Le Chat du Neptune/5

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V

QUI S’Y FROTTE S’Y PIQUE

Mais le commandant et le lieutenant Coquillard, tous deux penchés sur la broderie géométrique que dessine la file des dominos étalés sur la table de jeu, ne furent nullement avertis par aucune voix secrète du drame qui doit fatalement se passer dans une chambre du conseil où un oiseau et un chat se trouvent ensemble, inopinément, et séparés seulement par une faible barrière de fils d’archal.

Tom, d’un saut, s’installa tout à coup à quelques pouces du cacatoès, lequel se livra immédiatement à une gymnastique désespérée, cherchant de toutes parts le bâton de salut où il pût poser en sûreté ses pattes frémissantes.

Tom fit le tour de la cage, sans se presser, en amateur, clignant de l’œil, la queue dressée en l’air, et se passant la langue sur les lèvres, comme un gourmand qui savoure un bon repas par avance.

Le perroquet, perdant la tête à force de la rouler sur ses épaules pour épier, dans tous les sens, les mouvements de son ennemi, se mit à crier :

— Ran tan plan, tan plan ! à bâbord ! à tribord ! feu !

Mais ces menaces aussi vaines que formidables n’arrêtèrent en rien maître Tom dans ses manœuvres audacieuses.

Il se borna à redresser les oreilles.

Puis, rassemblant toute son énergie, il glissa une patte téméraire à travers les barreaux malencontreux, dans la direction du perroquet, réfugié dans son dernier retranchement, c’est-à-dire au sommet de sa cage.

Fatale imprudence !

En ce moment, d’ailleurs, dans la cabine du commandant, le maître de Tom commettait, de son côté, une imprudence énorme aussi, en gardant en main, à tort, un cinq-quatre encombrant.

Ce cinq-quatre décida du sort de la bataille ; il resta pour compte dans la main du lieutenant et le commandant gagna la partie, qui était la cent neuvième de la journée entre les deux adversaires.

Jacquot et Tom n’eurent pas besoin de jouer leur jeu cent neuf fois pour en avoir assez.

À la première partie, le perroquet empoigna, avec l’héroïsme que la peur inspire souvent aux êtres faibles, la patte menaçante de monsieur Tom, et il la lui mordit vivement.

Oh ! alors, Tom poussa un cri de détresse surprenant et essaya de se dégager au plus vite.


Tom poussa un cri de détresse.

Mais la tenaille de l’oiseau le serrait sans pitié ; on ne peut vraiment pas lui en vouloir.

Il ne fallait pas y aller, voyez-vous, petit sot de chat !

Enfin, le cacatoès, ayant sans doute fait cette réflexion qu’il ne pourrait pas rester toute sa vie — et on dit que les perroquets vivent cent ans — avec une patte de chat dans le bec, se décida sagement à lâcher son ennemi, après l’avoir puni de la belle manière.

Tom jura, un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.