Leçons de géologie (Delamétherie)/Tome II/Section huitième

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DES CHANGEMENS ARRIVÉS À LA SURFACE DU GLOBE, POSTÉRIEUREMENT À SA FORMATION.


Les notions, que nous venons de donner sur la formation de notre globe, et sur son état primitif, sont fondées sur les principes les plus certains de la minéralogie, de la physique, et de la chimie, Aussi sont-elles assez généralement admises.

1°. On ne saurait douter que la masse entière du globe n’ait joui d’une liquidité, qui ait permis à toutes ses parties d’obéir aux forces centrales, et de prendre une figure conforme aux lois combinées de sa force centripède, et de sa force centrifuge.

2°. Toutes les substances qui composent le globe, ont été déposées suivant les lois des affinités. Elles sont cristallisées, et cette cristallisation parait avoir été opérée, dans son intérieur, par des substances qui jouissaient d’une fluidité aériforme, et à sa surface, par d’autres substances qui jouissaient d’une liquidité aqueuse, qui étaient dissoutes dans les eaux.

3°. Mais, depuis ces premières époques, il est arrivé au globe des changemens considérables. Nous ne pouvons apprécier ceux qui ont eu lieu dans son intérieur ; mais sa surface nous en présente partout de prodigieux. Ce sont ces changemens dont nous allons essayer de faire l’histoire. Elle offre de grandes difficultés, parce que les faits ne sont ni assez nombreux, ni assez avérés, ni assez concluans. Néanmoins, il y a plusieurs données précieuses que nous allons réunir ; Elles seront confirmées, modifiées ou changées, par les nouveaux faits, que nos descendans observeront.

Les géologues conviennent tous qu’il y a eu des changemens dans cette croûte du globe ; mais ils ne sont d’accord, ni sur leur nature, ni sur leur étendue.

Les uns ont supposé différentes catastrophes particulières.

Quelques autres ont même supposé des catastrophes générales…

Nous allons examiner ces différentes hypothèses, et les conséquences qu’on peut tirer des faits connus.


DE L’ABAISSEMENT GÉNÉRAL DES TERRAINS ÉLEVÉS, ET DE L’EXHAUSSEMENT DES PLAINES ET DES VALLÉES.


Un des premiers changemens arrivés à la surface du globe, a été l’abaissement général des terrains élevés, et l’exhaussement des plaines et des vallées. Les pluies, les frimats… détachent sans cesse des portions de la masse des montagnes et des collines. Les eaux des ruisseaux, des rivières et des fleuves charrient, dans les plaines et les vallées, toutes ces portions qui ont été ainsi détachées des lieux élevés. Aussi, toutes ces eaux courantes sont-elles plus ou moins troubles, surtout après les grandes pluies, parce qu’elles sont chargées d’une grande quantité de parties terreuses, qu’elles tiennent suspendues, et leurs lits sont plus ou moins encombrés de sables, de cailloux roulés, et souvent de masses de rochers assez considérables. Tous les torrens qui se précipitent des lieux élevés, charrient des rochers très-volumineux. Ces masses, quelque dures qu’elles soient, s’usent par le frottement, les unes contre les autres, et, arrivées dans les plaines, elles ne se présentent plus que comme des galets, des petits cailloux roulés, ou menus comme du sable…

Cette action continuelle des eaux abaisse donc les montagnes, élève les plaines, et comble le bassin des mers.

Plus les montagnes sont rapides, plus elles sont dégradées.

Mais lorsqu’elles sont arrivées à une pente d’environ 45 degrés, ces dégradations sont beaucoup moins sensibles.

Dans les montagnes élevées, cette dégradation agit sans cesse.

Les Hautes-Alpes, les Pyrénées… en offrent des exemples continuels. Ces effets sont encore plus sensibles aux Cordilières, aux Altaï…

L’observateur géologue se convaincra partout dans ses voyages, de cet abaissement général des lieux élevés, et de l’exhaussement des plaines.

Des montagnes entières ont même été renversées.


DE L’AFFAISSEMENT ET RENVERSEMENT DE QUELQUES MONTAGNES.


Des montagnes affaissées et renversées effraient d’abord l’imagination. Cependant ce sont des faits, dont on ne sçaurait douter. Plusieurs ont été vus par des observateurs très-exacts. Nous allons en rapporter quelques-uns des plus intéressants ; principalement ceux qui se sont opérés presque sous nos yeux.

Lorsqu’on considère avec attention les terrains élevés, on aperçoit que la plupart de leurs couches sont brisées. Plusieurs sont affaissées d’une quantité plus ou moins considérable, relativement à celles qui leur sont contigues. On reconnaît facilement que c’est un véritable affaissement, parce que les couches contigues sont de la même nature que celles qui sont affaissées. On voit dans ces masses les différens bancs qui étaient parallèles, et qui se retrouvent actuellement à des hauteurs différentes. Les causes de ces phénomènes paraissent assez bien connues.

Entre la plupart des bancs de pierre, il se trouve des couches d’argile ou de marne, qui ne sont point pétrifiées. Ces couches étaient gonflées par l’humidité. Lorsque ces terrains sont sortis du sein des eaux, ces petites couches terreuses se sont desséchées. Elles ont donc éprouvé une retraite quelconque.

Dès lors les couches supérieures subirent un petit affaissement proportionnel à cette retraite. Mais cet affaissement fut inégal, parce que la retraite elle-même l’était. Toutes ces couches se fendilleront, et présenteront des lits plus ou moins inclinés, et souvent en lignes courbes.

C’est ce qu’on observe dans les couches des petites collines éparses dans les plaines, surtout dans celles qui sont le long des vallées. Les eaux souterraines qui coulent entre ces couches pour se rendre dans la vallée, délaient les couches terreuses, les emportent, et ôtent par conséquent les supports des couches supérieures.

Ces mêmes causes produisent quelquefois le renversement des montagnes. Les observateurs font mention d’un grand membre de montagnes qui ont été ainsi culbutées, et renversées : nous allons en citer quelques exemples.

L’Histoire de L’académie des Sciences de Paris, en 1715, rapporte la chute d’un montagne dans les termes suivans :

« Au mois de juin 1714, une partie de la montagne de Diablert, en Valais, tomba subitement, et tout à la fois, entre deux et trois heures après midi, le ciel étant fort serein. Elle était de figure conique ; elle renversa cinquante-cinq cabanes de paysans, écrasa quinze personnes, et plus de cent bœufs et vaches, et beaucoup plus de menu bétail, et couvrit de ses débris une bonne lieue carrée. Il y eut une profonde obscurité causée par la poussière. Les tas de pierres amassées au bas, sont hauts de plus de trente perches, qui sont apparemment des perches du Rhin, de dix pieds. Ces amas ont arrêté des eaux, qui forment de nouveaux lacs fort profonds. Il n’y a dans tout cela ni vestiges des matières bitumineuses, ni de soufre, ni de chaux cuite, ni par conséquent de feu souterrain. Apparemment la base de ce grand rocher s’était pourrie d’elle-même, et réduite en poussière. »

En 1618, la ville de Pleurs, en Valteline, fut enterrée sous les rochers au pied desquels elle était batie.

En 1678, il y eut une grande inondation en Gascogne, causée par l’affaissement de quelques parties de montagnes, dans les Pyrénées, qui firent sortir les eaux qui étaient contenues dans les cavités souterraines de ces montagnes.

En 1680, il en arriva encore une plus grande en Irlande. Elle avait pour cause l’affaissement d’une montagne dans des cavernes remplies d’eau.

En 1751, au mois de juillet, une montagne s’écroula en Savoie du côté de Sallenches : Donati, fut témoin d’une partie de cet écroulement, et le décrit en naturaliste instruit : « Une grande partie, dit-il, de la montagne située au-dessous de celle qui s’écroulait, était composée de pierres et de terres, non pas disposées en carrière, ou par lits, mais confusément entassées. Je reconnus par là qu’il s’était déjà fait dans la même montagne de semblables éboulemens, à la suite desquels le grand rocher, qui est tombé cette année, était demeuré sans appui, et avec un surplomb considérable. Ce rocher était composé de bancs horizontaux, dont les deux plus bas étaient d’une ardoise, ou pierre feuilletée, fragile, et de peu de consistance. Les deux bancs au-dessus de ceux-ci étaient remplis d’un marbre à peu près semblable à celui de Porto-Venere, mais rempli de fentes transversales à ses couches. Le cinquième banc était tout composé d’ardoises à feuillets verticaux, entièrement désunis, et ce banc formait tout le plan supérieur de la montagne tombée. Sur le même banc, il se trouvait alors trois lacs dont les eaux pénétraient continuellement par les fentes des couches, les séparaient, et décomposaient leurs supports. La neige, qui cette année était tombée en Savoie en si grande abondance, que, de mémoire d’homme, on n’en avait vu autant, ayant augmenté l’effet, toutes ces causes réunies produisirent la chute de trois millions de toises cubes de rochers, volume qui seul suffirait pour former une grande montagne ».

La chute de cette montagne fut accompagnée d’une fumée considérable, formée par la poussière des pierres, qui en tombant se réduisaient en poudre impalpable. Cette poussière fut portée à plus de cinq lieues de distance. Le fracas de toute cette masse se heurtant, produisit un bruit semblable à celui du tonnerre, ou d’une grande batterie de canon ; mais beaucoup plus fort.

La montagne de Ruffiberg, dans le canton de Schwitz, en Suisse, élevée de huit cents toises au-dessus du niveau de la mer, et de cinq cent quatre-vingt-six toises au-dessus des vallées voisines, a été en partie renversée le 2 septembre 1806. Elle est composée, en partie, de couches de pouddings, reposant sur des lits argileux inclinés de 25 degrés. Des pluies abondantes qui avaient lieu depuis un mois avant l’évènement, avaient pénétré ces couches argileuses, les avaient amollies au point qu’elles cédaient à l’effort que les couches de pouddings faisaient pour descendre par une pente de 25 degrés. Ces pouddings coulèrent donc comme une avalanche, avec une vitesse prodigieuse, sur une largeur d’environ mille pieds, et une longueur d’environ une lieue. Plusieurs villages ont été renversés, cinq cents personnes ont péri… des ruisseaux se sont perdus, des lacs se sont formés, (Voyez la relation de cet évènement par Théodore Sunffure, Journal de Physique, tome 64, page 154).

Les causes du renversement de ces montagnes sont indiquées par les phénomènes qui accompagnent ces évènemens. L’eau en est en général le principal agent. Des pluies abondantes, qui précèdent, ramollisent les terrains : elles détrempent des couehes argileuses qui servaient de points de support… Enfin l’équilibre est rompu, et la montagne s’écroule en tout ou en partie. L’observation a appris que plusieurs montagnes renferment des cavernes plus ou moins spacieuses : des eaux, venant de la surface, coulent dans ces cavernes, comme celles qui fournissent la fontaine de Vaucluse… Quelquefois elles y forment des lacs. Des portions de terrains qui servent de piliers pour soutenir ces cavernes, sont minées peu à peu. Enfin elles cèdent, et entraînent avec elles la chute des couches supérieures.

Une autre cause très-puissante et très-active produira encore des renversemens de montagnes. Nous avons vu que sous les volcans il doit y avoir des cavernes immenses. Lors des tremblemens de terre, et des éruptions volcaniques, soit sur les continens, soit dans le sein des eaux, quelques-unes de ces cavernes pourront être culbutées.

Mais indépendamment de ces montagnes renversées, dont l’histoire nous a conservé la tradition, il en est un grand nombre dont elle ne nous parle pas, et que nous ne saurions douter avoir été également culbutées par les mêmes causes. Quand on voyage dans les hautes montagnes, comme dans les Alpes, dans le Jura, dans les Pyrénées… on en voit des preuves à chaque pas.

De Pontarlier à Neufchâtel, j’ai observé en plusieurs endroits des masses plus ou moins considérables dont les lits ou bancs sont affaissés en partie. La figure 3 de la planche 5 représente une de ces montagnes. On voit la bande du milieu s’être affaissée beaucoup plus que les deux autres, dont l’une l’est cependant encore moins que la troisième. On reconnaît facilement les différentes couches dans chacune de ces trois masses. Elles y sont différemment ombrées. (Théorie de la Terre.)

Il y a sur la même route, auprès de Saint-Sulpice, un endroit où de grands bancs calcaires de plusieurs centaines de pieds de longueur sont presque verticaux : ils ne sauraient avoir été formés dans cette position. C’est donc un mouvement dans la montagne qui leur a donné cette situation. L’inspection des lieux ne laisse aucun doute à cet égard.

Je ne rapporterai pas un plus grand nombre de ces faits. Il n’est pas d’observateur qui, en voyageant, n’ait été dans le cas d’en reconnaître la vérité à chaque pas.

On doit surtout distinguer à cet égard les pays très-montueux d’avec les plaines et les côteaux.

Dans les hautes montagnes les affaissemens ont été très-considérables. Plusieurs montagnes, qui renfermaient des cavernes, ont été renversées.

Dans les petites collines, et dans les plaines, il y a peu de cavernes. On y aperçoit seulement des fentes prolongées. Les eaux courantes entraînent les parties terreuses qui se trouvent entre les bancs de pierres, ce qui produit de légers affaissemens.


DES MONTAGNES ET DES VALLÉES PRODUITES PAR DES AFFAISSEMENS.


Nous avons prouvé qu’il y a, sur la surface du globe, un grand nombre de terrains affaissés, et d’autres qui ont été culbutés. Ces affaissemens et ces renversemens se font surtout remarquer dans les grandes montagnes, principalement celles qui ne sont pas primitives. Les portions des Alpes qui sont composées de terrains secondaires, montrent de ces affaissemens à chaque instant à l’observateur attentif.

On observe la même chose dans toutes les hautes montagnes schisteuses, calcaires, gypseuses et bitumineuses. Partout on y aperçoit des affaissemens et des renversemens.

Au Creuzot, proche Autun, les couches bitumineuses ont été renversées contre la montagne granitique. Elles sont inclinées de 60 à 70 degrés.

A Solutré, auprès de Mâcon, on voit plusieurs montagnes calcaires, dont les bancs sont d’un côté inclinés de 50 à 60 degrés, et de l’autre ils sont coupés verticalement. L’inspection du lieu ne permet pas de douter qu’il y a eu affaissement d’une partie de ces montagnes. Il y existait sans doute quelques cavernes, dont les voûtes se sont écroulées. Les couches supérieures se sont en partie précipitées dans ces abîmes, et les autres se sont inclinées.

« Il y arriva, il y a quelques années, un de ces phénomènes assez communs dans ces sortes de terrains. Après des pluies abondantes, les couches de terre qui se trouvaient sur la montagne. de Solutré (laquelle est très-inclinée) glissèrent sur les bancs de pierres l’espace de plusieurs centaines de toises, et menacèrent d’ensevelir le village. Mais les pluies s’étant arrêtées, le terrain, cessa de glisser. On conçoit que si parmi ces terrains qui ont glissé, il s’était trouvé des couches argileuses assez tendres pour avoir été ramollies par les eaux, elles se seraient nécessairement plissées, parce que leur marche n’aura pu être assez uniforme, ni assez réglée, pour qu’elle n’ait éprouvé différens obstacles. Les parties antérieures seront arrêtées, ou rallenties un instant, tandis que les suivantes obéissant à l’impulsion qu’elles ont, refouleront celles-ci, jusqu’à ce que l’obstacle soit vaincu. Ce qui occasionnera ces plis, ces ondulations, qu’on observe si souvent dans les couches schisteuses et argileuses.

On retrouve, dans les Pyrénées, un grand nombre de ces montagnes secondaires qui sont ainsi coupées verticalement à plusieurs centaines de toises de hauteur, telles que le mont Perdu, les tours du Marboré…

ll y a plusieurs de ces montagnes coupées verticalement sur les côtes, comme à Ceuta, à Gibraltar, à Gênes, à Malte…, Toutes les côtes du Pérou, du Nouveau-Mexique présentent le même phénomène. On le retrouve sur les côtes du lac de Genève, à la Milleraie, le long des monts Salèves…

Il est vraisemblable que plusieurs de ces escarpemens ont été produits par des affaissemens plus ou moins considérables. La chute d’une partie du rocher de Scylla, en 1783, a laissé une falaise élevée d’environ cent cinquante toises. Si nous supposons. qu’il y ait eu de pareilles chutes, ou affaissemens, dans tous les lieux dont nous venons de parler, on conçoit qu’ils y auront produit de hautes falaises. Or tout fait présumer qu’il y a eu des affaissemens dans plusieurs des endroits que nous venons de citer. L’histoire nous a conservé la tradition des chutes de plusieurs montagnes, lesquelles ont produit des effets analogues.

Mais ces affaissemens ont eu des effets bornés, et je ne crois point fondée l’opinion de quelques géologues qui ont dit que la surface primitive du globe était à peu près plane, qu’elle s’est affaissée, et a formé les montagnes.

Ils appuient cette supposition sur la disparition de la grande île atlantique dont les prêtres d’Égypte parlèrent à Platon. L’affaissement d’une île aussi étendue a dû produire dans les eaux des mers de grandes secousses, en abaisser considérablement le niveau, et causer d’immenses bouleversemens à la surface des continens.

Je réponds :

a. L’exactitude de ce récit des prêtres d’Égypte n’est appuyée sur aucune preuve.

b. En le supposant vrai, nous ignorons l’étendue de cette île, et les circonstances de cet affaissement.

c. En le supposant même tel que Platon le rapporte, l’affaissement d’une île semblable ne pourrait produire qu’un très-petit abaissement des eaux de toutes les mers. Platon dit qu’elle avait l’étendue de la Lybie et de l’Asie mineure. Nous ignorons quelle était cette étendue des contrées dont il parle, mais supposons-lui une surface de 260,000 lieues carrées, c’est-à-dire, égale à un centième de tout le globe : car sa surface est de près de 26,000,000 lieues. Cette île aurait donc eu dix fois environ plus d’étendue que la France, dont la surface est de 27,000 lieues carrées. Supposons qu’elle se soit abaissée de 300 pieds. Cet affaissement n’aurait produit dans les eaux des mers qu’un abaissement de six pieds : car dans cette hypothèse, la surface des mers, qui est à peu près la moitié de celle de tout le globe, serait cinquante fois plus étendue que celle de cette île. Or une diminution subite de six pieds dans le niveau des mers, ne produirait qu’un très-petit effet.

Et cependant nous avons tout exagéré : car on ne peut supposer une île dix fois grande comme la France, s’affaisser subitement de 300 pieds, puisqu’il faudrait qu’il eût existé, sous cette île, une caverne de la même étendue. Or une telle île n’eût pu se soutenir un seul instant au-dessus d’une pareille caverne.

Ce que nous disons de cette île doit s’appliquer, à plus forte raison, à la totalité de la surface du globe. On ne peut supposer sous cette surface, des cavernes capables de recevoir toute sa croûte, sur une profondeur de mille, deux mille, trois mille… toises.

II. On ne saurait également supposer le soulèvement de la totalité des montagnes.

a. Nous ne connaissons pas de forces, dans le sein de la terre, capables de produire un pareil effet : celles des feux souterrains seraient insuffisantes.

b. Si la totalité des montagnes était ainsi soulevée, il se formerait au-dessous d’elles des cavernes de la même capacité. Or, qu’est-ce qui soutiendrait ces masses énormes et si étendues au-dessus de semblables vides ?

Toutes ces hypothèses doivent être rejetées par l’ami de la vérité.


DES MONTAGNES ET DES VALLÉES PRODUITES PAR DES SOULÈVEMENTS.


Des montagnes soulevées auront encore pu produire les mêmes effets que leurs affaissemens. On peut concevoir deux manières dont une montagne serait soulevée :

a. Une force intérieure quelconque, qui fait effort en tous sens, et repousse ce qui lui fait obstacle vers la surface de la terre, parce que la résistance y est moins considérable. Ces portions repoussées et soulevées forment des montagnes et des vallées.

b. Des grandes masses de terrains affaissés peuvent produire des effets analogues. Nous allons examiner les effets de chacune de ces causes en particulier.

1°. Les terrains qui pourraient être soulevés par l’action d’une cause puissante qui agirait à l’intérieur, telle que celle qui soulève les laves dans les éruptions volcaniques, formeraient sans doute des montagnes dont l’élévation serait proportionnée à l’énergie de l’agent. Nous avons vu, en parlant des tremblemens de terre, que plusieurs monticules ont été formés par de semblables causes, telles que monte de Cinere ; les monticules qui, au rapport de Humboldt[1], furent élevés dans une nuit au nombre de 2,000, dont un était élevé de 517 pieds : c’est le volcan de Jorullo…

Il faut néanmoins convenir que tous les soulèvemens de terrains, dont parlent les observateurs, sont extrêmement bornés, et n’ont produit que des effets très-limités. De célèbres auteurs leur ont cependant attribué une action très-puissante. Nous discuterons ailleurs leurs opinions ; et nous examinerons avec soin ce que les connaissances actuelles nous permettent d’admettre à cet égard.

2. Nous avons vu ce que peuvent produire des affaissemens. Ce sont des effets également très-limités.


DES MONTAGNES ET DES VALLÉES PRODUITES PAR L’EXPLOSION DES FEUX SOUTERRAINS.


L’action des feux souterrains a produit de grands changemens à la surface du globe. C’est ce que nous avons déjà vu, en parlant des tremblemens de terre.

Pythagore rapporte qu’auprès de Thrézène, il s’éleva une montagne au milieu d’une plaine, tandis que d’un autre côté, on voyait, sous les eaux, les ruines de Hélica et de Buris, villes de l’Achaïe, qui furent submergées par l’effet d’un tremblement de terre[2] Il n’est aucune de ces commotions souterraines qui, lorsqu’elle a un peu d’intensité, ne cause de ces bouleversemens. Des montagnes sont soulevées ; d’autres sont renversées dans les vallées et dans les plaines, qui en sont encombrées ; Le cours des eaux est souvent suspendu pour quelques instans. Des lacs nombreux se forment ; tout le terrain se fend en toutes sortes de directions ; des portions considérables de la surface du sol sont transportées quelquefois à de grandes distances. Je vais rapporter quelques-uns de ces évènemens arrivés en Calabre, en 1783, tels qu’ils ont été décrits par un observateur exact, Dolomieu.

« La secousse terrible pour la Calabre, celle qui ensevelit sous les ruines des villes, plus de vingt mille habitans, arriva le 5 février, à midi et demi. Elle dura deux minutes. Les villes, et toutes les maisons éparses dans la campagne, furent rasées dans le même instant. Les fondemens parurent vomis par la terre. Les terrains qui étaient appuyés contre le granit des monts Caulone, Ésope, Sagra et Aspramonte glissèrent sur ce noyau solide, dont la pente est rapide, et descendirent un peu plus bas. Il s’établit alors une fente de plusieurs pieds de large, sur une longueur de neuf à dix milles (trois lieues) entre le solide et le terrain sabloneux ; et cette fente règne, presque sans discontinuer, depuis Saint-George, en suivant le contour des bases, jusque derrière Sainte Christine. Plusieurs terrains, en coulant, ont été portés assez loin de leur première position… Mais ce fut principalement sur les bords de ces escarpemens qu’arrivèrent les plus grands désordres et les plus grands bouleversemens. Des portions considérables de terrains, couverts de vignes et d’oliviers, se détachèrent, en perdant leur adhérence latérale, et se couchèrent, d’une seule masse, dans le fond des vallées, en décrivant des arcs de cercle, qui ont eu pour rayon la hauteur de l’escarpement. Tel un livre posé sur la tranche, qui tombe sur son plat. Alors, la portion supérieure du terrain, sur laquelle étaient les arbres, s’est trouvée jetée loin de son premier site, et est restée dans une position verticale… Ailleurs, des massifs énormes, rompant également leur adhérence latérale, ont coulé sur la pente des talus inférieurs, et sont descendus dans les vallées. À la force d’impulsion qu’ils avaient reçue par leur chûte, ils joignaient celle de la poussée des terres qui s’éboulaient derrière eux ; ce qui leur permettait de parcourir d’assez grands espaces, en conservant leur forme et leur position ; et après avoir donné ce spectacle des montagnes en mouvement, ils sont restés au milieu des vallées.

« Il est arrivé quelquefois qu’un terrain à qui sa chute, et l’inclinaison du talus qui s’était formé sous lui, avaient donné une grande force de projection, a rencontré et franchi de petites collines qui étaient sur son passage, les a recouvert, et ne s’est arrêté qu’au-delà. Si ce même terrain, rencontrant le côté opposé, frappait violemment contre, il se relevait un peu, et formait une espèce de berceau.

« Lorsque les bords opposés d’une vallée se sont écroulés en même tems, leurs débris se sont rencontrés, leur choc les a soulevé, et ils ont formé des monticules, dans le centre de l’espace qu’ils ont comblé.

« L’effet le plus commun, celui dont on voit un très-grand nombre d’exemples, dans les territoires d’Oppido et de Sainte-Christine, sur les bords des vallées, ou gorges profondes, dans lesquelles coulent les fleuves Maidi, Birbo et Tricucio, est celui qui s’observe lorsque, sa base inférieure ayant manqué, les terrains supérieurs sont tombés perpendiculairement et successivement, par grandes tranches, ou bandes, pour aller prendre une position respective, semblable aux marches d’un amphithéâtre. Le plus bas gradin est quelquefois à trois ou quatre cent pieds au-dessous de sa première position. Telle une vigne, entr’autres, située sur les bords du fleuve Tricucio, auprès du nouveau lac, s’est divisée en quatre parties, qui se sont mises en terrasse les unes au-dessus des autres, et dont la plus basse est tombée de quatre cents pieds de hauteur.

« Les arbres et les vignes, qui étaient sur les terrains dont la masse entière s’est déplacée, n’ont point souffert. Les hommes mêmes, qui s’y sont trouvés, les uns sur les arbres, les autres à leurs pieds, travaillant le sol, ont été ainsi voiturés pendant plusieurs milles, sans recevoir aucun mal. On m’en a cité plusieurs exemples, qui sont consignés dans les relations.

« Les effets de ces éboulemens ont été d’étrangler ou de combler les vallées, par la rencontre et la réunion des bords opposés, de manière à obstruer le passage des eaux, et à former un grand nombre de lacs (il en a été formé, dans ce moment, plus de trois à quatre cents, dans cette partie de la Calabre), d’applanir le terrain coupé par des gorges, de transporter sur les possessions des uns, les héritages des autres, de couper les communications, et de donner à tout le pays, une au face nouvelle.

« La secousse, qui arriva, pendant la nuit du cinq février, augmenta les dommages de Messine, de Regio, et des villes qui avaient déjà été ébranlées par le premier tremblement de terre du même jour. Elle fut fatale aux habitans de Scylla, par la chute d’une partie considérable de la montagne dans la mer, ce qui fit soulever les flots, et leur donna une fluctuation violente. Les flots se brisèrent avec force contre la plage, et la partie basse de la ville, où s’était réfugié le prince Sinopoli ». Il y périt, avec lui, plus de douze cents personnes.

Les mêmes effets se présentent dans tous les violens tremblemens de terre, comme nous l’avons vu à celui de Lisbonne, en 1755, à celui de la Guadeloupe, en 1692…

Les montagnes sont renversées ; les vallées comblées ; de nouvelles montagnes se forment au milieu des plaines ; les cours des eaux sont arrêtés ; de nouveaux lacs creusés… En un mot, tout le pays prend une face nouvelle, comme dans la Calabre.

Qu’on se rappelle maintenant ce que nous avons dit sur le nombre des volcans qui sont en activité, et sur le plus grand nombre encore qui sont éteints : qu’on se rappelle encore qu’il y a peu de contrées qui n’aient été exposées à des secousses plus ou moins violentes, à des vives commotions souterraines, et on concevra combien cette cause a pu contribuer à donner UNE FACE NOUVELLE à une partie de la surface de la terre.

Ceux qui voyagent dans les Cévennes, dans les montagnes d’Auvergne… sont sans cesse étonnés des bouleversemens qu’ils y observent. Des terrains sont brisés, hachés ; d’autres ont coulé ; de troisièmes couches sont plissées, ondées… Mais, qu’ils se ressouviennent que ces contrées ont été, à des époques antérieures, exposées à des commotions semblables à celles de la Calabre.

La même chose a pu et a dû arriver aux Alpes, qui éprouvent de fréquentes commotions ; aux Pyrénées ; aux Cordilières… On observe, dans toutes ces grandes masses de montagnes, plusieurs rochers coupés à pic comme Scylla. On peut donc supposer que ces effets ont été produits par les mêmes causes.

La Méditerranée a été agitée, et l’est encore, par de violens tremblemens de terre, qui ont élevé plusieurs îles, telles que Délos, Santorin… et en ont englouti d’autres, telles que l’Atlantique…

La tradition rapporte que la Sicile a été séparée du continent par un tremblement de terre… Il faut donc que la portion du continent qui les unissait ait été précipitée dans des cavernes intérieures, dont il existe certainement un grand nombre dans ces contrées. Les différentes côtes élevées qui sont sur ces rivages, telles que le rocher de Scylla, auront donc été une suite de cet affaissement.

La même chose a pu avoir lieu sur les côtes de Malthe, qui, peut-être, faisaient partie de la Sicile.

Généralisons cette supposition pour toutes les côtes de la Méditerranée, et on verra combien ces affaissemens ont pu contribuer à la formation de ces immenses falaises qu’on y observe sur les côtes de Gênes, sur celles de France, sur celles d’Espagne, d’Afrique…

Mais nous avons vu qu’il n’est pas de continens, qu’il n’est pas de chaînes de montagnes, qui n’aient éprouvé des secousses de tremblement de terre. Les Alpes, les Pyrénées, les parties occidentales de la France… où on ne connaît aucune trace de volcans, ont néanmoins été ébranlées fort souvent. Ces commotion auront donc pu y causer des chutes de montagnes, comme celle du rocher de Scylla, en 1783, et contribuer à y former ces falaises qui causent tant d’étonnement aux voyageurs.

L’éruption du volcan de Jorullo, au Mexique[3], qui eut lieu pour la première fois, la nuit du 28 au 29 septembre, en 1759, nous présente l’exemple d’une montagne considérable, élevée, dans une nuit après des secousses prodigieuses : un terrain de trois à quatre milles carrés, que l’on désigne sous le nom de malpays, se souleva en forme de vessie ; on le distingue encore dans des couches fracturées. Il se forma une multitude de petits cônes enflammés, élevés seulement de quelques pieds. Mais les scories et les cendres formèrent une montagne haute de 517 pieds, en ne la comparant qu’au niveau ancien des plaines, voisines. Ceux qui étaient sur les hauteurs voisines, assurent qu’on vit sortir des flammes sur l’étendue de plus d’une demi-lieue carrée.

L’éruption de Monte-Nuovo a présenté des phénomènes analogues…

De pareils phénomènes s’observent souvent dans les pays volcaniques.


DES MONTAGNES ET DES VALLÉES PRODUITES PAR L’ACTION DES FEUX SOUSMARINS.


Les effets que nous venons de voir être produits par l’action des feux souterrains, le sont également par l’action des feux sousmarins, sur les terrains couverts par les eaux. Ces feux soulèvent des îles considérables, ainsi que nous l’avons rapporté ci-devant, au sujet de Delos, Santorin. Ils en affaissent d’autres, comme nous l’avons vu à la Jamaïque… Enfin, l’action de ces feux n’est pas moins considérable que celle des volcans des continens.

Ils doivent donc creuser des vallées dans les terrains qui sont baignés des eaux des mers, y produire des affaissemens, soulever quelques autres de ces couches. Enfin produire tous les effets que nous avons vu avoir été produits en Calabre par le tremblement de terre de 1783.

De nouvelles couches calcaires se déposeront sur tous ces débris : elles couvriront et les laves des volcans sousmarins, et les débris que leurs commotions auront produits.

Des terrains primitifs, soit granitiques, soit porphyriques. pourront être renversés sur des terrains secondaires… et présenter, au géologue, des faits difficiles à expliquer.

Ces phénomènes nous expliqueront l’origine de plusieurs montagnes bouleversées, de plusieurs vallées creusées, et recomblées postérieurement, et par des galets, et par des couches calcaires… sans être obligé d’avoir recours à des causes qui ne sont point dans l’ordre des phénomènes connus.

On doit peut-être attribuer à des commotions volcaniques, surtout à des commotions produites par l’action galvanique, la formation du détroit de l’Hellespont, la séparation de la Sicile du continent, la séparation de Ceylan du continent de l’Inde… et plusieurs autres phénomènes analogues.

La description qu’on a donnée des bouleversemens de la Calabre, en 1783, confirme tout ce que nous venons de dire.

Nous avons vu que, dans le bouleversement de la Calabre, en 1783, des terrains culbutés ont coulé dans des plaines, si sont arrêtés, et y ont formé des monticules…

Les îles nouvelles soulevées du sein des mers par des commotions volcaniques, et dont nous avons parlé ci-devant… ne sauraient avoir d’autres causes.


DES MONTAGNES ET DES VALLÉES PRODUITES PAR DES RETRAITES DES TERRAINS.


La surface de la terre se refroidissant plus que son centre, a dû éprouver des retraites considérables. Un globe comme le nôtre, qui a 2865 lieues de diamètre, doit conserver longtems sa chaleur à son centre, et n’en perdre qu’une très-petite quantité, tandis que sa surface se refroidit plus ou moins promptement. (Voici ce que nous avons dit ci-devant tome 1, page 22.)

Cette partie centrale conservera donc son premier volume ; mais la partie extérieure, en se refroidissant, se condensera. Dès lors il se fera à cette surface des fentes, des cavernes, des cavités plus ou moins considérables, comme dans les glaciers, ou mers de glace… Il est vraisemblable que cette croûte se sera fendue par de grandes masses, et le plus souvent presque instantanément.

Ces retraites produiront par conséquent des vallées plus ou moins étendues, et des bassins plus ou moins vastes, et leurs bords se présenteront comme des montagnes, comme des falaises… Les eaux, soit des mers, soit des lacs, rempliront ensuite ces bassins et ces vallées ; elles s’y précipiteront avec violence lorsque ces fentes auront été faites instantanément. Elles en arrondiront les bords le plus souvent, en sorte qu’il sera difficile de reconnaître la cause qui a produit ces vallées.

Dans le moment que ces retraites s’opéraient ainsi subitement, et en grandes masses, elles pouvaient être accompagnées de culbutes de terrains adjacents. Il pourrait même arriver que quelques portions de ces terrains se relevassent en partie, comme par un mouvement de bascule. Elles auraient par conséquent produit quelques montagnes, et quelques vallées.

Il serait assez difficile de déterminer l’étendue de l’action de cette cause. Mais je crois qu’elle a produit de plus grands effets qu’on ne pourrait le soupçonner d’après un premier aperçu. Dans les pays volcaniques, par exemple proche le Vésuve, l’Etna… on aperçoit, partout, des fentes opérées par la retraite qu’ont éprouvée les laves et les autres matières incandescentes, qui ont été vomies par les volcans. Ces fentes s’étendent même assez loin, et causent souvent la culbute d’une partie de ces matières. Les eaux s’y accumulent et y forment des lacs.

On aperçoit également dans les glaciers des fentes consisdérables ; le refroidissement graduel de toute la surface du globe aura produit des effets sans doute beaucoup plus considérables. Des fentes immenses se seront étendues plus ou moins loin. Des masses prodigieuses de terrains s’y seront précipitées : d’où seront nées des vallées et des montagnes.

Quelques physiciens ont supposé que des montagnes et des vallées ont pu être produites par la retraite qu’auraient éprouvée des terrains sortis du sein des eaux. Après l’abaissement du niveau des mers, disent-ils, les terrains qui avaient été formés dans son sein, étaient pénétrés par les eaux : ils se sont desséchés. Ce dessèchement les a fait fendre, comme on le voit dans les grandes masses d’argile humide, où il se forme des fentes considérables. Ces fentes seront l’origine des vallées et des montagnes.

Je crois que ces effets sont exagérés. La plus grande partie des terrains qui forment la surface du globe est de différentes espèces de pierres, telles que granit, gneis, porphyres, calcaires, gypses, appatit, schistes, filons métalliques, couches bitumineuses, substances salines… Or, aucune de ces substances ne peut éprouver une grande retraite par le dessëchement qu’aurait produit l’abaissement des mers. Quelques-unes de ces pierres auront pu seulement se fendiller, ainsi que nous l’avons vu dans les figures prismatiques qu’offrent les gypses de Montmartre, dans les fentes qu’on observe dans les calcaires, dans les schistes…

Il n’y aurait donc que les grandes masses d’argile qui auraient pu éprouver des fentes assez considérables pour produire des vallées et des montagnes. Mais nous n’avons jamais trouvé dans le sein de la terre de ces grandes masses d’argile. Elles ne s’y rencontrent que par couches peu épaisses, incapables de produire les effets qu’on suppose.

D’ailleurs il n’y aurait eu que l’argile qui serait à la surface de le terre, qui se fendrait de cette manière. Car les couches argileuses, qui sont au-dessous de cette surface, sont sans cesse humectées par les eaux des pluies, et celles qui coulent à la surface du globe. Bien loin de se gercer, elles forment une masse impénétrable à l’eau, la retiennent comme dans un bassin, et sont ainsi l’origine des fontaines, ainsi que nous l’avons vu dans la butte de Montmartre. Ces couches argileuses font même souvent l’office des syphons dans lesquels les eaux sont contenues, comme dans les plaines de Barbarie…


DE QUELQUES MONTAGNES ET VALLÉES PRODUITES PAR LES COURANS DES EAUX.


Nous avons fait voir précédemment que les eaux, soit avant l’apparition des continens, soit après cette apparition, avaient exercé une action très-puissante sur la surface de la terre[4] Elles ont raviné les plaines, et y ont creusé des vallées. Les montagnes en ont été dégradées, et les anciennes vallées ont été élargies.

Cette excavation de nouvelles vallées a dû produire des montagnes.

Mais cette cause n’a pu produire que des effets très-limités.


RÉSUMÉ GÉNÉRAL SUR LA FORMATION POSTÉRIEURE DE QUELQUES MONTAGNES ET VALLÉES, ET SUR LES CHANGEMENS ARRIVÉS A LA SURFACE DU GLOBE.


Résumons maintenant sur les causes premières qui ont formé les montagnes, les vallées et les plaines, ainsi que sur les causes secondaires qui les ont dégradés dans la suite des siècles, et ont amené la surface du globe à l’état où elle se trouve aujourd’hui.

1°. On ne saurait douter que les montagnes primitives n’aient été formées dans le sein des grandes eaux par la suite de la cristallisation générale du globe. Car cette cristallisation n’en a pas formé une surface à peu près plane. On doit supposer, au contraire, que cette surface du globe terrestre était hérissée de groupes de cristaux posés çà et là irrégulièrement, et ne présentant aucune régularité.

Nous avons vu que la surface des autres planètes offrent les mêmes irrégularités. Les montagnes de Vénus ont jusqu’à 23,000 toises d’élévation. La hauteur des celles de la Lune va jusqu’à 5000 toises, quoique ce globe soit au moins soixante fois moins gros que celui de la terre. Les montagnes de Jupiter et des autres planètes sont également très-élevées.

2°. Les montagnes primitives sa formation postérieure, telles que celles de gneis, de schistes, de hornblende… ont également été formées par cristallisation. Elles se sont modelées en général sur les montagnes primitives qu’elles ont recouvertes.

3°. Quelques-unes de ces montagnes primitives, de formation postérieure, ont pu néanmoins s’exhausser par une suite de la cristallisation. Car, supposons que les matières en dissolution, qui les ont formées, se déposent en plus grande quantité dans un endroit que dans les autres, comme nous l’avons vu, dans les lacs d’eaux sallées, il s’y formera un terrain plus élevé, par conséquent montagnes et vallées.

4°. Ces montagnes, ces vallées et ces plaines d’origine primitive, et que nous devons encore considérer sous les eaux, auront été sillonnées par les divers courans des mers, dont nous avons parlé, avant l’apparition des continens. Ces eaux y auront formé quelquefois des angles rentrans et saillans…

5°. L’action des feux sousmarins, des volcans et des commotions souterraines, que tous les phénomènes nous indiquent avoir eu une grande intensité, aura encore produit de grands changemens à la surface du globe, qui, à ces époques, était toujours sous les eaux.

6°. Ces terrains, ainsi formés au milieu des eaux, éprouvèrent des retraites par un dessèchement plus ou moins considérables. Telle est la retraite qu’à subie la couche de la haute masse, du plâtre de Montmartre, dite des hauts piliers. C’est une retraite en forme de prismes basaltiques, qui n’a pu s’opérer qu’au sein des eaux des mers. Car on trouve dans des couches, à plus de cent pieds de hauteur au-dessus de celle-ci, des coquilles marine.

7°. Mais il y aura eu des retraites des terrains beaucoup plus considérables. Il se sera formé à la surface du globe des crevasses étendues, semblables à celles qui ont lieu. dans un globe considérable qui se refroidit, ou se dessèche, analogues à celles qui ont lieu dans les glaciers… Ces fentes auront pu donner lieu à des vallées immenses, telles que la mer Rouge, le sein Persique, la mer Adriatique.

8°. Des cavernes intérieures du globe auront pu également s’affaisser.

9°. Les eaux, qui couvraient le globe à une grande hauteur, se précipitèrent dans ces fentes nouvelles, dans ces cavernes affaissées… Le niveau des eaux des mers en fut plus ou moins abaissé.

10. Enfin les premiers pics des continens parurent au milieu de cet immense Océan, et des nouveaux phénomènes se développèrent.

11°. Les courans des mers attaquèrent avec violence ces pics isolés, et les dégradèrent. Les débris en furent entraînés plus loin pour former de nouvelles couches.

12°. Les êtres organisés terrestres parurent sur cette portion des continens…

13°. Leurs débris furent entraînés dans les nouvelles couches qui se formèrent au sein des eaux-mères de la cristallisation générale.

14°. Ces nouvelles couches qui contenaient une plus ou moins grande quantité des débris des êtres organisés, étaient calcaires, gypseuses, marneuses, argileuses…

15°. Elles se modelèrent en général sur les couches primitives, soit de première formation, soit de formation postérieure… : ce qui forma de nouvelles plaines, de nouvelles montagnes, de nouvelles vallées…

16°. Néanmoins quelques-unes de ces nouvelles couches ont pu former des montagnes particulières par une suite de la cristallisation. Il suffit de concevoir que ces nouvelles matières dissoutes, et cristallisant, étaient en plus grande quantité dans un endroit que dans les autres, comme nous l’avons vu dans les lacs d’eaux salées.

17°. Les continens se découvrirent de plus en plus, et furent dégradés,

a. Par les pluies, les frimats ;

b. Par les explosions volcaniques ;

c. Par les compotions souterraines ;

d. Par les affaissemens des cavernes, par les fentes faites de la retraite des terrains ;

e. Par l’action des courans.

18°. Les grands courans des eaux, dont nous avons parlé, continuèrent à exercer leurs actions, et sur les continens qui étaient découverts, et sur ceux qui étaient encore sous les eaux.

19°. Ces courans apportaient de nouveaux dépôts sur les flancs des montagnes sousmarines.

20°. Quelques-unes de ces substances ainsi transportées étaient dans un état de dissolution, et cristallisèrent : elles formèrent de nouvelles couches de gneis, de schistes, de hornblende… D’autres fois ce furent des couches calcaires, gypseuses, schisteuses…, contenaient des débris des êtres organisés…

21°. Ces dépôts ne formèrent, d’autres fois, que des couches de brèches, de pouddings, de cailloux roulés, des sables…, comme les brèches de la Valorsine…, les pouddings du Riggi…

22°. Ces nouveaux dépôts ont pu se faire sur le flanc des montagnes de tous les côtés, parce que la direction des quatre grands courans est continuellement modifiée par des circonstances locales, ainsi que les faits nous l’ont prouvé.

23°. Néanmoins on doit supposer qu’en général l’action des courans sous les zones équinoxiales, s’est exercée dans la direction de l’orient à l’occident.

a. Dans les zones de 20 à 30 degrés de latitude, l’action des courans s’est exercée dans le direction de l’équateur aux pôles.

b. Dans les zones de 40 degrés de latitude, et au-delà, l’action des courans s’est exercée de l’occident à l’orient.

c. Enfin, la direction de ces derniers courans revenus sur les côtes occidentales des continens, s’exerce des pôles vers l’équateur, dans les zones de 45 degrés de latitude et au-delà.

24°. Mais nous avons vu que des causes locales changent très-souvent cette direction des courans. Le courant d’est, par exemple, qui entre dans le détroit de Macassar, entre Bornéo et Celèbes, en ressort dans la direction sud, parce que ce détroit est au sud… Ces nouveaux courans donneront donc de nouvelles directions aux couches qui se formeront…

Nous ne donnerons pas, dans ce moment, plus de développement à toutes ces questions, auxquelles nous reviendrons ailleurs, en parlant des différens systèmes de géologie.




  1. Journal de Physique, tom. 69, pag. 144.
  2. Métamorphoses d’Ovide, livre 15.
  3. Histoire de la Nouvelle-Espagne, par Humboldt, Journal de Physique, tom. 69, pag. 149.
  4. Tom. 2, pag. 118.