Le Brésil en 1858 sous l’empereur dom Pedro II

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LE BRÉSIL
SOUS
L’EMPEREUR DOM PEDRO


I. — LE BRÉSIL COLONIE (1500-1808).

On a déjà beaucoup parlé du Brésil en Europe. On admire la tranquillité dont il jouit et la marche modérée de son gouvernement : on compare le développement régulier de cet empire à la vie tumultueuse des républiques environnantes, toujours déchirées par la guerre civile. Tout ce qui a été publié jusqu’ici cependant ne donne pas une idée suffisamment exacte de ses institutions politiques, de son administration, de son commerce, de ses progrès, de ses rapports extérieurs, et surtout du rôle qu’il joue dans l’Amérique du Sud, rôle qui prépare et définit son influence future dans cette partie du monde.

Le caractère de cette influence se trouve déterminé par le génie même du peuple qui s’est assimilé ce beau pays. Comme le peuple espagnol, le peuple portugais était aventureux ; mais il était moins poussé par l’ambition de la conquête que par ses aptitudes commerciales. Le système d’administration qu’il établit dans ses possessions n’avait aucune ressemblance avec celui des Anglais, ni avec celui des Espagnols. Par le fond des mœurs et des institutions qu’il introduisit dans sa nouvelle colonie, il se rapprocha plus des Français que de toute autre nation conquérante. Il combattit les Indiens pour prendre leurs terres et s’y établir. Les autochthones, refoulés d’abord à l’intérieur des terres et volontairement isolés, se mêlèrent bientôt aux envahisseurs, quand les jésuites et les autres communautés religieuses parvinrent à se faire comprendre d’eux et à leur faire abandonner la vie nomade pour se déclarer sujets du roi de Portugal et former de nouveaux centres chrétiens. À côté des villes bâties par les Européens s’élevèrent des bourgades de Tupinambas, de Tupinimquins et de Carijos, qui se soumirent aux lois et au gouvernement des Portugais. La cupidité des conquérans les portait-elle à réduire quelques Indiens en captivité, les jésuites se présentaient aussitôt pour les délivrer et les secourir, et ils trouvaient toujours un appui dans la couronne et dans les gouverneurs de la colonie.

Les Espagnols suivirent une tout autre marche : ils traitèrent les Indiens comme des bêtes féroces ; ils adoptèrent un système de tortures et de cruautés dont on ne trouve d’exemples dans les annales d’aucun autre peuple conquérant. Ils ne croyaient affermir leur puissance dans ces nouvelles contrées qu’en faisant disparaître les anciens habitans. C’est avec un profond sentiment de dégoût et d’horreur qu’on détourne les yeux des actes barbares que les Almagro, les Pizarro et les Bovadilla ont commis sans la moindre nécessité contre les malheureux indigènes, dont le seul tort était de posséder d’admirables pays et des îles magnifiques. Ces habitudes sanguinaires ne changèrent pas quand les conquérans espagnols eurent fait disparaître la race proscrite, et qu’ils ne rencontrèrent plus de résistance. Après les combats, après l’emploi des chiens furieux, après le gibet et les massacres, vint la guerre civile. Les conquérans tournèrent leurs armes les uns contre les autres, et les Almagro, les Balboa, les Pizarro tombèrent eux-mêmes sous les coups de leurs compatriotes. Telle est la triste histoire offerte par la conquête du Pérou, du Mexique, du Chili et des autres parties de l’Amérique où se sont introduits les Espagnols.

Au moment où ses vaisseaux débarquèrent au Brésil, le Portugal était loin de porter toutes ses vues vers cette nouvelle conquête. Les Indes orientales appelaient principalement son attention : il y avait là des richesses immenses, des marchés commerciaux très productifs. Les étoffes et les soieries de la Perse et de la Chine, les diamans, les perles et les rubis de Golconde et du Pégu, les épices de Bornéo, de Ceylan et du Malabar, transportées à Lisbonne sur de nombreux vaisseaux, faisaient de cette ville la capitale du monde commerçant, et donnaient une prospérité inouïe au petit royaume du Portugal. Mais quand les Espagnols enveloppèrent le Brésil de leurs colonies et menacèrent de s’en rendre maîtres en l’étreignant entre le Pérou, le Paraguay et la Colombie, il fallut bien penser à cette nouvelle conquête, et le roi dom Juan III divisa le pays en capitaineries, qu’il donna comme récompenses à quelques-uns de ses plus dévoués serviteurs. À ces domaines féodaux étaient attachés tous les droits dont jouissait la couronne, excepté ceux de condamner à mort, de battre monnaie et de faire le commerce du bois du Brésil, dont les rois de Portugal voulaient garder le monopole. Les donataires devaient conquérir les terres sur les indigènes, les peupler et les coloniser, combattre les flibustiers qui paraîtraient sur les côtes, et payer à la couronne un droit de suzeraineté. Presque tous furent malheureux : les uns perdirent leur fortune, d’autres la vie, dans leurs nouveaux domaines, qu’ils regardaient en quelque sorte comme des royaumes héréditaires. Un très petit nombre put garder les donations de Juan III. La couronne, obligée de reprendre possession de ces domaines en payant une indemnité aux propriétaires, dota le pays d’une administration générale et régulière, en mettant quelques hommes habiles à la tête du gouvernement.

Jusqu’en 1807, le système portugais resta invariablement le même. Quelquefois l’administration du Brésil tout entier était entre les mains d’un vice-roi ; quelquefois il y avait autant de gouverneurs que de capitaineries, et chacun s’entendait directement avec le gouvernement de Lisbonne. Ces gouverneurs et ces vice-rois avaient presque toutes les attributions royales, et la couronne seule contrôlait leur autorité. Ils étaient à la tête de tous les pouvoirs, commandaient l’armée et la marine ; ils avaient le droit de suspendre les jugemens, qui, jusqu’à la fin du XVIIe siècle, ne se rendaient qu’en première instance, car ce fut seulement vers cette époque qu’un tribunal d’appel fut créé dans la ville de Bahia. À la fin du XVIIIe siècle, un autre tribunal possédant les mêmes attributions fut installé à Rio-Janeiro. Presque toutes les décisions de ces tribunaux devaient être confirmées par la cour supérieure qui siégeait à Lisbonne. Les gouverneurs connaissaient de toutes les affaires contentieuses et administratives ; leur autorité s’étendait sur l’instruction[1], sur les travaux publics, les mines, le commerce, et jusque sur les succursales du tribunal de l’inquisition. Celui-ci du reste était plutôt une justice civile soumise aux rois qu’une justice ecclésiastique soumise à Rome, comme on le croyait généralement à cause du prétexte religieux dont l’inquisition se servait pour accomplir sa mission. Les gouverneurs et le vice-roi avaient aussi le droit d’emprisonnement préventif et de déportation contre tout habitant de la colonie dont ils jugeaient convenable de se défaire.

Pendant toute la période coloniale, on ne permit à la colonie que l’agriculture et l’exploitation des mines d’or et des pierres précieuses, découvertes vers la fin du XVIIe siècle et le commencement du XVIIIe ; on ne permit le commerce qu’avec la métropole, encore avec certaines restrictions au profit des compagnies organisées en Portugal. Aucun navire ne sortait de la colonie, si ce n’est pour aborder aux plages portugaises, et l’entrée des ports coloniaux n’était permise qu’aux vaisseaux venant de Lisbonne, de Porto, de Vianna ou de Setubal. La fabrication industrielle était interdite, parce que le Portugal voulait en conserver le monopole. L’imprimerie était prohibée. On osa créer un établissement typographique à Rio-Janeiro, sous les auspices du comte de Bobadella, vers le milieu du XVIIIe siècle ; mais la cour de Lisbonne censura le gouverneur et ordonna que l’imprimerie fût immédiatement et à jamais fermée.

Malgré ces prohibitions, les richesses du pays se développaient, la population s’accroissait, l’agriculture faisait de notables progrès : outre le cacao, le manioc, l’indigo, le bois du Brésil, l’ipécacuana, la vanille, dont la production était intérieure, on y acclimatait la canne à sucre, importée de l’île de Madère, le café, le girofle et la cannelle, venant de l’Asie, et le riz, les fèves et le maïs de l’Europe. Les mines d’or et de diamant de Minas-Geraes, Goyaz et Matto-Grosso appelaient au centre du pays tous ceux qui ne cherchaient qu’à s’enrichir. Le Brésil offrait plus de ressources que le Portugal aux classes pauvres de la société, qui allaient y chercher une fortune qu’elles n’avaient pas d’espoir de rencontrer dans la métropole.

Malgré ce système d’administration politique, le Brésil, dès sa découverte, fut représenté en Portugal par des hommes distingués qui avaient eu leur berceau dans la colonie, et qui prirent place parmi les célébrités de la métropole. Le sol ne produisait pas seulement des richesses matérielles : il donnait au Portugal des guerriers tels que Jorge d’Albuquerque, Salvador Correia, André Vidal de Negreiros, qui chassa les Hollandais du Brésil, Pinto do França, qui se fit remarquer pendant l’invasion du Portugal par les Français. Il lui donnait des historiens et des prédicateurs qui font le plus grand honneur à la littérature portugaise, des savans et des naturalistes tels que Bartholomeo Gusmao[2], les deux Camaras, Alexandre Rodriguez Ferreira, Leandro do Sacramento, auxquels on doit beaucoup de découvertes. Il lui donnait encore des hommes d’état et des économistes comme Alexandre de Gusmao, dom Francisco de Lemos, dom José Joaquim de Cunha Continho, Joao Pereira Ramos et le vicomte de Cayrù[3], d’éminens poètes tels que Souza Caldas, Sao Carlos, Antonio José, Basilio de Gama, Santa Ritta Durao, Claudio Manuel[4]). Les Brésiliens ont toujours d’ailleurs excellé dans la poésie. Avant que M. de Lamartine charmât l’Europe par ses élans religieux et ses rêveries chrétiennes, Souza Caldas étonnait les peuples du Portugal et du Brésil par ses odes sacrées, ses mélancoliques et sublimes cantates. Bien avant que Fenimore Cooper fit connaître au monde les usages et les combats des indigènes de l’Amérique, Santa Ritta Durao et Basilio da Gama chantaient dans leurs beaux poèmes les combats des Guaranis et des Tupinambas, leurs mœurs, leurs luttes contre les conquérans européens, et leurs amours au milieu des forêts vierges, à l’ombre des palmiers, sur les bords heureux des rivières et au gazouillement harmonieux des brillans oiseaux des tropiques.

Jusqu’à l’indépendance du Brésil, toute cette gloire était la gloire du Portugal ; la littérature était une, et les génies des deux mondes s’unissaient pour n’en former qu’un seul, le génie de la Lusitanie. Malheureusement cette gloire n’était pas connue de l’Europe, car le Portugal n’occupait qu’une petite place dans le monde, et sa langue ne retentissait pas au-delà de ses frontières.

II. — LE BRÉSIL MÉTROPOLE DE LA MAISON DE BRAGANCE (1808-1821).

En 1807, l’empereur Napoléon Ier envahit le Portugal pour le soumettre à sa domination et fermer ses ports à l’Angleterre. La reine dona Maria Ire, après une longue maladie, étant devenue folle, son fils le prince royal, dom Juan, nommé régent, gouvernait l’état. Il avait vu la déchéance des rois légitimes d’Espagne. Il craignit d’avoir le sort de Charles IV, qui avait été forcé d’abdiquer et vivait prisonnier en France avec toute sa famille. Il jugea prudent d’abandonner ses possessions d’Europe et d’aller s’établir dans sa colonie du Brésil, au-delà de l’Océan, que le vainqueur de Marengo et d’Austerlitz ne pouvait pas franchir.

La reine, le prince régent, toute la cour et un grand nombre de familles portugaises quittèrent Lisbonne, et arrivèrent au Brésil au commencement de l’année 1808. Rio-Janeiro fut choisi pour capitale et siège du gouvernement ; l’ancienne métropole fut abandonnée à l’invasion des Français, et le Brésil devint la nouvelle métropole de la monarchie de la maison de Bragance. Tout fut changé. Il n’y eut plus de colonie, ou, s’il y en eut encore une, ce fut le Portugal européen. Les ministères, les tribunaux supérieurs administratifs et judiciaires, les écoles militaires, de marine, des beaux-arts, tous les établissemens nécessaires s’organisèrent à Rio-Janeiro. Les ports furent ouverts au commerce du monde. L’étranger y fut admis et put s’y établir ; des fabriques furent créées, l’essor fut donné à l’industrie, et le nouveau pays prit place à côté des nations européennes. L’indépendance du Brésil était établie de fait ; il ne lui manquait plus qu’une sanction officielle.

Treize ans se passèrent ainsi. Trois fois le Portugal fut envahi par les généraux de Napoléon ; trois fois ceux-ci furent obligés d’abandonner leur conquête. Pendant ce temps, la maison de Bragance était tranquille au Brésil ; à la reine, décédée à Rio-Janeiro, avait succédé le prince royal sous le nom de dom Juan VI : le pays prospérait et s’agrandissait loin des commotions, des guerres et des invasions étrangères.

Mais la chute du premier empereur des Français amena d’autres événemens qui trompèrent tous les calculs et toutes les espérances. Les idées de liberté et de gouvernement représentatif, reçues et acceptées en France, pénétrèrent dans quelques états de l’Italie, en Espagne et en Portugal. Les habitans de ces pays en vinrent à savoir ce qu’ils valaient ; ils subirent l’influence de la nouvelle civilisation, qui s’introduisait partout. Après la Sardaigne, Naples et l’Espagne, le Portugal fit sa révolution politique, et appela des chambres nommées par le peuple pour lui donner des institutions libérales.

En 1820, le gouvernement représentatif fut proclamé en Portugal. Les cortès se réunirent pour l’élaboration d’une charte constitutionnelle, et la première chose qu’elles exigèrent, ce fut l’abandon du Brésil par le roi et la cour, leur rentrée dans la capitale du Portugal, et leur adhésion par serment aux bases de la constitution projetée. Lisbonne réclamait ses prérogatives de métropole de tout le royaume sur lequel régnait la maison de Bragance. Après une longue hésitation, dom Juan VI céda aux vœux de ses sujets d’Europe ; mais son esprit était trop cultivé, son intelligence trop éclairée, pour qu’il ne comprît pas que les deux pays étaient à tout jamais indépendans l’un de l’autre. Le Portugal ne voulait plus être colonie du Brésil : il exigeait que son roi et la cour résidassent sur son territoire. Le Brésil ne pouvait plus consentir à redevenir colonie : il s’était habitué à faire lui-même ses affaires, à ne plus dépendre de l’ancienne métropole.

En partant pour l’Europe avec sa famille, dom Juan VI laissa au Brésil son fils aîné, le prince royal dom Pedro, avec le titre de régent du nouveau royaume. Ce n’était pas là ce que voulaient les cortès portugaises. Après avoir obtenu que le roi préférât Lisbonne à Rio-Janeiro, elles exigèrent encore que le prince royal quittât le Brésil. Elles se trompaient sur l’état du Brésil, qu’elles ne connaissaient pas ; elles ignoraient ses progrès, sa prospérité, ses mœurs, sa puissance même. Elles étaient composées d’avocats distingués, d’écrivains et de patriotes ardens, mais qui n’avaient aucune idée des modifications opérées au Brésil pendant les treize années que la maison de Bragance avait passées sur le territoire de son ancienne colonie. Les cortès croyaient qu’il était possible de faire revenir ce pays à l’état de possession portugaise, et qu’il pouvait être gouverné avec d’autres idées que celles dont le Portugal réclamait lui-même alors l’application. Elles décidèrent que le prince royal serait obligé de rentrer en Europe, que les hauts tribunaux seraient abolis, et que chaque province brésilienne recevrait de la métropole un gouverneur qui ne pourrait correspondre qu’avec elle. Ainsi disparaissait l’unité du pays, et avec cette unité les forces qu’il en retirait. Il devait y avoir autant de colonies que de gouvernemens provinciaux, et chacune de ces provinces devait être assez faible pour être obligée de se soumettre à tout ce qu’exigerait le Portugal.

Le Brésil se leva enfin. Dom Pedro vit bien que, s’il obéissait aux cortès, la séparation des deux pays n’était pas moins inévitable, et qu’au lieu d’une monarchie il y aurait une république de plus en Amérique. Il résolut d’unir ses destinées et son avenir aux destinées et à l’avenir de ce nouvel état. L’indépendance du Brésil fut proclamée, et l’empire constitué en septembre 1822. La guerre fut déclarée entre le Brésil et le Portugal ; elle dura quelques années, mais elle fut sans importance. Le Portugal n’avait pas assez de forces pour combattre au Brésil, et cette guerre d’ailleurs ne trouvait de partisans que dans les cortès. De son côté, le Brésil, ayant un prince portugais à sa tête, acceptant comme ses enfans les Portugais qui l’habitaient lors de la proclamation de l’indépendance, et dont la plupart avaient embrassé sa cause, pouvait se défendre avec avantage.

Il est encore une différence très importante à noter entre l’indépendance du Brésil et celle des anciennes colonies américaines qui appartenaient à l’Espagne. Cette différence a décidé de son avenir. Avec l’indépendance, le Brésil adopta à la fois les idées monarchiques qu’il avait appris à aimer et les principes de liberté politique qui commençaient à se répandre. La monarchie lui donna l’unité de l’immense pays sur lequel s’étendait la domination portugaise, et de plus l’appui de tous les Portugais qui résidaient sur son territoire. Il n’eut presque pas d’ennemis intérieurs à combattre ; il n’eut besoin ni de proscrire les Européens, ni de confisquer leurs biens, ni de faire couler le sang. Il ne fit, pour ainsi dire, que continuer à marcher dans la voie du progrès qu’il avait suivie jusqu’alors, et, malgré sa forme monarchique, il jouit d’une assez grande liberté politique, sans repousser les principes démocratiques qu’admettaient ses voisins.

De leur côté, les colonies espagnoles eurent plus de difficultés à vaincre pour conquérir leur indépendance. La guerre chez elles fut terrible. Les Américains sortirent vainqueurs de la lutte ; San-Martin, Ohigins, Bolivar, Iturbide firent triompher l’indépendance ; mais leurs pays furent ravagés, la haine contre les Espagnols s’assouvit dans d’effroyables vengeances ; la proscription des Européens fut une des premières mesures qu’on eut besoin de prendre pour affermir l’émancipation, et toutes ces luttes n’eurent pour résultat que d’établir l’influence du régime militaire. Lorsqu’ensuite les indépendans n’eurent plus d’Européens à combattre, lorsqu’ils les eurent expulsés tous de leurs belles contrées, ils dirigèrent leurs armes les uns contre les autres. Tous voulaient être chefs ; l’ambition s’empara des esprits : personne ne voulut plus obéir. Après les guerres de l’indépendance vinrent les guerres civiles avec le même cortège de barbaries et d’horreurs. Oribe, Rosas, Quiroga et tant d’autres chefs offrent tous la même physionomie sinistre. Les anciennes vice-royautés se divisèrent en autant de petites républiques qu’il en fallait aux vainqueurs et aux ambitieux. Celle de la Colombie se divisa en trois, celle du Pérou en deux, celle de Buenos-Ayres en trois. Le Mexique, Costa-Rica, Guatemala et tant d’autres petits états adoptèrent ce système de division, qui ne produisit que la faiblesse. Après la division, chacun se donnait un gouvernement et une constitution, presque aussitôt renversés. Aujourd’hui encore ces malheureuses contrées, si dignes cependant d’un meilleur sort, se débattent dans les guerres civiles et l’anarchie, qui ont usé toutes leurs forces et toute leur virilité. Il n’en est pas une qui, depuis la conquête de son indépendance jusqu’à ce jour, compte moins de cinq ou six constitutions et d’une douzaine de gouvernemens différens. Leurs mœurs sont devenues militaires et sont de plus en plus impuissantes à créer et à consolider des institutions, à favoriser la marche des progrès que la paix fait naître, et où résident la vie et l’avenir d’un peuple.

Sans doute l’anarchie s’est montrée plusieurs fois au Brésil depuis la proclamation de son indépendance ; mais elle a dû bientôt courber la tête, et aucune révolution n’a pu y triompher, excepté celle de 1831 contre l’empereur dom Pedro Ier, qui, en abdiquant en faveur de son fils, son héritier légitime, a épargné au pays bien des malheurs. Les institutions d’aujourd’hui sont encore celles que le premier empereur a données, et chaque jour elles s’enracinent plus profondément dans le cœur des Brésiliens. Le principe monarchique a sauvé le Brésil, et le principe monarchique, chaque jour plus respecté, devient aussi de plus en plus cher à ses habitans. C’est à ce caractère surtout que le Brésil doit la suprématie dont il jouit dans l’Amérique méridionale, comme le représentant le plus prospère de la race latine. S’il n’a pas jusqu’ici atteint le développement des États-Unis de l’Amérique du Nord, il a laissé loin derrière lui toutes les colonies espagnoles, qui, avant leur indépendance, étaient cependant plus riches, plus peuplées, plus instruites et plus industrieuses que le Brésil. Mexico, Lima, Buenos-Ayres, Bogota, Caracas, étaient des villes plus importantes que Bahia, Pernambuco et Rio-Janeiro. Depuis l’indépendance, celles-ci ont marché en avant, tandis que les villes espagnoles sont restées stationnaires, si elles n’ont pas reculé.

III. — INSTITUTIONS POLITIQUES ET ADMINISTRATIVES.

Le Brésil a une étendue d’environ 37 degrés de latitude depuis la rivière Oyapock, au nord de la ligne équinoxiale, jusqu’à Castillos, au sud. Il possède plus de mille lieues de côtes sur l’Océan-Atlantique, avec d’excellens ports, des baies magnifiques et des fleuves majestueux. La largeur du territoire brésilien est inégale, et varie entre 5 et 20 degrés de longitude : sa superficie totale est de 7,992,000 kilomètres carrés. C’est tout ce que les Portugais ont découvert et possédé. Le Brésil n’a rien perdu ni gagné en étendue territoriale depuis son indépendance. Dans cette immense contrée se rencontrent des climats de toute nature, chauds, tempérés et froids. Tout ce que l’Asie, l’Afrique et l’Europe produisent peut facilement y être acclimaté, et la plupart des productions de l’univers y existent déjà. Ses plaines, ses forêts, ses montagnes, ses rivières se prêtent à toute espèce d’industrie. Le sol renferme des mines d’or, de diamans, de pierres précieuses, de fer, de charbon, d’argent et de tous les minéraux connus. Sa population, qui n’était lors de la déclaration de l’indépendance que de 3,500,000 habitans, dépasse aujourd’hui 8 millions, dont plus de 5 millions libres, 2,500,000 esclaves et 500,000 sauvages, qui la plupart vivent encore au milieu de leurs bois, et y conservent leurs mœurs nomades et indépendantes. C’est à l’intérieur du pays, sur les bords des affluens de l’Amazone et du Paraguay, à Goyaz et à Matto-Grosso, que se sont réfugiées ces hordes barbares devant les conquérans de leur patrie et les descendans de ces conquérans.

Politiquement et administrativement, le Brésil est divisé par provinces, lesquelles sont au nombre de vingt, outre la ville de Rio, considérée comme territoire neutre, où résident l’empereur, la cour, les ministres, le conseil d’état, tous les hauts tribunaux, et où fonctionnent les deux chambres législatives de l’empire. C’est le siège du gouvernement central. Chaque province a une assemblée législative qui tient ses séances dans sa ville capitale. Dans cette ville résident non-seulement le président, délégué immédiat du ministère, qui donne des ordres à toutes les autorités de la province, les chefs de la police, de la trésorerie, de la douane, le commandant de la force armée, mais aussi tous les fonctionnaires qui occupent les emplois provinciaux, dont la création appartient aux assemblées provinciales.

La constitution de l’empire établit quatre pouvoirs politiques : le modérateur, qui appartient exclusivement à l’empereur ; le législatif, l’exécutif et le judiciaire, tous indépendans dans leurs attributions. L’acte additionnel de 1834 fixe les attributions législatives des deux chambres générales et celles des assemblées provinciales ; les provinces ont leur budget, comme l’empire a le sien. L’armée de terre et de mer n’obéit qu’au gouvernement général ; les corps de sûreté et de police n’obéissent qu’aux gouvernemens provinciaux. Les droits d’importation appartiennent exclusivement au gouvernement général ; presque tous les autres sont partagés entre celui-ci et les provinces. L’instruction supérieure relève de l’administration générale ; l’instruction secondaire et primaire relève de l’administration provinciale. Les terres du domaine public, les télégraphes, la monnaie, le timbre et les postes appartiennent exclusivement à l’administration générale, ainsi que la nomination à tous les emplois du pouvoir judiciaire, de la police, de la garde nationale, du clergé et de la diplomatie. Les présidens des provinces exercent des fonctions générales en même temps qu’ils veillent à l’exécution des lois provinciales. Ils peuvent être, ainsi que les membres du pouvoir judiciaire, dénoncés par l’assemblée locale, qui les cite devant des tribunaux spéciaux.

L’acte additionnel de 1834 introduisit dans l’organisation politique l’élément fédératif. Après la révolution de 1831, les idées démocratiques s’étaient développées. Les hommes politiques qui avaient la responsabilité des affaires, et qui voulaient sauver le principe monarchique et l’union des provinces, firent la concession de l’acte additionnel, et purent ainsi résister aux exagérations des esprits dominés par les idées républicaines des États-Unis. La constitution n’avait donné aux provinces qu’un conseil de présidence ; elles n’avaient ni budget ni assemblée ; l’administration générale elle-même faisait leurs affaires, fixait leurs dépenses ; elles vivaient dans une dépendance immédiate de la capitale et du gouvernement central. Le gouvernement brésilien garde maintenant une pleine liberté d’action dans le domaine des affaires générales de l’empire. Quant aux provinces, elles peuvent de leur côté s’occuper librement de leurs propres affaires, donner l’essor à leurs travaux publics, à la navigation de leurs rivières, à la canalisation de leurs territoires et à la prospérité de leur industrie, sans être gênées par le contact du gouvernement général.

La constitution brésilienne et les lois qui en sont le complément nécessaire définissent nettement le rôle qui appartient à l’administration politique. Les Brésiliens ont raison de regarder leur constitution comme le palladium de toutes leurs libertés politiques et de toutes leurs garanties individuelles. C’est aujourd’hui la plus ancienne de toutes les constitutions après celles de l’Angleterre et des États-Unis. La constitution de l’empire du Brésil a été mise en vigueur le 25 mars 1825, et depuis ce temps elle n’a produit que d’heureux résultats pour le pays, qui chaque jour l’aime et la respecte davantage. Toutes les bases en sont libérales. Ce n’est pas seulement un gouvernement représentatif qu’elle a établi, le gouvernement parlementaire a aussi sa part d’influence. La direction politique des affaires est soumise à l’opinion du pays, représenté par ses chambres, qui exercent un minutieux contrôle sur tous les actes des ministres, qui leur donnent la force ou les font tomber, sans que leur action puisse aller jusqu’à entraver la marche du gouvernement. La constitution ne considère les grands pouvoirs de l’état que comme des délégations de la volonté nationale. Le pouvoir exécutif, dont l’empereur dispose, fait la paix et la guerre ; il participe du pouvoir législatif par le droit de proposer des projets de loi, droit qui appartient aussi aux membres des deux branches du pouvoir législatif, le sénat et la chambre des députés. La dignité de sénateur n’est pas héréditaire. Le sénat se compose de cinquante-huit membres, dont chacun est choisi par l’empereur sur les trois candidats qui ont obtenu le plus de voix dans l’élection provinciale. La chambre des députés, composée de cent dix membres, est élue pour quatre ans par les collèges électoraux des provinces, dont chacun nomme son député. L’empereur peut la dissoudre, mais il est obligé d’appeler immédiatement les provinces à faire de nouvelles élections. On pourrait presque dire que les élections sont faites au Brésil par le suffrage universel, car il n’y a que les domestiques, les mineurs et les indigens qui ne jouissent pas du droit électoral. Les élections ne sont pas directes : on nomme d’abord les électeurs, qui nomment ensuite les députés. Les listes des habitans de chaque paroisse sont dressées tous les ans, au mois de janvier, par les électeurs et le juge de paix. Les réclamations contre les abus qui peuvent se produire dans l’inscription sur les listes sont portées en dernier ressort devant les tribunaux judiciaires d’appel (as relaçoes), dont les décisions sont irrévocables. Ceux qui sont inscrits sur les listes se présentent, au jour de l’élection, dans leur paroisse, et nomment par liste, au scrutin secret, autant d’électeurs que doit en fournir la localité. Ces électeurs se réunissent dans leurs circonscriptions ou collèges électoraux, et nomment leurs députés à la majorité absolue des voix. Même chose a lieu pour les élections des sénateurs de la province. La municipalité de la ville capitale réunit les votes de tous les collèges pour former une liste des trois candidats qui, ayant obtenu le plus de voix, doivent être présentés au choix de l’empereur. Les assemblées législatives des provinces sont nommées par les collèges électoraux de la même manière que les députés, chaque collège donnant le nombre que la loi lui attribue.

Cependant l’administration proprement dite laisse à désirer dans son organisation ; elle a besoin de lois complémentaires qui lui donnent plus d’ensemble, plus d’unité, et une action plus directe. Le pouvoir administratif part de l’empereur comme chef du pouvoir exécutif, arrive aux ministres et au conseil d’état, et s’arrête aux présidens des provinces. Au-dessous de ce degré hiérarchique, il n’a plus d’agens qui lui soient particuliers, et pour l’exercice de ses fonctions il doit se servir des membres d’un autre pouvoir, les juges de droit ou de première instance et les juges municipaux, munis d’attributions de police qui ne sont pas assez nettement séparées des attributions judiciaires. Les présidens des provinces sont encore forcés de recourir aux municipalités et aux juges de paix, produits de l’élection directe par le suffrage universel. Il n’y a aucun pays dont l’organisation administrative soit aussi imparfaite et aussi faible. Il y a plus, les attributions du conseil d’état lui-même sont incomplètement définies ; la composition de ce corps et la manière dont il fonctionne appellent une réforme. Il faut regretter aussi que, dans son rôle purement local, l’administration brésilienne soit entravée par une centralisation excessive, qui est préjudiciable à un pays aussi vaste, dans lequel on trouve à peine de loin en loin quelques centres de population. La centralisation politique est nécessaire : il ne peut pas y avoir deux opinions à cet égard, car le Brésil est un empire, une seule nation, et l’unité doit présider à toute sa politique. La centralisation administrative dans ce qui touche à la politique, qu’on peut appeler la grande administration, est encore une nécessité incontestable ; mais faire dépendre du gouvernement général toutes les affaires et la décision des questions les plus insignifiantes, ajouter à la tâche du gouvernement, tâche déjà bien difficile, un grand nombre de travaux sans importance, c’est nuire en définitive aux localités comme au service public.

Les attributions du ministère de l’intérieur sont trop nombreuses, et c’est pour cela même que le service se fait mal[5]. La période de temps comprise entre la déclaration de l’indépendance et la révolution de 1831 n’a pas été normale ; c’était une époque de renaissance et d’enthousiasme. De 1831 à 1840, le pays passa par de cruelles épreuves. L’anarchie était partout ; les doctrines gouvernementales s’altéraient au milieu de difficultés sans cesse renaissantes. Le désordre était dans les provinces, où les émeutes se succédaient les unes aux autres ; le principe d’autorité était sans force entre les mains des régens, qui gouvernaient au nom d’un souverain mineur. De 1840 à 1848, les idées désorganisatrices firent encore quelques apparitions, mais elles furent vaincues ; l’esprit gouvernemental gagnait du terrain, et ses progrès enfantaient d’autres intérêts qui ouvraient de nouveaux et de plus nobles horizons aux esprits et aux ambitions. Ce fut en 1850 que les théories politiques, les discussions de principes abstraits, firent place aux études pratiques d’administration. Tout le monde accepta dès lors les institutions établies sans exiger de réformes ou de modifications ; tous les partis abandonnèrent leurs idées de résistance matérielle, et ne cherchèrent leurs forces et leur influence que dans les moyens constitutionnels et légaux. Quel a été le résultat de cette tendance naturelle ? L’état des finances, les progrès du commerce et de l’industrie vont nous l’apprendre.

IV. — LE BUDGET ET LES FINANCES. — LE COMMERCE ET L’INDUSTRIE.

Il est hors de doute qu’un état soumis au système représentatif se réfléchit tout entier dans son budget. Le budget est une des plus belles conquêtes des temps modernes. C’est l’institution vitale qui établit et développe l’unité d’un peuple en réunissant dans un seul acte législatif toutes les recettes et toutes les dépenses, qui montre au pays pas à pas, année par année, le chemin qu’il suit, et soumet à la censure publique de l’élection ses délégués et ses représentans. La constitution brésilienne a reconnu cette vérité. Le premier devoir qu’elle impose aux chambres est de voter tous les ans le budget des ressources et des charges du pays pour l’année suivante. Ces budgets deviennent ainsi les documens les plus précieux pour les contemporains, et même pour les historiens futurs du pays. À mesure que le Brésil se développe et fait des progrès, les ressources et les dépenses se modifient. Toutes les phases par lesquelles passe l’état se réfléchissent dans ce fidèle miroir, qui, année par année, signale les changemens, les crises, les progrès, les malheurs, toute la marche enfin ascendante ou descendante d’un pays et d’un peuple. Pour connaître l’histoire du Brésil depuis son avènement à l’indépendance, époque à laquelle commença de fonctionner cette machine admirable qu’on appelle gouvernement représentatif, il suffit de lire ses budgets, qui datent déjà de plus de trente ans, et l’espace de trente ans est une période assez longue pour un peuple dans le siècle où nous sommes. Le budget de 1857 montrera l’état actuel du Brésil tout entier : c’est le sommaire de toutes ses ressources et de toutes ses charges, de ses droits et de ses devoirs. Envisagez chacun de ses paragraphes sous le point de vue social et politique, philosophique, industriel et économique, et vous connaîtrez parfaitement tout ce que vous désirez savoir sur ce pays. Quand je parle de budget, je n’entends point par là seulement un calcul approximatif fait à l’avance, et qui ne représente certes pas une vérité mathématique, car il peut survenir des circonstances qui le modifient : — je veux parler aussi des comptes rendus annuellement par un gouvernement parlementaire aux chambres, avec les documens à l’appui qui constatent la réalité des faits accomplis, et sur lesquels se prononcent les chambres en discutant la conduite du ministère. L’étude de ces curieux détails est la voie qui vous conduira le plus sûrement à la connaissance entière des actes de l’administration.

Les dépenses publiques générales du Brésil pour l’année 1857 étaient fixées par le budget à la somme de 35,500,000,000 de reis (106,500,000 fr.). Celles des provinces montaient à 10,000 contos de reis (30 millions de francs). Les sommes fixées pour les dépenses ne sont pas ordinairement suffisantes ; il y a toujours des circonstances qui en modifient le chiffre. Le gouvernement, après avoir entendu le conseil d’état, se met alors en mesure de pourvoir au déficit ; mais il est obligé de soumettre ses décisions à l’approbation des chambres dès leur première réunion. Pour le même motif, la recette n’est jamais évaluée qu’à son minimum, et toujours elle excède le chiffre prévu. La recette générale de 1857 est montée à 48,557,000,000 de reis, ou 145,671,000 francs : celle des provinces n’est pas encore tout à fait liquidée ; mais elle doit excéder la somme de 30 millions de francs, ce qui fait une recette de 175,671,000 francs[6].

Jetons un coup d’œil sur les années antérieures, et nous verrons la marche progressive et le développement graduel des finances du Brésil depuis qu’après avoir secoué le joug de la métropole, qui énervait toutes ses forces vitales, il a pris rang parmi les nations indépendantes.

Les budgets brésiliens datent de 1826. La recette alors ne dépassait pas la somme de 10,000 contos de reis, ou 30 millions de francs ; de 1831 à 1838, période d’anarchie et de désordres continuels, les revenus n’augmentaient pas ; ils étaient, terme moyen, de 13,000 contos de reis, ou 42 millions de francs. C’est en 1838 que le pouvoir, plus fort et plus énergique, réussit à combattre sérieusement l’anarchie et à développer les ressources de l’empire. La recette monte alors à 20,039,858,567 reis, ou 60 millions de francs. Depuis lors, elle a lentement, bien que progressivement, augmenté jusqu’en 1850, époque où commencent pour ainsi dire le véritable progrès et l’état normal du pays. Une dernière émeute a éclaté à Pernambuco et fait couler des flots de sang en 1848 ; mais le gouvernement est sorti victorieux de cette épreuve, et son triomphe a été aussi le triomphe du principe d’autorité et de l’ordre public. Pour comble de bonheur, il se trouve alors aux finances un homme de talent, administrateur habile et réformateur modéré, qui étudie tous les impôts et les régularise, qui renouvelle et améliore l’administration financière tout entière, et prépare ainsi les voies de l’avenir. Le total général des revenus s’élève en 1850 à plus de 40,000 contos de reis, ou 120 millions de francs. Depuis huit ans, il s’est accru de près de 40 pour 100. Les dépenses, il est vrai, sont entrées dans la même voie d’augmentation, parce que depuis six ou huit ans on a créé des branches de dépenses inconnues jusqu’en 1848, la colonisation, le cadastre du domaine public, les lazarets, les chemins de fer, etc., et qu’en outre on a élargi les cadres de l’armée, amélioré et développé la marine.

Un fait à remarquer, c’est que jusqu’en 1849 les dépenses étaient toujours supérieures aux recettes, et que la dette publique augmentait en même temps que le déficit. Depuis cette époque, on a toujours obtenu un excédant de recettes, et le crédit du gouvernement brésilien, qui heureusement n’avait jamais été ébranlé, car il a toujours payé exactement les intérêts de sa dette extérieure et de sa dette intérieure, s’est assis définitivement sur des bases solides. L’amortissement de la dette extérieure continue d’une façon régulière. Les envois d’argent que l’on fait à Londres pour le paiement de cette dette laissent toujours un solde assez fort en faveur du Brésil, ce qui prouve l’excellence de son administration.

Les droits d’importation forment la moitié de la recette, les droits d’exportation un cinquième. Les droits d’entrée reviennent exclusivement au budget général ; une partie des droits de sortie, nous l’avons déjà dit, appartient aux provinces. Le gouvernement proposa en 1853 et les chambres approuvèrent une diminution progressive sur les droits d’exportation jusqu’à entière suppression, attendu que la recette présentait sur les dépenses un excédant solidement établi, et qu’il était d’une bonne politique d’encourager la production du pays en la dégrevant d’une semblable imposition. On avait déjà commencé à mettre en pratique cette disposition législative, lorsque le gouvernement jugea convenable, en 1856, de modifier le tarif des douanes, et, craignant qu’il n’y eût un déficit, demanda aux chambres de suspendre pour quelque temps l’exécution de leur arrêté de 1853. Le tarif a été enfin révisé et modifié ; en juillet 1857, on a mis en vigueur la loi qui établissait cette amélioration. Selon l’ancien tarif, les droits se percevaient ad valorem sur presque tous les objets qui entraient dans le pays ; ces droits variaient de 20 à 30 pour 100. Il n’y avait aucune prohibition, mais le système protecteur pesait lourdement sur la plupart des articles. Les matières premières pour les fabriques établies dans le pays étaient exemptes de droits, et ne payaient qu’une faible somme pour frais de magasinage. Le nouveau tarif n’admet plus les droits ad valorem et introduit une différence entre les objets d’importation : les matières premières, les denrées alimentaires, tout ce qui est nécessaire à l’industrie et à l’agriculture paie beaucoup moins qu’auparavant ; les objets de luxe supportent encore des droits assez forts, mais fixes. On ne compte pas s’en tenir à cette amélioration. Tous ces droits doivent encore être diminués graduellement, sans que la recette éprouve un abaissement immédiat trop prononcé. C’est un grand pas de fait pour le système libéral appliqué aux sciences financières et économiques : c’est un développement du système appliqué par sir Robert Peel, qui a fait une si mémorable révolution dans le régime intérieur de la Grande-Bretagne. Les résultats n’en ont pas été moins avantageux au Brésil que ne l’a été à l’Angleterre la réforme de l’homme d’état qui a si bien mérité des classes inférieures de la société anglaise. Toutes les craintes qu’on avait conçues d’une diminution dans les recettes de la douane disparurent aussitôt que le nouveau tarif fut mis en vigueur. Le premier semestre qui a suivi l’adoption de la réforme n’a pas produit moins que les semestres antérieurs sous le régime protectioniste. Ce n’est pas seulement pour les douanes que la recette offre un progrès constant : en 1836, les droits d’importation ne montaient qu’à 7,826,000,000 de reis ; en 1856, ils dépassent 25,000,000,000 de reis. La même progression a été observée dans toutes les autres branches de la recette publique ; on en trouve la preuve non-seulement dans les revenus généraux, mais aussi dans la marche ascendante des recettes provinciales, qui ne prélèvent aucune part sur le produit des impositions douanières.

Il serait curieux peut-être de comparer l’état actuel du budget de l’empire du Brésil avec celui des autres budgets du monde ; cette étude deviendrait bien instructive, et tournerait au profit de cette jeune nation, qui n’a qu’une existence d’un peu plus de trente ans. Nous ne trouvons, avec les États-Unis de l’Amérique du Nord, que les six grandes puissances européennes, la France, la Grande-Bretagne, la Russie, la Prusse, l’Autriche et l’Espagne, qui présentent des recettes plus élevées que celles du Brésil. La Hollande n’a qu’une recette de 159,628,885 francs ; la Belgique, 139,604,990 francs ; Naples, 134,912,038 francs, et la Sardaigne, 132,497,830 francs. Tous les autres états du monde viennent après ceux-là. Les finances du Brésil se présentent donc sous un très heureux aspect. Ce pays voit s’élargir devant lui, sans augmentation de sa dette publique, la sphère de sa vie industrielle et morale ; il voit ses revenus augmenter tous les ans et lui fournir les moyens d’entreprendre de grands travaux d’utilité publique, sans qu’il soit besoin de créer de nouvelles impositions.

Le Brésil possède de magnifiques mines d’or, de diamans, de pierres précieuses, de fer, de charbon. Excepté les mines d’or et de diamans, qui étaient surtout exploitées sous le régime colonial, toutes les autres ont été négligées. Les mines d’or même ont perdu de leur ancienne prospérité ; celles de diamans envoient encore en Europe une assez grande quantité de produits. C’est sur l’agriculture que se porte actuellement l’attention du peuple brésilien, et avec raison, car aucun sol n’est plus propre à toute espèce de culture. Parmi les produits que le Brésil exporte se place en première ligne le café, originaire de l’Asie, et qui n’a été introduit dans le pays, qu’à la fin du XVIIIe siècle. Les provinces de Rio-Janeiro, Sao-Paulo et Minas abondent en plantations de café. Bahia, Espirito-Santo et le Cearâ commencent aussi à entreprendre cette culture. Après le café vient le sucre : c’est la première industrie que les Portugais ont acclimatée et développée au Brésil. La canne à sucre a été importée de l’île de Madère au Brésil par Martin Alfonso de Souza, à qui le roi dom Juan III avait concédé la capitainerie de Saint-Vincent, appelée depuis Sao-Paulo. Aujourd’hui la culture de la canne à sucre donne des résultats satisfaisans dans presque tout le pays. Le coton, qui se cultive à Maranhao, aux Alagoas, à Pernambuco, et dans tout le nord du Brésil, est d’une excellente qualité ; il ne lui manque qu’une meilleure préparation pour pouvoir faire concurrence sur les marchés européens à celui de l’Égypte. Le caoutchouc et le cacao sont des productions indigènes de la province du Pará, à laquelle ils rapportent une somme considérable pour droits d’exportation. Le thé commence aussi à être cultivé à Sao-Paulo et à Rio-Janeiro avec beaucoup de succès. Le tabac est dans plusieurs provinces une des cultures qui rapportent le plus, surtout à Bahia et à Minas-Geraes. L’Herva-matte (espèce de thé) vient du Paraná et donne lieu à une exportation assez importante. La production de l’indigo, du maïs, des fèves, du riz, est considérable. La province de Rio-Grande du Sud fournissait en abondance du chanvre et du blé ; mais la guerre civile, qui a déchiré cette province jusqu’en 1845, et une maladie qui est venue attaquer ces plantes, ont fait tomber cette industrie agricole ; cependant on la reprend avec ardeur. Le girofle, la cannelle, la salsepareille, l’ipécacuana, et tant d’autres produits asiatiques, s’acclimatent bien dans le nord de l’empire, et dernièrement, dans la province de Rio-Janeiro, une société s’est formée pour l’éducation du ver à soie. Le nombre des récoltes de cocons, qui ne s’élèvent pas à moins de trois et quatre par an, tandis qu’en Europe on n’en peut obtenir qu’une seule, font présager le brillant avenir qui est réservé à cette nouvelle industrie. Diverses manufactures sont en voie de prospérité et exportent même leurs produits dans la Plata et quelques autres parties de l’Amérique.

Nous emprunterons encore quelques chiffres aux rapports officiels sur le commerce extérieur et intérieur du pays. La valeur de l’exportation était en 1840 de 41,671,791,000 reis ou 125,015,373 fr. ; en 1856, elle s’est élevée à 96,431,315,000 reis ou 289,293,945 fr. L’importation, qui n’était en 1840 que de 57,727,129,000 reis ou 173,181,387 francs, est montée, en 1856, à 91,233,818,000 reis ou 273,701,454 francs. Le grand marché de l’exportation du Brésil, ce sont les États-Unis de l’Amérique du Nord ; l’Angleterre ne vient qu’en deuxième lieu ; la France, la Suède, le Danemark, l’Allemagne, les états de la Plata et le Portugal viennent ensuite. Pour l’importation, l’Angleterre occupe la première place, la France la deuxième et les États-Unis la troisième[7]. Il est à remarquer que depuis 1850 le Brésil exporte plus de valeurs qu’il n’en importe[8].

Dans presque toutes les capitales des provinces du Brésil, il y a des banques ou des succursales de la Banque nationale en sociétés anonymes. Il y en a aussi quelques-unes en commandite. La capitale du Brésil, qui n’a pas moins de 300,000 âmes de population, et qui est une ville tout à fait européenne, possède trois sociétés anonymes pour les opérations de banque : la Banque nationale, une banque agricole et une banque rurale. Bahia, dont la population est de plus de 120,000 âmes, possède une succursale de la Banque nationale et deux autres banques. Les villes de Pernambuco, de Sao-Paulo, de Maranhao et de Rio-Grande du Sud ont chacune une succursale et une banque. Celles du Para et d’Ouro-Preto à Minas-Geraes ont chacune une succursale de la Banque nationale.

L’organisation de la Banque nationale date de 1853, et se rapproche de celle de la Banque de France. Cet établissement a droit d’émission pour une somme triple de son fonds de garantie métallique. Ses opérations sont les suivantes : escompte à quatre mois d’effets de commerce avec deux signatures, prêts sur garantie d’actions des compagnies anonymes et sur d’autres valeurs, comptes courans, change sur les places étrangères. Son capital est fixé à 30,000,000,000 de reis ou 90 millions de francs. Ses actions sont nominatives. La banque est obligée de retirer annuellement de la circulation 2,000 contos de reis du papier-monnaie émis par le gouvernement jusqu’à la somme de 10,000 contos de reis, et de les verser au trésor à titre de prêt gratuit[9].

Le Brésil est devenu un pays de commerce. Presque toutes les classes de la société brésilienne se jettent dans les entreprises industrielles et dans les affaires. C’est la tendance de l’époque, surtout celle des pays nouveaux qui sont en progrès. On aimerait à voir cette activité pratique combattre efficacement la frivole ambition qui entraînait jusqu’ici les Brésiliens vers les fonctions publiques, au grand dommage de l’indépendance individuelle et de la dignité nationale. C’était un bien affligeant spectacle que cette foule de solliciteurs qui arrivaient de toutes les provinces dans la capitale pour profiter de la centralisation administrative : triste calcul qui avait pour double effet d’ajouter au budget des charges nouvelles, et d’enlever des citoyens indépendans à la nation.

V. — FORCES MILITAIRES, JUSTICE, INSTRUCTION PUBLIQUE.

Les forces de l’empire du Brésil se divisent en armée de terre et armée de mer, en corps de police particuliers à la capitale et aux provinces, et en garde nationale.

Après la révolution de 1831, dans laquelle elle prit part au mouvement contre le premier empereur, l’armée de terre, comme toute armée qui perd les traditions de l’obéissance et de la discipline, abandonnant le rôle de protectrice de l’ordre public, était devenue un instrument de séditions. On trouvait des soldats dans toutes les émeutes ; un jour même, au mois de juillet, les troupes voulurent imposer au gouvernement et aux chambres des proscriptions qui heureusement n’ont jamais trouvé faveur au Brésil. Il fallut employer les mesures énergiques du désarmement et du licenciement. On créa alors des corps de police et la garde nationale pour remplacer l’armée et défendre l’ordre public contre l’anarchie qui pendant quelques années désola le pays.

Ce n’est qu’en 1838 qu’on a commencé à réorganiser l’armée de terre, et ce n’est qu’en 1849 et 1850 que s’est véritablement établie la discipline qui la distingue aujourd’hui. Il semble que le licenciement opéré en 1831 ait été pour l’armée une leçon salutaire, car depuis sa réorganisation elle rend d’excellens services à l’administration et au pays. Le parlement doit fixer annuellement les forces militaires de l’empire, de même que les assemblées provinciales doivent fixer leurs forces de police. Les chambres législatives et les assemblées provinciales doivent régler par un vote annuel le budget et l’effectif des forces militaires. Dans les temps de calme, dans les circonstances ordinaires, le nombre d’hommes fixé pour l’armée de terre varie entre 18,000 et 20,000. L’organisation des corps est semblable à celle qui existe en France. La loi a établi, pour le recrutement des armées de terre et de mer, le système de l’engagement volontaire, moyennant une prime pécuniaire et la concession gratuite de terres lorsque les soldats ont fini leur temps de service et quittent les drapeaux ; mais ce système étant devenu insuffisant, et ne donnant pas le nombre de soldats et de matelots dont on a besoin chaque année pour remplir les cadres, on est forcé de recourir à la presse. Il n’est pas étonnant qu’un pays nouveau, faiblement peuplé encore, et qui offre tant de ressources à tous ceux qui veulent vivre honorablement et se créer des moyens d’existence par le travail, ne puisse réunir le nombre d’engagés volontaires dont l’armée a besoin. Un quart tout au plus du nombre d’hommes nécessaire est fourni par le recrutement volontaire, et cela seulement depuis 1850, époque à laquelle les réformes de la loi sur les engagemens ont assuré au soldat une augmentation de solde, des gratifications plus élevées et des terrés gratuites lorsqu’il a fini son temps. Le recrutement par la presse donne les trois autres quarts. Chaque province fournit un contingent fixé tous les ans d’après le chiffre de la population.

L’armée de mer se compose de 4,600 matelots et soldats, et la flotte de 84 vaisseaux de guerre : 2 frégates, 12 corvettes et 12 bricks à voiles, 25 vapeurs et autres bâtimens plus petits, outre les transports nécessaires et les canonnières employées au service des rivières de la province de Matto-Grosso. De ces bâtimens, 56 sont en service actif, 16 en construction, et 12 désarmés.

Les lois qui régissent la justice criminelle pour les armées de terre et de mer sont fort anciennes. Ce sont encore celles qui existaient sous le régime colonial. Le besoin d’une réforme se fait sentir chaque jour davantage. Les peines qu’infligent ces lois sont très rigoureuses, mais on en tempère la sévérité dans l’application, parce que le tribunal supérieur militaire a un certain pouvoir discrétionnaire qu’il peut employer. Il est à remarquer que la désertion est le crime le plus fréquemment commis par les soldats et les matelots. Dans un pays aussi vaste que le Brésil, il est bien facile de se soustraire aux recherches et de s’assurer des ressources d’existence. Malgré la rigueur des châtimens infligés aux déserteurs, les désertions continuent toujours. On peut évaluer à un dixième des armées de terre et de mer le nombre de ceux qui désertent annuellement leurs drapeaux et manquent à leur serment. La discipline et l’organisation de l’armée de terre sont sans contredit assez bonnes ; malheureusement on ne peut pas lui donner une instruction satisfaisante, les besoins du service public ne permettant pas qu’elle soit réunie et concentrée. Outre le service militaire proprement dit, l’armée fait aussi un service de police dans la plupart des provinces, service pour lequel les corps provinciaux sont insuffisans. La province de Rio-Grande du Sud, limitrophe de la Confédération-Argentine et de l’État-Oriental, peu éloignée de la Bolivie et du Paraguay, possède une garnison de 6,000 hommes. C’est la garnison la plus forte de l’empire. Le dépôt des recrues est dans la capitale, d’où elles partent pour rejoindre les corps aux quels elles sont destinées.

Les soldats brésiliens sont braves et supportent parfaitement les marches et les fatigues de la guerre : ils ont donné des preuves de courage et de persévérance dans la Plata, lorsque le Brésil s’est décidé, en 1851, à combattre le dictateur de Buenos-Ayres. Leur attitude a été digne d’éloges dans les guerres civiles qui ont éclaté, en 1841 et 1848, à Minas, à Sao-Paolo et à Pernambuco, comme aussi dans la province de Rio-Grande du Sud.

Les corps de police, dans la capitale et dans les provinces, ont une organisation toute militaire et sont soumis aux mêmes lois et au même régime que l’armée. Ces corps sont composés de cavalerie et d’infanterie. Celui de la capitale de l’empire compte 800 hommes, et ceux des vingt provinces se composent maintenant d’environ 4,000.

Pour compléter l’exposé du système administratif du Brésil, il reste à dire quelques mots de la justice et de l’instruction publique. Il y a là encore plus d’une utile réforme à tenter.

La législation commerciale et la législation criminelle ont été créées par le Brésil depuis qu’il a conquis son indépendance ; mais la législation civile se fonde encore sur les anciennes ordonnances de Philippe III, roi d’Espagne et de Portugal, et sur les décrets rendus par les gouvernemens postérieurs. C’est le droit romain accommodé aux mœurs et aux usages du temps, et dont les dispositions savantes constitueraient une des plus belles organisations judiciaires, si, éparpillées dans des édits et décrets de toutes les époques, elles ne présentaient pas d’immenses difficultés pour être bien connues. Un travail qui réunirait en un seul code cette législation, avec les modifications que demande la civilisation moderne, devient de plus en plus urgent : il faciliterait l’étude de la jurisprudence et simplifierait la procédure.

Tous les juges et tous les tribunaux fonctionnent publiquement ; mais les plaidoiries en matière civile et commerciale sont écrites, tandis qu’au criminel elles peuvent être orales. On a dernièrement retiré au jury la connaissance de quelques crimes, comme la traite des noirs, la fabrication de la fausse monnaie, la banqueroute et la résistance aux ordres de la justice, parce qu’on a reconnu la nécessité d’une rigueur que les jurés ne sont presque jamais disposés à montrer. Le code criminel et le code commercial satisfont complètement aux besoins du pays. Le dernier ne date que de 1850, de cette heureuse époque où le plus parfait accord régnait entre le gouvernement et les chambres, où l’on a vu se produire tant d’utiles réformes dans toutes les branches du service public. La partie de la législation civile qui, plus qu’aucune autre, appelle des modifications, est celle qui a trait aux hypothèques et aux privilèges. C’est un véritable chaos. Depuis 1850, le gouvernement s’efforce d’y apporter l’ordre et la lumière. C’est là une question fort grave qu’on espère voir bientôt résolue. Tant qu’on n’aura pas réformé cette partie de la législation, on ne pourra établir au Brésil ni banques hypothécaires, ni système foncier, et le crédit personnel restera une garantie beaucoup plus solide que le crédit foncier.

La sûreté individuelle existe au Brésil, surtout dans les chefs-lieux des provinces ; mais nous ne pouvons en dire autant de l’intérieur du pays. Le Brésil est trop vaste, les centres de population y sont trop éloignés les uns des autres ; la justice n’y peut pas fonctionner toujours librement ; en outre, les magistrats ont besoin d’être appuyés par les autorités locales et par la population : or cet appui leur manque souvent. Les témoins ont peur de déposer, et les jurés craignent aussi de montrer de la sévérité et de remplir consciencieusement leurs devoirs. Il ne faut cependant pas s’exagérer le mal : les Brésiliens sont généralement d’un caractère doux, et ne connaissent point les grandes passions qui font naître les grands crimes. La statistique criminelle de l’année 1856 prouve que, si malheureusement on remarque encore dans le peuple un certain penchant pour les vengeances individuelles, le nombre des crimes commis diminue sensiblement. Les mœurs s’améliorent, la confiance dans la justice devient plus grande ; les assassinats causés par les haines et les vendettas sont moins nombreux que jadis, et n’offrent plus le même caractère de barbarie[10].

L’instruction publique attend encore, comme la justice, une organisation plus complète. Bornons-nous à constater qu’à défaut de grands centres d’instruction supérieure[11], le Brésil compte néanmoins diverses écoles primaires et secondaires, au nombre de 2,460 en 1856, et fréquentées par plus de 82,500 élèves.

VI. — TRAVAUX PUBLICS.

On connaît maintenant le système administratif du Brésil. Parmi les questions sur lesquelles se concentre principalement aujourd’hui la sollicitude du gouvernement et des populations de l’empire, se présente au premier rang celle des voies de communication. Le gouvernement n’a encore concédé que quatre lignes de chemins de fer, une pour chacune des provinces de Rio-Janeiro, Sao-Paulo, Bahia et Pernambuco. Celles de Rio-Janeiro et de Pernambuco sont en voie de construction : la première doit partir de la ville de Rio, traverser une grande partie de la province de ce nom, et par deux embranchemens arriver aux frontières des provinces de Minas et de Sao-Paulo. Elle est jusqu’ici la plus importante, puisque le parcours doit être d’environ cinquante lieues. Les dépenses en ont été évaluées à la somme de 38,000,000,000 de reis (114 millions de fr.). Le gouvernement garantit pendant trente-trois ans 5 pour 100 d’intérêt, et la province de Rio 2 pour 100 additionnels. Le privilège est de quatre-vingt-dix ans. La première section, d’une longueur de onze lieues, est déjà ouverte et a coûté à peu près 8,000,000,000 de reis, ou 24 millions de francs. L’argent pour la construction de cette première section a été fourni par les Brésiliens, et les études avancent rapidement pour les autres sections. Le chemin de fer de Pernambuco a les mêmes garanties générales et provinciales : le capital est fixé à 20,000,000,000 de reis, ou 60 millions de francs, et le parcours est d’une vingtaine de lieues. L’argent a été fourni par une compagnie d’actionnaires de Londres. La première section doit être maintenant ouverte sur une longueur de six lieues, de la ville de Recife jusqu’au Cabo. Le chemin de fer de Bahia doit avoir un parcours égal à celui de Pernambuco, et les dépenses sont évaluées à la même somme. Il doit communiquer par la ville de Bahia avec le fleuve Sao-Francisco à l’intérieur ; il vient d’être concédé à une compagnie anglaise à la tête, de laquelle se trouve la maison Rothschild ; on peut donc le considérer comme fait. Le chemin de fer de la province de Sao-Paulo doit avoir son point de départ à Santos et son point d’arrivée au Rio Claro, parcourant une distance de trente lieues environ. Les dépenses sont évaluées à la même somme que celles du rail-way de Pernambuco. Jusqu’à présent, on n’a pas pu placer les actions à Londres à cause du taux de l’intérêt, qui, depuis la guerre avec la Russie, a été assez élevé en Angleterre ; mais aujourd’hui on peut espérer qu’une compagnie anglaise s’organisera pour l’exploiter. Ces deux derniers chemins de fer jouissent d’ailleurs des mêmes garanties générales et provinciales que les deux premiers.

Afin de hâter l’exécution de ces chemins, les chambres ont voté en 1857 une loi qui autorise le gouvernement à garantir un emprunt, en cas de besoin, jusqu’au tiers du capital fixé pour chacun. Tous ces chemins de fer traversent les territoires les plus fertiles et les plus productifs. Ces voies de communication sont faites au Brésil plutôt pour le transport des marchandises et des denrées que pour celui des voyageurs, qui ne donnerait pas assez de bénéfice. Dans les pays nouveaux, et cela se voit surtout dans l’Amérique du Nord, les chemins de fer remplacent tout à fait les anciennes routes, et le transport des marchandises fait à bas prix est le principal élément de prospérité.

La province de Rio possède un chemin de fer de Maua à Pétropolis, déjà en exploitation. Son parcours est d’un peu plus de trois lieues ; il ne jouit d’aucune garantie. On construit une autre voie partant de Porto das Caixas et devant s’arrêter à Cantagallo, que nous avons concédée à une société brésilienne lorsque nous étions président de cette province, qui a garanti 7 pour 100 d’intérêt aux actionnaires. Ce chemin est déjà en construction, et sa première section doit avoir un parcours de six à sept lieues ; les dépenses de cette section sont évaluées à 2,000,000,000 de reis, ou 6 millions de francs. Le nouveau président de la province de Rio vient de concéder aussi une autre ligne de Nictherohy à Campos, dont le parcours doit être de cinquante lieues, avec les mêmes garanties, à une nouvelle compagnie qui s’organise à Rio.

Jusqu’ici le pays n’avait que de mauvaises routes, dont la plupart même n’étaient pas carrossables ; le transport des denrées et des marchandises se faisait à dos de mulet, et était très dispendieux. Toutes les provinces cherchent maintenant à améliorer leurs routes. Comme toujours, la province de Rio est à la tête du mouvement : des routes conduisant aux frontières de Minas et de Sao-Paulo, qui lui sont limitrophes, ont été déjà concédées à des compagnies avec des garanties égales à celles des chemins de fer. Les provinces de Minas, de Sao-Paulo, de Pernambuco et de Bahia font aussi de grands efforts pour améliorer leurs voies de communication. Partout la tendance est la même, et on a lieu d’espérer que sous peu le transport des marchandises sera plus facile et moins onéreux. Tant que les routes ne seront pas meilleures et que les marchandises seront transportées coûteusement à dos de mulet, beaucoup de productions du pays ne pourront pas arriver sur les marchés ; lorsque le transport se fera plus aisément et à moins de frais, l’intérieur jettera sur les marchés une grande quantité de produits, surtout de denrées alimentaires, dont le prix diminuera nécessairement.

Ce n’est pas seulement des routes que l’on doit s’occuper. La canalisation et la navigation des rivières réclament aussi l’attention du gouvernement. Ainsi jusqu’en 1853 la navigation du fleuve des Amazones était abandonnée à de petits bateaux, à des canots qui mettaient des mois entiers pour aller de la ville de Barra, capitale de la province des Amazones, à la capitale de la province du Para. L’art de la navigation semblait pour ainsi dire n’avoir fait aucun progrès depuis qu’au XVIe siècle le célèbre Orelana mit sept mois pour descendre le fleuve des sources du Napo jusqu’à son embouchure, et que Teixeira, au XVIIe, accomplit le voyage de Quito au Para. Aucun commerce ne se faisait sur le fleuve-roi : il y avait quelques centres de population établis de loin en loin sur ses rives brésilienne et péruvienne ; mais ce n’étaient que de misérables hameaux, dont la plupart étaient habités par des Indiens pacifiques et ignorans.

En 1853, il s’est formé une compagnie brésilienne pour la navigation de ce fleuve par des bateaux à vapeur. En vertu de la convention faite avec la république du Pérou, ses navires peuvent arriver jusqu’à Nauta, en touchant à Loreto. Plusieurs bateaux à vapeur sillonnent maintenant les eaux de ce magnifique fleuve, et portent la vie et la civilisation dans des déserts dont la richesse et la fertilité étonnent le monde. Deux voyages réguliers se font chaque mois, et depuis cinq ans les anciens centres de population ont grandi, de nouvelles bourgades et de nouveaux villages se sont formés ; le commerce s’y est développé à ce point que la province du Para a vu ses recettes augmenter de plus de 300 pour 100. Les villes de Barra, Santarem, Obidos, Gurupa, Brèves, Bella, Prainha, Serpa, Fonteboa, Ega et Tabatinga commencent à devenir des centres commerciaux ; Loreto et Nauta, dans le Pérou, semblent de nouvelles villes. Le fleuve est navigable sur une étendue d’à peu près cinq cent quatre-vingts lieues. Le cacao, le caoutchouc, l’ipécacuana, tant d’autres denrées qui trouvent de si faciles débouchés en Amérique et en Europe, les bois d’ébénisterie et de teinture, forment les élémens d’un commerce considérable, qui permet à la compagnie de donner de beaux dividendes à ses actionnaires. On ne peut se faire une idée de ce que deviendra ce commerce quand les eaux du Madeira, du Negro, du Gualagua, du Tocantins, du Tapajoz, du Xingu, de l’Ucayala, de l’Iça, du Japura, et d’autres affluens de l’Amazone, seront sillonnées par des bateaux à vapeur, et que ces immenses et lointaines contrées seront connues et exploitées. Le gouvernement fait faire des explorations dont les résultats ne peuvent que promettre un bel avenir. Il fait explorer aussi le fleuve Paraguay, ainsi que le Sao-Lourenço et le Cuyaba, ses affluens, qui prennent leur source dans la province de Matto-Grosso, contrée très riche qui, par le Paraguay, le Paraná et la Plata, trouvera des débouchés pour l’écoulement de ses produits. On continue toujours l’exploration des fleuves de Sao-Francisco, Jequitinhonha, Vacacahy et Pardo, dans l’intérieur du pays, pour établir des communications faciles entre le centre de l’empire et le littoral. Il existe aussi une compagnie pour la navigation du fleuve Mucury.

La navigation à vapeur sur les côtes maritimes se fait d’une manière satisfaisante par des compagnies, dont les bateaux mettent en communication tous les ports brésiliens avec la capitale de l’empire. Toutes les compagnies formées pour la navigation fluviale ou maritime reçoivent du gouvernement des subventions annuelles, mais elles doivent établir sur les terres qui leur ont été concédées des centres de colonisation européenne, dont le nombre s’accroît progressivement. La canalisation, il faut l’avouer, n’est pas aussi avancée. Les provinces de Rio-Janeiro et Espirito-Santo seules possèdent quelques canaux, mais ils sont mal faits et ne peuvent être mis en parallèle avec les canaux de l’Europe et de l’Amérique du Nord.

L’élan est donné aux travaux publics. Les villes se couvrent de constructions nouvelles et d’édifices. Rio-Janeiro possède un hospice pour les aliénés et un hôpital qui peuvent rivaliser avec les plus beaux établissemens de ce genre qui existent en Europe. On fait à la douane de magnifiques travaux hydrauliques, et les arsenaux militaires s’agrandissent. À Pernambuco, on s’occupe activement d’améliorer le port et les établissemens publics. Au Maranhao, on crée des docks pour la flotte ; partout enfin on s’occupe du bien-être matériel du pays et l’on exécute les travaux qui peuvent assurer sa prospérité future.

VII. — COLONISATION.

La colonisation est la vraie politique, la politique nationale du Brésil. C’est de ce côté que doivent se porter toute l’attention du gouvernement et toute l’activité des Brésiliens qui veulent véritablement l’agrandissement et la gloire de leur pays. Malheureusement tout le monde en parle au Brésil, et très peu de personnes ont sur ce sujet des idées nettes et précises. On met en avant tant d’opinions, tant de systèmes contradictoires, qu’il est difficile de se reconnaître au milieu de ce dédale de principes si opposés. Jamais cependant le moment n’a été plus favorable pour l’étude de cette question. La traite des noirs est heureusement abolie. La dignité, l’intérêt, l’avenir du pays, la morale, les croyances religieuses, tout enfin oppose à ce trafic un obstacle infranchissable. Les bras nécessaires à l’agriculture ne viendront plus au Brésil des arides déserts de l’Afrique et des misérables tribus de Mozambique, de Loanda, de la côte de la Mine et du Zaïre. Il faut les remplacer par des hommes d’une race égale à notre race, comme nous libres, et qui, mieux que les nègres ignorans, puissent donner du développement aux richesses et profiter de la fertilité d’un sol que la nature a magnifiquement doué. La grandeur et l’avenir du pays dépendent de l’agriculture et de l’industrie. Il n’y a pas un territoire, pas un climat, pas une position au monde qui soient comparables au territoire, au climat et à la position du Brésil. Il est placé presque vis-à-vis de l’Europe ; la mer qui le baigne ne connaît pas ces horribles tempêtes qui, au sud, au nord et à l’orient, en Asie et en Europe, engloutissent annuellement tant de navires et de navigateurs. Enfin nous vivons dans un temps où l’Océan obéit à la vapeur en dépit des vents et des courans, où les chemins de fer traversent les plaines et les montagnes avec une rapidité incroyable, où certaines contrées de la vieille Europe ont des populations surabondantes, qui abandonneraient volontiers leur patrie pour aller chercher ailleurs le travail et la richesse.

La colonisation pour le Brésil, qu’on ne l’oublie pas, c’est l’immigration de familles qui viennent s’y naturaliser sans idée de départ. La vraie colonisation est spontanée et libre, et pour qu’elle puisse prendre du développement, il faut qu’elle trouve des avantages dans la nouvelle patrie qu’elle cherche et qu’elle accepte. Elle veut des terres et des propriétés, parce qu’elle veut se fixer ; les colons passagers ne veulent que du travail. Ceux-ci ne feraient que remplacer les esclaves, qui commencent à manquer, et gagner leur argent en donnant du développement aux propriétés et aux richesses d’autrui. Le Brésil a besoin de colonisation et de colons : ce sont deux nécessités profondément senties par le pays, qui manque de bras pour la culture des terres et pour l’industrie, auxquelles les esclaves commencent à ne plus suffire. Il a besoin d’un surcroît d’habitans, qui créent de nouveaux centres, élèvent des villes, achètent des terres, peuplent les déserts, et partagent avec les indigènes les avantages et les devoirs du citoyen.

En jetant les yeux sur la carte du monde, nous croyons que les colons temporaires peuvent venir au Brésil de tous les pays, mais que la colonisation ne lui viendra que de l’Allemagne et de la Suisse ; ce sont les seules contrées dont les idées d’émigration s’adaptent aux véritables exigences du Brésil. Les Français et les Italiens n’émigrent pas volontiers. Le Portugal et la Galice en Espagne envoient beaucoup de colons, mais plutôt pour le commerce que pour l’agriculture ; les émigrans irlandais se dirigent vers l’Australie et les États-Unis, où ils trouvent la même langue et les mêmes mœurs. Le Brésil ne doit réellement attendre la colonisation que de l’Allemagne et de la Suisse. En Allemagne surtout, il y a nécessité d’émigration. D’abord il y naît chaque année près de trois cent mille personnes de plus qu’il n’en meurt ; ensuite, en Bavière, en Wurtemberg et dans quelques autres états, le sol n’est pas divisible ; sur les bords du Rhin et dans le duché de Bade, il est au contraire trop divisé, et la petite propriété est chargée de taxes énormes et courbée sous le poids de l’usure. Enfin les Allemands sont passionnés pour la propriété territoriale : ne la trouvant pas chez eux, ils la cherchent volontiers dans une autre patrie, et c’est la raison principale de l’incessante émigration dont ce pays est le point de départ.

Pour les colons, l’essor est donné ; il en arrive déjà beaucoup au Brésil, et cependant il n’en arrive pas encore assez. Les villes du littoral emploient aujourd’hui les blancs à des travaux qui, il y a huit ans, étaient faits exclusivement par les esclaves ; ceux-ci disparaissent des villes et sont envoyés dans les campagnes pour être employés aux travaux de l’agriculture. Déjà plusieurs propriétaires ont fait venir du Portugal, des îles Açores, et même de l’Allemagne et de la Suisse, des agriculteurs pour cultiver leurs plantations. Les frais de voyage qu’ils avancent aux émigrans sont couverts par une retenue sur le salaire qu’ils leur paient ou sur la part qu’ils leur donnent dans les bénéfices de l’exploitation, selon la teneur du contrat qu’ils ont fait avec eux. Ainsi dans la province de Rio-Janeiro il y a au moins une douzaine de propriétaires qui font exploiter leurs plantations par des colons portugais et espagnols ; un seul, à Cantagallo, en emploie près de mille, et beaucoup d’autres n’attendent, pour suivre cet exemple, que le moment où ils connaîtront les résultats obtenus. Un certain nombre de propriétaires occupent des Allemands dans la province de Sao-Paulo, qui a précédé dans cette voie la province de Rio, et qui en possède maintenant un grand nombre[12]. Plusieurs colons ont fait entendre des plaintes qui ont eu de l’écho en Suisse. Quelques-unes de ces plaintes pouvaient être fondées, mais en général les colons sont satisfaits ; ils se conduisent bien, et leur émigration a été aussi avantageuse pour eux que pour les propriétaires qui les ont engagés. Afin de favoriser le développement de ce système, le gouvernement a fait organiser une association à laquelle il accorde une subvention pécuniaire, pour qu’elle puisse offrir des facilités aux propriétaires qui auraient besoin de colons, et qui les obtiendraient ainsi sans courir les risques et faire les sacrifices qu’ont courus et faits leurs devanciers. Cette compagnie est obligée d’avoir des habitations prêtes pour les colons qui arrivent, de les nourrir et de leur chercher de l’emploi. On a en outre régularisé les contrats et bien défini les droits et les devoirs des deux parties, afin de prévenir des plaintes qui se reproduisent encore trop souvent. Cependant pour la colonisation il y a autre chose à faire, un autre système à adopter.

Nous l’avons déjà dit, la véritable colonisation, c’est la colonisation volontaire. Malheureusement elle se dirige presque tout entière vers l’Amérique du Nord, et voici pour quelles raisons. Les États-Unis ont divisé une grande étendue de terrain en petits lots qu’ils vendent aux émigrans. Les settlers, classe spéciale de la population américaine, achètent les lots, les préparent et les revendent aux colons, qui trouvent, aussitôt débarqués, de petites plantations déjà en exploitation et une maison pour se loger avec leurs familles. En outre ces colons rencontrent avec bonheur aux États-Unis un grand nombre de leurs compatriotes qui les y ont devancés. Ajoutons que dans les ports de Hambourg, de Brème, du Havre, de Rotterdam, d’Anvers, ils trouvent facilement des navires qui les transportent pour un prix modique ; enfin ils sont séduits et entraînés par les récits et les contes que leur font les journaux sur l’Eldorado des États-Unis, et que leur répètent les émissaires envoyés dans leurs villages par des compagnies intéressées à leur émigration.

Le Brésil, qui commence seulement à s’occuper de la colonisation, ne présente pas les mêmes avantages aux émigrans, qui par conséquent donnent la préférence aux États-Unis. La loi de 1850 a créé l’administration des terres du domaine public ; mais ce n’est qu’en 1854 qu’on a commencé de la mettre à exécution. Ce service est très important et doit donner les meilleurs résultats. Dès ce moment, on s’occupe de séparer les terres du domaine public de celles qui appartiennent aux particuliers, et de diviser en petits lots les terres du domaine, en commençant par celles du littoral ou par celles qui avoisinent les bourgades peuplées et commerçantes. On aura bientôt ainsi de petits lots à vendre, et alors vraisemblablement apparaîtront des settlers brésiliens pour clôturer et planter ces petites propriétés, y construire une maison où, à leur arrivée, les émigrans trouveront à se loger avec leurs familles et pourront acheter des terres déjà cultivées, comme ils aiment à en trouver. Ensuite on cherchera sans doute à offrir des facilités pour la traversée de l’Europe au Brésil, de manière à encourager l’émigration

On a sagement agi en concédant des terres à des sociétés et à des particuliers qui, moyennant une prime par tête d’émigrant, que leur assure le gouvernement, s’engagent à en faire venir d’Europe un certain nombre, à leur céder de petits lots en toute propriété, à les loger, à les nourrir, à subvenir enfin à tous leurs besoins jusqu’à ce que par leur travail et leur industrie ils puissent se suffire à eux-mêmes. On construit en même temps des routes pour faciliter les communications et le transport des produits. On prépare ainsi les voies pour la colonisation spontanée, qui commence à se diriger vers l’ancienne colonie de Sao-Leopoldo, dans la province de Rio-Grande du Sud, et vers d’autres centres moins importans, ou qui ont été nouvellement créés. On sème maintenant pour recueillir plus tard, et nous sommes bien convaincu que lorsque le Brésil sera mieux connu, les Européens comprendront qu’aucun autre pays n’offre à l’émigration un sol aussi fertile, des ressources aussi certaines, autant de chances de fortune et une plus grande sécurité pour les personnes et les propriétés. Le gouvernement a concédé déjà quatre-vingt-douze lieues de terres, sous la condition d’y introduire 100,000 colons avant 1862.

Outre la colonie de Sao-Leopoldo, dont la population s’élève à 10,000 âmes, il y a au Brésil d’autres centres de colonisation : Dona-Francisca et Blumenau dans la province de Santa-Catharina, Superaguhy dans la province de Sao-Paulo, Santa-Cruz, Sao-Domingo, Torres, Tres-Forquilhas et Novo-Mundo dans la même province ; Mucury, en voie de développement, dans la province de Minas-Geraes ; Pétropolis et l’ancienne colonie de Fribourg, formée, en 1818 et 1824, par des familles allemandes et suisses dont la plupart ont aujourd’hui de la fortune ou au moins une position indépendante, dans la province de Rio-Janeiro[13]. Les données officielles présentent le nombre de près de 40,000 colons arrivés pendant ces quatre dernières années dans ces centres de colonisation et dans plusieurs autres qui commencent à se former, et qui sont appelés à un avenir aussi prospère : de ce nombre sont ceux de M. le prince de Joinville sur les terres de Sainte-Catherine, qu’il a reçues en dot de Mme la princesse de Joinville ; celui de Mundo-Novo dans la province d’Espirito-Santo, et celui du Jatahy dans la province de Paraná.

Il y a maintenant une question morale qui domine toute la colonisation. Les institutions brésiliennes reconnaissent une religion de l’état : c’est la religion catholique, qui est celle de la grande majorité des habitans. Ces institutions permettent aussi l’exercice des autres religions, mais elles n’accordent qu’aux catholiques l’accès aux chambres et aux autres fonctions publiques. Pour le moment, la nécessité de modifier cette disposition constitutionnelle ne s’est pas encore fait sentir : l’avenir en décidera ; mais la colonisation ouvre le pays à toute espèce de religion, et cependant le clergé est encore en possession des livres sur lesquels on inscrit les actes de mariage, de baptême et de décès. Que la religion intervienne dans ces momens solennels de la vie humaine, que le clergé dresse les actes qui les constatent, rien de mieux ; mais ces actes ne pourraient-ils pas, pour que la validité en fût mieux assurée, être précédés ou suivis d’actes passés devant les autorités civiles ? En quoi la loi civile gênerait-elle l’action des représentans de l’église ? Ne pourrait-on pas aussi aplanir les difficultés que rencontrent les mariages conclus entre individus non catholiques ? La loi brésilienne ne reconnaît comme valables que les actes de mariage passés par les ministres de la religion catholique. Comment établir cependant la validité des mariages qui ne nécessitent pas l’intervention de ces ministres, si un acte civil ne peut servir à les constater, en garantissant les droits de l’époux, de la famille et des héritiers ? Il importe d’assurer, d’accord avec le saint père, l’intervention de l’autorité civile dans les mariages des catholiques, soit entre eux, soit avec des personnes, d’une autre religion. Pour les autres, le pouvoir politique ne peut-il seul et librement prendre les mesures convenables ? Nous faisons des vœux pour que ces questions soient promptement résolues, car les laisser pendantes, c’est compromettre la colonisation spontanée, surtout la colonisation allemande, et avec elle l’avenir du pays.

VIII. — QUESTION DE LA NAVIGATION DES RIVIÈRES. — QUESTION DE LA PLATA. — QUESTIONS EXTÉRIEURES.

Il y a deux autres questions qu’on présente depuis quelque temps en Europe sous un aspect peu favorable à l’empire du Brésil : celle de la navigation des rivières et celle de l’influence qu’il exerce sur les états de la Plata. On signale le Brésil comme un adversaire constant et intraitable de la liberté de navigation de l’Amazone et des fleuves qui forment le delta de la Plata, comme un conquérant qui veut jouer dans l’Amérique du Sud le rôle des États-Unis dans l’Amérique du Nord. On dénature les faits pour leur donner une physionomie favorable à ces fausses idées ; aussi s’est-il formé en Europe, et surtout en France, une opinion qui nuit au crédit et à la considération dont le Brésil doit jouir par sa conduite loyale et ses procédés pleins de sens et de sagesse. Nous traiterons séparément ces deux questions.

La question de la navigation des rivières nous occupera d’abord, elle embrasse les affluens de la Plata, et le fleuve des Amazones avec ses affluens. — Un des principes que le Brésil soutient depuis nombre d’années, c’est que le droit à la navigation d’une rivière appartient à tous les états riverains ; quant aux pays qui ne sont pas riverains, ils ne peuvent obtenir ce droit que par des concessions. Ce principe est-il vrai ? Peut-on soutenir en thèse générale, en théorie, que le droit de navigation sur une rivière intérieure appartient à tout le monde ? On dira peut-être que la liberté est toujours bonne, et que la civilisation moderne condamne les disciples du dictateur Francia ; mais on ne pourra jamais soutenir qu’on est parfaitement en droit d’exiger cette liberté. Tous les publicistes, depuis Wolf et Puffendorf jusqu’à Vattel, Martens et Kluber, établissent que le cours et non la source d’une rivière en détermine la propriété, — que chaque état possède exclusivement la portion de cette rivière qui traverse son territoire, — qu’une telle propriété n’est sujette à aucune servitude, et que les riverains inférieurs peuvent même en refuser la navigation aux riverains supérieurs, — qu’il n’y a que des conventions particulières qui donnent droit à cette navigation. Grotius seul a fait quelques modifications à ces principes du droit des gens. L’Angleterre les a toujours acceptés et respectés dans la question de la navigation du Saint-Laurent avec les États-Unis, de la rivière Gambia au Sénégal avec la France, et du Paraná et du Paraguay avec le général Rosas. À la séance du 19 février 1846, lord Aberdeen, répondant à lord Beaumont, disait que le gouvernement anglais ne prétendait exercer aucun droit sur la navigation du Paraná, dont les rives inférieures appartiennent à la ConfédérationArgentine, parce qu’une telle prétention serait contraire à la pratique constante de l’Angleterre et aux principes des nations. Le 17 juillet 1847, le même homme d’état assimilait le droit du général Rosas défendant la navigation de l’Amazone au droit de l’Angleterre ne permettant point l’entrée du Saint-Laurent aux bâtimens étrangers. Par le traité du 29 novembre 1849, ratifié le 15 mai 1850, le gouvernement de sa majesté britannique reconnaissait que le droit de navigation sur le Paraná appartenait tout entier à la république argentine, car c’était une rivière intérieure sujette seulement aux lois et règlemens de cette république[14]. La France, dans le traité Leprédour, en 1849, s’exprimait de même, et dans la question de la Gambia, au Sénégal, on a reconnu le droit parfait de l’Angleterre à refuser la navigation de ce fleuve. La Hollande a toujours refusé à l’empereur Joseph II la navigation de l’Escaut. L’Espagne soutenait aussi la même thèse contre les États-Unis quand elle possédait les rives inférieures du Mississipi ; les États-Unis eux-mêmes l’admettaient dans les traités du 9 août 1842 et 19 juin 1846 sur la navigation des rivières Sao-Juan et Colombie.

Mais de nos jours la civilisation et le commerce ont trouvé ces principes trop exclusifs : on leur a fait subir des modifications ; seulement ces modifications ne sont pas aussi larges qu’on paraît vouloir bien le croire, ce sont celles que Grotius avait entrevues. Le congrès de Vienne a établi en 1815, comme un droit conventionnel, la liberté de la navigation sur la Moselle, la Meuse, l’Escaut, le Mein, le Rhin et le Neckar. Les publicistes modernes, surtout les Américains Wheaton, Bello et Kent, ont réduit la question à deux principes qui doivent régir la matière, et ce sont ces principes que le Brésil a toujours soutenus contre le général Rosas et le dictateur du Paraguay relativement aux affluens de la Plata ; ce sont ces mêmes principes qu’il a établis en faveur du Pérou et des autres états voisins qui possèdent les rives supérieures de l’Amazone et de ses affluens. Ils peuvent se formuler ainsi : 1° liberté de navigation ou simple transit pour tous les riverains soumis à des règlemens faits d’un accord commun ; 2° droit des riverains à désigner leurs ports de commerce et à faire leurs règlemens pour l’exercice de ce droit. Le Brésil, en acceptant ces principes, exigeait pour son pavillon la liberté de navigation de la Plata et de ses affluens, car il possédait les rives supérieures de l’Uruguay, du Paraná et du Paraguay ; il envoyait en même temps des diplomates dans la Nouvelle-Grenade, dans la Bolivie, dans la république de l’Equateur, le Venezuela et le Pérou, pour s’accorder sur la navigation de l’Amazone avec ces états, qui en possèdent les rives supérieures et les affluens. Ce qu’il a demandé pour la Plata, il l’a également offert pour l’Amazone aux autres gouvernemens, dont quelques-uns sont parfaitement d’accord avec lui et ont déjà signé des conventions.

Mais pourquoi le Brésil n’ouvre-t-il pas l’Amazone à la navigation du monde entier ? Telle est la question à laquelle il faut répondre.

Le Brésil n’a dit à aucune nation qu’il lui refusait le droit de navigation sur l’Amazone ; ce qu’il a établi, c’est qu’étant le maître de refuser ou d’accorder ce droit aux nations qui ne sont pas riveraines, il l’accorderait quand il jugerait le moment convenable. Il y a là une différence immense. Veut-on avoir la navigation de l’Amazone, qu’on s’entende avec le Brésil : lorsqu’il aura pris ses sûretés pour ses rives et ses ports, il sera le premier à ouvrir ce grand fleuve au commerce du monde, car l’intérêt du Brésil est de donner la vie à cinq cents lieues de rives qu’il possède sur l’Amazone, et à plus de six cents qu’il possède sur des affluens presque aussi importans. Ce que le Brésil a toujours voulu, c’est qu’on reconnaisse son droit : il peut s’en désister, en tout ou en partie, par des traités et des conventions ; mais on ne peut le forcer à l’abandonner. Les états riverains supérieurs, le Pérou surtout, l’Equateur, Venezuela et la Bolivie, ont le même droit que le Brésil sur les rives dont ils sont en possession. Et ce qui a lieu de nous étonner, c’est que l’opinion publique, qu’on veut à présent exciter contre le Brésil à cause de l’Amazone, ne s’était pas émue contre l’Angleterre quand elle a refusé la navigation du Saint-Laurent ; ce fleuve cependant lie l’Océan avec les lacs Supérieur, Michigan, Huron, Erié, Saint-Clair, Saint-Pierre et Ontario, qui n’appartiennent pas à l’Angleterre. Aucune réclamation non plus ne s’était élevée contre le général Rosas lorsqu’il fermait la navigation du Paraná, qui est la seule voie pour le Paraguay, la province de Matto-Grosso et la Bolivie.

Veut-on savoir sur quoi s’est fondée cette opinion défavorable au Brésil ? Il a fait en 1851 un traité avec le Pérou pour la navigation de l’Amazone depuis Para jusqu’à Nauta. En 1853, un officier de la marine des États-Unis publie à Washington un mémoire sous le titre de Exploration de la vallée des Amazones, dans lequel il dépeint les rives de l’Amazone comme réunissant tout ce que la nature a produit de plus fertile et de plus majestueux. L’officier américain montre à ses compatriotes de nouveaux marchés et de nouveaux territoires sur lesquels ils pourraient se jeter, et où les attendent des richesses immenses. MM. Herndon et Gibbon, officiers de marine, qui se trouvaient à Valparaiso peu de temps après la signature du traité fait entre le Pérou et le Brésil pour la navigation de l’Amazone, reçurent du lieutenant Maury, directeur de l’observatoire de Washington, l’ordre de descendre le fleuve Amazone, d’étudier toutes les questions qui se rattacheraient à la navigation et au commerce de ce fleuve, et de faire à ce sujet un rapport au gouvernement des États-Unis. M. Gibbon descendit de la Bolivie par le fleuve Madeira. M. Herndon suivit le chemin de Parco, et reconnut les eaux de la rivière Hualaga. Tous deux rentrèrent dans leur pays après avoir parcouru l’Amazone. La publication du rapport de M. Herndon excita un vif enthousiasme aux États-Unis. Il n’y avait pas au monde, disait-on, une contrée aussi fertile, aussi riche en or, en argent, en pierres précieuses, en produits de toute espèce, que la vallée des Amazones. Sous tous les rapports, cette vallée déserte offrait par sa proximité plus d’avantages que la Californie : c’était sur elle que les Américains devaient tourner leurs vues ; c’était une conquête à faire, conquête aussi profitable que l’avait été celle de la Louisiane.

Ceux qui connaissent les États-Unis et la population de la grande république peuvent se faire une idée de l’impression produite par ces publications. La convention de Memphis se réunit : elle décida qu’on devait engager le peuple des États-Unis à faire des expéditions dans l’Amazone et à déclarer au gouvernement de l’Union qu’il fallait seconder toutes ces entreprises, peaccably if we can, forcibles if we ment, c’est-à-dire « pacifiquement si on le pouvait, par la force s’il le fallait. » De véritables flibustiers se mirent aussitôt en mesure d’envahir l’Amazone. À la première nouvelle qu’il reçut de ces préparatifs, le gouvernement brésilien signifia au cabinet de Washington son droit entier et inattaquable sur ce fleuve, et déclara formellement qu’il s’opposerait à toute tentative de navigation sous pavillon américain comme sous tout autre pavillon étranger. Le gouvernement de l’Union comprit que la justice était du côté du gouvernement impérial, et il défendit aux citoyens américains la navigation de l’Amazone sans une permission du Brésil.

Le bruit fait à ce sujet par la presse des États-Unis a eu son retentissement en Europe. La presse anglaise et la presse allemande ont pris parti pour le Brésil ; mais en France l’opinion publique s’est tournée contre lui, parce qu’on a cru qu’il avait la prétention de fermer à tout jamais la navigation de l’Amazone. Sur quoi cependant se fonde cette opinion ? Sur l’attitude prise vis-à-vis des États-Unis ? On a déjà vu de quel côté était la raison. Reprochera-t-on au Brésil d’être allé seulement chercher ses voisins, en possession comme lui des rives de l’Amazone et de ses tributaires, pour les engager à ouvrir la navigation de ces fleuves, au lieu de porter les mêmes propositions en France, en Angleterre, aux États-Unis ? Mais les premiers étaient, comme le Brésil, états riverains ; ils avaient donc à cette navigation des droits légitimes et un intérêt immédiat.

Le Brésil a voulu d’abord ouvrir la navigation aux riverains, et ce qu’il a voulu, il l’a fait. Déjà l’étendue sillonnée par des bateaux à vapeur brésiliens représente à peu près cinq cents lieues sur le sol de l’empire, et quatre-vingts sur le sol péruvien, de sorte que, lorsque viendra le moment d’ouvrir à tous les pavillons du monde la navigation des Amazones, les règlemens de police et de commerce se trouveront établis. L’empire et les républiques voisines n’auront rien à redouter de cette liberté de navigation, qui au contraire sera tout à leur avantage. Le Brésil ne veut pas pour l’Amazone la prospérité fugitive des pays aurifères ; il sait bien que les établissemens qui s’y forment ne sont pas permanens. Il n’y a que les établissemens agricoles qui, fixes par leur nature et leur destination, développent les instincts domestiques et patriotiques ; c’est sur l’agriculture, l’industrie et le commerce que le Brésil désire fonder la prospérité de la vallée des Amazones, et il parviendra à lui assurer un brillant avenir, s’il continue à marcher avec fermeté dans la voie qu’il a suivie jusqu’ici.

Ce n’est pas seulement la conduite tenue par le Brésil qu’on juge sévèrement en Europe ; ses rapports avec les petites républiques de la Plata sont l’objet de graves soupçons.

Le Brésil est limité au sud et à l’ouest par la Bolivie, le Paraguay, la Confédération-Argentine et l’état oriental de Montevideo. Ces pays formaient l’ancienne vice-royauté de Buenos-Ayres et une partie de la vice-royauté du Pérou, lesquelles se sont divisées en quatre républiques. L’État-Oriental, touchant à l’empire par Castilhos, à l’Océan, et à l’embouchure de la rivière de Quaraim, qui se jette dans l’Uruguay, doit surtout préoccuper les esprits, de préférence aux autres républiques. Plusieurs familles brésiliennes se sont établies dans la partie supérieure de l’État-Oriental, et y possèdent d’immenses propriétés, qu’on appelle estancias, où l’on élève les bœufs et où l’on prépare la viande sèche et les cuirs, dont le commerce est très actif. Une zone de plus de cent lieues peut-être de l’État-Oriental est ainsi possédée par des sujets brésiliens. ON comprend l’intérêt que doit avoir le Brésil à ce que l’État-Oriental jouisse des bienfaits de la paix et de l’ordre public, non-seulement à cause des propriétaires brésiliens résidens, dont les agitations du pays compromettent la sécurité, mais encore parce que ces luttes civiles ont une action fâcheuse sur ses frontières de la province de Rio-Grande, et y produisent un certain mouvement anarchique qui a déjà amené de bien tristes résultats. Quand l’État-Oriental est en proie à la guerre civile, l’empire est obligé de concentrer sur les frontières une partie de son armée pour prévenir les dangers d’une invasion et les brigandages qui malheureusement se commettent toujours. Ainsi l’intérêt, le premier intérêt du Brésil à l’égard de ce pays, c’est qu’il soit tranquille. Il ne désire pas intervenir dans ses affaires et dans ses luttes ; s’il le fait, c’est qu’il y est forcé, et cette intervention a jusqu’ici été un bien pour Montevideo.

Depuis que cet état s’est déclaré indépendant de Buenos-Ayres et du Brésil, il n’a presque jamais, on le sait, joui de la paix intérieure. Les luttes d’Oribe et de Fructusso Rivera remplirent les premières années qui suivirent l’indépendance. Le siège de Montevideo est bien connu, et a valu à cette ville dans le pays le surnom de nouvelle Troie. Le Brésil a cherché à s’entendre en 1843 avec le général Rosas, dictateur de la Confédération-Argentine, pour en finir avec cette situation, nuisible sous tous les rapports à l’un et à l’autre pays. On avait même fait à Rio une espèce de traité, que le dictateur de Buenos-Ayres n’a pas ratifié, parce que ses vues étaient bien différentes de celles de l’empire. Il ne voulait pas l’indépendance de l’État-Oriental ; son ambition allait jusqu’à demander la réunion sous son autorité de tous les pays qui formaient, sous le régime colonial, la vice-royauté de Buenos-Ayres. Il voulait réunir à la Confédération-Argentine, dont il était le chef, l’état de Montevideo et celui du Paraguay ; mais l’indépendance de ces deux républiques était nécessaire et profitable au Brésil. C’est alors que le gouvernement impérial chercha, pour les mettre à l’abri de l’ambition du général Rosas, à s’entendre avec la France et l’Angleterre. N’ayant pu cependant parvenir à former une alliance pour une triple intervention, il se mit seul en campagne, et, de concert avec les habitans de la ville assiégée de Montevideo et avec le général Urquiza, qui s’était séparé de Rosas, il fit, en 1851, entrer son armée dans l’État-Oriental pour en chasser celle du général Oribe. On obtint bientôt par la force ce que voulaient le Brésil, Urquiza et le général Garzon, qui représentait la ville de Montevideo. Oribe mit bas les armes et se retira avec son armée ; mais le général Rosas regarda cette intervention comme une déclaration de guerre à la Confédération-Argentine, car c’était lui qui encourageait Oribe dans ses folles prétentions, et lui fournissait les forces dont il avait besoin. Oribe n’était qu’un instrument dont se servait le dictateur de Buenos-Ayres pour accomplir ses desseins. Il fallut soutenir la guerre contre le général Rosas ; les armées alliées foulèrent le sol de Buenos-Ayres, et après la bataille de Monte-Caseros arrivèrent aux portes de la ville. On sait quel fut le dénoûment de la lutte : le général Rosas tomba du pouvoir et se réfugia en Angleterre.

Cette intervention du Brésil a été heureuse pour tous les états de la Plata. Le Paraguay, aussi bien que l’État-Oriental, a été délivré des prétentions ambitieuses du général Rosas, et la Confédération-Argentine, quoiqu’elle se soit divisée pour former deux états indépendans, celui de la confédération, dont le général Urquiza est devenu le chef, et la république de Buenos-Ayres, qui se gouverne par elle-même, doit rendre grâces à Dieu que la politique du Brésil ait triomphé, car la chute de Rosas lui a donné la liberté, la vie et le progrès, biens précieux qu’elle n’avait jamais connus jusque-là.

Quels ont été les résultats de cette intervention pour le Brésil même ? Après la guerre, il s’est montré généreux en faisant retirer ses troupes ; il a réglé les questions de limites avec l’État-Oriental en lui faisant des concessions ; il a signé des traités de commerce et de navigation, également avantageux pour toutes les parties contractantes, avec Montevideo, le Paraguay et le général Urquiza ; il a prêté de l’argent au gouvernement de Montevideo pour l’aider à combler le déficit que la guerre avait amené dans les finances de la république. En revanche, il a vu son commerce avec la Plata augmenter de près de 300 pour 100 depuis 1852[15], et en rétablissant la tranquillité dans l’Ëtat-Oriental il a assuré la sécurité des sujets brésiliens qui y résident, en même temps que la sécurité des frontières de l’empire.

Malheureusement l’État-Oriental n’avait pas appris pendant la guerre à connaître le prix de la paix. La conséquence inévitable de la dissolution des grands partis politiques fut l’apparition sur la scène de factions dont la fureur était plus intolérable que les luttes et les haines des partis. Aucun gouvernement ne pouvait se maintenir. Le Brésil fit tout ce qu’il put pour établir à Montevideo un gouvernement solide et durable, et pour inspirer aux habitans des idées d’ordre. Il répondit favorablement en 1854 à une nouvelle demande d’intervention armée et à celle d’un subside mensuel de 300,000 francs pendant un an. Cinq mille soldats brésiliens occupèrent encore la ville de Montevideo[16], mais ce n’était que pour soutenir et pour aider le gouvernement existant contre les factions qui le combattaient. Cette intervention était si loyale que le cabinet brésilien, en exposant sa conduite aux cabinets étrangers, leur déclara qu’il ne refuserait pas le concours de toute puissance qui voudrait s’entendre avec lui pour cette entreprise. Les troupes brésiliennes séjournèrent à peu près un an dans la ville de Montevideo, et rentrèrent ensuite dans la province de Rio-Grande. Ainsi finit la seconde intervention brésilienne, pendant laquelle l’empire n’exigea rien du gouvernement oriental ; il ne lui imposa aucune condition, et il se conduisit, comme lors de la première intervention, avec la plus grande générosité. Tous les partis ont été unanimes pour louer l’attitude digne et impartiale des troupes brésiliennes au milieu des luttes du pays.

Le Brésil a trop de terres pour en désirer d’autres. Ce qu’il veut, c’est développer la colonisation dans ses provinces, peupler ses déserts et ses forêts immenses, qui ne demandent que des bras pour se transformer et devenir des villes civilisées et des terrains productifs, voir enfin sa population de 8 millions d’habitans s’élever à 20 ou 30 millions. Voilà son ambition et le but de tous ses efforts. Il n’est pas, comme jadis le Portugal, dévoré de la soif des conquêtes. Loin de songer à s’agrandir, il est préoccupé surtout de régler les questions de limites qui sont encore pendantes entre lui et ses voisins. Ces questions datent du régime colonial, et lui ont été léguées par le gouvernement de l’ancienne métropole. Il les a déjà réglées avec le Pérou et l’État-Oriental ; mais rien encore n’a été conclu avec le Paraguay, la Bolivie, la Nouvelle-Grenade, Venezuela et l’Equateur. La base sur laquelle il a traité et sur laquelle il se propose de traiter encore, c’est l’uti possidetis. Il n’est pas possible d’en trouver une plus raisonnable. La date de possession qu’il prend pour règle est l’année 1810, époque à laquelle tous les états de l’Amérique du Sud ont à peu près proclamé leur indépendance. Le Brésil prouve par là sa bonne foi, et combien peu il ambitionne une extension de limites. Le territoire qu’il possède est déjà peut-être trop vaste. Les anciens traités de limites signés par l’Espagne et le Portugal en 1750 et 1777 ont été annulés par les guerres postérieures. Les nouveaux traités fixeront donc les droits respectifs des différens états, et mettront fin à des questions qui sont toujours délicates, car les partis ne manquent pas de s’en servir pour agiter l’esprit public, qui s’exalte facilement à l’idée de l’amour-propre froissé et de l’abandon de ses droits.

On est parvenu à régler avec Venezuela en 1852, et avec la Nouvelle-Grenade en 1853, ces questions de limites. On a fait aussi avec ces deux pays, de même qu’avec le Pérou et l’Uruguay, des traités pour la navigation de l’Amazone et de ses affluens, et pour l’extradition des criminels ; malheureusement les guerres civiles des républiques de la Colombie, les changemens continuels de gouvernemens qu’elles ont amenés, ont été jusqu’ici un obstacle à la ratification de ces traités. Le Brésil n’a pu encore s’entendre avec le Paraguay sur leurs limites respectives : des déserts séparent les deux pays. Le premier établit son uti possidetis là où le second ne veut pas l’accepter ; mais une question plus grave est celle de la navigation des rivières, dont le Paraguay possède les deux rives inférieures à celles qui appartiennent à l’empire. Par un traité fait en 1850, le Paraguay avait concédé au Brésil la navigation des deux rives du Paraguay et de celles du Paraná, dont il était en possession. Menacé dans son indépendance par le dictateur Rosas, il voulait s’assurer alors l’appui du Brésil. Lorsqu’il s’est vu délivré de toutes ses craintes, il a cherché des prétextes pour s’opposer à cette navigation. Intimidé en 1856 par les forces navales que l’empire envoya dans les rivières, il a cependant signé un nouveau traité par lequel il concède encore le droit de navigation au pavillon brésilien, stipulant qu’à l’aide de règlemens fiscaux et de police on prendrait les mesures nécessaires pour prévenir la contrebande et assurer la tranquillité du pays.

Tandis que le Brésil ouvre au commerce du monde le port d’Albuquerque, situé dans la province de Matto-Grosso, sur les bords du Paraguay, et va jusqu’à permettre le cabotage à tous les pavillons, le gouvernement dictatorial du Paraguay établit des règlemens qui non-seulement ferment tous les ports de la république, mais qui sont encore de véritables obstacles à la navigation de cette rivière, en obligeant tous les navires de commerce à relâcher à l’Assomption, à Serro-Occidental et au fort Olympo, pour s’y soumettre à des formalités d’autant plus coûteuses, qu’elles allongent de beaucoup les voyages. Le Brésil ne veut pas reconnaître ces règlemens : la navigation et le commerce qu’il veut ouvrir à sa province de Matto-Grosso en souffriraient trop ; il est décidé à employer même la force, si le dictateur Lopez ne les modifie point. Cependant, avant d’arriver à des moyens extrêmes, il cherche par les voies diplomatiques à faire comprendre au Paraguay la nécessité où il est de retirer des prétentions non moins préjudiciables à lui-même qu’aux autres pays, car il ne peut pas rester fermé au commerce, et son avenir n’est fondé que sur le développement de son industrie. Vis-à-vis du Paraguay, le Brésil ne plaide pas seulement sa cause : il plaide celle du monde entier. Ce n’est pas uniquement dans son intérêt personnel qu’il est résolu à employer la force des armes, si les négociations n’aboutissent pas : c’est dans l’intérêt de tous les pays à qui la navigation du Paraguay, dont les rives supérieures appartiennent à l’empire, offre les élémens d’une grande prospérité commerciale. Le Brésil ne veut pas contraindre le Paraguay à ouvrir à tous les pavillons les ports qu’il possède sur la rivière : il sait bien que le Paraguay a le droit incontestable de les ouvrir ou de les fermer, et que l’intérêt de la république doit être la seule règle de conduite du dictateur Lopez. Cependant le simple transit des navires est un droit qui appartient au Brésil, et par sa situation comme état riverain, et par les traités qu’il a stipulés avec le Paraguay. L’exercice de ce droit ne peut donc être entravé ni restreint par des règlemens qui émanent du Paraguay tout seul.

Pour donner une idée complète de la politique extérieure du Brésil, il faut encore parler de ses relations avec les grandes puissances européennes. Le gouvernement brésilien s’est toujours efforcé de prouver à la France son estime et son désir ardent de rendre de plus en plus intimes et cordiales ses relations avec elle. Si les deux états n’ont pu s’entendre encore sur les limites de la Guyane, le Brésil en 1855 a satisfait à la demande que lui adressait la France de permettre que les autorités de cette colonie pussent s’approvisionner de bétail dans d’autres ports que celui de Chaves, le seul de la province du Para qui leur eût été ouvert en 1852. Le gouvernement brésilien a immédiatement ouvert le port de Soure sur la rivière Sgaporé, et a ordonné d’en ouvrir un autre sur la rivière Avari.

Les rapports entre le Brésil et la Grande-Bretagne tendent à se resserrer, quoique le cabinet de Saint-James ne se soit pas encore décidé à faire rappeler le bill de lord Aberdeen sur la traite des esclaves au Brésil. Ce bill cependant n’est pas mis à exécution et ne peut pas l’être : ce ne sont pas seulement les hommes d’état du Brésil qui repoussent la traite, ce sont toutes les classes de la population. Et il ne faut pas se tromper sur la cause de cette modification dans les idées : elle n’est pas due au gouvernement britannique. Tant que les croiseurs anglais poursuivaient la traite sur les mers du Brésil, elle prit de jour en jour plus de développement ; les actes qu’ils pratiquaient sous prétexte de la réprimer blessaient souvent les intérêts honnêtes et légitimes des citoyens brésiliens, et soulevaient la juste indignation du pays contre l’Angleterre. Les négriers en profitaient pour capter la sympathie des habitans, en leur faisant croire que cette puissance n’était mue que par un sentiment d’égoïsme, qu’elle voulait diminuer la production et la richesse du Brésil au profit de la production de ses colonies, qui possèdent une industrie similaire. Enfin, lorsqu’en 1850 le gouvernement impérial fit un appel franc et loyal au pays, qu’il l’éclaira sur ses véritables intérêts dans le présent et dans l’avenir, la société brésilienne le comprit et lui prêta un appui qui devient chaque jour plus sûr et plus précieux. Il nous est doux de pouvoir affirmer que la traite n’est plus possible au Brésil.


Nous avons terminé la tâche que nous nous étions imposée en essayant de faire connaître l’état actuel de l’empire du Brésil. Cherchons, en finissant, à résumer les réflexions que cet état si prospère doit inspirer.

On a vu que le Brésil était passé du régime colonial à l’indépendance sans secousse et presque sans difficultés sérieuses. L’indépendance existait déjà en réalité ; il ne lui manquait que la sanction du droit. L’élément monarchique était accepté d’avance par tout le monde : il n’y a donc eu de changement que dans les institutions politiques, et ces institutions mêmes, octroyées par le premier empereur, étaient parfaitement conformes aux mœurs, aux besoins et aux désirs de son peuple. Quant aux lois civiles, commerciales, criminelles et administratives, ce n’est qu’avec le temps et les progrès du pays qu’elles ont subi certaines réformes, introduites successivement, au moment convenable, et après avoir été longuement discutées.

Le résultat de ce système a été de créer sur la terre brésilienne un gouvernement civil qui n’a point d’analogue dans les autres états de l’Amérique du Sud. L’esprit militaire domine dans presque tous ces pays, pendant qu’au Brésil on ne le remarque presque point. L’empire brésilien a pu allier une constitution monarchique avec l’élément fédératif, emprunté à la république de Washington, sans que son unité territoriale en ait reçu aucun dommage, sans que son gouvernement monarchique ait perdu la moindre force. Il s’est acquis une physionomie propre, un caractère spécial qui, tout en gardant la trace des traditions portugaises, s’allie avec les nouvelles idées et les progrès de la civilisation. Il a parfois souffert de l’anarchie, mais aucun mouvement révolutionnaire n’a pu y triompher, si l’on excepte celui du 6 avril 1831, qui a provoqué l’abdication de dom Pedro Ier. Aujourd’hui il voit l’ordre s’affermir définitivement, et de nouvelles mœurs, de nouveaux intérêts étouffer tous les germes de troubles.

Si l’état intérieur du Brésil est satisfaisant, au dehors il commence à exercer sur ses voisins une influence pacifique, et son rôle dans l’Amérique méridionale devient chaque jour plus important et mieux apprécié[17]. L’étendue de ses rapports commerciaux fait ressortir l’honnêteté des Brésiliens dans les affaires et les transactions privées : la dernière crise, qui vient d’ébranler tous les pays du monde, en est une preuve suffisante. Le Brésil en a souffert ; mais son commerce s’est conduit avec une franchise, une loyauté qui ne méritent que des éloges. C’est le contact avec les négocians anglais qui a introduit dans le commerce brésilien ces procédés de bonne foi qui lui font honneur. Les rapports avec les Allemands ajoutent une certaine amabilité et une douceur tranquille aux habitudes patriarcales de la famille lusitanienne. Toutefois le caractère brésilien ressemble plus au caractère français qu’à celui d’aucun autre peuple. C’est la France qui, en envoyant ses livres, ses revues et ses journaux, importe et développe le plus au Brésil l’amour des lettres, des arts et des sciences. La langue française fait partie de l’éducation du peuple. Dans les écoles, dans les lycées, dans les facultés d’instruction supérieure, dans les études spéciales, dans les beaux-arts et au théâtre, on subit l’influence intellectuelle de la France. Lorsque l’amiral Coligny, en encourageant Villegaignon, donnait à son établissement de Rio-Janeiro le nom de France antarctique, il ne se doutait pas qu’un jour il y aurait une France antarctique, mais indépendante, qui, dans l’Amérique méridionale, ferait honneur, à la race latine, et jouerait peut-être dans cette partie du Nouveau-Monde le rôle important que la nation française s’est assuré en Europe par son génie, sa civilisation et son influence.


Pereira da Silva.
  1. L’instruction publique n’était dans la colonie que du premier et deuxième degré, et presque tout ecclésiastique ; les Brésiliens, pour suivre les études supérieures ou spéciales, étaient obligés d’aller en Portugal.
  2. Il est prouvé aujourd’hui que c’est à Bartholomeo Gusmao qu’on doit la découverte des aérostats. Son expérience a été faite à Lisbonne publiquement en 1709, et les papiers de ce temps en font foi. Ce n’est qu’en 1789 que les Montgolfier ont gonflé leur premier ballon.
  3. Alexandre de Gusmao a été ministre d’état de dom Juan V ; Lemos s’est illustré par la réforme de l’université de Coïmbre, ainsi que son frère Ramos. Cunha Continho et Cayrù sont les deux économistes les plus distingués du Portugal et du Brésil.
  4. Souza Caldas occupe la première place parmi les lyriques portugais. Santa Ritta Durao a écrit le beau poème Caramuru ; Basilio da Gama s’est illustré par son excellent poème de l’Uruguay, et Sao Carlos par l’Assomption de la Vierge. Antonio José est encore le premier poète comique du Portugal.
  5. Nous le disions à la chambre des députés du Brésil en 1855 : « Les attributions du ministère de l’intérieur (imperio) sont trop nombreuses et de nature trop différente. Il dirige la politique du pays par les présidens de province, qui sont ses délégués directs, et par les élections. Il a sous sa direction les établissemens scientifiques supérieurs et ceux de l’instruction primaire et secondaire de la ville de Rio, les beaux-arts, les postes, l’agriculture, l’industrie, les mines, la statistique, la civilisation des Indiens, le commerce, la salubrité publique, la colonisation, les travaux publics et les terres du domaine. Il n’est pas possible qu’un seul ministère suffise à tout cela ; je dirai plus : il n’est pas possible qu’un seul homme soit à la hauteur de cette tâche pour la remplir convenablement. Cependant le pays marche ; il fait des progrès sensibles, et plusieurs des branches du service public sont appelées à prendre un développement inattendu, comme la colonisation, le morcellement et la vente des terres du domaine, les chemins de fer, les grands travaux publics enfin. » — « Le service public est encore organisé aujourd’hui comme il l’a été par la loi de 1822, lors de la proclamation de l’indépendance ; mais le Brésil de 1855 n’est plus le Brésil de 1822. Tout a changé autour de nous. Nous avons des branches d’administration qui étaient alors inconnues : les colonies militaires et civiles, les terres du domaine public, les chemins de fer, la navigation à vapeur, les télégraphes, la garde nationale, la police et tant d’autres ; quant à celles qui existaient, elles ont pris un tel développement, qu’elles ne ressemblent plus à ce qu’elles étaient alors. Le ministre peut et doit être un homme politique, mais la politique change, et il faut que les traditions et les principes de l’administration aient une continuité de système, une unité de vues, indépendantes, de la politique. »
  6. La recette de 1858 s’est divisée de la manière suivante : ville et province de Rio, 25,156,789,000 reis ; Bahia, 7,513,486,000 r. ; Pernambuco, 7,508,354,000 r. ; Rio-Grande du Sud, 2,581,125,000 r. ; Para, 1,399,309,000 r. ; Maranhan, 1,201,804,000 r. Les quatorze autres provinces ont fourni le restant. Pour les budgets provinciaux, la province de Rio a une recette de 3,000,000,000 reis ; Bahia, 1,067,787,745 r. ; Pernambuco, 1,011,295,011 r. ; Rio-Grande du Sud, 789,055,100 r. ; Para, 777,217,676 r. Les quinze autres provinces ne viennent qu’après. Il faut remarquer que nous ne tenons pas compte des budgets municipaux, qui montent à près de 5,000,000 francs, ni des budgets de quelques établissemens publics, auxquels sont réservés les dixièmes de différens impôts, par exemple les maisons de miséricorde, etc. Les provinces ont à leur charge les travaux publics, les forces de police, l’instruction primaire et secondaire, la construction des prisons, etc. Quelques-unes reçoivent du trésor général des subsides pour leurs travaux publics.
  7. L’exportation consiste en café, sucre, cuirs, cotons, diamans, tabac, herva-matte, caoutchouc, eaux-de-vie, cacao, bois de teinture et d’ébénisterie, riz, tapioca, or, ipécacuana, salsepareille, etc. La province de Rio à elle seule présente une production égale en valeur à la moitié de la somme entière de l’exportation. Bahia et Pernambuco prennent toujours la deuxième et la troisième place.
  8. Une activité maritime de plus en plus considérable correspond à ce progrès. En 1856, le port de Rio-Janeiro a vu sortir 3,622 navires et entrer 3,620, celui de Bahia comptait 1,608 navires entrés et 1,750 sortis, celui de Pernambuco 786 entrés et 682 sortis. Les autres ports de l’empire, qui sont Rio-Grande du Sud, Para, Maranhao, Santos, Alagoas, Sergipe, Paranágué, Parahyba, etc., ne viennent qu’après ces trois-là. Le Brésil possède 148 navires nationaux pour les voyages de long cours, et 1,400 de cabotage, en outre plus de 16,000 bateaux, qui s’emploient à la navigation intérieure des rivières et à la pêche sur les côtes, et qui sont montés par près de soixante mille hommes, dont le tiers en esclaves.
  9. Nous avons sous les yeux le bilan de la Banque nationale au 1er décembre 1857 seulement pour la ville de Rio-Janeiro, et ne comprenant pas les sept succursales qu’elle possède. À cette date, son actif (effets de commerce en portefeuille, prêts sur dépôts, etc.) était de 76,787,427,231 reis, ou 220,362,281 francs ; son passif (billets en circulation, comptes courans, etc.) balançait exactement cette somme. La banque rurale de la ville de Rio a un capital de 8,000 contos de reis, ou 24 millions de francs, et son dernier bilan présente un actif de 22,026,029,977 reis. La banque en commandite Maua Mac-Grégor et Co a un capital de 6,000 contos de reis, ou 18 millions de francs, et son actif est toujours d’environ 18,000 contos de reis. D’après ces données, on peut se figurer l’importance des affaires qui se font à Rio-Janeiro ; mais Bahia, Pernambuco, Rio-Grande du Sud, Para, Maranhao et Sao-Paulo nous donnent la preuve que le mouvement et la vie n’existent pas seulement dans la capitale.
  10. Voici la proportion des crimes commis dans le pays à trois époques différentes :
    1848 1852 1856
    Assassinats 1,032 734 483
    Tentatives d’assassinats 226 137 117
    Blessures graves 520 412 455
    Vols avec violence 103 65 78
    Résistance à la justice 97 60 23


    Les peines s’accomplissent, selon le degré, dans les prisons simples, aux galères et dans les prisons pénitentiaires. Il y a un pénitencier assez bien organisé à Rio, et on en construit deux autres à Pernambuco et Sao-Paulo.

  11. Des facultés de droit, de médecine, de sciences mathématiques, les premières à Sao-Paulo et Pernambuco, les autres à Bahia et à Rio, représentent seules encore au Brésil l’enseignement supérieur.
  12. Dans le rapport sur l’état de la province de Rio-Janeiro que nous avons présenté au 1er juillet 1857 à son assemblée législative, nous avons constaté que dans le territoire de Cantagallo, outre le baron de Nova-Fribnrgo, qui possède 922 colons, il y en a beaucoup dans six autres établissemens agricoles, tous Portugais, et que dans quatre établissemens du territoire de Valence il y a à peu près 600 Allemands, que dans d’autres, à Passatres et Veados, il y en a près de 300. Dans la province de Sao-Paulo, selon le rapport du directeur général des terres et colonisation, il y avait à peu près 40,000 colons, Allemands,.Suisses, Portugais, Galiciens, et habitans des Açores, dans plusieurs établissemens particuliers.
  13. Dans le rapport que nous avons déjà cité, on voit que la colonie de Pétropolis a une population allemande de plus de 3,000 âmes, et celle de Friburgo en a presque autant.
  14. « Recognise the navigation of the river Paraná to be an inland navigation of the Argentine Confederation, subject solely to its laws and regulations. »
  15. Le commerce avec la Plata depuis 1852 s’est développé dans des proportions étonnantes ; il dépasse aujourd’hui la somme de 20,000,000 de francs.
  16. La circulaire envoyée par le gouvernement brésilien à la diplomatie étrangère, du 19 janvier 1854, explique très bien cette seconde intervention. On y dit : « Dans cet état des choses, qui compromet visiblement l’existence nationale de la république de Montevideo et annule tous les élémens de sa vie politique et sociale, l’intervention du Brésil a été réclamée d’abord par la présidence de M. Giro, ensuite par le gouvernement provisoire, et a été demandée par tous les habitans pacifiques sans distinction de partis. Elle se fonde sur le texte des traités de 1851, dont le gouvernement brésilien désire l’entière exécution. Elle n’a d’autre but que d’assurer l’existence de l’état, l’exercice des droits de tous ses habitans, la paix et l’ordre, et l’établissement d’un gouvernement régulier. »
  17. Le 5 décembre 1857, le représentant des États-Unis au Brésil. M. Mead, reçu par l’empereur dom Pedro II, lui adressait un discours où l’on remarque le passage suivant : « Une égale extension de territoire garantit à chacun des deux pays une prépondérance future qui les place au-dessus des appréhensions et leur donne l’importance qu’ils doivent à la connaissance de leur force. La ressemblance qui existe entre eux sous divers rapports est suffisante pour faire naître des sympathies politiques et sociales. Une politique commune à tous deux, qui aura cependant à combattre plusieurs préventions hostiles à l’extérieur, établira sans doute une alliance entre les deux états et leur assurera pour la commune défense une unité d’action et de sentiment invincible. — Je suis touché de cette nouvelle preuve de l’amitié de votre gouvernement, a dit l’empereur. En vous répondant avec une égale expansion, et en reconnaissant les devoirs que sa position parmi les nations de l’Amérique du Sud impose au Brésil, je puis vous assurer que cet empire emploiera toujours son influence légitime pour le bien et la prospérité de ses voisins. » Le contraste entre l’esprit pacifique du Brésil et la politique envahissante des États-Unis ne pouvait être plus finement indiqué.