Leçons élémentaires de chimie/16

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Belin frères (p. 94-102-103).

CHAPITRE XVI

LES MÉTAUX USUELS


Un métal usuel doit remplir deux conditions principales :

1° Il faut qu’il ne s’altère pas ou, tout au moins, qu’on puisse le préserver facilement des causes d’altérations ;

2° Il faut qu’on puisse le travailler sans trop de peine ; cette dernière condition repose sur plusieurs propriétés, telles que : la malléabilité, la ténacité, la ductilité, la dureté.

60. Altérabilité des métaux.

Nous savons que le fer se rouille à l’air humide, que les casseroles de cuivre se recouvrent de vert-de-gris, qu’un seau de zinc, un vase étamé, brillants quand ils sont neufs, sont vite ternis. Le même fait se produit quand on coupe un morceau de plomb ; la surface de la coupure, d’abord brillante, devient bientôt grise comme la surface extérieure. Toutes ces altérations des métaux sont dues surtout à des oxydations. Pour le fer, l’oxydation gagne l’intérieur du métal, qui en peu de temps est complètement rongé ; pour les autres, la couche superficielle formée préserve les parties intérieures, ce qui permet d’utiliser ces métaux. Le fer ne peut servir que s’il est recouvert d’une couche protectrice qui peut être du zinc (fer galvanisé), de l’étain (fer étamé), du nickel (fer nickelé) ou une peinture contenant du plomb (peinture rouge au minium). L’aluminium, le nickel, l’argent et l’or, inoxydables à l’air, sont naturellement très recherchés. Cependant les objets d’argent noircissent ; cet effet est dû à l’acide sulfhydrique ou gaz sulfhydrique, H2S, dont le soufre forme, avec l’argent, du sulfure d’argent noir. L’acide sulfhydrique se produit fréquemment dans les œufs, même lorsqu’ils sont encore bons, et se dégage souvent des foyers de houille.

Fig. 57. — Décomposition de l’eau par le potassium.
Fig. 57. — Décomposition de l’eau par le potassium.

Il y a des métaux si oxydables qu’on n’a pu en tirer parti. Tels sont le potassium et le sodium, à l’oxydation desquels on ne sait pas remédier. Ces métaux sont mous, et il suffit de les couper au couteau pour voir apparaître une surface brillante immédiatement ternie ; ils se transforment superficiellement en potasse et en soude (oxydes hydratés). Ils se combinent si facilement à l’oxygène qu’ils peuvent décomposer l’eau à la température ordinaire. Jetons un petit morceau de potassium sur une cuve à eau (fig. 57). Le métal, qui est plus léger que l’eau, surnage. On le voit tournoyer à la surface du liquide, au milieu d’une flamme violacée. Le potassium prenant l’oxygène de l’eau, la chaleur dégagée par leur combinaison suffit pour enflammer l’hydrogène dont la flamme est colorée en violet par des vapeurs de potassium. À la fin de l’expérience, la potasse formée éclate à la surface du liquide ; pour éviter les brûlures que produiraient les fragments projetés, on couvre la cuve d’une plaque de verre.

Nous voyons, par ce qui précède, que le potassium et le sodium ne peuvent être conservés ni dans l’air, ni dans l’eau ; on les conserve dans de l’huile de naphte qui est un carbure d’hydrogène. On ne peut les manier sans danger d’inflammation ; ils ne sont pas employés.

Outre l’altération des métaux à l’air et à l’humidité, on doit tenir compte, pour les usages domestiques, de l’action qu’exercent sur eux certains produits alimentaires. Ainsi le zinc décompose l’eau en présence de substances acides (analogie avec la préparation de l’hydrogène), comme le vinaigre, les fruits aigres, et forme des composés toxiques. Le cuivre et le plomb s’altèrent beaucoup sous l’action des acides ; l’aluminium est rongé par le sel marin. On utilise l’étain, qui s’altère peu, et dont les composés pris en petite quantité ne sont pas vénéneux, pour étamer les casseroles de cuivre. L’étain est trop fusible pour être employé seul ; l’étamage a permis d’utiliser le cuivre, qu’on recherche parce qu’il est le meilleur conducteur de la chaleur après l’argent. Les sels de nickel ne sont pas vénéneux, aussi fait-on de très bons ustensiles de ménage en nickel, mais leur prix est encore trop élevé.

61. Malléabilité.

Fig. 58. — Laminoir. — A, guide menant la plaque entre les deux cylindres ; B, vis servant à rapprocher les cylindres.
Fig. 58. — Laminoir. — A, guide menant la plaque entre les deux cylindres ; B, vis servant à rapprocher les cylindres.

La malléabilité est la propriété qu’ont les métaux de se laisser écraser, aplatir en feuilles. On obtient ces feuilles en battant le métal au marteau ou en le faisant passer au laminoir. Cet appareil se compose de deux cylindres placés horizontalement à une certaine distance l’un de l’autre et qui tournent en sens inverse (fig. 58). On commence par couler le métal en une plaque ; on en amincit l’un des bords et on l’engage entre les deux cylindres ; leur mouvement entraîne la feuille qui s’aplatit. On recommence l’opération un certain nombre de fois, en rapprochant les deux cylindres. Tous les métaux, sauf l’étain et le plomb, cassent lorsqu’on les lamine, on dit qu’ils s’écrouissent. On obtient les feuilles minces par le battage au marteau. Pour l’or, par exemple, qui est le plus malléable des métaux, on place entre des peaux les feuilles sortant du laminoir, on en fait un paquet qu’on martèle ; cent mille feuilles superposées n’ont que l’épaisseur d’un centimètre.

Les métaux dont on utilise constamment les feuilles sont : le fer, le zinc, le cuivre, l’étain, le plomb. Sous le nom de tôle, le fer sert à fabriquer des tuyaux de poêle, des plaques et tabliers de cheminée, etc. ; la tôle étamée, appelée fer-blanc, est employée pour les casseroles, les boîtes de conserve, etc. Le zinc sert à faire des seaux, des baignoires, etc., et des feuilles pour couvrir les toits ; les toitures de zinc ont l’avantage d’être légères, mais aussi l’inconvénient d’être facilement combustibles. Le cuivre est employé pour des casseroles, des chaudières, des alambics ; l’étain, pour envelopper les produits alimentaires. Avec le plomb, qui est mou, et dont les feuilles se ploient sans se briser, on revêt l’intérieur des bassins et on tapisse les chambres qui servent à la fabrication de l’acide sulfurique.

62. Ténacité.

On dit qu’un métal est tenace quand il résiste à la traction. Pour comparer les ténacités des différents métaux, on prend des fils de même longueur et de même diamètre ; on les fixe par une extrémité, et on suspend à l’autre des poids de plus en plus lourds jusqu’à rupture. Le plus tenace des métaux est celui dont le fil exige le plus grand poids pour rompre. Le fer tient, après le nickel, le premier rang pour la ténacité.

63. Ductilité.

Fig. 59. — Filière. — A, table portant la filière ; E, filière ; B, tambour sur lequel s’enroule le fil aminci ; R, roues à crémaillères faisant tourner le tambour H ; elles reçoivent leur mouvement de la roue C mue elle-même par une machine à vapeur ; D, fil qui va passer à la filière.
Fig. 59. — Filière. — A, table portant la filière ; E, filière ; B, tambour sur lequel s’enroule le fil aminci ; R, roues à crémaillères faisant tourner le tambour H ; elles reçoivent leur mouvement de la roue C mue elle-même par une machine à vapeur ; D, fil qui va passer à la filière.

Un métal est ductile quand on peut l’étirer en fils. La ductilité dépend à la fois de la malléabilité et de la ténacité. Le plomb, par exemple, qui est malléable, n’est cependant que peu ductile, parce qu’il n’est presque pas tenace. Il se laisse facilement écraser, mais il se brise quand on l’étire. On étire les métaux en fils à l’aide de la filière. Cette machine se compose d’une plaque d’acier percée de trous de grandeurs différentes (fig. 58). On amincit l’extrémité d’une tige de métal et on l’engage dans le trou le plus grand. Par une forte traction, on fait sortir la tige qui s’amincit et s’allonge ; on la fait ensuite passer dans des trous de plus en plus petits. Parmi les métaux usuels, l’or et l’argent sont les plus ductiles ; viennent ensuite le fer et le cuivre. On fait des fils d’or et d’argent si fins qu’il en faut environ 3 kilomètres pour peser un gramme ; on les enroule autour de fils de soie pour en faire des galons, des broderies. Les fils de fer servent pour les grillages, les clôtures, etc., on les emploie en particulier comme les fils de cuivre pour conduire l’électricité ; on préfère le cuivre au point de vue de la conductibilité, mais il est plus coûteux que le fer. Le zinc et l’étain sont si peu tenaces que leurs fils ne sont pas employés. Le plomb est encore moins tenace ; mais on utilise ses fils, à cause de leur flexibilité, dans certains cas où la résistance à vaincre est faible ; les jardiniers les emploient pour relier aux tiges les petites branches des plantes. C’est aussi en raison de la mollesse et de la flexibilité du plomb, qu’on fabrique avec ce métal les tuyaux servant à la conduite de l’eau et du gaz, parce qu’on peut leur faire suivre toutes les sinuosités des constructions.

64. Dureté.

Les métaux usuels sont durs en général ; ils sont rayés par l’acier, mais non par l’ongle et ne s’usent pas facilement. Cette nouvelle propriété est une des conditions de leur emploi. Cependant on utilise quelques métaux mous tels que l’or, l’argent et le plomb et un métal liquide, le mercure. L’or et l’argent, précieux pour leur inaltérabilité, sont assez mous pour s’user rapidement ; on ne pourrait les employer si l’on ne corrigeait ce défaut en leur ajoutant une petite quantité de cuivre ; cependant, ils s’usent encore ; à la longue, les empreintes des monnaies s’effacent. Le plomb est si mou qu’on peut le rayer avec l’ongle, et qu’il laisse une trace sur le papier ; nous avons vu que les usages de ce métal sont justement fondés sur son peu de dureté. Le mercure est le seul métal liquide ; il s’emploie surtout pour construire des instruments de physique tels que les baromètres et les thermomètres ; il nous a servi à recueillir les gaz solubles dans l’eau.

65. Alliages.

Les alliages sont des combinaisons de métaux. Ils ont les propriétés générales des métaux (altérabilité, malléabilité, etc.), mais variables de l’un à l’autre, car les alliages, comme toutes les combinaisons, ont des propriétés différentes de celles des corps qui les constituent. Un grand avantage des alliages est leur fusibilité ; ils sont toujours plus fusibles que le moins fusible des métaux qui les composent, ce qui donne une facilité de les travailler. Chaque alliage est considéré, au point de vue pratique, comme un nouveau métal ; leur emploi augmente donc beaucoup le nombre des métaux usuels.

Le métal qui forme le plus d’alliages importants est le cuivre ; ces alliages peuvent être coulés dans des moules. Avec le zinc, il forme le laiton, appelé cuivre jaune à cause de sa couleur, et qui se prête particulièrement bien au moulage ; on en fait des boutons de porte, des plaques de sonnettes, des instruments de musique, un très grand nombre d’appareils de physique, des fils, des toiles métalliques, des épingles, etc. ; seulement les épingles sont étamées pour éviter l’odeur désagréable du cuivre et la formation de vert-de-gris. En alliant l’étain au cuivre, on obtient le bronze, plus dur que le cuivre ; le bronze des canons est surtout tenace, le bronze des cloches est sonore. L’alliage des monnaies de cuivre est une variété de bronze dans laquelle entre de zinc. Le bronze d’aluminium, dans lequel l’aluminium remplace l’étain, a une belle couleur jaune d’or ; il est très dur, très tenace, et peut être facilement poli ; on l’emploie pour faire des lames de couteaux, des flambeaux, des chaînes de montre, etc. Un alliage de cuivre, de zinc et de nickel constitue le maillechort, peu altérable à l’air, et dont une variété est le métal anglais. Il sert à fabriquer des objets de sellerie, des garnitures de couteaux, des couverts, des théières et autres objets qu’on peut ensuite nickeler ou argenter.

Quelques autres alliages sont intéressants. Nous avons vu que le cuivre, allié en petite quantité à l’or et à l’argent, rend ces métaux plus durs, mais n’en modifie pas l’inaltérabilité ; on emploie ces alliages dans la fabrication des monnaies, des bijoux, des pièces d’orfèvrerie.

De l’union du plomb qui est mou, et de l’antimoine qui est cassant, résulte l’alliage des caractères d’imprimerie, à la fois dur et résistant.

L’étain se travaille plus aisément quand il est allié au plomb. Le produit obtenu sert pour les mesures de capacité, les couverts grossiers, les plats d’étain, etc. ; mais, comme les sels de plomb sont vénéneux, ce métal n’entre dans l’alliage qu’en faible proportion. La quantité de plomb est beaucoup plus grande dans les alliages que les plombiers et ferblantiers emploient comme soudures.

66. Le fer.

Le fer est le plus important des métaux usuels ; il est ductile et malléable ; sa dureté et sa ténacité sont très grandes, d’où son emploi pour les instruments d’agriculture et les outils. Le fer est le moins fusible des métaux usuels ; mais il se ramollit avant de fondre, ce qui permet de le souder à lui-même, sans l’intermédiaire de métaux étrangers. Dans le travail de la forge, le fer est ramolli au feu, puis façonné au marteau, et pour souder deux morceaux rouges, rapprochés l’un de l’autre, il suffit de les battre sur l’enclume. Des parcelles de fer se détachent, en se combinant à l’oxygène de l’air, et produisent l’oxyde de fer magnétique (Fe3O4), jaillissant en étincelles.

Le fer remplace le bois dans les constructions ; on en fait des clefs, des serrures, des clous, des fils, des feuilles, des casseroles, mais ces usages sont assez restreints. Le fer s’emploie surtout, quand il est combiné au carbone, constituant alors la fonte, et l’acier ; la fonte renferme 2 à 5 p. 100 de carbone, l’acier, 0,15 à 1,25 p. 100.

FONTE

La fonte s’obtient dans les hauts fourneaux ; elle est plus fusible que le fer et se prête très bien au moulage. On en fait des objets de formes très diverses, tels que des marmites, des fourneaux, des colonnes, des grilles, des balcons, des cylindres de machines à vapeur, etc. On peut la travailler plus facilement que le fer, mais elle est cassante.

De la fonte on tire le fer en oxydant le carbone qu’elle contient.

ACIER

L’acier peut acquérir un beau poli. Il est plus dur et plus résistant que le fer. On augmente encore ces qualités en le trempant, c’est-à-dire en le plongeant brusquement dans l’eau froide après l’avoir chauffé au rouge ; mais l’acier trempé est d’autant plus cassant qu’il est plus dur. On fait avec l’acier des aiguilles, des armes, des couteaux des instruments de chirurgie, des rasoirs, des ressorts, des canons, des coques de navires, des rails de chemins de fer, etc.

On obtient l’acier, soit en carburant le fer pur, soit en décarburant partiellement la fonte.

RÉSUMÉ DES PROPRIÉTÉS ET DES USAGES DES PRINCIPAUX MÉTAUX
MÉTAUX PROPRIÉTÉS USAGES
Fer. malléable. très tenace. ductile. très dur. s’oxyde complètement à l’air. Fer pur
Fer étamé, galvanisé, nickelé, peint
Plaques, tuyaux de poêles, casseroles, fils, poutres, serrures, etc.
Fonte Marmites, fourneaux, grilles, colonnes, etc.
Acier Outils, aiguilles, couteaux, instruments de chirurgie, canons, etc.
Cuivre. malléable. tenace. ductile. dur. s’oxyde superficiellement à l’air ; composés vénéneux. Cuivre pur Casseroles, chaudières, fils électriques, etc.
Alliages. Laiton Instruments de musique et de physique, épingles, boutons de portes, etc.
Bronzes Des canons
Des cloches.
Des monnaies
D’aluminium flambeaux, chaînes de montres, etc.
Maillechort Couverts, théières, objets de sellerie.
Alliages d’or et d’argent.
Zinc. malléable. peu tenace. peu ductile. dur. s’oxyde superficiellement à l’air ; composés vénéneux. Zinc pur Seaux, baignoires, toitures, galvanisation du fer.
Alliages Laiton.
Maillechort.
Bronze des monnaies.
Étain. malléable. peu tenace. peu ductile. dur. s’oxyde superficiellement à l’air. Étain pur Enveloppes de produits alimentaires, étamage du fer et du cuivre.
Alliages. Bronzes
Alliages Des mesures de capacité, de la vaisselle d’étain, des soudures.
Plomb. malléable. très peu tenace. peu ductile. mou. s’oxyde superficiellement à l’air ; composés vénéneux. Plomb pur Chambres de plomb, revêtement des bassins, tuyaux et fils flexibles.
Alliages. Alliages Des mesures de capacité, de la vaisselle d’étain, des soudures.
Alliage des caractères d’imprimerie.
Nickel. malléable. très tenace. ductile. très dur. ne s’altère pas à l’air. Nickel pur Usages encore restreints : ustensiles de ménage, nickelage du fer.
Alliage : maillechort.
Aluminium. malléable. tenace. ductile. dur. ne s’altère pas à l’air. Aluminium pur Usages encore restreints ; objets légers : dés, porte-plumes.
Alliage : maillechort.
Argent. très malléable. tenace. très ductile. peu dur. ne s’altère pas à l’air, mais noircit sous l’action de H2S. Argent allié au cuivre Monnaies bijoux, pièces d’orfèvrerie.
Or. très malléable. tenace. très ductile. peu dur. ne s’altère pas à l’air. Or allié au cuivre Monnaies bijoux, pièces d’orfèvrerie.