement de la Pensée des Morts à l’amie de Lamennais, Mme Yemenitz. En tout cas, il devait les faire parvenir à Mâcon où on les admirait avec d’autant plus de ferveur, depuis que le caractère en était tout religieux. Une lettre de Mme de Lamartine à sa belle-fille traduit l’impression que firent les premières de ces hymnes lues dans le cercle de famille. C’était en mai 1826. Lamartine venait d’arriver à Mâcon :

« Il n’était nullement fatigué de son voyage ; il nous a dit des vers qui nous ont enchantés ; son talent est encore grandi ; puis, il est si admirablement employé dans ces belles hymnes qu’il paraît plus grand encore ! Combien celle du Soir est ravissante ! Comme elle élève l’âme, comme elle touche, comme elle pénètre de sentimens religieux ! Je l’ai entendue trois fois, et je voudrais l’entendre toujours ! Nous en étions tous enchantés, son père, ses oncle et tante, M. de Montherot, ses sœurs ; et les plus connaisseurs n’ont pas trouvé un mot à reprendre, et tous étaient émus aux larmes. Il nous a dit quelques fragmens du Matin, délicieux ; mais, par malheur, il ne les avait que dans sa tête et imparfaitement. Il dit avoir voulu les apporter et s’être trompé de livres, ce qui nous a bien fâchés. Quand vous aurez le temps de les copier, et une occasion pour les envoyer, vous nous ferez un grand plaisir ; nous voulons tous les apprendre par cœur [19 mai 1826]. »

On a souvent reproché à Lamartine de ne pas assez travailler ses vers et d’avoir horreur des corrections. Il ne mérite qu’en partie ce reproche. Et nous allons pouvoir ici, en nous servant du manuscrit de Milly que possède M. Ch. de Montherot, initier le lecteur à ce travail de corrections que faisait Lamartine d’après des critiques qu’il avait lui-même sollicitées. En envoyant l’Harmonie à son beau-frère, à qui elle est dédiée, Lamartine priait celui-ci de copier ses vers, d’en envoyer l’original ou la copie à sa mère, et de les lire à Virieu, mais de ne les communiquer à personne autre, ces vers étant pour eux seuls. Il lui demandait comme un service d’ami d’y faire rigoureusement les corrections nécessaires pour son goût propre, lui promettant d’en tenir compte et pour cette Harmonie et pour les suivantes. La comparaison du texte imprimé en 1830, avec l’original de 1827, est des plus instructives.

Dans l’original comme dans la version définitive, le poète, au début de cette pièce consacrée à la terre natale, en évoquait les montagnes voilées de brouillard, les vallons tapissés de givre, les saules, les vieilles tours, les murs noircis par les ans, la fontaine où puisent les pasteurs. Puis venaient ces quatre vers :


Sommets où le soleil brillait avant l’aurore,
Prés où l’ombre du ciel glissait avant la nuit,
Airs champêtres qu’au loin roulait l’écho sonore,
Ruisseau dont le moulin multipliait le bruit !


Ces jolis vers ont été supprimés, sans doute parce qu’ils faisaient répétition ou longueur. Une autre suppression est beaucoup plus digne de remarque. On sait par cœur les vers fameux où le poète célèbre les beautés de la nature italienne ; « J’ai vu des cieux d’azur où la nuit est sans voiles… » Et ce sont les flots… les caps dentelés… les montagnes neigeuses qui se réfléchissent dans le miroir des lacs… Ici se plaçait un développement sur les palais avec jardins à l’italienne :


J’ai fréquenté des rois les superbes asiles,
Lieux où la volupté Se repose des villes,
Où pour tromper le cœur et charmer les regards
Le faste fait lutter la nature et les arts ;
Où la pierre affectant les grâces du bocage
Jette sur les frontons des rameaux de feuillage
Et pour éterniser un sens de volupté
Prend et garde à jamais les traits de la beauté,
Où l’onde que répand la nymphe demi-nue
Invite au doux sommeil que sa chute insinue,
Où le rocher de marbre arraché de ces monts
Prend pour flatter les pas le poli des gazons,
Où sur le frais gazon d’une feinte prairie
L’arbre même exilé se trompe de patrie,
Et dans le tiède abri de dômes toujours verts
Des couleurs du printemps pare encor les hivers…


Ces vers parurent à M. de Montherot tout à fait fâcheux : il y retrouvait le genre maniéré des petits poètes du XVIIIe siècle ; il en déplorait les faux brillans, l’afféterie, et concluait à rayer tout le passage « impitoyablement. » Le conseil était bon ; Lamartine le suivit. Sur plusieurs points encore il se rendit aux avis du même critique. Il avait parlé des « saules dont le tonseur effeuillait la couronne ; » il remplaça l’expression bourguignonne de tonseur par le mot français « émondeur. » Il avait donné aux indigens des « toits d’ardoise ; » le chaume plus modeste remplaça l’ardoise trop opulente. En revanche il ne voulut pas renoncer à l’épithète de « souterrain » appliquée au cri de la cigale. Il ne tint non plus de compte d’une objection, qui pourtant venait de son père. On avait lu en famille les vers de Milly ; on les avait discutés. À l’endroit où le poète parle de ces souvenirs qui, le jour où la maison passerait aux mains de propriétaires étrangers, s’enfuiraient


Comme un nid de colombes
Dont la hache a fauché l’arbre dans les forêts
Et qui ne savent plus où se poser après.


M. de Lamartine de Prat s’exclama : « Comment ! une hache qui fauche, et qui fauche un arbre !… Dans les forêts ? Les colombes peuvent se poser sur un autre. » Lamartine maintint le passage. En somme, la pièce originale contenait un groupe de quatre vers et un groupe de seize vers qui n’ont pas été conservés ; en revanche, le texte imprimé en contient quatre qui n’étaient pas dans la première rédaction. Quant aux corrections de détail, mots changés ou vers remaniés, nous en avons relevé jusqu’à quatre-vingts. Elles sont heureuses pour la plupart. Signalons seulement un procédé très caractéristique du travail que fait Lamartine sur l’expression. Le premier jet lui fournit presque toujours le mot qui suggère un détail réel, et enferme un sens concret ; à l’heure des retouches, il y substitue un terme plus vague. Il avait d’abord écrit :


Humbles toits que l’enfant aimait à voir fumer.


Et il était lui-même cet enfant, qui se souvenait d’avoir vu la fumée monter au-dessus du toit paternel. À cette expression il en préfère une moins précise, et il corrige en : « Toits que le pèlerin… » De même, il avait dit :


Et que l’oiseau du ciel vienne bâtir son nid
Aux lieux où notre mère eut autrefois son lit.


Ce dernier vers est devenu :


Aux lieux où l’innocence eut autrefois son lit.


Il n’est personne aujourd’hui qui ne préférât, dans ces deux cas, le terme original. Mais il faut prendre tel qu’il est le style « lamartinien. » — Et la plus précieuse « correction » fut faite par la mère du poète. En décrivant la maison natale, Lamartine, par un procédé habituel à son imagination, y avait « ajouté » un lierre qui n’existait pas dans la réalité. L’excellente femme souffrit de ce petit mensonge poétique. Ne voulant pas que son fils eût menti, même pour donner une couleur de plus à un tableau imaginaire, elle planta de ses propres mains un lierre à l’endroit où il manquait.

Mais combien les conditions de vie, l’état d’esprit où se trouve Lamartine pendant les années que nous venons de parcourir, nous font comprendre le genre d’inspiration des Harmonies. À cette époque unique, il est arrivé à réaliser en lui cette espèce de sérénité de l’âme, qu’il avait si longtemps souhaitée. On connaît la profession de foi adressée naguère à Virieu, et où il déclarait se marier « par religion » et vouloir s’enchâsser dans l’ordre établi avant nous. » Ce bonheur, sérieux et grave, Lamartine maintenant le possède. Le vif amour qu’il a ressenti pour sa femme, au temps de Naples et d’Ischia, se continue par une affection profonde et délicate. Il a près de lui la grâce de sa fille, l’enfant charmante que tous admirent. Il s’est attaché à une carrière où il trouve un juste emploi de son activité, une situation sociale digne de lui, et une occasion de satisfaire ses goûts de vie large et d’hospitalité fastueuse. Très nerveux, et subissant vivement l’impression des lieux, il avait trouvé à Naples un enchantement des sens. A Florence, devant ces horizons mesurés, dans cette lumière presque spirituelle, parmi ces souvenirs d’art et de beauté pure qui le font songer à une Athènes moderne, ce qu’éprouva Lamartine, c’est une ivresse de l’intelligence. Parvenu à cet équilibre de ses facultés, dégagé des passions, à l’abri des aventures particulières de la sensibilité, le poète va exprimer ce qu’il y a en lui de plus général et de plus profond. Il donnera la vraie note de son âme qui est une âme religieuse.

On a quelquefois contesté la sincérité de l’émotion religieuse dans les Harmonies. Nul reproche n’est moins fondé. Lamartine est bien incapable d’exprimer un autre sentiment que celui qu’il éprouve et au moment où il l’éprouve. Plus justement, l’auteur d’un livre sur Lamennais et Lamartine[27], M. Christian Maréchal, vient d’établir, par de curieux rapprochemens, l’influence du christianisme de Lamennais sur plusieurs des pièces de cette époque, notamment sur l’Hymne au Christ. Mais, dans l’ensemble, ce n’est pas de ces impressions de lectures récentes que procède le christianisme des Harmonies. Il est d’une date bien plus ancienne. C’est celui-là même auquel sa mère le façonnait, lorsque


Sa voix pieuse et solennelle
Nous expliquait un Dieu que nous sentions en elle
Et nous montrant l’épi dans son germe enfermé,
La grappe distillant son breuvage embaumé…
Et ces astres des nuits que Dieu seul peut compter,
Mondes où la pensée ose à peine monter,
Nous enseignait la loi par la reconnaissance.


C’est ce christianisme poétisé par les souvenirs de l’enfant, attendri par l’émotion du fils, qui remonte aux lèvres de l’homme, dans le temps le plus apaisé de sa vie. De même, si l’amour apparaît dans les Harmonies, c’est presque uniquement sous les traits de Gaziella. Les émotions les plus anciennes, les images les plus matinales, les plus pures ou les plus épurées, affleurent dans l’âme du poète.

C’est le tréfonds de son cœur qu’il nous livre. Et c’est aussi bien une époque de sa vie intellectuelle et sentimentale qui s’achève. Dans les lettrée qu’on vient de lire, on trouve le Lamartine de toujours, avec son impétuosité de caractère, sa sensibilité excessive, sa bonté, sa délicatesse, sa libéralité, et aussi le Lamartine d’une période désormais terminée. En relisant ses vers pour en corriger les épreuves, Lamartine n’en fut guère content. Il n’y retrouvait plus l’émotion que quelques-uns lui avaient apportée quand il les écrivait. Ce n’était pas seulement cette désillusion qu’éprouve tout artiste en comparant son œuvre au modèle idéal qu’il portait en lui. Mais les Harmonies lui étaient devenues presque lointaines. Les sentimens et les idées qu’il avait mis dans son livre s’affaiblissaient en lui. Il se dégoûtait de la poésie, où il ne voyait plus qu’un enfantillage. Il se détachait du christianisme où sa pensée n’était plus à l’aise. Quelques faits hâtent cette rupture avec ce qui avait été jusqu’alors le tout de sa vie. La mort de sa mère — la plus grande douleur qu’il ait connue — fut pour lui un écroulement. La Révolution de 1830, qu’il avait prévue, et qui l’impressionna vivement, brisa les liens qui le rattachaient à tout un ensemble d’idées traditionnelles. Le Voyage en Orient va achever de le déraciner ; la mort de sa fille lui donnera un dernier coup. Sous toutes ces influences, un homme nouveau était en train de naître en lui.


RENE DOUMIC.

  1. Voir dans la Revue des 15 août et 1er septembre 1905 nos articles sur le Mariage de Lamartine.
  2. Mme Alphonse de Lamartine, à Mâcon.
  3. Mme Alphonse de Lamartine, rue Saint-Pierre, à Mâcon.
  4. Mme Alphonse de Lamartine, rue Saint-Pierre, à Mâcon.
  5. Mme Alphonse de Lamartine, rue Saint-Pierre, à Mâcon.
  6. Mme Alphonse de Lamartine, à Mâcon.
  7. A Mme Alphonse de Lamartine, à Mâcon. — de Plombières, 7 juin 1822. (J’ai à peine besoin d’avertir le lecteur que toutes les citations contenues dans cet article — lettres de Lamartine, lettres de sa mère, fragmens de la 17e Harmonie — sont inédites.)
  8. À Mme de Lamartine, à Mâcon, 29 août. « Ladvocat sort d’ici et n’a rien conclu. Lenormand est en pourparler aussi. Mais aucun n’a un sol de comptant. Je tiens bon, mais je crois que je remporterai le Socrate à Saint-Point. » A la même. Dimanche à cinq heures. « Eh bien, mon cher ange, tu m’as fait faire une sottise ! J’ai refusé les 6 000 francs de Socrate, et aujourd’hui je n’ai pu en avoir que le même prix en trois payemens : 2 000 mardi, 2 000 dans un mois, 2 000 dans deux ; mais j’espère mardi et mercredi pouvoir négocier sans perte et tout envoyer. C’est Ladvocat. À peine avais-je enfin donné ma parole ce matin, qu’une autre personne est venue me solliciter de le prendre pour six mille comptant à la minute. Ma parole était engagée. Je n’ai pas pu. Je le regrette bien. » Lamartine établissait ainsi le budget du ménage : « Nous voilà arrangés pour l’année prochaine assez bien d’ici au mois de janvier. Ta mère nous doit 8 400. Les Méditations 14 000. Socrate 6 000. Appointemens et pension 4 000. Saint-Point et Veydel 2 000. Chez La-hante 3 000. Naples 1 000. Total 38 400. Chez mon oncle 4 000. Cela nous fait 42400, d’où, en payant d’ici là dix mille, il nous restera une trentaine de mille francs disponibles à cette époque pour Montculot ou Paris. Nous n’avons vraiment qu’à remercier Dieu de ses soins miraculeux pour notre position ; et tu peux faire l’aumône sans te gêner. » (Le dernier trait vaut toute la lettre.)
  9. A Mme Alphonse de Lamartine, à Mâcon. Lamartine date, par erreur, du mois d’octobre.
  10. A Mme Alphonse de Lamartine, à Mâcon.
  11. Voyez, dans la Grande Revue du 15 mai 1905, la Première candidature de Lamartine à l’Académie française, par M. Pierre de Lacretelle.
  12. A Mme Alphonse de Lamartine, à Mâcon.
  13. Le docteur Alain, celui-là même qui avait naguère tenu Lamartine au courant de la maladie de Mme Charles. Voyez notre édition des Lettres d’Elvire à Lamartine.
  14. A Mme Alphonse de Lamartine, à Mâcon.
  15. Mme Alphonse de Lamartine, à Mâcon.
  16. Mme de Lamartine (Alphonse), à Mâcon.
  17. A Mme de Lamartine, Alphonse, à Mâcon. — De Paris, 14 avril 1825.
  18. Ce sont les lettres que Mme de Lamartine de Prat, la mère du poète, adressait à son fils et à sa belle-fille pendant leur séjour en Toscane, de 1826 à 1828
  19. Lamartine à Mme A. de Lamartine : « Je viens de recevoir la croix de commandeur de l’ordre de Saint-Constantin de Parme avec une lettre charmante de Neiperg. Ce soir, je vais passer l’avant-soirée seul avec le grand-duc. » (24 août 1828.)
  20. Voir : Lamartine diplomate, par le comte Ed. Frémy.
  21. A Mme de Lamartine Alphonse, à Mâcon.
  22. A la même.
  23. Mme de Lamartine, Alphonse, à Mâcon.
  24. A Mme de Lamartine chez Perret, sur la place, au café, à Aix-les-Bains, en Savoie.
  25. Cette conjecture s’accorde avec ce passage de la lettre à Virieu : « Je t’écris du fond de cette solitude où je suis venu me recueillir quatre ou cinq jours, absolument seul, la nuit où j’y fis apporter la dépouille, la relique de ce que j’aimais et regretterai le plus sur la terre… Je m’en vais demain comme je suis venu, à pied, par un pied de neige sur nos montagnes. » Saint-Point, 24 décembre. Corr. III, 183.
  26. Voyez une lettre d’Aymon de Virieu, à la suite des Lettres d’Elvire.
  27. Christian Maréchal, Lamennais et Lamartine, 1 vol. in-16 (Bloud).