Le Chevalier Des Touches/Dédicace

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Alphonse Lemerre (p. 1-3).

À MON PÈRE



Q ue de raisons, mon père, pour Vous dédier ce livre qui Vous rappellera tant de choses dont Vous avez gardé la religion dans votre cœur ! Vous en avez connu l’un des héros, et probablement Vous eussiez partagé son héroïsme et celui de ses onze Compagnons d’armes, si Vous aviez eu sur la tête quelques années de plus au moment où l’action de ce drame de guerre civile s’accomplissait ! Mais alors Vous n’étiez qu’un enfant, ― l’enfant dont le charmant portrait orne encore la chambre bleue de ma grand’mère, et qu’elle nous montrait, à mes frères et à moi, dans notre enfance, du doigt levé de sa belle main, quand elle nous engageait à Vous ressembler.

Ah ! certainement, c’est ce que j’aurais fait de mieux, mon père ! Vous avez passé Votre noble vie comme le Pater familias antique, maître chez Vous, dans un loisir plein de dignité, fidèle à des opinions qui ne triomphaient pas, le chien du fusil abattu sur le bassinet, parce que la guerre des Chouans s’était éteinte dans la splendeur militaire de l’Empire et sous la gloire de Napoléon. Je n’ai pas eu cette calme et forte destinée. Au lieu de rester ainsi que Vous, planté et solide comme un chêne dans la terre natale, je m’en suis allé au loin, tête inquiète, courant follement après ce vent, dont parle l’Écriture, et qui passe, hélas ! à travers les doigts de la main de l’homme, également partout ! Et c’est de loin encore que je Vous envoie ce livre qui Vous rappellera, quand Vous le lirez, des contemporains et des compatriotes infortunés auxquels le Roman, par ma main, restitue aujourd’hui leur page d’histoire.

Votre respectueux et affectionné fils.

Jules Barbey d’Aurevilly.

Ce 21 novembre 1863.