Lausanne à travers les âges/Climat/03

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Collectif
Librairie Rouge (p. 172-176).


III


Institutions philanthropiques.

En sa qualité de capitale du canton de Vaud, Lausanne est le siège de plusieurs établissements hospitaliers cantonaux ; mais l’officialité n’a point été seule à se préoccuper de la nécessité de venir en aide aux faibles et aux malheureux : l’initiative privée a secondé, et souvent précédé, l’action de l’Etat dans le domaine de la solidarité. Il ne nous est pas possible de présenter ici un tableau complet des efforts faits pour la solution des problèmes sociaux ; nous devons nous borner à quelques indications sommaires. Constatons que la plaie de la mendicité, qui déshonore tant de grandes et de petites villes, dans les pays qui nous entourent, n’existe pour ainsi dire pas à Lausanne. Cela tient en partie à l’aisance générale qui y règne, et à l’éducation donnée à la jeunesse, en partie à la fermeté de la police, et en partie aussi au zèle déployé par nos institutions charitables, ainsi qu’au discernement avec lequel elles remplissent leur mandat.

Ainsi qu’on l’a vu plus haut, les conseils de Lausanne avaient fait édifier, en 1766, au haut de la Mercerie un bel hôpital. Cette construction faite à l’instigation du Dr Tissot, occupait la place d’un ancien établissement analogue, dédié naguère à la Vierge Marie, qui existait déjà sous l’épiscopat de Guillaume de Champvent. Les services hospitaliers rentrant dans les attributions cantonales, l’État acheta de la ville, le 12 août 1806, son hôpital, et y installa les malades, les aliénés, les détenus, et les établissements de discipline pour jeunes gens et pour jeunes filles. On ne tarda pas à s’apercevoir des inconvénients résultant de la réunion, sous un même toit, de tant de misères physiques et morales, et en 1810, un hospice spécial pour aliénés fut aménagé dans le bâtiment du Champ-de-l’Air, sur la route de Berne. Quelques années après, un Pénitencier, qui passa longtemps pour un modèle du genre, fut construit sur la route de Chailly ; il fut inauguré en 1827. En 1847, une Colonie disciplinaire pour garçons fut créée aux Croisettes, et en 1869 une semblable pour jeunes filles fut établie à Moudon.

L’hospice du Champ-de-l’Air fut bientôt insuffisant pour le nombre des malades qu’il était appelé à recevoir ; il était du reste déplorablement installé. Des établissements beaucoup mieux compris, dus à l’initiative privée, avaient été créés à Préfargier et à Nyon. Le gouvernement vaudois ne voulut pas rester en arrière ; il acheta de M. Duvergier de Haurannes le beau domaine de Cery, situé à 4 kilomètres de Lausanne ; il y fit construire un Asile d’aliénés pouvant recevoir 500 malades, répondant à toutes les exigences de la thérapeutique moderne, qui fut inauguré en 1873.

En dépit des éliminations que l’on vient d’indiquer, l’hôpital de la Mercerie présentait de graves inconvénients, dont le principal était de se trouver au centre de la ville, dans un quartier bruyant et d’un accès difficile. Les malades qui l’occupaient furent provisoirement transférés au Champ-de-l’Air en 1873 et définitivement en 1883 dans des bâtiments construits ad hoc un peu au-dessus du Champ-de-l’Air. Le nouvel hôpital, qui fait l’admiration des visiteurs, comprend plusieurs corps de logis ayant chacun leur destination, il peut recevoir 470 malades. C’est dans son enceinte que se trouvent l’auditoire et le laboratoire d’anatomie pathologique de l’École de médecine. A l’hôpital cantonal est adjointe une École de sages-femmes.

Hôpital cantonal (1883)
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Le soin des malades est intimement lié à l’enseignement de l’art de guérir. Le Dispensaire, créé en 1893, sur la place Pépinet a été transformé en policlinique pour servir à la fois au soulagement des malades indigents et aux cours de thérapeutique ; un beau bâtiment, à la construction duquel la ville de Lausanne a contribué par un subside de 200 000 francs, vient d’être élevé à son usage sur la route de la Solitude. Cet immeuble contient aussi des locaux pour les services cantonaux de bactériologie et de contrôle des denrées et des boissons.

L’initiative privée s’est manifestée par la création de l’Hospice de l’enfance, fondé en 1861 par Mme Steinlen-Germond (fille du fondateur de l’institution de diaconesses de Saint-Loup). Grâce à la générosité de M. Charles Dapples, ancien pasteur, de son frère le syndic Dapples, et d’autres bienfaiteurs, il a été construit à son usage, sur la route d’Echallens, une maison hospitalière pourvue de 30 lits. A quelques pas de là a été créée, une œuvre non moins utile, c’est l’Hospice orthopédique, fondé en 1876 par le Dr ’Henri Martin, qui l’a dirigé près de trente ans avec une modestie et un dévouement à toute épreuve.

Dans le même quartier encore s’élève l’ Asile des aveugles, fondé en 1844 par Mme Elisabeth de Cerjat et William Haldimand. Cet utile établissement est connu au delà des frontières de la Suisse. Il comprenait primitivement deux sections seulement : 1° l’Institut pédagogique, qui eut pour directeur pendant 42 ans Henri Hirzel, figure très originale, très primesautière, qui fut l’âme de cette belle œuvre[1] ; à Henri Hirzel ont succédé Théodore Secretan et M. Maurice Constançon ; 2° l’Hôpital ophtalmique, qui eut pour chef pendant près de 30 ans le Dr F. Recordon, auquel succéda le Dr Marc Dufour. Deux autres sections furent ajoutées à l’asile, à savoir : l’Atelier pour aveugles adultes, créé en 1857 et l’Asile Recordon créé en 1895 pour recevoir les femmes aveugles adultes. L’Asile des aveugles possède un matériel d’imprimerie, avec lequel il a imprimé les Saintes-Écritures et divers manuels d’école ; il possède aussi une bibliothèque de plus de 300 ouvrages transcrits à la main en écriture Braille.

Tout récemment a été construit, sur la route d’Ouchy, l’hôpital de la Trinité, qui est tenu par des religieuses trinitaires. Cet établissement est surtout fréquenté par une clientèle française se recrutant généralement dans les classes aisées ; il reçoit aussi des indigents. A la différence des œuvres qui précèdent, c’est de l’étranger qu’il reçoit ses ressources.

Mentionnons encore Eben Héer, asile destiné aux enfants pauvres souffrant de maladies chroniques et incurables, ainsi qu’à des femmes paralysées ; L’Asile Boissonnet, fondé en 1873, par Mme Boissonnet, en souvenir de son fils tué en Valais par une avalanche ; cet établissement, situé à Vennes, est destiné à recevoir des valétudinaires des deux sexes ; L’Asile des vieillards, fondé en 1887, possède, à Chailly, un bel immeuble, où sont reçus des invalides de l’un et l’autre sexe. Trois autres établissements encore s’occupent des personnes auxquelles leur santé ne permet plus de gagner leur vie : c’est, d’une part, la Société pour le soulagement des incurables, fondée en 1827, qui relève de l’initiative privée ; c’est, d’autre part, l’Établissement cantonal des incurables et vieillards infirmes, institué par décret du Grand Conseil du 5 juin 1850 ; c’est, enfin, la Chambre lausannoise des pauvres habitants, dont la création remonte au dix-huitième siècle. Ces trois institutions placent leurs protégés en pension ou leur donnent des secours réguliers à domicile.

Citons aussi la Société pour réprimer les abus de la mendicité, fondée en 1853 ; le Bureau central de bienfaisance fondé en 1854, et la Buanderie Haldimand, dont J.-J. Lochmann[2] a été l’âme pendant de longues années.

Ce dernier établissement, qui rend de très grands services à la population ouvrière, était primitivement, en 1854, sur l’emplacement occupé par le Palais de Rumine, et il a été transféré à la rue de l’Industrie en 1893. Il comprend un lavoir, des chambres de bains, des douches et une piscine longue de 15 mètres, large de 9 mètres, d’une profondeur variant de 1 mètre à 2m60, contenant 200 000 litres d’eau maintenue à 270 et renouvelée fréquemment. Les élèves des écoles publiques et de quelques pensionnats y prennent chaque hiver des leçons de natation. Près de la buanderie l’administration communale a établi une étuve à désinfecter où l’on nettoie la literie et les effets des personnes ayant eu des maladies contagieuses. Ce service est fait d’office, par une équipe, munie de deux fourgons, l’un pour chercher les objets à désinfecter, l’autre pour les reporter à domicile ; il est gratuit pour ceux qui ne sont pas en mesure de le payer.

Le traitement des malades exige une préparation spéciale ; c’est dans ce but qu’a été établie, il y a une soixantaine d’années, l’Institution des diaconesses de Saint-Loup, qui fournit l’hôpital cantonal et plusieurs autres cliniques d’infirmières capables. Les sœurs de Saint-Loup restent attachées à la maison mère qui les envoie où elle le juge utile, et les reçoit quand elles tombent malades ou que l’âge ou les infirmités ne leur permettent plus de continuer leur travail. Cette institution rend de très utiles services, mais beaucoup de femmes ne se plient pas aux règles qu’elle a fixées ; c’est pour répondre à ce besoin d’indépendance qu’a été créée en 1859, par M. et Mme de Gasparin, l’École de garde-malades, de Lausanne. Les élèves de cette institution, dont le siège est à « la Source », chemin Vinet, une fois leur internat terminé, travaillent chacune sous leur responsabilité. Il y a en outre à Lausanne sous le nom de Béthanie une maison de diaconesses dépendant de l’Eglise méthodiste allemande.

L’enfance malheureuse devait naturellement solliciter l’attention des personnes s’intéressant à leur prochain. C’est ce sentiment bien naturel qui a déterminé, en 1726, la création des Écoles de charité due à l’initiative de l’orientaliste Georges-P. Polier de Bottens (1675-1759) le père du bourgmestre dont il a été question plus haut ; elles ont longtemps joué le rôle d’un séminaire de régents, jusqu’au moment où, en 1834, fut créée l’École normale cantonale. En 1871, les Écoles de charité se transformèrent en Orphelinat. En 1831, Th. Rivier, alors préfet de Lausanne, le ministre Jayet, le pasteur Monneron, le banquier van der Muelen et quelques autres personnes se rattachant au réveil religieux, fondèrent le Comité de Lausanne pour l’éducation de l’enfance abandonnée ; plus de 400 enfants ont été élevés par ses soins. La société de la Solidarité, créée dans le même but en 1882, s’est donné, en outre, pour tâche, de travailler à la solution des questions humanitaires. L’Institution cantonale en faveur de l’enfance malheureuse et abandonnée, établie par la loi du 14 août 1888, poursuit un but analogue. Elle place généralement à la campagne, dans des familles respectables les enfants qui, ensuite d’un prononcé du tribunal ou de la justice de paix, ont été soustraits à l’autorité de leurs parents.

Nous n’en finirions pas si nous voulions exposer tout ce qui se fait à Lausanne par les Diaconies, les Amies des pauvres, les Comités de relèvement, les Ouvroirs, la Crèche, la Caisse d’épargne et autres œuvres analogues. Ce que nous avons dit suffit à montrer les sentiments de bienveillance qui y règnent. Dans les institutions de l’initiative privée, les statuts prévoient généralement que les malheureux doivent être secourus sans distinction de religion ou de nationalité.

A côté des sociétés qui s’occupent de venir en aide à la vieillesse ou à l’enfance malheureuse, il faut citer aussi les sociétés de secours mutuels, qui ont ceci de remarquable, c’est qu’elles ne font pas appel à la générosité, mais bien à la prévoyance, elles tiennent, à ce point de vue, de la caisse d’épargne et de l’assurance. Les individus qui bénéficient des avantages qu’elles procurent sont les membres mêmes de ces sociétés, ces avantages consistent soit dans le paiement des frais médicaux et pharmaceutiques, soit dans le paiement d’indemnité journalière en cas de maladie. La plus ancienne de ces associations est la Société industrielle de secours mutuels, fondée en 1803, qui compte environ 300 membres. La plus importante est la Société vaudoise de secours mutuels, fondée en 1866, qui compte environ 7000 membres dans le canton, dont approximativement 500 à Lausanne. Mentionnons aussi des sociétés d’un caractère mixte, comme la Fraternité, qui adresse à la famille de ses sociétaires une somme de 1000 francs au décès de son chef, et la Paternelle dont le but est de pensionner les enfants mineurs de ses membres décédés.

B. van MUYDEN.


Entrée de l’Asile des aveugles.
  1. Pour renseignements plus complets nous renvoyons le lecteur aux articles que nous avons consacrés à Henri Hirzel dans la Famille de 1905, pages 337 et 361, Georges Bridel & Cie, éditeurs, et à la Notice historique sur l’Asile des aveugles de Lausanne que nous avons publiée chez MM. Corbaz & Cie, imprimeurs, en 1894, à l’occasion du jubilé de cet établissement.
  2. Né en 1802, à Hanau près de Francfort, d’une famille d’origine française, J.-J. Lochmann vint en Suisse en 1827, et acquit la naturalisation vaudoise en 1834. Grâce à l’accueil que lui fit Ch. Monnard, il ne tarda pas à trouver de l’occupation comme professeur à l’École normale ; il enseigna dans la suite au Collège de Rolle, puis au Collège cantonal. Il est mort dans sa quatre-vingt-seizième année. Il fit partie du Comité des écoles enfantines et de la Société vaudoise d’utilité publique ; il a été l’un des fondateurs de la Colonie agricole de Serix et de la Colonie du Châtelard. Étranger au canton de Vaud par sa naissance, il a rendu de grands services à la ville. de Lausanne et aurait mérité la bourgeoisie d’honneur. Il était devenu si bon Vaudois qu’en 1872, lorsque fut soulevée la question de la révision fédérale il disait avec un fort accent tudesque en parlant des Confédérés de Zurich : « Ah ces Zurichois, ils veulent nous germaniser ! »