Le Collier des jours/Chapitre LXVIII

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Félix Juven, Éditeur (p. 276-277).




LXVIII




Une fois, passant en voiture dans un quartier de Paris que je ne connaissais pas, je me dressai tout à coup, debout, agitant les bras, criant de toutes mes forces au cocher d’arrêter.

Qu’est-ce que j’avais vu ?… Qu’est-ce qui me prenait ?… Étais-je malade, ou folle ?…

— C’est la rue des Jeûneurs ! la rue des Jeûneurs !

— Eh bien ! qu’est-ce que ça nous fait, la rue des Jeûneurs ? Ce n’est pas là que nous allons.

— C’est la rue de Catherine !

— La rue de Catherine ?…

— Oui, la rue où demeure son tuteur.

Et comme le cocher s’est arrêté, je veux absolument descendre. Ma mère comprend qu’il n’y aura pas moyen de me faire entendre raison, et que le plus court est de céder. Nous voilà donc avec ma sœur, toutes trois sur le pavé de la rue des Jeûneurs.

— Eh bien ! quel numéro ? demande ma mère.

— Quel numéro ?… Je ne sais pas… Catherine ne me l’a pas dit.

— Et le tuteur, comment s’appelle-t-il ?

— Je ne sais pas… C’est le tuteur de Catherine…

— Il fallait te renseigner mieux… Tu comprends que nous ne pouvons pas aller demander, de porte en porte le tuteur de Catherine… Nous nous ferions rire au nez.

Nous remontons dans la voiture. Je suis très penaude, mais encore plus désolée ; je pense que je ne sais même pas le nom de famille de Catherine, je ne m’en suis jamais inquiétée. Il me semble qu’elle est bien perdue pour moi, que je ne pourrai jamais la retrouver. Et ma sœur, qui s’aperçoit que j’ai envie de pleurer, m’embrasse gentiment, pour me consoler.