Le Boomerang/18

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P. Olendorff (p. 223-228).


CHAPITRE DIX-HUITIÈME.Où se produit un changement à vue auquel, je parie vingt contre un, les plus astucieux de nos lecteurs ne s’attendaient guère, et qui justifie le titre, jusqu’à présent assez énigmatique, de ce charmant petit roman.


Usant plus haut d’une expression triviale, nous disions : « Pour un Néerlandais estomaqué, Berg-op-Zoom fut un Néerlandais estomaqué », voyant entrer chez lui Marie-Blanche Loison, si étrangement consentante.

Mais comment dépeindre la stupeur du même personnage encore tout emparadisé, croyant à quelque hallucination, quand sa porte s’ouvrant brusquement :

— Berg-op-Zoom !… Vous êtes un gentilhomme !… dit Marie-Blanche Loison d’une voix forte qu’il ne lui connaissait pas.

D’un bond, Berg-op-Zoom quitta le divan où il jonchait la torpeur de ses récentes délices.

— Un gentilhomme !… chercha-t-il à comprendre. Mais sans doute !… J’ai la prétention d’être un gentilhomme dans toute la force du terme.

— Alors, savez-vous, en pareil cas, comment se comportent les gentilshommes de nos contrées ?

— Je ne sais pas, Marie-Blanche, mais si la chose vous intéresse, je ferai comme eux… J’ai toujours pris les mœurs des peuplades où m’a conduit la destinée.

— La France n’est pas une peuplade, Berg-op-Zoom, mais en qualité d’étranger, je vous pardonne cette injure… Eh bien ! Berg-op-Zoom, en pareil cas, un gentilhomme français éviterait soigneusement de se vanter.

— C’est bien ce que je comptais faire, Marie-Blanche Loison.

— Pour sauver l’honneur d’une femme, le gentilhomme français n’hésite pas à sacrifier un malheureux billet de vingt-cinq louis.

— Et même de cinquante ; Marie-Blanche, vingt-cinq que je ne gagne pas plus vingt-cinq que je perds, mais bast !… je ne les regrette pas.

Il ajouta sur le ton de la passion contenue :

— Au contraire, Marie-Blanche Loison, au contraire !

— Vous êtes tout de même un chic type ! ne put s’empêcher Marie-Blanche d’éclater. Oui, un chic type ! et j’en connais des tas qui n’auraient pas fait comme vous !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L’espace nous est, hélas ! trop mesuré pour que nous puissions nous livrer à la moindre psychologie et cela est fort regrettable. Nous aurions, si le cœur nous en eût dit, étudié les causes de la passion spontanée et, si j’ose dire, éruptive qui jetait Marie-Blanche Loison dans les bras de Berg-op-Zoom.

Peut-être les causes sont-elles moins compliquées que nous nous amuserions à le développer :

Berg-op-Zoom était un chic type, tout de même ! En faut-il davantage ?

Et peut-on refuser — car nous abrégeons — à un aussi chic type de filer avec lui vers cette merveilleuse île de Java si bien faite pour l’amour et dont il lui montrait un grand nombre de photographies représentant les indigènes et quelques-uns des sites des plus pittoresques.

Et puis, elle en avait assez, de Montmartre, Montmartre-la-Purée !

C’est bon quand on est môme, ces trucs-là !

Le soir même ils prenaient le rapide de Marseille qui part de Paris à 9 h. 15 et vous met à Dijon dans la nuit, à 1 h. 51, car c’est bien loin, Marseille, pour s’y rendre d’une seule traite.