Le Cadran de la volupté ou les Aventures de Chérubin/04

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La Guittare



LA GUITTARE.


Il y avait un quart-d’heure que je me promenais sur la terrasse ; l’élixir aphrodisiaque commençait à agir, et me rendait insuportable le plus léger retard ; enfin, j’entends les sons ravissans de la guittare, en deux sauts je fus sous la croisée d’où partaient les sons de cette douce harmonie, une femme tousse, j’approche, ce n’était plus la même conductrice ; elle dit à voix basse, Rosalba. Je reconnus le mot du guet, je réponds, Divine. Elle me fait monter dans la chambre où était celle qui faisait raisonner la guittare ; je vis une femme charmante, non moins belle que Divine…… je fus frappé de sa beauté ; je restai immobile de surprise. — Ah ! je ne croyais ne jamais rien voir de si beau que Divine ; mais… — Partons, mit dit-elle, je n’ai pas le tems d’entendre vos complimens, ni peut-être vous de me les faire. Suivez moi.

Je reconnus la voix de mon guide, je l’avais toujours vue le visage couvert ; combien je fus satisfait de la trouver plus belle que le portrait que je m’en étais fait. Ah ! disais-je, c’est une grâce qui me conduit auprès de Vénus ! Allez, me dit-elle, en m’ouvrant un escalier dérobé, montez à la première porte, et mouchez vous deux fois… Elle ferma la porte du bas sur moi… Je donne le signal : On ouvre ; c’était un temple dont Divine était la déesse ; les feux de cent bougies, réfléchis sur le cristal des lustres éclairaient des tableaux peints par la main des grâces, avec les pinceaux de la volupté, qui, répétés dans vingt glaces, donnaient à ce superbe appartement l’air d’une chapelle consacrée à la mère des amours. Divine, à demi-nue, était couchée sous un dais sur une pile de carreaux jonchés de fleurs, l’appartement était embaumé des plus riches parfums, on jouissait par tous les sens… Je tombe aux pieds de Divine, j’embrasse ses génoux… O ma déesse, lui dis-je, vois à tes pieds le plus zélé de tes adorateurs, reçois ses vœux et son sincère hommage ; fais moi mourir sur ton sein, ma vie, mon âme, tout est à toi, disposes-en. — Relève toi, mon bien-aimé, me dit-elle, viens dans les bras de ton amante recevoir le prix de ton amour, la couronne du plaisir et de l’immortalité. Je m’élance entre les bras de Divine, bientôt nos deux corps confondus n’en font plus qu’un, l’amour agite sur nous tous les feux de son flambeau, l’encens que nous offrons à ce dieu fume sur ses autels ; Divine, anéantie de plaisirs, est prête à expirer dans mes bras, moi seul, dans un état plus qu’humain, je triple mes abondantes libations : je commence à croire que je suis un dieu ! Revenue de son extase, Divine ne se possède plus, elle est transportée au-dessus de la sphère commune ; dans le délire de la volupté, les cheveux en désordre, ce n’est plus une déesse, c’est une bacchante, elle veut jouir de toutes les manières, furieuse, égarée, ne distinguant plus les convenances ; elle saisit d’une main avide le thyrse qui l’inspirait, approche sa belle bouche… sa langue voluptueuse… enfin elle le presse sur toutes les parties de son corps, c’est son dieu ! son sein ferme et poli lui sert de trône, puis, par un caprice étrange, elle le place dans l’étroite ouverture voisine de celle que la nature lui destina : saisissant ensuite ma main, elle dirige mon doigt dans le réduit enflammé que je quittais à regret. Je l’agite, et bientôt la douce rosée du plaisir humecte ma main fortunée… Je me trouvais assez bien de la voie détournée qu’elle m’avait fait prendre, et j’étais prêt d’en donner des preuves, quand, par un mouvement adroit et vif, en même-tems, Divine me fit changer de direction, et reçut dans le vase de corail destiné à cet usage, un torrent de feux dont sans doute elle avait par instinct prevu l’irruption prochaine.

Un instant de repos, ou plutôt une jouissance plus paisible succéda à cette scène de plaisirs variés. Divine avait l’esprit créateur, elle-même disposa les préparatifs du nouveau sacrifice que nous voulions offrir au dieu de Lampsaque. Étendue sur l’autel, elle me fit passer une de mes cuisses sous son corps souple et léger, de sorte que ma tête étant auprès de ses pieds, les miens répondaient, d’un sous ses reins, et l’autre sur son épaule : dans cette attitude, le fier dieu des jardins était obligé de courber un peu sa tête pour pénétrer dans la brûlante carrière qu’il avait à parcourir ; elle-même l’introduisit dans l’arêne… Non jamais je n’ai éprouvé de titillations, de voluptés plus grandes que celles que je dois à cette heureuse découverte. Ah ! pour cette fois, je mourus à mon tour, Divine se dégagea et s’étendit sur mon corps qu’elle tint longtems embrassé, sa bouche de rose, recueillait mes soupirs, elle eut bientôt par ses lascives caresses ranimé mon ardeur expirante ; pleine du dieu qui l’inspirait, Divine invente un nouveau moyen ; elle imagine de passer une jambe dans chacun des doubles cordons qui servaient d’aide pour se soulever de dessus les coussins élastiques qui nous servaient de lit, de manière que sa tête seule appuyait sur un carreau un peu élevé, les cordons qui servaient de suspensoire à ses jambes, étant éloignés l’un de l’autre, lui tenaient les cuisses écartées, elle m’y fit placer en besace, de sorte que ma tête étant sous son beau rein, elle avait en perspective les belles formes dont la nature s’est plu à enrichir mon corps, sa main se promenait avec plaisir sur ces deux globes fermes et polis, puis se glissant par-dessous, elle rencontrait les sources sacrées de la volupté, et par la douce agitation de ses doigts, elle hâtait le moment de l’extase… Il m’est impossible de décrire les jouissances infinies que nous procura cette charmante position : il fallut cependant mettre un terme à nos délices, il était de la dernière importance d’éviter l’œil prophane ; nous nous arrachâmes non sans peine des bras l’un de l’autre, je regagnai furtivement mon hôtel, et j’avoue sincèrement que j’avais grand besoin de repos.


Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre