Le Christianisme dévoilé/Chapitre XV

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CHAPITRE XV.

De l’Eglise, ou du Sacerdoce des Chrétiens.

Il y eut de tout tems des hommes qui surent mettre à profit les erreurs de la terre. Les prêtres de toutes les religions ont trouvé le moyen de fonder leur propre pouvoir, leurs richesses et leurs grandeurs, sur les craintes du vulgaire ; mais nulle religion n’eut autant de raisons que le christianisme, pour asservir les peuples au sacerdoce. Les premiers prédicateurs de l’evangile, les apôtres, les premiers prêtres des chrétiens, leur sont représentés comme des hommes tout divins, inſpirés par l’eſprit de Dieu, partageant ſa toute-puiſſance. Si chacun de leurs ſucceſſeurs ne jouit pas des mêmes prérogatives, dans l’opinion de quelques Chrétiens, le corps de leurs prêtres, ou l’Egliſe eſt continuellement illuminée par l’Eſprit ſaint, qui ne l’abandonne jamais ; elle jouit collectivement de l’infaillibilité, & par conſéquent ſes déciſions deviennent auſſi ſacrées que celles de la Divinité même, ou ne ſont qu’une révélation perpétuée.

D’après ces notions ſi grandes, que le chriſtianiſme nous donne du ſacerdoce, il doit, en vertu des droits qu’il tient de Jéſus-Chriſt lui-même, commander aux nations, ne trouver aucun obſtacle à ſes volontés, faire plier les Rois mêmes ſous ſon autorité. Ne ſoyons donc point ſurpris du pouvoir immenſe que les prêtres Chrétiens ont ſi longtems exercé dans le monde ; il dut être illimité, puiſqu’il ſe fondoit sur l’autorité du Tout-puissant ; il dut être despotique, parce que les hommes ne sont point en droit de restreindre le pouvoir divin ; il dut dégénérer en abus, parce que les prêtres, qui l’exercerent, furent des hommes enivrés et corrompus par l’impunité.

Dans l’origine du christianisme, les apôtres, en vertu de la mission de J C prêcherent l’évangile aux juifs et aux gentils ; la nouveauté de leur doctrine leur attira, comme on a vu, des prosélites dans le peuple ; les nouveaux chrétiens, remplis de ferveur pour leurs nouvelles opinions, formerent dans chaque ville des congrégations particulieres, qui furent gouvernées par des hommes établis par les apôtres ; ceux-ci ayant reçu la foi de la premiere main, conserverent toujours l’inspection sur les différentes sociétés chrétiennes qu’ils avoient formées. Telle paroît être l’origine des Evêques , ou Inspecteurs, qui, dans l’Eglise, se sont perpetués jusqu’à nous ; origine dont se glorifient les princes des prêtres du christianisme moderne[1]. Dans cette secte naissante, on sait que les associés mirent leurs biens en commun ; il paroît que ce fut un devoir qui s’exigeoit avec rigueur ; puisque, sur l’ordre de s Pierre, deux des nouveaux chrétiens furent frappés de mort, pour avoir retenu quelque chose de leur propre bien. Les fonds résultans de cette communauté étoient à la disposition des apôtres, et après eux, des Inspecteurs, ou Evêques, ou prêtres, qui les remplacerent ; & comme il faut que le prêtre vive de l’autel, on peut croire que ces évêques se payerent, par leurs propres mains, de leurs instructions, et furent à portée de puiser dans le trésor public. Ceux qui tenterent de nouvelles conquêtes spirituelles, furent obligés, sans doute, de se contenter des contributions volontaires de ceux qu’ils convertissoient. Quoi qu’il en soit, les trésors, amassés par la crédule piété des fidéles, devinrent l’objet de la cupidité des prêtres, et mirent la discorde entr’eux ; chacun d’eux voulut gouverner, et disposer des deniers de la communauté : de-là des brigues, des factions, que nous voyons commencer avec l’église de Dieu[2]. Les prêtres furent toujours ceux qui revinrent les premiers de la ferveur religieuse ; l’ambition et l’avarice dûrent bientôt les détromper des maximes désintéressées qu’ils enseignoient aux autres.

Tant que le christianisme demeura dans l’abjection, et fut persécuté, ses évêques et ses prêtres, en discorde, combattirent sourdement, et leurs querelles n’éclaterent point au-dehors ; mais lorsque Constantin voulut se fortifier des secours d’un parti devenu très-nombreux, et à qui son obscurité avoit permis de s’étendre, tout changea de face dans l’église ; les chefs des chrétiens, séduits par l’autorité, et devenus courtisans, se combattirent ouvertement : ils engagerent les souverains dans leurs querelles ; ils persécuterent leurs rivaux, et peu-à-peu comblés d’honneurs et de richesses, on ne reconnut plus en eux les successeurs de ces pauvres apôtres, ou messagers, que Jésus avoit envoyés pour prêcher sa doctrine ; ils devinrent des princes, qui, soutenus par les armes de l’opinion, furent en état de faire la loi aux Souverains eux-mêmes, et de mettre le monde en combustion.

Le pontificat, par une imprudence fâcheuse, avoit été, sous Constantin, séparé de l’empire ; les empereurs eurent bientôt lieu de s’en repentir. En effet, l’évêque de Rome, de cette ville jadis maîtresse du monde, dont le seul nom étoit encore imposant pour les nations, sut profiter habilement des troubles de l’empire, des invasions des barbares, de la foiblesse des empereurs, trop éloignés pour veiller sur leur conduite. Ainsi, à force de menées et d’intrigues, le pontife romain parvint à s’asseoir sur le trône des Césars. Ce fut pour lui que les Emile et les Scipions avoient combattu ; il fut regardé, dans l’occident, comme le monarque de l’église, comme l’évêque universel, comme le Vicaire de J. C. sur la terre, enfin, comme l’organe infaillible de la Divinité[3].

Si ces titres hautains furent rejettés dans l’orient, le Pontife des Romains régna sans concurrent sur la plus grande partie du monde chrétien ; il fut un dieu sur terre ; par l’imbécillité des souverains, il devint l’arbitre de leurs destinées ; il fonda une théocratie, ou un gouvernement divin, dont il fut le chef, et les Rois furent ses . lieutenans. Il les détrôna, il souleva les peuples contre eux, quand ils eurent l’audace de lui résister : en un mot, ses armes spirituelles, pendant une longue suite de siécles, furent plus fortes que les temporelles ; il fut en possession de distribuer des couronnes ; il fut toujours obéi par les nations abruties ; il divisa les princes, afin de régner sur eux, et son empire dureroit encore aujourd’hui, si le progrès des lumieres, dont les souverains paroissent pourtant si ennemis, ne les avoit peu-à-peu affranchis, ou si ces souverains, inconséquens aux principes de leur religion, n’avoient pas plutôt écouté l’ambition, que leur devoir[4]. En effet, si les ministres de l’église ont reçu leur pouvoir de Jésus-Christ lui-même, c’est se révolter contre lui, que de résister à ses représentans. Les Rois, comme les sujets, ne peuvent sans crime se soustraire à l’autorité de Dieu : l’autorité spirituelle venant du monarque céleste, doit l’emporter sur la temporelle, qui vient des hommes ; un prince vraiment chrétien doit être le serviteur de l’église, ou le premier esclave des prêtres.

Ne soyons donc point étonnés, si, dans les siécles d’ignorance, les prêtres furent plus forts que les rois, et furent toujours préférablement obéis par les peuples, plus attachés aux intérêts du ciel qu’à ceux de la terre[5]. Chez des nations superstitieuses, la voix du Très-Haut & de ses interprêtes doit être bien plus écoutée que celle du devoir, de la justice et de la raison. Un bon Chrétien, soumis à l’église, doit être aveugle et déraisonnable, toutes les fois que l’église l’ordonne ; qui a droit de nous rendre absurdes, a le droit de nous commander des crimes.

D’un autre côté, des hommes, dont le pouvoir sur la terre vient de Dieu même, ne peuvent dépendre d’aucun pouvoir : ainsi, l’indépendance du sacerdoce des chrétiens est fondée sur les principes de leur religion : aussi sut-il toujours s’en prévaloir. Il ne faut donc point s’étonner, si les prêtres du christianisme, enrichis et dotés par la générosité des rois et des peuples, méconnurent la vraie source de leur opulence et de leurs priviléges. Les hommes peuvent ôter ce que les hommes ont donné par surprise, ou par imprudence ; les nations, détrompées de leurs préjugés, pourroient un jour réclamer contre des donations extorquées par la crainte, ou surprises par l’imposture. Les prêtres sentirent tous ces inconvéniens ; ils prétendirent donc qu’ils ne tenoient que de Dieu seul ce que les hommes leur avoient accordé, et par un miracle surprenant, on les en crut sur leur parole[6].

Ainsi, les intérêts du sacerdoce furent séparés de ceux de la société ; des hommes, voués à Dieu, et choisis pour être ses ministres, ne furent plus des citoyens ; ils ne furent point confondus avec des sujets prophanes ; les loix et les tribunaux civils n’eurent plus aucun pouvoir sur eux ; ils ne furent jugés que par des hommes de leur propre corps. Par-là, les plus grands excès demeurerent souvent impunis ; leur personne, soumise à Dieu seul, fut inviolable et sacrée[7]. Les Souverains furent obligés de défendre leurs possessions, et de les protéger, sans qu’ils contribuassent aux charges publiques, ou du moins ils n’y contribuerent qu’autant qu’il convint à leurs intérêts ; en un mot, ces hommes révérés furent impunément nuisibles et méchans, et ne vécurent dans les sociétés, que pour les dévorer, sous prétexte de les repaître d’instructions, et de prier pour elles.

En effet, depuis dix-huit siécles, quel fruit les nations ont-elles retiré de leurs instructions ? Ces hommes infaillibles ont-ils pu convenir entre eux sur les points les plus essentiels d’une religion révélée par la divinité ? Quelle étrange révélation, que celle qui a besoin de commentaires et d’interprêtations continuels ? Que penser de ces divines écritures, que chaque secte entend si diversement ? Les peuples, nourris sans cesse de l’instruction de tant de pasteurs ; les peuples, éclairés des lumieres de l’évangile, ne sont, ni plus vertueux, ni plus instruits sur l’affaire la plus importante pour eux. On leur dit de se soumettre à l’église, et l’église n’est jamais d’accord avec elle-même ; elle s’occupe, dans tous les siécles, à réformer, à expliquer, à détruire, à rétablir sa céleste doctrine ; ses ministres créent au besoin de nouveaux dogmes, inconnus aux fondateurs de l’église. Chaque âge voit naître de nouveaux mystères, de nouvelles formules, de nouveaux articles de foi. Malgré les inspirations de l’esprit saint, le christianisme n’a jamais pu atteindre la clarté, la simplicité, la consistence, qui sont les preuves indubitables d’un bon système. Ni les conciles , ni les canons, ni cette foule de décrets & de loix, qui forment le code de l’église, n’ont pu jusqu’ici fixer les objets de la croyance de l’église.

Si un payen sensé vouloit embrasser le christianisme, il seroit, dès les premiers pas, jetté dans la plus grande perpléxité, à la vue des sectes multipliées, dont chacune prétend conduire le plus sûrement au salut, et se conformer le plus exactement à la parole de Dieu. Pour laquelle de ces sectes osera-t-il se déterminer, voyant qu’elles se regardent avec horreur, et que plusieurs d’entr’elles damnent impitoyablement toutes les autres ; qu’au lieu de se tolérer, elles se tourmentent & se persécutent ; & que celles, qui en ont le pouvoir, font sentir à leurs rivales les cruautés les plus étudiées, et les fureurs les plus contraires au repos des sociétés ? Car, ne nous y trompons point, le christianisme, peu content de violenter les hommes, pour les soumettre extérieurement à son culte, a inventé l’art de tyranniser la pensée, et de tourmenter les consciences ; art inconnu à toutes les superstitions payennes. Le zèle des ministres de l’église ne se borne point à l’extérieur, ils fouillent jusque dans les replis du cœur ; ils violent insolemment son sanctuaire impénétrable ; ils justifient leurs sacriléges et leurs ingénieuses cruautés, par le grand intérêt qu’ils prennent au salut des ames.

Tels sont les effets qui résultent nécessairement des principes d’une religion, qui croit que l’erreur est un crime digne de la colere de son dieu. C’est en conséquence de ces idées, que les prêtres, du consentement des souverains, sont chargés, dans certains pays, de maintenir la foi dans sa pureté. Juges dans leur propre cause, ils condamnent aux flammes ceux dont les opinions leur paroissent dangereuses[8] ; entourés de délateurs, ils épient les actions & les discours des citoyens, & sacrifient à leur sûreté tous ceux qui leur font ombrage. C’est sur ces maximes abominables, que l’Inquisition est fondée ; elle veut trouver des coupables, c’est l’être déja, que de lui avoir donné des soupçons.

Voilà les principes d’un tribunal sanguinaire, qui perpétue l’ignorance et l’engourdissement des peuples par-tout où la fausse politique des rois lui permet d’exercer ses fureurs. Dans des pays, qui se croyent plus éclairés et plus libres, nous voyons des évêques, qui n’ont point honte de faire signer des formules et des professions de foi à ceux qui dépendent d’eux ; ils leur font des questions captieuses. Que dis-je ? Les femmes même ne sont point exemptes de leurs recherches ; un prélat veut savoir leur sentiment sur des subtilités inintelligibles pour ceux mêmes qui les ont inventées.

Les disputes, entre les prêtres du christianisme, firent naître des animosités, des haines, des hérésies. Nous en voyons, dès la naissance de l’église. Un système, fondé sur des merveilles, des fables, des oracles obscurs, doit être une source féconde de querelles. Au lieu de s’occuper de connoissances utiles, les théologiens ne s’occuperent jamais que de leurs dogmes ; au lieu d’étudier la vraie morale, et de faire connoître aux peuples leurs vrais devoirs, ils chercherent à faire des adhérens. Les prêtres du christianisme amuserent leur oisiveté par les spéculations inutiles d’une science barbare et énigmatique, qui, sous le nom de science de Dieu, ou de Théologie , s’attira les respects du vulgaire. Ce système, d’une ignorance présomptueuse, opiniâtre et raisonnée, semblable au dieu des chrétiens, fut incompréhensible comme lui. Ainsi, les disputes nâquirent des disputes. Souvent des génies profonds, et dignes d’être regrettés, s’occuperent paisiblement de subtilités puériles, de questions oiseuses, d’opinions arbitraires, qui, loin d’être utiles à la société, ne firent que la troubler. Les peuples entrerent dans des querelles qu’ils n’entendirent jamais ; les princes prirent la défense de ceux des prêtres qu’ils voulurent favoriser ; ils déciderent à coups d’épée l’orthodoxie ; et le parti qu’ils choisirent, accabla tous les autres ; car les souverains se croyent toujours obligés de se mêler des disputes théologiques ; ils ne voyent pas, qu’en s’en mêlant, ils leur donnent de l’importance et du poids, et toujours les prêtres chrétiens appellerent des secours humains, pour soutenir des opinions, dont pourtant ils croyoient que Dieu leur avoit garanti la durée. Les héros, que nous trouvons dans les annales de l’église, ne nous montrent que des fanatiques opiniâtres, qui furent les victimes de leurs folles idées ; ou des persécuteurs furieux, qui traiterent leurs adversaires avec la plus grande inhumanité ; ou des factieux, qui troublerent les nations. Le monde, du tems de nos peres, s’est dépeuplé, pour défendre des extravagances qui font rire une postérité, qui n’est pas moins insensée qu’eux.

Presque dans tous les siécles, on se plaignit hautement des abus de l’église ; on parla de les réformer. Malgré cette prétendue réforme, dans le chef et dans les membres de l’Eglise, elle fut toujours corrompue. Les prêtres avides, turbulens, séditieux, firent gémir les nations sous le poids de leurs vices, et les princes furent trop foibles pour les ramener à la raison. Ce ne fut que les divisions et les querelles de ces tyrans, qui diminuerent la pesanteur de leur joug, pour les peuples et pour les souverains. L’empire du pontife romain, après avoir duré un grand nombre de siécles, fut enfin ébranlé par des enthousiastes irrités, par des sujets rebelles, qui oserent examiner les droits de ce despote redoutable : plusieurs princes, fatigués de leur esclavage et de leur pauvreté, embrasserent des opinions qui les mirent à portée de s’emparer des dépouilles du clergé. Ainsi, l’unité de l’église fut déchirée, les sectes se multiplierent, et chacune combattit pour défendre son système.

Les fondateurs de cette nouvelle secte, que le Pontife de Rome traite de novateurs , d’hérétiques, & d’impies, renoncerent, à la vérité, à quelques-unes de leurs anciennes opinions ; mais contens d’avoir fait quelques pas vers la raison, ils n’oserent jamais secouer entierement le joug de la superstition ; ils continuerent à respecter les livres saints des Chrétiens ; ils les regarderent comme les seuls guides des fidéles ; ils prétendirent y trouver les principes de leurs opinions ; enfin, ils mirent ces livres obscurs, où chacun peut trouver aisément tout ce qu’il veut, et où la Divinité parle souvent un langage contradictoire, entre les mains de leurs sectateurs, qui, bientôt égarés dans ce labyrinthe tortueux, firent éclorre de nouvelles sectes.

Ainsi, les chefs des sectes, les prétendus réformateurs de l’église, ne firent qu’entrevoir la vérité, ou ne s’attacherent qu’à des minuties ; ils continuerent à respecter les oracles sacrés des Chrétiens, à reconnoître leur dieu cruel et bizarre ; ils admirent sa mythologie extravagante, ses dogmes opposés à la raison ; enfin, ils adopterent des mystères les plus incompréhensibles, en se rendant pourtant difficiles sur quelques autres[9]. Ne soyons donc point surpris, si, malgré les réformes, le fanatisme, les disputes, les persécutions & les guerres se firent sentir dans toute l’Europe ; les rêveries des novateurs ne firent que la plonger dans de nouvelles infortunes ; le sang coula de toutes parts, et les peuples ne furent, ni plus raisonnables, ni plus heureux. Les prêtres de toutes les sectes voulurent toujours dominer, et faire regarder leurs décisions comme infaillibles et sacrées : toujours ils persécuterent, quand ils en eurent le pouvoir ; toujours les nations se prêterent à leurs fureurs ; toujours les états furent ébranlés par leurs fatales opinions. L’intolérance et l’esprit de persécution sont de l’essence de toute secte qui aura le christianisme pour base ; un dieu cruel, partial, qui s’irrite des opinions des hommes, ne peut s’accommoder d’une religion douce & humaine[10]. Enfin, dans toute ſecte Chrétienne, le prêtre exercera toujours un pouvoir qui peut devenir funeſte à l’Etat ; il y formera des enthouſiaſtes, des hommes myſtiques, des fanatiques, qui exciteront des troubles, toutes les fois qu’on leur fera entendre que la cauſe de Dieu le demande, que l’Egliſe eſt en danger, qu’il s’agit de combattre pour la gloire du Très-haut.

Auſſi voyons-nous, dans les pays Chrétiens, la puissance temporelle servilement soumise au sacerdoce, occupée à exécuter ses volontés, à exterminer ses ennemis, à travailler à sa grandeur, à maintenir ses droits, ses richesses, ses immunités. Dans presque toutes les nations soumises à l’évangile, les hommes les plus oisifs, les plus séditieux, les plus inutiles et les plus dangereux, sont les plus honorés et les mieux récompensés. La superstition du peuple lui fait croire qu’il n’en fait jamais assez pour les ministres de son dieu. Ces sentimens sont les mêmes dans toutes les sectes[11]. Par-tout les prêtres en imposent aux souverains, forcent la politique de plier sous la religion, et s’opposent aux institutions les plus avantageuses à l’état. Par-tout ils sont les instituteurs de la jeunesse, qu’ils , remplissent dès l’enfance, de leurs tristes préjugés.

Cependant, c’est sur-tout dans les contrées, qui sont restées soumises au pontife romain, que le sacerdoce a toujours joui du plus haut degré de richesses et de pouvoir. La crédulité leur soumit les rois eux-mêmes ; ceux-ci ne furent que les exécuteurs de leurs volontés souvent cruelles ; ils furent prêts à tirer le glaive, toutes les fois que le prêtre l’ordonna[12]. Les Monarques de la secte romaine, plus aveugles que tous les autres, eurent, dans les ministres de l’église, une confiance imprudente, qui fut cause, que presque toujours ils se prêterent à leurs vues intéressées. Cette secte effaça toutes les autres, par ses fureurs intolérantes, et ses persécutions atroces. Son humeur turbulente et cruelle la rendit justement odieuse aux nations moins déraisonnables, c’est-à-dire, moins Chrétiennes[13].

N’en soyons point étonnés, la religion romaine fut purement inventée pour rendre le sacerdoce tout-puissant ; ses prêtres eurent le talent de s’identifier avec la divinité, leur cause fut toujours la sienne, leur gloire devint la gloire de Dieu, leurs décisions furent des oracles divins, leurs biens appartinrent au royaume du ciel ; leur orgueil, leur avarice, leurs cruautés, furent légitimés par les intérêts de leur céleste maître : bien plus, dans cette secte le prêtre vit son souverain à ses pieds, lui faire un humble aveu de ses fautes, et lui demander d’être réconcilié avec son dieu. Rarement vit-on le prêtre user de son ministere sacré pour le bonheur des peuples ; il ne songea point à reprocher aux monarques l’abus injuste de leur pouvoir, les miséres de leurs sujets, les pleurs des opprimés ; trop timide, ou trop bon courtisan, pour faire tonner la vérité dans leurs oreilles, il ne leur parle point de ces véxations multipliées sous lesquelles les nations gémissent, de ces impôts onéreux qui les accablent, de ces guerres inutiles qui les détruisent, de ces invasions perpétuelles des droits du citoyen ; ces objets n’intéressent point l’église, qui seroit au moins de quelque utilité, si elle employoit son pouvoir pour mettre un frein aux excès des tyrans superstitieux[14]. Les terreurs de l’autre monde seroient des mensonges pardonnables, si elles servoient à faire trembler les rois. Ce ne fut point là l’objet des ministres de la religion ; ils ne stipulerent presque jamais les intérêts des peuples ; ils encenserent la tyrannie ; ils eurent de l’indulgence pour ses crimes réels ; ils lui fournirent des expiations aisées ; ils lui promirent le pardon du ciel, si elle entroit avec chaleur dans ses querelles. Ainsi, dans la religion romaine, le sacerdoce régna sur les rois ; il fut par conséquent assuré de régner sur les sujets. La superstition et le despotisme firent donc une alliance éternelle, et réunirent leurs efforts, pour rendre les peuples esclaves & malheureux. Le prêtre subjugua les sujets, par des terreurs religieuses, pour que le souverain pût les dévorer ; celui-ci, en récompense, accorda au prêtre la licence, l’opulence, la grandeur, et s’engagea à détruire tous ses ennemis[15].

Que dirons-nous de ces docteurs, que les chrétiens appellent Casuistes ; de ces prétendus moralistes, qui ont voulu mesurer jusqu’où la créature peut, sans risquer son salut, offenser son créateur ? Ces hommes profonds ont enrichi la morale chrétienne d’un ridicule tarif de péchés ; ils savent le degré de colére que chaque péché excite dans la bile de l’être suprême. La vraie morale n’a qu’une mesure pour juger des fautes des hommes ; les plus graves sont celles qui nuisent le plus à la société. La conduite, qui fait tort à nous-mêmes, est imprudente et déraisonnable ; celle qui nuit aux autres, est injuste et criminelle.

Tout, jusqu’à l’oisiveté même, est récompensé dans les prêtres du christianisme. De ridicules fondations font subsister dans l’aisance une foule de fainéans, qui dévorent la société, sans lui prêter aucun secours. Les peuples, déjà accablés par des impôts, sont encore tourmentés par des sangsues, qui leur font acheter chérement des prieres inutiles, ou qu’ils font négligemment ; tandis que l’homme à talens, le sçavant industrieux, le militaire courageux, languissent dans l’indigence, ou n’ont que le nécessaire, des moines paresseux, et des prêtres oisifs, oisifs, jouissent d’une abondance honteuse pour les états qui la tolérent[16].

En un mot, le christianisme rend les sociétés complices de tous les maux que leur font les ministres de la divinité ; ni l’inutilité de leurs prieres, prouvée par l’expérience de tant de siécles, ni les effets sanglans de leurs funestes disputes, ni même leurs débordemens et leurs excès, n’ont encore pu détromper les nations de ces hommes divins, à l’existence desquels elles ont la simplicité de croire leur salut attaché.

  1. S. Jérôme désapprouve hautement la distinction des évêques & des prêtres, ou curés. Il prétend, que prêtre & évêque, suivant S. Paul, sont la même chose, avant, dit-il, que, par l’instigation de satan, il y eût des distinctions dans la religion. Aujourd’hui, les évêques, qui ne sont bons à rien, jouissent de gros revenus ; & un grand nombre de curés, qui travaillent, meurent de faim.
  2. Il y avoit souvent du sang répandu aux éléctions des évêques. Prétextat disoit : Qu’on me fasse évêque de Rome, & je me fais Chrétien.
  3. On fait que la prééminence des Papes, toujours contestée par les Patriaches d’Alexandrie, de Constantinople & de Jérusalem, est fondée sur une équivoque qui se trouve dans le nouveau testament. Le Pape se prétend successeur de S. Pierre, à qui Jésus dit Tu es Pierre, & sur cette pierre je fonderai mon Eglise. Mais les meilleurs critiques nient que S. Pierre ait jamais été à Rome. A l’égard de l’infaillibilité du Pape, quoique plusieurs Chrétiens aient assez de force d’esprit pour la nier, en recueillant les voix, on verra que c’est une vérité incontestable dans l’esprit des Espagnols, des Italiens, des Portugais, des Allemands, des Flammands, & même de la plûpart des François. Bellarmin assure que le Pape est en droit de faire des injusticies. Jure potest contra jusdeceruere.
  4. C’est l’ambition, & le desir d’usurper les possessions des autres, qui donnerent aux Papes un si grand ascendant en Europe. Les souverains, au lieu de se réunir contre lui, comme ils auroient dû le faire, ne cherchoient qu’à l’attirer dans leur parti, & à tirer de lui des titres, pour s’emparer des biens qui excitoient leurs desirs.
  5. Il est évident, que dans les tems d’ignorance, les Chrétiens faisoient plus de cas de leurs prêtres que de leurs Rois. En Angleterre, sous le gouvernement des Saxons, l’amende que l’on payoit, ou que la loi fixoit, pour le meurtre de l’Archevêque de Cantorbéry, étoit plus forte que celle que l’on devoit payer pour la vie du Monarque.
  6. Les droits divins des prêtres, ou les immunités ecclésiastiques, datent de très-loin. Isis, qui étoit une déesse, donna aux prêtres d’Egypte un tiers de son royaume, pour les engager à rendre les honneurs divins à Osiris son époux, après sa mort. Voyez Diod. de Sicile, liv II.ch.I. Les prêtres Egyptiens ont toujours au moins joui des dixmes, & furent exempts de toutes les charges publiques. Moïse, qui étoit un Egyptien, & de la tribu de Lévi, ainsi que le Dieu des Juifs, ne paroissent occupés que du soin de faire subsister les prêtres, à l’aide des sacrifices & des dixmes qu’ils leur assignent. Les prêtres Chrétiens ont indubitablement succédé aux droits des prêtres Juifs ; d’où l’on voit que ce seroit un grand péché, que de ne point payer les dixmes à l’Eglise, & que ce seroit un grand crime, que de vouloir les soumettre aux impositions ordinaires. Dans la Genése, ch.47.v.26. nous trouvons, que la terre des prêtres ne payoit rien au Roi. Selon le Lévitique, ch.27.v.21.18. les biens des prêtres ne pouvoient point se racheter. Les prêtres des Chrétiens, comme l’on voit, s’en sont tenus à la loi judaïque, relativement à leurs biens.
  7. La cause des démêlés de Henri II, Roi d’Angleterre, avec le saint Archevêque de Cantorbéry (Thomas Becket) fut que le Monarque voulut punir des ecclésiastiques, pour les assassinats & des crimes par eux commis. En dernier lieu, le Roi de Portugal a été obligé de solliciter vainement la permission de faire juger des Jésuites, accusés d’avoir trempé dans le crime de lèze-majesté, commis sur sa personne. L’Eglise ne souffre pas volontiers que l’on punisse ses ministres, c’est pour lors qu’elle abhorre le sang ; elle n’est pas si difficile, quand il s’agit de faire répandre celui des autres.
  8. Les tribunaux civils, quand ils sont justes, ont pour maxime de chercher tout ce qui peut tendre à la défense de l’accusé, le tribunal de l’inquisition prend exactement le contrepied. Jamais on ne dit à l’accusé la cause de sa détention, jamais on ne lui confronte les témoins ; s’il ignore son crime, il faut pourtant qu’il avoue. Voilà les maximes des prêtres Chrétiens. Il est vrai que l’inquisition ne condamne personne à mourir ; des prêtres ne peuvent verser du sang par eux-mêmes, cette fonction est réservée au bras séculier, & ces fourbes font mine d’intercéder pour le coupable, bien sûrs de n’être point écoutés. Que dis-je ? ils seroient sans doute, un beau bruit, si le magistrat alloit les prendre au mot. Conduite bien digne de ces hommes, en qui l’intérêt étouffe l’humanité, la sincérité, la pudeur.
  9. De quel droit les Protestans, qui admettent la Trinité, l’Incarnation, le Baptême, &c. rejettent-ils le mystère de la Transubstantiation ? Quand on fait tant que d’admettre une absurdité, pourquoi s’arrêter en chemin ?
  10. Calvin fit brûler Servet à Genéve. Quoique les prêtres Protestans laissent à leurs sectateurs le droit d’examiner, ils les punissent, quand le fruit de leur examen n’eſt pas le même que le leur. Les Egliſes Proteſtantes ne ſe vantent pas d’être infaillibles ; mais elles veulent qu’on ſuive leurs déciſions, comme ſi elles l’étoient. C’eſt pour des querelles de religion, & faute de tolérance, que Charles premier fut forcé de perdre la tête. Quoique les nations Proteſtantes se vantent d’être tolérantes, la différence de religion y met une grande différence entre les citoyens : le Calviniſte, le Luthérien, l’Anglicain, haïſſent le Papiſte, & le mépriſent, de même que celui-ci les damne. Par-tout, la ſecte dominante fait cruellement ſentir ſa ſupériorité aux autres.
  11. J’en excepte pourtant les Quakers, ou Trembleurs, qui ont le bon esprit de ne vouloir point de prêtres dans leur secte
  12. Ad nutum facerdotis, comme a dit le doux S. Bernard.
  13. Dieu rejette les tiédes ; tout Chrétien doit avoir du zèle, pusqu’il doit aimer tendrement son Dieu. Un Roi très-Chrétien doit tout exterminer, plutôt que de souffrir que ses sujets offensent son Dieu. Philippe II & Louis XIV furent des Rois vraiment Chrétiens. Les Anglois & les Hollandois sont des Chrétiens tiédes & lâches, qui préférent la prospérité de l’Etat & du commerce aux intérêts de la religion. Dans le christianisme, tolérance & indifférence pour la religion, sont devenus des synonymes. Comment peut-on embrasser le parti de la tolérance, dans une religion, dont le fondateur a dit : Qui n’est point avec moi, est contre moi.
  14. Le Maréchal de D** disoit à Louis XIV : Je conçois bien que Votre Majesté trouve un Confesseur, qui, pour avoir du crédit, lui donne l’absolution ; mais je ne conçois pas comment le pere le Tellier trouve quelqu’un pour l’absoudre lui-même.
  15. Les nations catholiques sont les plus ignorantes & les plus esclaves de l’Europe ; l’esclavage religieux entraîne l’esclavage politique. Les prêtres de l’Eglise Romaine semblent faire aux Souverrains la même proposition que le diable fit à Jésus-Christ, lorqu’il le tenta dans le désert. Hac omnia tibi dabo, si cadens adoraveris me. Nous te livrerons tous tes sujets pieds & poings liés, si tu veux te soumettre à nos fantaisies.
  16. La satyre la plus forte, qui ait jamais été faite des prêtres du christianisme, est contenue dans S. Matthieu, ch. 23.. Tout ce que le Christ y dit des Scribes & des Pharisiens, convient exactement à nos prêtres. Dans la parabole du Samaritain, Jésus-Christ nous fait entendre que les prêtres sont de tous les hommes les moins humains. Il est rare, parmi nous, que les mendians s’adressent à un ecclésiastique.