Lamiel/26

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Texte établi par Casimir StryienskiLibrairie Moderne (p. 301-306).


CHAPITRE XXVI

CONCLUSION


Plan


Sous le règne de d’Aubigné-Nerwinde, elle devient libertine pour chercher le plaisir et pour se dépiquer, lorsqu’elle s’aperçoit que le comte joue toujours la comédie. Par vanité, naissante chez elle, elle veut se venger de la profonde indifférence du comte.

Sachant qu’il va à un dîner de la Tour de Nesles, où se trouve toute la bonne compagnie de l’Opéra, ces demoiselles, etc., et qu’après les avoir reconduites chez elles, on va au b…l, elle prend un masque de velours noir comme on en portait au XVIIe siècle et va se mêler aux filles de joie. Arrive le comte (on étend des matelas à terre), ces messieurs sont assis tout autour, ils blaguent ; d’Aubigné se met à parler d’elle, elle se démasque ; le comte, si audacieux en apparence, si fier de sa supériorité en tout, reste stupéfait.


Il y a ici une lacune dans la narration[1]. D’après le plan qui suit, on voit que Lamiel, sans doute dégoûtée de la société des d’Aubigné-Nerwinde, et peut-être poussée par la curiosité, a voulu connaître de près les héros voleurs et assassins dont les histoires l’avaient tant captivée autrefois à Carville. (C. S.)


Plan (suite)


Valbayre rouvre la porte un instant après que l’amant de Lamiel vient de sortir ; elle se cache pour lui faire une plaisanterie et voir ce qu’il vient faire ; elle voit Valbayre qui jette un coup d’œil et se met sans délai à ouvrir un secrétaire. Lamiel se présente à lui, il saute sur elle avec un couteau ouvert à la main, et la prend par les cheveux pour lui percer la poitrine ; dans l’effort fait, le mouchoir de Lamiel se dérange, il lui voit le sein.

— Ma foi, c’est dommage, s’écrie-t-il. Il lui baise le sein, puis lâche les cheveux.

— Dénonce-moi, et fais-moi prendre, si tu veux, lui dit-il.

Il la séduit ainsi. Voilà du caractère ! elle ne se dit pas cela, elle le voit et en subit les conséquences.

— Qui êtes-vous ?

— Je fais la guerre à la société qui me fait la guerre. Je lis Corneille et Molière. J’ai trop d’éducation pour travailler de mes mains et gagner trois francs pour dix heures de travail.

Quoique traqué par toutes les polices, et avec acharnement personnel, à cause des plaisanteries qu’il leur adresse, Valbayre la mène fièrement au spectacle ; cette audace la rend folle d’amour.

— Est-il donc possible que cet amour si vanté soit si insignifiant pour moi ? se dit Lamiel.

Enfin, elle connaît l’amour. Elle prend la fuite, vit avec Valbayre et l’aide dans un crime.

Valbayre est emprisonné, elle court des dangers. La bonne Mme Le Grand la cache dans une pension de jeunes demoiselles où elle entre comme sous-maîtresse ; elle y trouve Sansfin aide-médecin. Il veut se donner un titre auprès du duc de Miossens qui songe à Lamiel, parce qu’il est piqué de sa disparition (mais il est incapable d’amour et de passion). Sansfin lui dit qu’il croit avoir des données pour retrouver Lamiel, il s’agirait de dépenser cinquante louis ; il en soutire cent au duc. Le duc la revoit, elle s’ennuyait à la pension, elle accepte de se remettre avec lui, mais elle est toujours éperdument amoureuse de Valbayre. Les grâces apprises et la bonne éducation du duc luttent contre l’énergie et le génie inventeur de Valbayre. Horrible misère de celui-ci contrastant avec l’immense fortune du duc. À cette époque, Lamiel a assez de connaissance du monde pour juger bien des choses de la vie, aidée surtout de la fidèle amitié de Mme Le Grand. Lamiel est sombre, le duc la trouve de beaucoup meilleur ton.

Il est grandement question de marier le duc ; grandes indécisions de celui-ci (Martial)[2]. Il fait attendre pour la signature du contrat.

Sansfin dit à Lamiel : — Vous êtes une nigaude, le duc est tellement indécis que vous auriez pu empêcher ce mariage et l’épouser.

— Moi, être infidèle à Valbayre ! s’écrie Lamiel.

Lamiel a la fantaisie de voir la duchesse de Miossens dans son intérieur ; profond ennui de cette maison qui plaît à Lamiel, qui est sombre.

La duchesse va tellement découverte au bal, par esprit de contradiction contre la marquise, qu’elle prend une maladie de poitrine.

— C’est une personne confisquée, lui dit Sansfin ; si vous êtes sage et suivez mes conseils à la lettre, vous lui succéderez.

On ne met pas en doute le consentement du duc, Lamiel lui est devenue nécessaire. Lamiel pourrait avoir beaucoup d’argent et être utile à Valbayre.

Sansfin arrange la reconnaissance de Lamiel par un vieux libertin de l’école de Laclos, sans principes et sans un sou, M. le marquis d’Orpierre, né dans la haute Provence, vers Forcalquier.

Valbayre paraît devant la Cour d’assises ; il pouvait être condamné à mort, il n’est condamné qu’aux galères perpétuelles.

Valbayre fait ordonner à Lamiel par un forçat libéré d’aider une troupe de voleurs, ses amis, à voler le duc. On espère cinquante mille francs de cette affaire. Horribles combats. Lamiel résiste.

La duchesse meurt ; Sansfin marie le duc avec Lamiel et reçoit une grosse somme d’argent.

Le duc et la duchesse vont à Forcalquier. Le marquis d’Orpierre a reconnu une fille naturelle inconnue à tous ses amis. Le duc et la duchesse vont à Toulon, elle voit Valbayre enchaîné. Trois jours après, la duchesse quitte son mari, en emportant tout ce qu’il lui a donné.

Valbayre achète fort cher des papiers d’un gentilhomme allemand (il est de Strasbourg et parle allemand), il revient à Paris, assassine au hasard (comme Lacenaire), est condamné.

Lamiel incendie le palais de justice pour venger Valbayre ; on trouve des ossements à demi calcinés dans les débris de l’incendie, — ce sont ceux de Lamiel.



  1. Voir Appendice II, Caractère de Lamiel, p. 314.
  2. Martial Daru, voir note p. 194.