Le Cid/Édition Marty-Laveaux/Notice/Réponse de *** à ***

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LE CID, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxHachetteÉdition Marty-Laveaux (p. 59-62).
III. réponse de *** à *** sous le nom d’ariste.


Ne vous étonnez point du procédé que l’on pratique aujourd’hui contre vous : on veut réveiller une guerre qui a fait trembler tous les bons esprits de son temps, et qui n’en a laissé pas un dans le pouvoir de se dire neutre. Les partisans de l’observateur reconnoissent sa foiblesse, et pour rendre son parti plus nombreux, ils veulent attirer à lui des personnes qui ne se souviennent plus de leurs dissensions, et qui ne songent qu’au dessein qu’ils ont fait de ne plus tomber dans une faute publique. Je crois que M. de Balzac n’approuvera jamais l’orgueil q’on tâche de lui attribuer. Et je ne doute point aussi que vous n’ayez été marri de vous voir mêlé dedans une dispute particulière, et que vous n’ayez tous deux eu en horreur le dessein de l’anonyme, qui veut embarrasser des âmes désintéressées, et faire entrer dans la lice deux personnes toutes fraîches, afin de faire esquiver son ami qui n’en peut plus. Il me permettra de lui dire qu’il n’a pas assez bien agi en ceci, et qu’il devoit ou s’attaquer absolument à vous, ou médire seulement de M. Corneille, sans par un galimatias qui ne veut rien dire, et par une confusion absurde, vous adresser le commencement d’une lettre injurieuse, et la poursuivre par des railleries et des impostures qui s’adressent directement à votre ami. Puisque je lui en eusse voulu, j’eusse bouffonné sur Mélite, et eusse dit que ce ne fut jamais qu’une pièce fort foible, puisqu’elle n’eut la peine que d’effacer le peu de réputation que s’étoit acquis le bonhomme Hardy, et que les pièces qui furent de son temps ne valoient pas la peine d’être écoutées. Car la Silvie et la Chriséide, par exemple, étoient les saillies d’un jeune écolier qui craignoit encore le fouet[1] ; et le Ligdamon[2] partoit d’une plume qui n’avoit jamais été tranchée qu’à coups d’épée. J’eusse dit que la Galerie du Palais n’étoit pas bonne, parce que le nom en étoit trop commun ; que la Place Royale n’étoit pas meilleure, puisqu’il en avoit dérobé le titre à ce très-fameux et très-célèbre auteur, Monseigneur Claveret[3]: et que la Suivante étoit une pièce qu’on ne pouvoit goûter, parce que l’on n’en avoit jamais vu une qui fût faite avec de si grandes régularités. Mais aussi n’eussé-je pas oublié les éloges de tous les poëmes qui furent représentés dedans les mêmes temps. Et surtout j’eusse fait une apologie pour la pauvre Silvanire, dont les exemplaires ne périront jamais. J’eusse loué le Duc d’Ossonne, et eusse dit que l’esprit de l’auteur y est miraculeux, puisque toute la pièce (qui est assez longue) n’a pourtant rien de plus achevé que ce qu’on voit dans un premier acte, et qu’il a voulu par le même poëme bannir les honnêtes femmes de la comédie, qui n’ont pu jamais souffrir les paroles ni les actions de ses deux héroïnes. Mais après aussi j’eusse examiné sa Virginie, et ayant laissé à Ragueneau le soin de faire une satire contre le coup fourré qui a fait rire tout le monde, j’eusse admiré la force d’esprit de son héros, qui méprise une princesse qui l’aime, et fait même le semblant de ne la pas entendre quand elle se déclare à lui : et le tout à cause qu’il aime sa sœur. Mais je n’aurois garde d’enfoncer sur leur amour, de peur d’y faire voir ou de l’inceste, ou de la brutalité, et de dire qu’un inconnu, qu’il veut faire passer pour honnête homme, ne voulût pas avoir de l’amour pour une belle fille, à cause qu’il a de l’amitié pour une autre qui est bien moins scrupuleuse que lui. Après je passerois à la Sophonisbe[4], que j’entends plaindre avec autant de justice que Didon se plaint chez un ancien de ce qu’on la fait moins honnête qu’elle ne fut. Je tâcherois à recouvrir l’honneur de Syphax, qui fait moins pitié par le débris de sa fortune et par le bouleversement de son trône, que parce qu’il surprend un poulet que sa femme a envoyé à Massinisse. J’aurois blâmé toute l’importunité du second acte, où Sophonisbe paroît toujours ; et passant plus avant pour imiter les écrivains du temps, je me serois écrié à la scène où Massinisse apprend d’elle quand il commença d’en être aimé : « Ô raison de l’auteur, que faisiez-vous alors ? Qu’étoit devenu ce jugement dont vous n’avez que l’apparence dans toutes vos pièces[5] ? Massinisse avoit-il pas raison de craindre qu’on ne lui rendît ce qu’il avoit prêté ? et quand Sophonisbe en verroit quelqu’un de meilleure mine, qu’elle ne l’estimât plus que lui, puisque c’étoit le sujet pourquoi elle l’avoit estimé plus que Syphax ? » Enfin je n’écouterois point l’excuse qu’il allègue, puisqu’elle ne vaut rien, et aimerois mieux qu’il eût traité l’histoire comme elle s’est passée, que comme elle a dû se passer, au moins à ce qu’il dit. Mais je ne vois pas que je fais presque la même chose que celui que je blâme et qui vous adresse sa lettre, puisque je fais revivre des fautes que j’avois pris tant de peine d’oublier. Vous connoîtrez pourtant que j’en use avec plus de raison que lui, qui va troubler le repos d’un religieux jusque dans sa cellule[6]. Pour moi qui suis au monde, et qui ai toujours loué en lui ce qui n’y a pas été blâmable, je vous avoue que le voyant hors du sens, j’ai commencé a perdre la bonne opinion que j’en avois conçue ; et sachant de plus qu’il fait son possible pour fomenter la discorde, je l’ai considéré comme ces méchants politiques qui n’étant pas assez puissants pour subsister d’eux-mêmes, tâchent de brouiller les affaires, afin d’établir des fondements à leur fortune sur les ruines de ceux qu’ils n’eussent osé choquer ouvertement. Il fait battre deux ennemis forts et redoutables (au moins par ses conseils il tâche de vouloir relever celui qui est presque abattu), et ne considère pas que celui qui a déjà de l’avantage, parce qu’il s’est tu, en aura encore de plus grands quand il voudra parler. Et puisqu’il juge un bon esprit indigne de sa colère, il verra celui-ci avec un si grand mépris, qu’il ne voudra jamais penser à lui, puisqu’il ne songe qu’aux choses excellentes. Imitez-le, Ariste, et laissez aux honnêtes gens le soin de répondre à la calomnie.


  1. Mairet a parlé fort modestement de ses premières pièces dans l’Épître qu’il a placée en tête des Galanteries du duc d’Ossonne : « Je composai, dit-il, ma Criséide à seize ans, au sortir de philosophie, et c’est de celle-là, et de Silvie qui la suivit un an après, que je dirois volontiers à tout le monde : Delicta juventutis meæ ne reminiscaris (Psaume xxiv, verset 7). Je fis la Silvanire à vingt et un, le Duc d’Osonne à vingt-trois, Virginie à vingt-quatre, Sophonisbe à vingt-cinq. » Il cite immédiatement après Corneille avec éloge. Voyez tome I, p. 129.
  2. Pièce de Scudéry.
  3. Voyez tome II, p. 218.
  4. Sur la Sophonisbe de Mairet, voyez la Notice de la Sophonisbe de Corneille.
  5. Allusion à ce passage des Observations de Scudéry (édition en 96 pages, p. 52) : « Ô jugement de l’auteur, à quoi songez-vous ? Ô raison de l’auditeur, qu’êtes-vous devenue ? »
  6. Voyez ci-dessus, p. 29-31.