Le Barbier de Séville/Acte IV

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Le Barbier de Séville
Le Barbier de Séville ou La Précaution inutile, Texte établi par Édouard Fournier, LaplaceŒuvres complètes (p. 98-103).
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ACTE QUATRIÈME


(Le théâtre est obscur.)

Scène I

BARTHOLO, don BASILE, une lanterne de papier à la main.
Bartholo.

Comment, Basile, vous ne le connaissez pas ? ce que vous dites est-il possible ?

Basile.

Vous m’interrogeriez cent fois que je vous ferais toujours la même réponse. S’il vous a remis la lettre de Rosine, c’est sans doute un des émissaires du comte. Mais, à la magnificence du présent qu’il m’a fait, il se pourrait que ce fût le comte lui-même.

Bartholo.

Quelle apparence ? Mais, à propos de ce présent, eh ! pourquoi l’avez-vous reçu ?

Basile.

Vous aviez l’air d’accord ; je n’y entendais rien ; et, dans les cas difficiles à juger, une bourse d’or me paraît toujours un argument sans réplique. Et puis, comme dit le proverbe, ce qui est bon à prendre…

Bartholo.

J’entends : est bon…

Basile.

À garder.

Bartholo, surpris.

Ah ! ah !

Basile.

Oui, j’ai arrangé comme cela plusieurs petits proverbes avec des variations. Mais, allons au fait : à quoi vous arrêtez-vous ?

Bartholo.

En ma place, Basile, ne feriez-vous pas les derniers efforts pour la posséder ?

Basile.

Ma foi non, docteur. En toute espèce de biens, posséder est peu de chose ; c’est jouir qui rend heureux : mon avis est qu’épouser une femme dont on n’est point aimé, c’est s’exposer…

Bartholo.

Vous craindriez les accidents ?

Basile.

Hé, hé, monsieur… on en voit beaucoup cette année. Je ne ferais point violence à son cœur.

Bartholo.

Votre valet, Basile. Il vaut mieux qu’elle pleure de m’avoir, que moi je meure de ne l’avoir pas.

Basile.

il y va de la vie ? Épousez, docteur, épousez.

Bartholo.

Ainsi ferai-je, et cette nuit même.

Basile.

Adieu donc. — Souvenez-vous, en parlant à la pupille, de les rendre tous plus noirs que l’enfer.

Bartholo.

Vous avez raison.

Basile.

La calomnie, docteur, la calomnie ! Il faut toujours en venir là.

Bartholo.

Voici la lettre de Rosine que cet Alonzo m’a remise, et il m’a montré, sans le vouloir, l’usage que j’en dois faire auprès d’elle.

Basile.

Adieu : nous serons tous ici à quatre heures.

Bartholo.

Pourquoi pas plus tôt ?

Basile.

Impossible ; le notaire est retenu.

Bartholo.

Pour un mariage ?

Basile.

Oui, chez le barbier Figaro ; c’est sa nièce qu’il marie.

Bartholo.

Sa nièce ? Il n’en a pas.

Basile.

Voilà ce qu’ils ont dit au notaire.

Bartholo.

Ce drôle est du complot : que diable !…

Basile.

Est-ce que vous penseriez…

Bartholo.

Ma foi, ces gens-là sont si alertes ! Tenez, mon ami, je ne suis pas tranquille. Retournez chez le notaire. Qu’il vienne ici sur-le-champ avec vous.

Basile.

Il pleut, il fait un temps du diable ; mais rien ne m’arrête pour vous servir. Que faites-vous donc ?

Bartholo.

Je vous reconduis ; n’ont-ils pas fait estropier tout mon monde par ce Figaro ! Je suis seul ici.

Basile.

J’ai ma lanterne.

Bartholo.

Tenez, Basile, voilà mon passe-partout ; je vous attends, je veille ; et vienne qui voudra, hors le notaire et vous, personne n’entrera de la nuit.

Basile.

Avec ces précautions, vous êtes sûr de votre fait.



Scène II

ROSINE, seule, sortant de sa chambre.

Il me semblait avoir entendu parler. Il est minuit sonné ; Lindor ne vient point ! Ce mauvais temps même était propre à le favoriser. Sûr de ne rencontrer personne… Ah ! Lindor ! si vous m’aviez trompée !… Quel bruit entends-je ?… dieux ! c’est mon tuteur. Rentrons.



Scène III

ROSINE, BARTHOLO.
Bartholo, tenant de la lumière.

Ah ! Rosine, puisque vous n’êtes pas encore rentrée dans votre appartement…

Rosine.

Je vais me retirer.

Bartholo.

Par le temps affreux qu’il fait, vous ne reposerez pas, et j’ai des choses très-pressées à vous dire.

Rosine.

Que me voulez-vous, monsieur ? n’est-ce donc pas assez d’être tourmentée le jour ?

Bartholo.

Rosine, écoutez-moi.

Rosine.

Demain je vous entendrai.

Bartholo.

Un moment, de grâce !

Rosine, à part.

S’il allait venir !

Bartholo lui montre sa lettre.

Connaissez-vous cette lettre ?

Rosine la reconnaît.

Ah ! grands dieux !…

Bartholo.

Mon intention, Rosine, n’est point de vous faire de reproches : à votre âge on peut s’égarer ; mais je suis votre ami, écoutez-moi.

Rosine.

Je n’en puis plus.

Bartholo.

Cette lettre que vous avez écrite au comte Almaviva…

Rosine, étonnée.

Au comte Almaviva ?

Bartholo.

Voyez quel homme affreux est ce comte : aussitôt qu’il l’a reçue, il en a fait trophée ; je la tiens d’une femme à qui il l’a sacrifiée.

Rosine.

Le comte Almaviva !…

Bartholo.

Vous avez peine à vous persuader cette horreur. L’inexpérience, Rosine, rend votre sexe confiant et crédule ; mais apprenez dans quel piège on vous attirait. Cette femme m’a fait donner avis de tout, apparemment pour écarter une rivale aussi dangereuse que vous. J’en frémis ! le plus abominable complot entre Almaviva, Figaro et cet Alonzo, cet élève supposé de Basile qui porte un autre nom et n’est que le vil agent du comte, allait vous entraîner dans un abîme dont rien n’eût pu vous tirer.

Rosine, accablée.

Quelle horreur !… quoi ! Lindor !… quoi ! ce jeune homme !…

Bartholo, à part.

Ah ! c’est Lindor !

Rosine.

C’est pour le comte Almaviva… c’est pour un autre…

Bartholo.

Voilà ce qu’on m’a dit, en me remettant votre lettre.

Rosine, outrée.

Ah ! quelle indignité !… Il en sera puni… — Monsieur, vous avez désiré de m’épouser ?

Bartholo.

Tu connais la vivacité de mes sentiments.

Rosine.

S’il peut vous en rester encore, je suis à vous.

Bartholo.

Eh bien ! le notaire viendra cette nuit même.

Rosine.

Ce n’est pas tout (ô ciel ! suis-je assez humiliée !…) : apprenez que dans peu le perfide ose entrer par cette jalousie, dont ils ont eu l’art de vous dérober la clef.

Bartholo, regardant au trousseau.

Ah ! les scélérats ! Mon enfant, je ne te quitte plus.

Rosine, avec effroi.

Ah ! monsieur ! et s’ils sont armés ?

Bartholo.

Tu as raison : je perdrais ma vengeance. Monte chez Marceline : enferme-toi chez elle à double tour. Je vais chercher main-forte, et l’attendre auprès de la maison. Arrêté comme voleur, nous aurons le plaisir d’en être à la fois vengés et délivrés ! Et compte que mon amour te dédommagera…

Rosine, au désespoir.

Oubliez seulement mon erreur. (À part.) Ah ! je m’en punis assez !

Bartholo, s’en allant.

Allons nous embusquer. À la fin, je la tiens.

(Il sort.)



Scène IV

ROSINE, seule.

Son amour me dédommagera !… Malheureuse !… (Elle tire son mouchoir et s’abandonne aux larmes.) Que faire ?… Il va venir. Je veux rester et feindre avec lui, pour le contempler un moment dans toute sa noirceur. La bassesse de son procédé sera mon préservatif… Ah ! j’en ai grand besoin. Figure noble ! air doux ! une voix si tendre !… et ce n’est que le vil agent d’un corrupteur ! Ah ! malheureuse, malheureuse !… Ciel ! on ouvre la jalousie !

(Elle se sauve.)



Scène V

LE COMTE ; FIGARO, enveloppé d’un manteau, paraît à la fenêtre.
Figaro parle en dehors.

Quelqu’un s’enfuit ; entrerai-je ?

Le Comte, en dehors.

Un homme ?

Figaro.

Non.

Le Comte.

C’est Rosine, que ta figure atroce aura mise en fuite.

Figaro saute dans la chambre.

Ma foi, je le crois… Nous voici enfin arrivés, malgré la pluie, la foudre et les éclairs.

Le Comte, enveloppé d’un long manteau.

Donne-moi la main. (Il saute à son tour.) À nous la victoire !

Figaro, jette son manteau.

Nous sommes tout percés. Charmant temps pour aller en bonne fortune ! Monseigneur, comment trouvez-vous cette nuit ?

Le Comte.

Superbe pour un amant.

Figaro.

Oui, mais pour un confident ?… Et si quelqu’un allait nous surprendre ici ?

Le Comte.

N’es-tu pas avec moi ? J’ai bien une autre inquiétude : c’est de la déterminer à quitter sur-le-champ la maison du tuteur.

Figaro.

Vous avez pour vous trois passions toutes-puissantes sur le beau sexe : l’amour, la haine et la crainte.

Le Comte regarde dans l’obscurité.

Comment lui annoncer brusquement que le notaire l’attend chez toi pour nous unir ? Elle trouvera mon projet bien hardi ; elle va me nommer audacieux.

Figaro.

Si elle vous nomme audacieux, vous l’appellerez cruelle. Les femmes aiment beaucoup qu’on les appelle cruelles. Au surplus, si son amour est tel que vous le désirez, vous lui direz qui vous êtes ; elle ne doutera plus de vos sentiments.



Scène VI

LE COMTE, ROSINE, FIGARO.
(Figaro allume toutes les bougies qui sont sur la table.)
Le Comte.

La voici. — Ma belle Rosine !…

Rosine, d’un ton très compassé.

Je commençais, monsieur, à craindre que vous ne vinssiez pas.

Le Comte.

Charmante inquiétude !… Mademoiselle, il ne me convient point d’abuser des circonstances pour vous proposer de partager le sort d’un infortuné ! mais, quelque asile que vous choisissiez, je jure sur mon honneur…

Rosine.

Monsieur, si le don de ma main n’avait pas dû suivre à l’instant celui de mon cœur, vous ne seriez pas ici. Que la nécessité justifie à vos yeux ce que cette entrevue a d’irrégulier !

Le Comte.

Vous, Rosine ! la compagne d’un malheureux ! sans fortune, sans naissance !…

Rosine.

La naissance, la fortune ! Laissons là les jeux du hasard ; et si vous m’assurez que vos intentions sont pures…

Le Comte, à ses pieds.

Ah ! Rosine ! je vous adore !…

Rosine, indignée.

Arrêtez, malheureux !… vous osez profaner… Tu m’adores !… va, tu n’es plus dangereux pour moi : j’attendais ce mot pour te détester. Mais, avant de t’abandonner au remords qui t’attend (en pleurant), apprends que je t’aimais, apprends que je faisais mon bonheur de partager ton mauvais sort. Misérable Lindor ! j’allais tout quitter pour te suivre. Mais le lâche abus que tu as fait de mes bontés, et l’indignité de cet affreux comte Almaviva, à qui tu me vendais, ont fait rentrer dans mes mains ce témoignage de ma faiblesse. Connais-tu cette lettre ?

Le Comte, vivement.

Que votre tuteur vous a remise ?

Rosine, fièrement.

Oui, je lui en ai l’obligation.

Le Comte.

Dieux, que je suis heureux ! Il la tient de moi. Dans mon embarras, hier, je m’en suis servi pour arracher sa confiance ; et je n’ai pu trouver l’instant de vous en informer. Ah ! Rosine ! il est donc vrai que vous m’aimez véritablement !

Figaro.

Monseigneur, vous cherchiez une femme qui vous aimât pour vous-même…

Rosine.

Monseigneur !… Que dit-il ?

Le Comte, jetant son large manteau, paraît en habit magnifique.

Ô la plus aimée des femmes ! il n’est plus temps de vous abuser : l’heureux homme que vous voyez à vos pieds n’est point Lindor ; je suis le comte Almaviva, qui meurt d’amour, et vous cherche en vain depuis six mois.

Rosine tombe dans les bras du comte.

Ah !…

Le Comte, effrayé.

Figaro ?

Figaro.

Point d’inquiétude, monseigneur ; la douce émotion de la joie n’a jamais de suites fâcheuses : la voilà, la voilà qui reprend ses sens. Morbleu ! qu’elle est belle !

Rosine.

Ah ! Lindor !… ah ! monsieur ! que je suis coupable ! j’allais me donner cette nuit même à mon tuteur.

Le Comte.

Vous, Rosine !

Rosine.

Ne voyez que ma punition ! J’aurais passé ma vie à vous détester. Ah, Lindor, le plus affreux supplice n’est-il pas de haïr, quand on sent qu’on est faite pour aimer ?

Figaro regarde à la fenêtre.

Monseigneur, le retour est fermé ; l’échelle est enlevée.

Le Comte.

Enlevée !

Rosine, troublée.

Oui, c’est moi… c’est le docteur. Voilà le fruit de ma crédulité. Il m’a trompée. J’ai tout avoué, tout trahi : il sait que vous êtes ici, et va venir avec main-forte.

Figaro regarde encore.

Monseigneur, on ouvre la porte de la rue.

Rosine, courant dans les bras du comte avec frayeur.

Ah ! Lindor !…

Le Comte, avec fermeté.

Rosine, vous m’aimez ! Je ne crains personne ; et vous serez ma femme. J’aurai donc le plaisir de punir à mon gré l’odieux vieillard !…

Rosine.

Non, non, grâce pour lui, cher Lindor ! Mon cœur est si plein, que la vengeance ne peut y trouver place.



Scène VII

Le NOTAIRE, don BAZILE, les acteurs précédents.
Figaro.

Monseigneur, c’est notre notaire.

Le Comte.

Et l’ami Basile avec lui !

Basile.

Ah ! qu’est-ce que j’aperçois ?

Figaro.

Eh ! par quel hasard, notre ami…

Basile.

Par quel accident, messieurs… ?

Le Notaire.

Sont-ce là les futurs conjoints ?

Le Comte.

Oui, monsieur. Vous deviez unir la signora Rosine et moi cette nuit, chez le barbier Figaro ; mais nous avons préféré cette maison, pour des raisons que vous saurez. Avez-vous notre contrat ?

Le Notaire.

J’ai donc l’honneur de parler à Son Excellence monsieur le comte Almaviva ?

Figaro.

Précisément.

Basile, à part.

Si c’est pour cela qu’il m’a donné le passe-partout…

Le Notaire.

C’est que j’ai deux contrats de mariage, monseigneur ; ne confondons point : voici le vôtre ; et c’est ici celui du seigneur Bartholo avec la signora… Rosine aussi. Les demoiselles apparemment sont deux sœurs qui portent le même nom.

Le Comte.

Signons toujours. Don Basile voudra bien nous servir de second témoin.

(Ils signent.)
Basile.

Mais, Votre Excellence… je ne comprends pas…

Le Comte.

Mon maître Basile, un rien vous embarrasse, et tout vous étonne.

Basile.

Monseigneur… Mais si le docteur…

Le Comte, lui jetant une bourse.

Vous faites l’enfant ! Signez donc vite.

Basile, étonné.

Ah ! ah !

Figaro.

Où est donc la difficulté de signer ?

Basile, pesant la bourse.

Il n’y en a plus ; mais c’est que moi, quand j’ai donné ma parole une fois, il faut des motifs d’un grand poids…

(Il signe.)



Scène VIII

BARTHOLO, un alcade, des alguazils, des valets avec des flambeaux, et les acteurs précédents.
Bartholo voit le comte baiser la main de Rosine, et Figaro qui embrasse grotesquement don Basile ; il crie, en prenant le notaire à la gorge.

Rosine avec ces fripons ! Arrêtez tout le monde. J’en tiens un au collet.

Le Notaire.

C’est votre notaire.

Basile.

C’est votre notaire. Vous moquez-vous ?

Bartholo.

Ah ! don Basile ! eh ! comment êtes-vous ici ?

Basile.

Mais plutôt vous, comment n’y êtes-vous pas ?

L’Alcade, montrant Figaro.

Un moment ! je connais celui-ci. Que viens-tu faire en cette maison, à des heures indues ?

Figaro.

Heure indue ? Monsieur voit bien qu’il est aussi près du matin que du soir. D’ailleurs, je suis de la compagnie de Son Excellence monseigneur le comte Almaviva.

Bartholo.

Almaviva !

L’Alcade.

Ce ne sont donc pas des voleurs ?

Bartholo.

Laissons cela. — Partout ailleurs, monsieur le comte, je suis le serviteur de Votre Excellence ; mais vous sentez que la supériorité du rang est ici sans force. Ayez, s’il vous plaît, la bonté de vous retirer.

Le Comte.

Oui, le rang doit être ici sans force ; mais ce qui en a beaucoup est la préférence que mademoiselle vient de m’accorder sur vous, en se donnant à moi volontairement.

Bartholo.

Que dit-il, Rosine ?

Rosine.

Il dit vrai. D’où naît votre étonnement ? Ne devais-je pas cette nuit même être vengée d’un trompeur ? Je le suis.

Basile.

Quand je vous disais que c’était le comte lui-même, docteur ?

Bartholo.

Que m’importe à moi ? Plaisant mariage ! Où sont les témoins ?

Le Notaire.

il n’y manque rien. Je suis assisté de ces deux messieurs.

Bartholo.

Comment, Basile ! vous avez signé ?

Basile.

Que voulez-vous ? ce diable d’homme a toujours ses poches pleines d’arguments irrésistibles.

Bartholo.

Je me moque de ses arguments. J’userai de mon autorité.

Le Comte.

Vous l’avez perdue en en abusant.

Bartholo.

La demoiselle est mineure.

Figaro.

Elle vient de s’émanciper.

Bartholo.

Qui te parle à toi, maître fripon ?

Le Comte.

Mademoiselle est noble et belle ; je suis homme de qualité, jeune et riche ; elle est ma femme : à ce titre, qui nous honore également, prétend-on me la disputer ?

Bartholo.

Jamais on ne l’ôtera de mes mains.

Le Comte.

Elle n’est plus en votre pouvoir. Je la mets sous l’autorité des lois ; et monsieur, que vous avez amené vous-même, la protégera contre la violence que vous voulez lui faire. Les vrais magistrats sont les soutiens de tous ceux qu’on opprime.

L’Alcade.

Certainement. Et cette inutile résistance au plus honorable mariage indique assez sa frayeur sur la mauvaise administration des biens de sa pupille, dont il faudra qu’il rende compte.

Le Comte.

Ah ! qu’il consente à tout, et je ne lui demande rien.

Figaro.

Que la quittance de mes cent écus ; ne perdons pas la tête.

Bartholo, irrité.

Ils étaient tous contre moi ; je me suis fourré la tête dans un guêpier.

Basile.

Quel guêpier ? ne pouvant avoir la femme, calculez, docteur, que l’argent vous reste ; et oui, vous reste !

Bartholo.

Ah ! laissez-moi donc en repos, Basile ! Vous ne songez qu’à l’argent. Je me soucie bien de l’argent, moi ! À la bonne heure, je le garde ; mais croyez-vous que ce soit le motif qui me détermine ?

(Il signe.)
Figaro, riant.

Ah, ah, ah ! monseigneur, ils sont de la même famille.

Le Notaire.

Mais, messieurs, je n’y comprends plus rien. Est-ce qu’elles ne sont pas deux demoiselles qui portent le même nom ?

Figaro.

Non, monsieur, elles ne sont qu’une.

Bartholo, se désolant.

Et moi qui leur ai enlevé l’échelle, pour que le mariage fût plus sûr ! Ah ! je me suis perdu faute de soins.

Figaro.

Faute de sens. Mais soyons vrais, docteur : quand la jeunesse et l’amour sont d’accord pour tromper un vieillard, tout ce qu’il fait pour l’empêcher peut bien s’appeler à bon droit la Précaution inutile.


FIN DU BARBIER DE SÉVILLE.