Le Combat contre le vice/02

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Le Combat contre le vice
Revue des Deux Mondes3e période, tome 80 (p. 564-598).
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LE
COMBAT CONTRE LE VICE

II.[1]
LA CRIMINALITÉ.

Faire consciencieusement son examen de conscience n’est pas chose aisée pour une nation. Pour accomplir cet exercice salutaire, elle pourrait même se trouver dans l’embarras, si la statistique criminelle ne venait à son aide. Lorsque cette statistique a été fidèlement tenue suivant la même méthode pendant un laps de temps assez long, et qu’elle a enregistré impitoyablement toutes les infractions commises par les citoyens, depuis les contraventions de voirie jusqu’aux parricides, on ne saurait arguer son témoignage d’indulgence ou de sévérité excessive. Tout au plus pourrait-on dire que les indications de la statistique criminelle sont très générales, très sommaires, et que, pour établir le bilan moral d’une nation, il y faudrait ajouter bien des fautes qui ne relèvent point de la justice humaine. Mais, si sommaires qu’elles soient, ces indications n’en servent pas moins à mettre un peu d’ordre dans une recherche où l’abondance des matières introduirait aisément la confusion. On raconte que, sur le déclin d’une vie qui ne s’était pas écoulée sans légères faiblesses, l’aimable auteur du Voyage autour de ma chambre avait été ramené par son moins aimable frère à l’accomplissement de devoirs longtemps négligés par lui, et qu’ayant voulu préparer sa confession générale, il avait jeté sur le papier quelques notes pour se mieux reconnaître dans ses péchés. Comme un jour il montrait ces notes à Joseph et que celui-ci s’étonnait de leur brièveté : « Ce ne sont que des têtes de colonnes, lui répondit Xavier avec humilité, ce ne sont que des têtes de colonnes. » Les indications de la statistique criminelle ne sont également que des têtes de colonnes. Mais ces colonnes sont assez nombreuses pour qu’une nation moins orgueilleuse que la nôtre en pût tirer, comme on va le voir, plus d’une utile leçon.


I.

Après avoir compté sur la statistique criminelle pour répondre au nom de la conscience nationale, je ne voudrais pas médire de la statistique elle-même. Mais il faut convenir qu’il n’y a pas d’instrument dont l’usage soit plus délicat et plus dangereux. La statistique ne fournit qu’une chose : des faits bruts. Dès que de ces faits on veut tirer des conclusions morales, il faut procéder avec une infinie circonspection et s’assurer à chaque instant si quelque modification dans les rouages n’est pas venue fausser la précision apparente de l’instrument qu’on manie. Un examen sommaire des résultats de la statistique criminelle dans notre pays va nous en convaincre.

Le ministère de la justice a publié, en 1882, un intéressant travail dont il convient de faire honneur au directeur de la statistique, M. Yvernès, bien connu non-seulement en France, mais en Europe, de tous ceux qui se sont occupés de ces questions. Ce travail est la réunion en un seul volume des principales constatations relevées par la statistique criminelle depuis sa création, c’est-à-dire depuis 1826, et condensées dans des tableaux ou des cartes, suivant les procédés de statistique graphique si fort à la mode aujourd’hui ; le tout précédé d’un rapport qui met en lumière les considérations les plus intéressantes tirées de ces tableaux. M. Yvernès est un des rares hommes qui savent, comme il faut le faire, à la fois se servir et se défier de la statistique. Avec un guide aussi sûr, nous pouvons nous aventurer dans ce dédale de chiffres qui résument un demi-siècle de criminalité française, et, si la promenade est aride, du moins elle ne sera pas sans quelque profit.

En premier coup d’œil jeté sur la statistique criminelle pourrait, au premier abord, engendrer une de ces illusions dont je parlais tout à l’heure, et qui conduirait à des conclusions tout à fait erronées. Si l’on compare, en effet, les deux termes extrêmes de ce demi-siècle sur lequel portent les relevés statistiques, la période quinquennale de 1826 à 1830 et la période de 1876 à 1880, on est frappé d’un fait qui semblerait devoir donner naissance aux conclusions les plus optimistes : un abaissement sensible du nombre des crimes, c’est-à-dire, suivant la définition tout à fait empirique du code pénal, des infractions qui sont déférées au jury. De 1826 à 1830, le nombre moyen annuel des crimes a été de 5,376. De 1876 à 1880, ce nombre moyen est descendu à 3,446, diminution sensible et qui paraît s’être encore accentuée, le nombre des crimes étant descendu en 1884 (dernière année judiciaire dont les résultats aient été publiés) à 3,276. Rien, au premier abord, ne paraîtrait plus légitime que de conclure de ces chiffres à un abaissement de la grande criminalité. Mais c’est ici que nous allons commencer d’apprendre à nous méfier de la statistique. En effet, cette diminution de la grande criminalité n’est qu’apparente, et voici pourquoi.

Les infractions déférées au jury peuvent se diviser en quatre grandes catégories : crimes contre l’ordre public, dans lesquels sont compris les procès de presse ; crimes contre les personnes ; crimes contre les propriétés; crimes contre les mœurs. De ces quatre catégories, les trois premières ont diminué, la dernière seule a augmenté. Comment expliquer cette diminution et cette augmentation? Laissons de côté les crimes contre l’ordre public. Ces crimes, qui comprenaient autrefois les procès de presse, sont aujourd’hui, on peut le dire, effacés de nos lois, sauf des cas très rares, par l’absence de toutes poursuites. De là une première cause de diminution dans les chiffres généraux de la criminalité. Quant aux crimes contre les personnes ou contre les propriétés, les causes de la diminution sont tout autres et tiennent à certaines pratiques judiciaires qu’il est nécessaire d’expliquer. Parmi les infractions que la loi défère à la cour d’assises, il en est dont la nature nettement déterminée ne souffre aucune hésitation et qui ne sauraient tomber sous le coup d’aucune autre juridiction : ainsi l’assassinat, l’incendie, le faux en écriture publique, etc. Il en est d’autres, au contraire, qui ne sont justiciables de la cour d’assises que si certaines circonstances aggravantes transforment la nature de l’infraction. Ainsi le vol, par exemple, est en principe justiciable de la police correctionnelle et ne constitue qu’un délit. Mais certaines qualifications aggravantes, telles que l’escalade, l’effraction, le vol par le salarié, en font un crime et rendent l’inculpé justiciable de la cour d’assises. Ainsi les coups et blessures ne constituent également qu’un délit, à moins que ces coups et blessures n’aient été portés contre un ascendant ou n’aient occasionné la mort. Alors le délit devient crime et ressortit à la cour d’assises. Depuis une trentaine d’années, l’habitude s’est introduite, parmi les magistrats instructeurs, de ne pas relever, dans un certain nombre de cas les circonstances aggravantes qui auraient transformé le délit en crime, et de traduire devant la police correctionnelle les auteurs de vol ou de coups et blessures qui, si toutes les circonstances du fait étaient relevées, seraient justiciables de la cour d’assises. C’est ce qu’on appelle dans la pratique la correctionnalisation. Cette pratique a pour but et pour résultat d’abréger les instructions, la procédure étant beaucoup plus rapide devant les tribunaux correctionnels que devant les cours d’assises, et d’assurer la répression, le jury étant sujet à des accès d’indulgence intempestive lorsque la peine qui résulterait de son verdict et qu’il soupçonne sans la connaître lui parait disproportionnée avec la gravité du fait. Les avantages de cette pratique ont même semblé assez grands pour qu’elle ait reçu, au bout de quelques années, une sanction légale, et certaines infractions qui, préalablement, étaient soumises à la cour d’assises, ont été définitivement soustraites à sa juridiction par une loi intervenue en 1863. Mais l’habitude de correctionnaliser, pour employer le terme judiciaire, les infractions qui demeurent soumises au jury, n’en a pas moins subsisté chez les magistrats instructeurs, et ceux-ci se fortifient dans cette habitude à mesure que l’institution du jury donne, au point de vue de l’efficacité de la répression, des résultats de moins en moins satisfaisans. Or c’est précisément sur ces catégories d’infractions sujettes à la correctionnalisation que porte la diminution, en apparence si considérable, de la criminalité. Cette diminution n’est donc qu’un leurre, un trompe-l’œil, et le fait est tellement indéniable, tellement connu de tous ceux qui s’occupent de statistique criminelle, qu’il n’est pas besoin de l’établir par des chiffres. Il est préférable d’entrer sur-le-champ dans quelques détails sur les crimes que leur caractère nettement déterminé ne permet pas de soustraire à la juridiction du jury. Nous allons voir que le nombre de ces crimes, loin de diminuer, a plutôt augmenté depuis le commencement du siècle.

Au premier rang de ces crimes qui échappent à la correctionnalisation se trouvent les attentats contre les personnes qui ont eu mort d’homme pour résultat. Ces attentats sont de trois natures : l’assassinat, le meurtre et les coups et blessures ayant occasionné la mort sans intention de la donner. Je ne parle pas pour le moment des infanticides, sur lesquels je reviendrai tout à l’heure. Si nous prenons d’abord les assassinats, nous voyons que, pendant la période quinquennale de 1826 à 1830, leur nombre moyen annuel a été de 197. Par une singulière coïncidence, ce chiffre est exactement celui de la période de 1876 à 1880. Pendant les périodes intermédiaires, le nombre des assassinats a été tantôt au-dessus, tantôt au-dessous de cette moyenne. Depuis quelques années, le nombre des assassinats paraît s’accroître de nouveau. La statistique judiciaire de 1884 en signale 234. Donc, de ce chef, aucune diminution de la criminalité, mais plutôt une certaine augmentation.

La même observation doit s’appliquer aux meurtres, malgré que le nombre moyen annuel des meurtres ait été de 229 pendant la première période quinquennale de la statistique judiciaire et de 143 pendant la dernière. Il faut ajouter, en effet, à ces 143 meurtres les 103 accusations de coups et blessures ayant occasionné la mort sans intention de la donner, accusations qui, avant les modifications apportées au code pénal en 1832, se confondaient avec celle de meurtre. Cela fait un total de 246. Ici encore, il y a augmentation, et augmentation qui paraît s’accentuer, car la statistique judiciaire de 1884 relève 312 accusations de meurtres ou de coups et blessures ayant occasionné la mort. Si maintenant l’on compare ensemble le nombre moyen annuel de ces trois chefs d’accusation réunis, et si on y ajoute les crimes de parricide et d’empoisonnement pendant la première et la dernière période de la statistique judiciaire, on arrive à 464 d’une part, 467 de l’autre. Mais si l’on pousse jusqu’en 1884, on trouve le chiffre de 561, soit une augmentation de plus de 20 pour 100 dans les crimes ayant occasionné la mort d’adultes.

En faut-il conclure que notre nation devient plus sanguinaire? Cela serait peut-être aller un peu vite en besogne. Il faut tenir compte de ce fait que l’augmentation la plus sensible porte sur les meurtres ou sur les coups et blessures ayant occasionné la mort. Or, parmi ces accusés, figurent un grand nombre d’Italiens, plus prompts que les Français à jouer du couteau ; et leur présence en grand nombre dans certains départemens, comme ceux des Alpes-Maritimes et des Bouches-du-Rhône, a même eu pour résultat de faire hausser le rang de ces départemens sur la liste de classement d’après la criminalité[2]. Mais cette explication n’est pas suffisante, et l’on ne saurait méconnaître que la tendance croissante à se faire justice à soi-même et l’usage de plus en plus fréquent du revolver mis au service des vengeances maritales ou féminines, usage encouragé par l’indulgence malsaine du jury et de l’opinion publique, entrent certainement pour beaucoup dans cette augmentation de la criminalité violente, si rapide depuis quatre ans.

Passons maintenant aux infanticides. Ici l’augmentation est patente. Nombre moyen annuel : 102 pendant la première période de la statistique judiciaire ; 194 pendant la dernière; 171 seulement, il est vrai, en 1884. Mais est-ce bien là tout le contingent de la criminalité maternelle, et la correctionnalisation ne joue-t-elle pas ici son rôle? M. Yvernès n’hésite pas à l’affirmer, et il reconnaît qu’un grand nombre d’infanticides sont correctionnalisés sous la qualification de suppression de part (non-déclaration de la naissance d’un enfant), délit qui a été créé par la loi de 1863. Or le nombre de poursuites pour suppression de part a été en augmentant rapidement depuis 1863, et il est indéniable qu’on se trouve ici en présence d’une augmentation dont le caractère est particulièrement douloureux, bien que cette augmentation puisse être expliquée en partie par une meilleure organisation de la police judiciaire et une recherche plus active d’attentats qui autrefois demeuraient souvent ignorés de la justice.

Enfin, il est une dernière série de crimes qui échappe, sinon complètement, au moins en grande partie, à la correctionnalisation; ce sont les crimes contre les mœurs, dans lesquels sont compris les viols et les attentats à la pudeur. Lorsque ces attentats ont lieu contre des adultes, la correctionnalisation peut s’exercer par la transformation en une prévention d’outrage public à la pudeur. Par là s’explique peut-être que le nombre moyen annuel de ces accusations, après avoir cru rapidement de 1826 à 1860, ait diminué depuis cette époque dans une proportion assez sensible. Mais il n’en a pas été de même pour les attentats à la pudeur contre les enfans, qui ne sauraient se correctionnaliser, et dont le nombre a fait plus que quintupler (136 par an de 1826 à 1860 ; 791 de 1876 à 1880). Or, s’il est un crime odieux, ignoble, auquel il soit impossible de trouver une excuse, comme parfois au meurtre ou même à l’assassinat, c’est assurément celui-là. Une augmentation aussi continue, aussi sensible, ne peut s’expliquer que par une aggravation dans la grossièreté des mœurs de la nation, par une sorte de retour à l’instinct animal, paraissant éclater surtout chez ceux qui vivent au milieu des conditions de la civilisation la plus avancée, sans participer cependant à ses jouissances. C’est ainsi que ce crime est beaucoup plus fréquent dans les villes que dans les campagnes, et que la population ouvrière y participe dans une proportion plus élevée que la population rurale. Ajoutons, comme triste et dernier détail, qu’un tiers de ces crimes est commis par des hommes de plus de soixante ans.

En résumé, si nous additionnons les crimes de différente nature sur lesquels les habitudes de correctionnalisation n’exercent que peu d’influence, et si nous comparons ce chiffre total pour les deux périodes extrêmes de la statistique judiciaire que nous avons rapprochées jusqu’à présent, nous trouvons les résultats suivans : 872 pour la période de 1826 à 1830; 1,602 pour la période de 1876 à 1880. En d’autres termes, les attentats de toute catégorie contre les personnes ont presque doublé. En présence d’une constatation de cette nature, il faut renoncer à toutes les explications secondaires, entre autres à celle tirée de l’accroissement de la population, et il faut avoir le courage de reconnaître que la grande criminalité, en dépit des apparences contraires et des allégations superficielles, a augmenté d’une façon très sensible dans notre pays depuis le commencement du siècle. Voyons maintenant ce qu’il en est de la petite criminalité ou, en autres termes, des délits.

Pour apprécier le mouvement de la grande criminalité, nous avons dû nous garer des illusions de la statistique, rectifier ses chiffres et les grouper à nouveau. Pour apprécier celui de la petite criminalité, aucune de ces précautions n’est nécessaire : il n’y a qu’à prendre les chiffres bruts et à les rapprocher. Pendant la première période quinquennale de la statistique judiciaire, le nombre moyen annuel des délits poursuivis devant les tribunaux correctionnels a été de 119,446. Ce même nombre moyen a été de 167,229 pendant la dernière période, c’est-à-dire de 1876 à 1880. Cette moyenne est aujourd’hui dépassée. En 1884, les tribunaux correctionnels ont eu à connaître de 184,949 délits. L’augmentation ici est énorme, et il est triste d’avoir à dire qu’elle est encore plus considérable qu’elle ne paraît. Parmi les infractions de toute nature soumises aux tribunaux correctionnels figurent, en effet, en plus ou moins grand nombre, des contraventions fiscales ou forestières, poursuivies à la requête des administrations publiques, douanes, forêts, etc. Le nombre de ces contraventions était autrefois considérable, avant qu’une loi de 1859 eût autorisé l’administration forestière à transiger avant jugement dans un grand nombre d’affaires. L’usage fréquent que l’administration fait de ce droit a diminué d’une façon sensible le nombre des contraventions. Cette diminution rend plus attristante encore l’augmentation du nombre général des poursuites, qui porte exclusivement sur les délits de droit commun. Le nombre moyen annuel de ces délits a passé de 41,140, pendant la première période de la statistique judiciaire, à 146,024, pendant la dernière. Bien loin de s’arrêter, cette augmentation ne fait que croître. Le nombre des délits de droit commun poursuivis en 1884 a été de 163,728. De telle sorte que, si la grande criminalité a doublé, malgré les apparences contraires, la petite criminalité a quadruplé. Tel est le fait brutal accusé par des chiffres dont l’exactitude ne saurait être mise en doute. Dans une certaine et très faible mesure, cette augmentation peut s’expliquer, d’une part, par l’accroissement de la population 38 millions d’habitans au lieu de 31), et, d’autre part, par une meilleure organisation de la police judiciaire, qui laisserait échapper moins d’infractions. Mais cette double explication est tout à fait insuffisante en présence d’une augmentation aussi considérable. Ajoutons que cette augmentation n’a pas été ininterrompue, car, pendant la période de 1856 à 1866, le nombre des délits de droit commun avait décru progressivement d’environ 6,000, et cependant les deux causes d’accroissement que je viens d’indiquer n’avaient pas cessé d’exercer leur action. Il serait donc tout à fait puéril de s’arrêter à ces explications secondaires, et il faut avoir le courage de reconnaître, avec l’auteur du rapport de 1880, que nous nous trouvons en présence « d’un débordement de démoralisation. » Ce fait indéniable, qui doit donner à penser aux optimistes, est en contradiction formelle avec bien des illusions. Nous serons mieux en mesure de rechercher les causes de cette augmentation de la criminalité, lorsque nous aurons vu comment le nombre des poursuites se répartit entre les différentes catégories d’infractions.

La statistique judiciaire divise les délits en cinq catégories différentes, suivant que ces délits constituent des offenses à l’ordre public, aux personnes, aux propriétés, aux mœurs, ou qu’ils sont punis par des lois spéciales. Laissons de côté les délits de cette nature, dont l’énumération serait longue, après avoir toutefois fait remarquer que si le nombre de ces lois a augmenté sensiblement depuis le commencement de la statistique judiciaire, il n’en est pas de même, au moins proportionnellement, des poursuites auxquelles elles donnent lieu. Sur 1,000 prévenus, il y en a eu 211 poursuivis, en vertu des lois spéciales, de 1826 à 1870. Il y en a eu 227 de 1876 à 1880, Cette légère augmentation est explicable par l’entrée en vigueur de la loi répressive de l’ivresse ; mais ce dernier chiffre présente cependant une diminution par rapport à celui de quelques périodes antérieures, et cette simple constatation suffit à faire tomber l’explication de ceux qui attribuent l’augmentation de la criminalité à la création plus ou moins artificielle d’un certain nombre d’infractions nouvelles. C’est donc à l’augmentation des délits de droit commun qu’il faut se résoudre à demander l’explication de ce phénomène attristant. Mais cette augmentation est loin de se répartir également entre les différentes catégories de délits que j’ai indiquées. Dans la catégorie des délits contre les personnes, il y a même diminution assez sensible : 295 prévenus sur 1,000 de 1826 à 1830 ; 164 seulement de 1876 à 1880. En revanche, il y a augmentation des délits contre les propriétés : 304 prévenus sur 1,000 de 1826 à 1830; 335 de 1876 à 1880 ; et augmentation plus sensible encore des délits contre la chose publique : 178 sur 1,000 pendant la première période de la statistique judiciaire; 251 pendant la dernière. Mais l’augmentation la plus sensible porte sur les délits contre les mœurs, le nombre des prévenus ayant passé de 12 à 23 sur 1,000, c’est-à-dire ayant presque doublé.

Laissons de côté maintenant ces proportions qui, par leur abstraction même, parlent peu à l’esprit, pour nous mettre en présence de la réalité. Prenons les principaux délits et voyons quelle a été en fait l’augmentation du nombre moyen annuel des poursuites depuis la première jusqu’à la dernière période de la statistique judiciaire. Les rébellions et outrages envers les fonctionnaires ont passé de 3,344 à 14,965; les coups et blessures, de 8,426 à 18,446 ; les vols, de 9,871 à 33,381; les escroqueries et abus de confiance, de 1,170 à 6,371: les délits de toute nature contre les mœurs, de 497 à 3,397; enfin, les poursuites pour mendicité et vagabondage, de 3,296 à 16,504. Pour toutes les catégories de délits que je viens de citer, la statistique judiciaire de 1884 relève encore des chiffres supérieurs[3]. Cette augmentation de la criminalité a donc été constante, ininterrompue depuis un demi-siècle, sauf un léger recul qui a marqué le milieu de la période impériale, et qui a été bien vite regagné. Elle s’est poursuivie au travers de tous les événemens publics, et elle a signalé tous les régimes, aussi bien la monarchie et l’empire que la république. Il faut donc savoir reconnaître que cette augmentation n’est explicable par aucune de nos mesquines considérations politiques, et qu’elle présente tous les caractères d’un grand fait social dont il faut chercher les causes profondes. Une fois constaté d’une façon indéniable, ce fait soulève un problème qui se pose dans les termes suivans.

Depuis que l’homme a commencé d’appliquer à l’amélioration de sa condition matérielle les dons de l’intelligence qui lui ont été départis, et qui établissent une différence si profonde entre lui et les autres animaux avec lesquels on se plaît à le confondre dans la bassesse d’une commune origine, chaque siècle a marqué une étape dans la marche de ce qu’on appelle d’un nom, nous allons le voir, peut-être un peu ambitieux : le progrès. Avec des temps d’arrêt et parfois des reculs soudains dus à l’invasion par les races barbares des pays anciennement civilisés, l’humanité a franchi lentement la distance qui sépare la grossièreté des temps primitifs des raffinemens de la civilisation moderne. Mais son allure a été plus ou moins rapide ; parfois elle n’a marqué que quelques pas imperceptibles ; parfois, au contraire, elle a franchi d’un bond l’espace qu’antérieurement elle avait mis plusieurs siècles à parcourir. Pour restreindre la comparaison à notre histoire et à notre pays, les deux derniers siècles ont marché d’un pas très inégal. Aucun changement très appréciable n’est venu modifier la condition sociale des Français pendant la durée du XVIIIe siècle. Si vous comparez ensemble la vie du grand seigneur, celle du bourgeois, celle de l’ouvrier ou du paysan pendant les premières années de la régence ou les dernières années du règne de Louis XVI, vous n’apercevez rien qui les distingue d’une façon bien saillante. Aucune commotion politique n’est venue bouleverser les rangs de la société, mettre les uns à la place des autres et appeler au partage de certains biens ceux qui, jusque-là, en demeuraient exclus. Aucune grande découverte n’est venue non plus transformer les modes de la production, améliorer les conditions générales de la vie, changer les mœurs, les habitudes et les plaisirs. Sans que la civilisation ait assurément reculé au XVIIIe siècle, puisque jamais, sous certains rapports, elle n’a été plus raffinée, on peut dire cependant qu’elle a marqué un temps d’arrêt et que les dernières années du siècle ne sont pas sous ce rapport très différentes des premières.

Il n’en est pas de même du XIXe siècle. Ce siècle, et il ne s’en montre pas médiocrement fier, a, au contraire, assisté à une des transformations les plus prodigieuses et les plus rapides qui ait signalé l’histoire de l’humanité. Les découvertes de la science ont décuplé les forces de la production, augmenté la division des richesses, multiplié les relations des hommes entre eux, introduit enfin dans la condition générale des raffinemens de bien-être que les privilégiés d’autrefois ne connaissaient même pas. En même temps, la proclamation de l’égalité sociale a eu pour conséquence le triomphe de l’égalité politique, et une nouvelle classe, jusque-là gouvernée et sujette, est venue partager le pouvoir avec l’ancienne classe dirigeante dans des proportions de plus en plus inégales. La France de cette fin de siècle, avec la vapeur, l’électricité, le suffrage universel et la république, est bien plus différente de la France du premier empire et de la restauration que la France de Louis XVI n’était différente de la France de Louis XIV ou du régent. Cette France moderne est enivrée d’elle-même. Pas un instant elle ne laisserait discuter la question de savoir si cet état nouveau constitue un progrès. Le progrès est son dogme, qui tend à remplacer tous les autres. Toute une école scientifique et philosophique fait de la transformation sociale de la condition humaine le dernier terme d’une série d’évolutions qui auraient tendu d’elles-mêmes et inconsciemment vers ce but suprême. Mais pendant que cette nation s’étourdissait ainsi de sa prospérité, un juge silencieux, inexorable, tenait un compte exact de toutes ses défaillances, et aujourd’hui qu’elle fait son dénombrement moral, elle s’aperçoit qu’elle compte dans son sein plus de meurtriers, plus de voleurs, plus de débauchés, et aussi plus de mendians et de vagabonds, qu’elle n’en comptait il y a Un demi-siècle. Où est le progrès alors, si l’amélioration de la condition matérielle n’a point eu pour conséquence une élévation de la condition morale, bien plus, si la moralité paraît marcher en sens inverse du progrès? Et immédiatement se pose une autre question : cet accroissement de la criminalité est-il une conséquence, sinon de la civilisation, du moins de ses raffinemens excessifs, qui, en augmentant les jouissances, augmenteraient aussi le besoin de les satisfaire à tout prix? Ou bien faut-il, au contraire, demander l’explication de cet accroissement à des causes indépendantes de ces raffinemens de la civilisation? Question ardue et qui n’est peut-être pas susceptible d’une solution absolue, mais que nous parviendrons du moins à éclaircir en étudiant avec patience les principaux mobiles de la criminalité.


II.

Dans un temps où une puissante école philosophique s’efforce d’ébranler la notion de la liberté morale, et d’expliquer toutes les actions de l’homme par des mobiles inconsciens et impérieux qui détermineraient fatalement sa conduite, il était inévitable que l’application de cette théorie nouvelle fût faite à la criminalité. En effet, quelques criminalistes, disciples de l’école philosophique dont je viens de parler, tendent aujourd’hui à chercher l’explication de tous les méfaits humains dans certaines conformations physiques ou dans certaines prédispositions héréditaires. Et comme il n’y a série d’observations plus ou moins ingénieuses et hasardées qu’on ne s’empresse de baptiser du nom de science, ainsi avons-nous vu naître ce qu’on appelle d’un nom retentissant : l’anthropologie criminelle. Les créateurs de cette science nouvelle n’ont pas manqué d’avoir recours aux deux moyens par lesquels toute science digne de ce nom affirme son existence : un congrès et un bulletin. Le congrès a été tenu à Rome en 1885 et le bulletin se publie à Paris. Mais le compte-rendu des séances du congrès n’a pas encore été publié, et le bulletin n’a que peu d’années d’existence. Pour étudier cette science, les documens feraient donc un peu défaut, si ce même ordre de préoccupations n’avait inspiré d’intéressans travaux. Le plus important est assurément un gros ouvrage de M. le professeur Lombroso, déjà parvenu en Italie à sa quatrième édition et traduit tout récemment en français sous ce titre : l’Homme criminel. Dans cet ouvrage, le savant professeur a réuni toute une série d’observations faites en Italie par lui-même ou par d’autres sur un assez grand nombre de criminels. On peut discuter la plupart des conclusions que Lombroso tire des observations l’assemblées par lui ; mais il faut rendre hommage à la conscience avec laquelle il a procédé. Rien n’échappe à ses investigations. Il tourne et retourne le criminel dans tous les sens, au moral et au physique. Il le pèse, il le palpe, il l’interroge. Sa conformation physique, ses antécédens moraux, ses goûts, ses manies, sa langue, sa littérature, tout lui devient sujet d’études et de dissertations. Toutefois, l’originalité véritable de l’ouvrage de Lombroso n’est pas dans les observations morales faites par lui sur les criminels, car il existait déjà en France plusieurs ouvrages de cette nature, entre autres celui du docteur Lauvergne sur les forçats, et celui plus général du docteur Despine intitulé Psychologie naturelle, qui contient sur les criminels d’intéressantes observations. Les prétentions de Lombroso sont plus hautes. Il affirme avoir constaté, au moins chez les criminels d’habitude, un certain nombre de caractères physiques qui se reproduiraient avec assez de régularité pour constituer ce qu’il appelle le type criminel. Toutes les fois qu’on rencontre ce type, on se trouve en présence d’un criminel-né, c’est-à-dire d’un individu fatalement voué à la criminalité. Quels sont les caractères auxquels le professeur Lombroso croit reconnaître le criminel-né? Les constatations faites par lui sont trop minutieuses pour qu’on puisse les rapporter toutes. Je me bornerai à indiquer ici les principales.

Suivant le professeur Lombroso, un des caractères principaux de l’homme criminel serait d’être grand et lourd, quand il n’est pas cependant mince et agile, ce qui, Lombroso en fait l’aveu avec bonne foi, se présente encore assez souvent. Soigneusement pesé, son poids est plus lourd que celui de l’honnête homme. Je dis homme au sens spécial du mot, car la femme criminelle serait au contraire plus légère que l’honnête femme. Les bras de l’homme criminel seraient presque toujours démesurément longs, et il aurait une facilité singulière à se servir tantôt de la main droite et tantôt de la main gauche. Il aurait peu ou point de barbe, les oreilles très écartées de la tête, et la figure asymétrique, c’est-à-dire de travers. Mais ces constatations faciles ne sont point pour satisfaire la curiosité d’un aussi grand inquisiteur que le professeur Lombroso. Il a voulu pénétrer plus avant dans la physiologie intime du criminel. La conformation de son crâne et de son cerveau l’a surtout préoccupé ; mais ni le crâne ni le cerveau n’ont voulu y mettre de la complaisance, et ils semblent avoir conclu une entente déloyale pour tromper les efforts du savant professeur. Le cerveau surtout, cet organe récalcitrant, a causé à Lombroso les mêmes déceptions qu’il a coutume de causer aux physiologistes et anthropologistes désireux d’établir une corrélation directe entre le poids de la substance cérébrale et les facultés de l’homme ou de l’animal. Mon éminent collaborateur, M. Janet, s’est fait ici même, dans un travail bien intéressant, l’historien de ses mécomptes[4]. Nous en avons eu depuis un exemple éclatant, lorsque les amis d’un éloquent tribun, après avoir disséqué en quelque sorte devant le public sa dépouille mortelle, ont eu le dépit de constater que le poids de son cerveau ne répondait nullement aux brillantes facultés oratoires dont il était doué, et lorsqu’on désespoir de cause ils ont dû, pour expliquer son génie, se rabattre sur la richesse et la beauté de ses circonvolutions cérébrales. Lombroso n’a point eu ces consolations. Rarement il a pu travailler sur la matière cérébrale toute fraîche. Racontant quelques observations curieuses faites par lui sur le cerveau d’un guillotiné : « Malheureusement, ajoute-t-il avec mélancolie, les observations de cette nature ne peuvent être faites sur des vivans. » Il a pu, du moins, comparer entre eux le poids d’un certain nombre de cerveaux pesés après décès; mais de ces pesées comparatives, il lui a été impossible de conclure si le cerveau de l’homme criminel était habituellement plus ou moins lourd que celui de l’homme ordinaire. En revanche, le professeur Lombroso s’est dédommagé aux dépens des crânes d’hommes vivans qu’il a pu palper et mesurer tout à son aise, au grand étonnement, sans doute, des pauvres diables qui se sont soumis assez bénévolement à ses observations, et sur ces crânes il affirme avoir découvert les particularités les plus curieuses. Suivant lui, la boîte crânienne présenterait chez les criminels d’habitude trois traits caractéristiques : la brachycéphalie chez les assassins, la dolichocéphalie chez les voleurs, le prognathisme chez tous les deux, c’est-à-dire, pour parler une langue moins scientifique (j’allais dire moins barbare), que les assassins auraient le front étroit et le derrière de la tête large, les voleurs auraient la tête aussi longue que large, enfin voleurs et assassins auraient les mâchoires inférieures très prononcées. Mais le savant observateur néglige de nous dire comment est fait le crâne de ceux (et ils sont nombreux) qui, après avoir volé, finissent pas tuer. Si, par une rapide évolution de dolichocéphales, ils ne deviennent pas brachycéphales, je ne vois pas trop quelle est la valeur scientifique de l’observation. Aussi le professeur Lombroso n’y insiste-il pas d’une façon particulière; mais, en revanche, il s’appesantit sur une découverte que nul avant lui n’avait soupçonnée, « celle d’une fossette moyenne qu’on rencontre au lieu de la crête sur l’os occipital dans la proportion de 16 pour 100 chez les criminels et de 5 pour 100 chez les non-criminels. » On aperçoit tout de suite la portée de cette découverte, et combien l’existence de cette fossette accusatrice doit contribuer à déterminer la conviction des magistrats instructeurs, combien même elle doit faire peser de légitimes préventions contre ceux dont la tête présenterait cette conformation alarmante. Qu’on ne prenne point ceci pour une raillerie. Lombroso n’hésite pas à dire que, dans les cas d’empoisonnement, où les preuves font défaut, l’introduction de ce qu’il appelle le critérium anthropologique peut tenir lieu de l’expertise légale. Ce qui constitue aux yeux du professeur Lombroso le critérium anthropologique, c’est la réunion chez un même individu de ces traits caractéristiques dont je viens d’énumérer les principaux. Celui qui présente tous ces caractères, celui-là est à ses yeux un criminel-né. Or le criminel-né est irresponsable et incorrigible, et il faut se comporter avec lui en conséquence. Il ne faut pas à proprement parler le punir; avec lui, la punition ne servirait de rien, puisqu’il n’était pas libre d’agir autrement qu’il ne l’a fait. Mais il ne faut surtout pas le relâcher. Pour lui point de grâce. Quelque infraction qu’il ait commise, il faut le soumettre à la détention perpétuelle. « La prison à vie, moins le nom, » tel est le régime que, dans la préface de la quatrième édition de son ouvrage, Lombroso propose formellement d’appliquer aux criminels-nés, et il faut convenir que, partant du point de vue auquel il s’est placé, la conclusion à laquelle il aboutit est absolument logique.

Je ne veux pas relever pour l’instant ce que présenterait d’inhumain dans la pratique le système de Lombroso. Mais pour se résoudre à des conclusions aussi dures, il faudrait du moins que les prémisses en fussent assurés. Il faudrait que les caractères distinctifs du type criminel fussent déterminés d’une façon certaine et se retrouvassent chez les criminels d’habitude avec une régularité constante. En est-il ainsi dans la réalité des faits? En aucune façon. L’auteur d’un intéressant opuscule sur la Criminalité comparée, M. Tarde, qui soumet à une critique ingénieuse les doctrines de Lombroso, a eu soin de relever les contradictions qui existent entre les observations faites par le professeur italien et par les anthropologistes des autres pays. Ainsi, pour citer quelques exemples, l’homme criminel serait plus lourd que l’homme ordinaire, d’après Lombroso. Il serait au contraire plus léger, d’après deux anthropologistes anglais, Thompson et Wilson, et même d’après un anthropologiste italien, Virgilio. Sa capacité crânienne serait inférieure suivant Lombroso, supérieure suivant Heger, identique suivant Ranke, à celle de l’homme ordinaire. Enfin la fameuse fossette, découverte par Lombroso sur 16 pour 100 des criminels et 5 pour 100 seulement des honnêtes gens, se trouve dans la proportion de 22 pour 100 chez les Juifs, race qui est peu portée aux crimes violens. Il est infiniment probable que, si les autres indices du type criminel relevés par Lombroso étaient soumis au même contrôle, ce contrôle signalerait les mêmes contradictions. Mais ce n’est pas tout : on peut dire que les observations de Lombroso sont contradictoires avec elles-mêmes. En effet, il convient avec beaucoup de bonne foi que les particularités du type universel n’existaient pas chez la majorité des criminels d’habitude observés par lui. Quarante pour cent environ présentent ces particularités ; les autres en sont exempts. Resterait donc toujours à expliquer pourquoi ceux-ci sont criminels, et pourquoi il y a d’autre part beaucoup d’individus lourds, dolichocéphales ou brachycéphales, ambidextres et imberbes, avec les oreilles écartées de la tête, qui, tout en présentant ces indices du type criminel, au moins selon Lombroso, sont de fort honnêtes gens. Le grand tort de cette explication de la criminalité, tirée de la conformation physique, est de n’expliquer absolument rien et de trouver sa réfutation dans les faits sur lesquels elle s’appuie. Il ne serait même pas impossible que ces faits fussent encore ébranlés par la généralisation des observations anthropologiques auxquelles, à Paris, on soumet aujourd’hui les criminels, et cela grâce à la création récente d’un service dont il est intéressant de dire un mot.

On sait que tout individu qui encourt une condamnation quelconque voit son nom inscrit sur une fiche qui constitue son casier judiciaire et sur laquelle seront portées toutes les condamnations qu’il pourra encourir postérieurement. Ces fiches sont réunies à Paris pour toute la France et forment ce qu’on appelle le sommier judiciaire. Or, il arrive très souvent que des malfaiteurs, pour échapper à cette recherche de leurs antécédens, prennent un faux nom, se procurent même de faux papiers, et se font condamner sous une appellation différente de celle sous laquelle ils ont comparu devant la justice, échappant ainsi aux conséquences légales de la récidive. Il n’est pas rare que d’habiles criminels aient subi des peines sous deux ou trois noms différens, et les aient même fait inscrire au casier de gens absolument innocens. On a cru échapper à cette difficulté en prenant la photographie de tous les condamnés ; mais cette application de la photographie à la police n’a pas résolu la difficulté. D’abord (j’en demande pardon aux amateurs aujourd’hui si nombreux de cet art nouveau) il est assez rare qu’une photographie soit tout à fait ressemblante. Ensuite, l’aspect d’un homme change avec les années, les maladies, la coupe de la barbe et des cheveux. Enfin (et c’était la complication principale), le nombre des photographies étant devenu rapidement très considérable, sans qu’il fût possible d’adopter aucun procédé rationnel pour leur classement, il était nécessaire, dès qu’un doute se produisait sur l’identité d’un malfaiteur, de feuilleter des milliers et des milliers de photographies, souvent sans résultat. Ce fut alors que M. Alphonse Bertillon, le fils du docteur Bertillon auquel on doit tant d’intéressans travaux démographiques, eut l’idée de remplacer la photographie par l’anthropométrie, c’est-à-dire, pour parler d’une façon moins hellénique, par le mesurage de l’homme.

Partant de cette idée que certaines particularités de la conformation physique de l’homme et, en particulier, de son ossature, ne changent jamais, il mesure avec soin, chez tout individu qui lui est amené et à l’aide d’instrumens très précis, la taille, la longueur des bras en croix, la longueur et la largeur du crâne, celles du pied, la longueur du doigt médius, et relève encore différentes indications, entre autres la couleur de l’œil. Il inscrit ces notes sur une fiche à laquelle est jointe la photographie de l’individu. Un système de classement très ingénieux, tiré des mesures elles-mêmes et de leurs relations entre elles, permet de créer des divisions multiples entre lesquelles ces fiches sont réparties, de façon que chaque division ne comprenne jamais qu’un nombre limité de fiches. Qu’un individu arrêté soit soupçonné d’avoir changé de nom et d’avoir subi autrefois une condamnation, il sera amené au service anthropométrique que M. Bertillon a installé au dépôt de la préfecture de police; là, il sera mesuré de nouveau, et rien ne sera plus facile que de rechercher en quelques minutes s’il existe dans les casiers une fiche antérieure, portant des mesures semblables, à laquelle aura été jointe la photographie. Je n’ai pas vu seulement fonctionner ce système, je l’ai fait fonctionner moi-même, et j’ai pu m’assurer de sa parfaite simplicité. Il s’agissait d’un individu arrêté pour vol qui niait sa culpabilité et toute condamnation antérieure, mais chez lequel la sagacité du magistrat instructeur avait relevé une habileté et un savoir-faire difficilement compatibles avec tant d’innocence. Il fut mesuré avec soin devant moi ; on me remit la fiche portant ses mesures, et, avec un peu d’aide, il est vrai, je parvins à retrouver une fiche antérieure qui révélait en lui un malfaiteur habituel déjà plusieurs fois condamné pour délits de cette nature. Le dirai-je, cependant? Tout en opérant, je me sentais un peu honteux de mon rôle, et je ne pouvais m’empêcher de regarder le pauvre diable, qui suait d’angoisse, du même œil dont on regarderait dans une forêt une bête fauve prise au piège par un garde. On reconnaît la légitimité du piège et on donne raison au garde, mais on plaint la bête, et, si elle s’échappait du piège, on n’en serait pas trop fâché. Ces considérations sentimentales ne sont point pour arrêter la justice, qui tire grand parti de ce nouveau service dû à l’ingéniosité de M. Bertillon. Grâce à lui, 40,562 fiches sont déjà constituées et 1,158 identités ont pu être reconnues. Toutefois, c’est à un point de vue différent que la création de ce service m’a paru intéressante. Puisque les théories du professeur Lombroso ont fait école dans le monde des criminalistes, il sera curieux de savoir dans quelle mesure ses observations seront confirmées ou contredites par celles de M. Bertillon. Pour cela, il faudrait cependant, et ce serait assurément facile, joindre aux indications relevées par M. Bertillon quelques-unes de celles auxquelles Lombroso attache le plus d’importance, entre autres le poids, l’écartement des oreilles, enfin l’existence de la fameuse fossette occipitale. Mais il est déjà intéressant de constater qu’aucune corrélation constante ne paraît exister entre les mesures relevées au service anthropométrique et telle ou telle nature de criminalité. Ce qui frappe, au contraire, c’est l’extrême diversité des conformations, et rien n’est venu révéler jusqu’à présent, du moins au point de vue de l’anthropométrie, l’existence d’un type criminel. En revanche, M. Bertillon a remarqué chez les individus arrêtés l’existence de taies sur les yeux et de marques de scrofules en beaucoup plus grande quantité que chez les hommes ordinaires. Dirons-nous à cause de cela que les taies ou la scrofule disposent à la criminalité ? Non. Nous dirons tout simplement qu’une foule de pauvres diables, moins bien outillés pour le travail à cause de leurs infirmités ou de leur faiblesse constitutionnelle, tombent dans la misère, et par la misère sont conduits au vol ou à d’autres délits, explication qui, sans avoir rien de scientifique, vaut peut-être celles de l’anthropologie criminelle.

Est-ce à dire cependant qu’il faille nier toute influence de la conformation physique sur les prédispositions morales, du tempérament sur la volonté, et, pour employer les vieilles expressions métaphysiques que l’école scientifique aura bien de la peine à détruire, du corps sur l’âme ? Il y aurait assurément quelque superbe à le prétendre. Si je ne craignais de m’élever à des considérations qui dépassent l’humble portée de ce travail, je dirais que l’erreur de l’antique école spiritualiste, si fortement battue en brèche aujourd’hui, est d’avoir peut-être un peu trop méconnu la complexité de l’être humain, et l’association étroite des deux principes différens, à la fois inséparables l’un de l’autre et irréductibles l’un à l’autre, dont l’union constitue le mystère même de la vie. Lorsque M. de Bonald définissait l’homme : une intelligence servie par des organes, assurément il réduisait trop le rôle de l’organe et méconnaissait l’intime connexité qui existe entre l’organisme intellectuel et l’organisme physique. À professer un spiritualisme aussi hautain, on s’expose à se voir infliger par les faits des démentis dont il faut tenir compte. Mais lorsqu’on représente l’intelligence comme une fonction et une propriété de l’organe, n’est-ce point pour le coup l’intelligence dont on réduit trop le rôle ? La brutale formule de Cabanis, qui est au fond de toutes ces théories soi-disant nouvelles, « la pensée est une sécrétion du cerveau, » est la plus inintelligible de toutes les explications, puisqu’elle n’explique pas comment la sécrétion de la substance grise qui constitue le cerveau est si différente de toutes les autres. La vérité ne serait-elle pas de reconnaître que, si l’on peut séparer ces deux principes par une opération abstraite de l’esprit, dans la réalité ils n’en exercent pas moins l’un sur l’autre une légitime influence ? Les physiologistes s’appliquent, avec une sorte de passion, à constater l’influence du corps sur l’âme. Je voudrais les voir appliquer leur méthode d’observation ingénieuse, et s’il était possible, d’expérimentation, à toute une série de faits plus difficiles à saisir, mais dont l’existence n’est pas moins constante, et qui affirment l’influence de l’âme sur le corps. Si, au lieu de se confiner dans une salle de dissection et de n’observer que sur la mort, les physiologistes observaient davantage dans le monde et sur la vie, leurs yeux exercés ne seraient-ils pas frappés encore plus que les nôtres de ces transformations que les années opèrent chez les êtres sentant et agissant, transformations qui sont la traduction extérieure des phénomènes de leur vie intérieure? Parfois, à leur entrée dans l’existence, le hasard vous met en relations avec deux êtres chez lesquels aucun indice ne révèle, au premier regard, deux natures morales très différentes. Rien dans leur physionomie générale, dans leurs traits, dans leurs yeux, dans ce je ne sais quoi d’indéfinissable qui constitue l’expression du visage, ne trahit l’élévation ou la bassesse des instincts, et ne donne à deviner dans quel sens l’être se développera. Leur âme est une matière malléable et sans forme, que les plaisirs, les passions, les souffrances n’ont point encore façonnée. Vous perdez ces deux êtres de vue, puis vous les retrouvez au bout de quelques années. Vous êtes frappé du changement de leur aspect. L’un a, en quelque sorte, épaissi ; les yeux ont perdu de leur éclat, les lèvres sont devenues plus fortes, le corps s’est alourdi, et de l’être lui-même se dégage une impression vague de vulgarité. L’autre s’est, au contraire, raffiné; les yeux sont devenus plus profonds, l’expression du visage s’est ennoblie, la personne entière apparaît moins matérielle et plus idéale. Que s’est-il donc passé? Rien : ils ont vécu. Au premier, le plaisir s’est offert sous sa forme la moins noble, et il s’en est repu; au second, la souffrance est échue en partage, et il l’a acceptée avec résignation. La jouissance vulgaire a abaissé l’une de ces natures; la douleur a élevé l’autre, et l’enveloppe extérieure de chacune a été transfigurée par l’action du principe intérieur. Ce reflet de l’âme sur le visage, qui de nous ne l’a observé bien des fois sur un être qui lui était cher? Quel artiste digne de ce nom ne s’est efforcé de le saisir et de le fixer sur la toile en reproduisant les traits de son modèle? Ce n’est pas l’imagination pure qui a inspiré à Victor Hugo ces beaux vers de la Légende des siècles, sur la différence entre le regard du vieillard et celui du jeune homme :


Le vieillard qui remonte à la source première
Entre aux jours éternels et sort des jours changeans,
Et l’on voit de la flamme aux jeux des jeunes gens.
Mais dans l’œil du vieillard on voit de la lumière.


L’âge seul ou les années ne produisent pas ces changemens. Il suffit parfois d’une brusque secousse qui réveille l’âme, d’une douleur inattendue qui la purifie, pour que l’être entier semble avoir subi une sorte de transformation. Ce sont là des faits d’observation constante, et ces faits n’échappent pas à ceux-là mêmes parmi les écrivains qui sont les moins coutumiers, par procédé littéraire, d’exagérer l’influence de l’âme sur le corps. Je n’en veux pour preuve que ces lignes délicates d’une œuvre toute récente, où l’un de nos romanciers les plus en vogue met en scène la dernière entrevue d’une femme rappelée au sentiment du devoir par l’épreuve d’une maternité douloureuse et de l’homme qui l’a trahie après l’avoir séduite: «Christiane était fort pâle, maigre, mais plus jolie qu’avant son accouchement. Ses yeux surtout avaient pris une profondeur d’expression que Paul ne leur connaissait pas. Ils semblaient assombris, d’un bleu moins clair, moins transparent, plus intense. » Cette prétention d’invoquer, dans une question de cette nature, le témoignage d’un poète et celui d’un romancier ferait assurément sourire les physiologistes et même les philosophes, s’ils daignaient me lire. Mais je ne suis pas persuadé que la science expérimentale ait raison de dédaigner aussi complètement le témoignage de l’observation vulgaire qui affirme l’action réciproque du corps sur l’âme et de l’âme sur le corps. La doctrine chrétienne a peut-être compris, mieux que la philosophie spiritualiste, la complexité de l’homme, et pénétré plus avant dans les profondeurs de sa nature, lorsqu’elle a complété le dogme de l’immortalité de l’âme par celui de la résurrection des corps, en les associant par-delà le terme de ce monde passager au mystère des mêmes destinées. Mais pour ramener le problème aux termes qui ont été le point de départ de cette digression, c’est pour une école d’aussi fraîche date que celle de l’anthropologie criminelle une témérité singulière de prétendre à renverser, au nom d’un certain nombre d’observations restreintes et contradictoires, le principe de la responsabilité morale, et à édifier, sur la base de la criminalité fatale, toute une nouvelle théorie de la répression. Or, ce n’est à rien moins que vont les conclusions de Lombroso et de ses disciples : Ferri dans ses Nuovi orizonti di Diritto penule, et Garofalo dans sa Criminologia. Cependant ces novateurs ne sont pas d’accord entre eux. C’est ainsi que, dans un article publié récemment par la Revue philosophique, Garofalo déclare « que le doute règne encore sur les données de l’anthropologie ; que sur plusieurs points mêmes, le désaccord entre anthropologistes est complet, et qu’en réalité il n’a pas été possible d’établir jusqu’à présent une anatomie du criminel. » Mais allant, sous certains rapports, plus loin que Lombroso, il n’admet pas la distinction établie par celui-ci entre le criminel d’habitude et le criminel par accident. Il n’y a pas, selon lui, de délinquant fortuit et il existe toujours dans le criminel un élément congénital différentiel. Cet élément congénital constitue ce qu’il appelle l’anomalie du criminel, anomalie morale dont celui-ci n’est pas plus responsable qu’il ne le serait d’une anomalie physique. Par une voie différente, Garofalo arrive donc à cette même conclusion, qui est celle de toute l’école : la suppression de la responsabilité chez le criminel. Mais le plus hardi et le plus affirmatif est encore celui qui s’est fait l’introducteur de Lombroso auprès du monde philosophique français, le docteur Charles Létourneau. On ne saurait s’imaginer avec quel superbe dédain M. Létourneau parle, dans sa préface, « tantôt des théories vénérables et vermoulues de l’antique criminalité, » tantôt « de l’antique philosophie du droit pénal, qui aujourd’hui nous fait pitié, » tantôt « des doctrines métaphysiques virtuellement minées par la science et qui, en dépit des faits, continuent à enseigner que l’homme est libre. » Quant à sa propre doctrine, voici comment M. Létourneau la résume : « Nous savons que, quoi qu’il arrive, et quel qu’il soit, l’homme obéit toujours et fatalement au mobile le plus fort. » Encore si, à cette doctrine, M. Létourneau se montrait logiquement fidèle. Mais non ; car, à la page suivante, recherchant les moyens les plus efficaces de suppléer à l’insuffisance actuelle des mesures répressives, il se prononce « pour une taxe sur les comptes-rendus des procès criminels et pour un système de récompenses accordées aux actions vertueuses.» Qu’est-ce à dire et quelle est cette concession? Comment une action peut-elle être vertueuse si elle n’est pas librement commise ; et si l’homme obéit fatalement au mobile le plus fort, quel droit peut-il avoir à une récompense? Était-ce bien la peine de le prendre de si haut avec tous ceux qui vous ont précédés dans l’étude de ces questions difficiles pour aboutir à des conclusions aussi contradictoires? On ne s’attendait guère à voir les prix de vertu intervenir en cette affaire, et je ne sais trop ce que M. de Montyon aurait pensé d’un disciple aussi peu conséquent.

Il est une autre explication que l’école anthropologiste dorme de la criminalité : c’est l’hérédité. Lombroso en fait grand état, et il y voit un des caractères du criminel-né. Mais il avait été devancé dans cette voie, en France du moins. Voici déjà près de trente ans que Prosper Lucas, dans un gros ouvrage peu lu, mais beaucoup cité, sur l’Hérédité naturelle, a accumulé tous les faits qu’on peut invoquer à l’appui de la transmission par les parens aux enfans de certaines particularités physiques ou morales. Dans cette nomenclature, il a relevé quelques cas d’hérédité criminelle. La thèse de Prosper Lucas a été reprise avec beaucoup de développement par M. Ribot, le brillant titulaire de la nouvelle chaire dite de psychologie expérimentale. Dans son livre sur l’Hérédité, M. Ribot n’a consacré cependant à la question de l’hérédité criminelle qu’un chapitre, ou plutôt un paragraphe de son livre, paragraphe très court, et, je lui demande la permission de le lui dire respectueusement, à mon humble avis très peu concluant : « Si l’on passe, dit M. Ribot, des penchans qui sont purement physiques, au moins dans leur origine, à des passions d’un ordre plus complexe et qui sont, ou plutôt qui semblent indépendantes de l’organisme, comme le jeu. L’avarice, le vol, l’homicide, nous les trouverons également soumises à la loi de l’hérédité. » Voilà la thèse. Voyons maintenant quelles sont les preuves qu’apporte M. Ribot à l’appui de cette affirmation péremptoire. Laissons de côté le jeu et l’avarice, qui ne rentrent point dans notre sujet, bien qu’en ce qui concerne l’avarice, le proverbe : « A père avare fils prodigue, » ne semble pas donner tout à fait raison à la thèse de M. Ribot. Ce n’est qu’un proverbe, il est vrai, mais il me semble que, si j’avais l’honneur d’être à la fois psychologue et expérimentateur, je ne ferais point tant fi de ces témoignages d’une psychologie expérimentale qui a bien sa valeur, puisqu’elle est celle de tout le monde. Moins dédaigneux, Lombroso a eu soin de recueillir dans son livre tous les adages populaires qui viennent à l’appui de ses observations sur les caractères du criminel-né. Mais ne parlons que du volet de l’homicide. La disposition au vol est-elle soumise à la loi de l’hérédité? Sans doute, un grand nombre de fils de voleurs sont voleurs eux-mêmes. Cela n’est pas contestable, et j’indiquerai moi-même à M. Ribot cet argument que, d’après le dernier volume de la statistique pénitentiaire, sur 8,227 enfans mineurs de seize ans détenus dans les colonies correctionnelles, 2,573 descendaient de parens ayant subi des condamnations. Mais quelle conclusion convient-il de tirer de ce chiffre? Sur ces enfans criminels, nés de parens criminels, quelle a été la part de l’influence, des exemples, peut-être même des leçons directes, en un mot du milieu et de l’éducation? Il n’est pas très extraordinaire que des fils de voleurs soient voleurs lorsque leurs parens les ont de bonne heure dressés au larcin. Le contraire même serait surprenant. Pour qu’on fût en droit de parler d’hérédité, il faudrait que ces enfans eussent été soustraits à l’influence de leurs parens, et cela dès le premier âge ; car ceux qui se sont occupés de l’éducation des enfans, non pas en philosophes, mais en pères, ceux-là savent combien les habitudes morales se contractent de bonne heure chez ces petits êtres, et comment le sentiment de la conscience se développe avec les premières et vacillantes lueurs de la raison. Il faudrait, comme dans les romans de Ducray-Duminil, que chacun de ces enfans, enlevé dès le berceau, eût été confié à une famille honnête et élevé dans l’ignorance de son origine et de ses parens. Si, malgré ces précautions, la majorité de ces enfans s’était retrouvée néanmoins dans les colonies correctionnelles, alors l’expérience serait concluante. Mais tant qu’elle n’aura pas été faite, il demeurera parfaitement arbitraire d’expliquer par l’hérédité ce qui doit être beaucoup plus vraisemblablement porté au compte du milieu ou de l’éducation.

Ce n’est pas tout : sur les 8.227 enfans dont je parlais tout à l’heure, 6,65û sont nés de parens honnêtes. A quelle cause faut-il donc attribuer leurs méfaits? A leur propre nature apparemment. Or, comme ce sont de beaucoup les plus nombreux, l’hérédité, au lieu d’être la loi, devient l’exception. Mais il est vrai qu’on fait intervenir ici une forme mystérieuse de l’hérédité : l’atavisme. On sait que certaines anomalies physiques, ou même certaines particularités, après avoir disparu chez les représentans d’une race pendant trois ou quatre générations, se reproduisent parfois, bien que très rarement, chez la cinquième. Il en serait de même des anomalies ou des particularités morales; de telle sorte que si, en étudiant la généalogie d’un de ces petits voleurs, on retrouvait, à la quatrième ou cinquième génération, un ancêtre qui eût volé, ce serait son influence héréditaire qui se serait exercée fatalement, et en dépit de lui-même, sur ce malheureux. Or, comme il est rare que l’arbre généalogique des petits voleurs soit dressé avec tant de soin, on peut toujours supposer au hasard l’existence d’un ancêtre malfaiteur, et voilà comme on établit que l’hérédité est une loi. Il faut être animé d’un singulier mauvais vouloir contre la liberté morale pour faire ainsi argument contre elle de la moindre coïncidence, pour en supposer même, et pour expliquer par un fait d’atavisme moral les défaillances d’un être qu’il est infiniment plus plausible de porter au compte de sa propre nature et des circonstances de sa vie. Mais lorsqu’on veut à toute force établir une loi, il faut bien répondre aux faits qui semblent contraires à cette loi, et il n’y a pas d’explication, si forcée qu’elle soit, qui ne semble alors admissible.

L’objection est bien plus forte encore en ce qui concerne l’hérédité dans l’assassinat, que M. Ribot n’hésite pas à affirmer. À l’appui de cette affirmation, il emprunte au livre du docteur Despine la généalogie d’une certaine famille Chrétien dont plusieurs membres auraient été voleurs et assassins, et dont un des derniers descendans, le précoce et cynique parricide de seize ans Lemaire, aurait été exécuté à Paris il y a quelques années. Le professeur Lombroso par le également de cette famille dans son ouvrage, ce qui montre, soit dit en passant, que les exemples de ce genre ne sont pas nombreux, puisqu’on se repasse les mêmes familles d’ouvrage en ouvrage. Cependant il est juste de dire que Lombroso y ajoute également celui d’une famille américaine, la famille Yuke, dont les membres, au nombre de quatre-vingts, se sont rendus coupables de beaucoup de méfaits, vols et assassinats. Ces généalogies rappellent celle de l’illustre famille des Rougon-Macquart, que M. Zola a mise en tête de l’un de ses romans, famille dont tous les membres sont victimes de la névrose originaire du grand-père Rougon et de la grand’mère Macquart. Mais cette famille fantaisiste ne pouvant entrer en ligne de compte, il en reste deux qu’on peut citer à l’appui de la thèse. J’admets cependant qu’on en pourrait trouver d’autres ; mais ce n’est pas ainsi qu’il faut poser la question. Sur les 234 assassins, sur les 191 meurtriers qui ont passé en cour d’assises durant l’année 1884, combien y en a-t-il qui comptaient un père, un aïeul, un bisaïeul, un trisaïeul, un quadrisaïeul si l’on veut, assassin, parmi leurs ancêtres ? Pas un sur dix, pas un sur cent peut-être. Il est même à remarquer que ces cas d’hérédité apparente deviennent d’autant plus rares que le fait incriminé répugne davantage à la conscience et s’explique moins par l’éducation et l’exemple. Il est plus facile et plus fréquent de dresser un enfant au vol qu’à l’assassinat ou au meurtre. Aussi les cas de soi-disant hérédité sont-ils infiniment rares dans les crimes de sang ; mais, quelle que soit la proportion, on ne nie pas que ce ne soit l’infime minorité. Où donc est la loi alors ? « Une loi, dit M. Ribot lui-même, se découvre par un travail d’abstraction et de généralisation qui ne peut s’appliquer à des cas totalement divers, puisqu’on se propose justement de chercher les ressemblances et d’éliminer les différences. » — « Tous ces cas épars, ajoute-t-il quelques pages plus loin, toutes ces diversités qu’on ne saurait réunir en un faisceau, on les appelle des anomalies, c’est-à-dire des faits sans loi. » On ne saurait mieux dire ni mieux conclure. Mais ces cas épars et fatalement divers, ces diversités qu’on ne saurait réunir en un seul faisceau, ne sont-ce pas précisément les faits d’hérédité, et la prétention d’en tirer une loi n’est-elle pas aussi téméraire et (peut-être un profane n’a-t-il pas le droit de s’exprimer ainsi) aussi peu scientifique que possible ? Est-ce à dire cependant qu’il faille nier toute influence de l’hérédité sur les prédispositions morales, et faire de chaque être humain une sorte de monade qui ne devrait rien qu’à elle-même? Cet individualisme outré ne s’exposerait pas à recevoir des faits un moindre démenti que le spiritualisme hautain qui refuse toute influence au tempérament et à la conformation physique. On pourrait déjà invoquer à l’encontre cet instinct irréfléchi, mais profond de la nature humaine, qui de prime abord fait honneur ou honte au fils de la conduite du père et qui, jusqu’à preuve contraire, le suppose capable des mêmes choses en bien comme en mal. Il est même curieux de constater, soit dit en passant, que ces nouvelles théories scientifiques pour lesquelles notre démocratie s’est éprise d’un engoûment irréfléchi, et qui reçoivent des pouvoirs publics des marques d’une faveur non équivoque, que ces théories, dis-je, sont en contradiction patente avec le principe même d’une société démocratique. Rien n’est plus aristocratique que la doctrine de l’évolution par la sélection naturelle et l’hérédité. Cette doctrine justifie, en effet, le gouvernement des castes privilégiées au nom de la transmission héréditaire des caractères de supériorité physique ou intellectuelle qui ont légitimé au début le pouvoir exercé par elles. Heureusement, on a trouvé moyen de mettre d’accord la science et la démocratie, en découvrant une loi qui, à en croire M. Ribot, limiterait à quatre ou cinq années la transmission héréditaire, et justifierait ainsi la déchéance des aristocraties. Il est curieux également de remarquer que cette doctrine si en faveur est, au contraire, en harmonie avec la doctrine religieuse, qui explique les contradictions de la nature et les misères de la condition humaine par la faute originelle des premiers ancêtres. Mais où la ressemblance s’arrête, c’est que, dans le jeu des actions humaines, la science, ou du moins une certaine science, assigne à l’hérédité une influence fatale et en fait, pour parler la langue philosophique moderne, un déterminisme, tandis que la religion chrétienne n’y voit qu’une tendance dont l’homme est toujours maître de triompher. A l’envisager dans son ensemble et sans parti-pris, l’être moral, l’homme intérieur, n’est-il pas en effet un composé de penchans physiques, de tendances héréditaires, d’instincts personnels et d’influences subies? La mesure dans laquelle ces différens élémens se combinent constitue la personnalité, et cette personnalité est régie par une volonté libre dont chacun sent en soi le pouvoir. Mais du mystère de cette personnalité, l’analyse scientifique n’est pas plus en état de rendre compte que le délicat instrument appelé sismographe, qui enregistre avec une égale précision les secousses de la terre ou les battemens du cœur, n’est en état d’enregistrer les variations de la pensée ou les mouvemens de l’âme. Jamais elle n’expliquera que de la même souche de parens puissent sortir deux frères, un honnête homme et un coquin, ni que la descendance d’un honnête fermier de Stratford-sur-Avon ait produit successivement un gantier-corroyeur qui s’appelait John Shakspeare et un poète qui s’appelait William.

Dans un tout autre ordre d’idées, il est une explication absolument différente de la criminalité qu’on voudrait pouvoir adopter : c’est l’ignorance. Les principaux initiateurs du louable mouvement en faveur du développement de l’instruction primaire, qui a signalé ces vingt dernières années, ont mis en circulation quelques dilemmes ou axiomes : « École ou prison.» — « Ouvrez des écoles, vous fermerez les prisons, » auxquels on voudrait croire, car, si la question se posait véritablement ainsi, on aurait en main le moyen de combattre les progrès de la criminalité. Ce qui donne au premier abord un caractère plausible à cette explication, c’est la proportion considérable des illettrés ou presque illettrés parmi les criminels. Lorsque nous voyons, par exemple, dans la statistique pénitentiaire, que sur 15,682 individus détenus dans les maisons centrales, il y en a 6,610 qui ne savent ni lire ni écrire ou à peine lire, nous sommes portés d’abord à expliquer leur criminalité par leur ignorance. Mais c’est là une explication tout à fait superficielle. En effet, dans notre état de civilisation, l’ignorance complète, absolue, suppose toujours une condition sociale très humble. Lorsqu’un homme fait ne sait pas lire et écrire, il est à supposer qu’il a été mal élevé ou qu’il est né de parens très pauvres. En un mot, ignorance est presque toujours synonyme de mauvaise éducation ou de misère. Il est donc impossible de distinguer dans la criminalité, si forte chez les illettrés, quelle part doit être portée au compte de leur ignorance et quelle part au compte des tentations nées de leurs besoins. Malheureusement, il est beaucoup d’autres preuves démonstratives du peu d’influence que l’instruction exerce sur la moralité.

Au début de la statistique judiciaire, la proportion des individus complètement illettrés était de 61 sur 100 accusés, contre 39 ayant reçu une instruction plus ou moins développée. Aujourd’hui, la proportion est retournée : 70 lettrés (au sens le plus modeste du mot) contre 30 illettrés. Ce renversement des proportions s’explique parfaitement par la diffusion de l’instruction primaire; mais, le nombre des crimes n’ayant pas diminué, au contraire, l’instruction n’a eu d’autre résultat que d’augmenter la proportion des criminels dans la classe lettrée, sans diminuer la criminalité. Pour prouver que l’ignorance engendre la criminalité et que l’instruction favorise la moralité, il faudrait montrer, département par département, que le nombre des criminels est sensiblement proportionnel au nombre des illettrés. Il faudrait, par exemple, que, sur deux cartes de statistique graphique où le nombre proportionnel par département des illettrés et des criminels serait marqué par des teintes plus ou moins fortement ombrées, la répartition de ces teintes parût au premier coup d’œil et à peu de chose près la même. Or en est-il ainsi ? Peu s’en faut que ce soit tout le contraire. Prenons, par exemple, la liste des départemens classés d’après le nombre proportionnel des prévenus et d’après le nombre proportionnel des illettrés, et comparons le rang qu’un même département occupe sur ces deux listes. Celui de tous les départemens qui compte le plus grand nombre de prévenus est la Seine : 86 prévenus pour 10,000 habitans. C’est un de ceux où l’instruction est le plus répandue : il occupe le neuvième rang. Viennent ensuite[5] les Bouches-du-Rhône avec 65 prévenus sur 10,000 habitans. Au point de vue de l’instruction, ce département occupe le trente-deuxième rang. Puis nous trouvons l’Aisne, les Alpes-Maritimes, le Doubs, l’Hérault, la Marne, le Rhône, Seine-et-Oise et Seine-et-Marne, avec ses 49 à 59 prévenus sur 10,000 habitans. Ces départemens occupent presque tous, au point de vue de l’instruction, un rang très favorable, entre autres le Doubs qui est le second, l’Hérault qui est le quatrième, le Rhône qui est le sixième. Faisons maintenant la vérification à rebours. Vingt-trois départemens ne comptent que de 19 à 29 prévenus par 10,000 habitans. Dans ce nombre figurent les départemens qui comptent le plus grand nombre d’illettrés, le Morbihan, les Côtes-du-Nord, la Creuse, la Corrèze, etc. À quelque point de vue qu’on se place, la démonstration est donc irréfragable. L’ignorance n’a aucune influence sur la criminalité, ni l’instruction sur la moralité. Il faut renoncer à cette explication et à cette espérance. Au reste, l’école criminelle anthropologiste, qui a le respect des faits, ne méconnaît pas cette triste vérité. Dans la préface qu’il a mise en tête de la traduction de Lombroso, M. Létourneau, malgré la confiance qu’il met « dans la diffusion des écoles laïques avec maîtres mariés, » n’hésite pas à en convenir : « La proportion plus grande, dit-il, des délits frauduleux et des emprisonnemens dans les classes dites éclairées, prouve assez que l’alphabet ne fait pas des miracles. » Lombroso va plus loin. Suivant lui, l’instruction donnée aux détenus dans les écoles pénitentiaires ne fait qu’augmenter la récidive, en mettant à leur disposition un nouvel instrument de crime et en leur facilitant le faux et l’escroquerie. C’est ici, je crois, dépasser la mesure. Il ne faut pas oublier, en effet, que la principale difficulté pour le libéré est de gagner sa vie, et que l’ignorance absolue interdit l’usage d’une foule de métiers. Mais il suffit que cette opinion puisse être soutenue pour montrer l’inefficacité de l’instruction comme moyen de moralisation. En réalité, c’est une arme. Elle vaut ce que vaut le soldat qui la manie.

Au surplus, et à supposer même qu’il fallût accorder à ces trois explications de la criminalité, la conformation physique, les prédispositions héréditaires et, dans un autre ordre d’idées, l’ignorance, une influence supérieure à celle que je suis disposé à leur reconnaître, il est presque superflu de faire remarquer que ces trois causes ne sauraient en rien rendre compte de l’accroissement des crimes et des délits. Rien ne donne lieu à supposer, en effet, qu’il naisse un plus grand nombre d’individus présentant le type de l’homme criminel aujourd’hui qu’il y a cinquante ans. Rien non plus ne donne à croire que l’influence de l’hérédité soit devenue plus puissante, et que les enfans ou petits-enfans d’un malfaiteur aient moins de chance d’échapper à cette influence occulte. Quant à l’ignorance, elle tend progressivement à disparaître. Aucune de ces explications, à les supposer fondées, ne saurait donc rendre compte de l’accroissement de la criminalité. C’est à d’autres causes qu’il faut demander l’explication de cet accroissement, à des causes morales, parce que les causes morales sont les seules qui expliquent les grands faits humains. Il est impossible de nous soustraire en terminant à la nécessité d’entreprendre la recherche de ces causes.


III.

Bien qu’il y ait nécessairement quelque chose d’un peu factice et arbitraire dans toutes ces divisions, on peut cependant assigner trois mobiles différens à la criminalité : les passions, les vices et les besoins. On peut porter au compte des passions toutes les infractions qui sont commises sous l’influence de quelque mouvement impétueux de la nature : haine, colère, amour, surexcitation des sens. On peut porter au compte des vices ceux qui sont engendrés par la perversité habituelle des penchans ou des habitudes : cupidité, paresse, alcoolisme. Enfin on peut porter au compte des besoins celles qui sont la conséquence d’une condition sociale misérable. Mais il est impossible de faire entre ces trois mobiles la répartition des nombreuses infractions relevées par la statistique judiciaire, car la nature même d’une infraction n’en révèle pas la cause déterminante. Un assassinat peut avoir pour mobile la haine ou la cupidité; un vol, la cupidité ou la misère; un fait de mendicité, la misère ou la paresse. Mais en recherchant dans quelle mesure la civilisation agit sur ces trois mobiles de la criminalité, nous arriverons peut-être à résoudre en partie cette question que nous avons soulevée de l’influence de la civilisation sur la criminalité elle-même.

C’est un axiome plus vrai que beaucoup d’axiomes que la civilisation adoucit les mœurs. Il est certain, en effet, que plus une société s’éloigne de l’état barbare et primitif, plus les actes violens y deviennent rares. Ce que les caractères perdent peut-être en énergie, du moins ils le gagnent en douceur. Le sens de la pitié collective pour les souffrances humaines, inconnu aux peuplades sauvages, a été en grandissant dans l’histoire des peuples civilisés. Ce sentiment fait l’honneur de notre temps. Le respect de la vie humaine y est en particulier infiniment plus grand qu’il n’était même au siècle dernier. On devrait donc pouvoir compter que les progrès de la civilisation diminuent le nombre des attentats contre les personnes. Or en est-il ainsi ? Pas tout à fait malheureusement. Nous avons vu, en effet, que depuis le commencement du siècle, si le nombre des assassinats est demeuré stationnaire, celui des meurtres a augmenté, mais dans une proportion moindre, il est vrai, que d’autres infractions. Comme, d’un autre côté, la population a augmenté également, et comme dans l’accroissement du nombre des meurtres l’élément étranger joue un certain rôle, peut-être pourrait-on aller jusqu’à dire qu’au point de vue de la criminalité française, le nombre des crimes violens contre les personnes est demeuré sensiblement le même. En présence de l’augmentation considérable de toutes les autres catégories de crimes, c’est là un résultat assez remarquable, et je ne demande pas mieux que d’en faire honneur à la civilisation. Il faut bien lui laisser quelque chose, car force est de constater que son influence ne paraît nullement s’exercer sur les crimes qui ont pour objet la satisfaction des sens : tout au contraire. Le nombre des crimes contre les mœurs a triplé, et l’augmentation la plus forte porte sur le plus odieux de tous : les attentats sur les enfans. Ici les raffinemens de la civilisation paraissent avoir surexcité les passions au lieu de les adoucir. Cela résulte de ce fait très remarquable que les attentats de cette nature sont relativement très rares dans les régions agricoles, pauvres, montagneuses, où les habitans vivent éloignés les uns des autres, dans des conditions de grande simplicité de vie. Au contraire, ils sont très fréquens dans les régions qui comptent de grands centres de population, où les relations entre les sexes sont plus habituelles et où toutes les facilités sont offertes à la débauche. Le maximum de ces délits se produit à Paris. La même observation s’applique aux autres infractions contre les mœurs, outrages publics à la pudeur, adultères, etc., dont le nombre a augmenté d’une façon très sensible. Il n’est pas aisé de fournir une explication topique de cette augmentation, qui a été continue depuis le commencement du siècle. La meilleure est peut-être les facilités mêmes que les grandes villes, où se produit surtout cette augmentation, offrent à la débauche. M. Tarde dit avec raison, à ce propos, que certains besoins semblent surexcités par leur satisfaction même. Mais ce n’est pas non plus faire fausse route que d’attribuer l’augmentation particulièrement rapide de ces dernières années à la diffusion par la voie de la presse populaire de la littérature sensuelle qui nous envahit de plus en plus et dont les peintures semblent faites pour allumer les imaginations grossières. Puisque lu liberté de la presse est considérée comme un des bienfaits de la civilisation, encore est-il juste qu’elle porte un peu la responsabilité de ses bienfaits.

Parmi les vices qui sont les mobiles déterminans de la criminalité, il en est un auquel on peut rapporter un grand nombre d’infractions : c’est la cupidité. A la cupidité il faut attribuer la plupart des crimes et des délits ayant pour objet d’enrichir illicitement ceux qui les commettent ; les faux, les banqueroutes frauduleuses, les abus de confiance, les escroqueries et les vols, bien qu’une partie de ces infractions, en particulier les vols, puisse être expliquée par les besoins. Mais la cupidité joue aussi son rôle comme mobile déterminant de certains crimes contre les personnes, et ce rôle paraît même plus considérable que par le passé. Au commencement du siècle, sur cent assassinats on en comptait treize qui avaient l’amour pour mobile et treize également la cupidité. Aujourd’hui, l’amour n’est plus que huit fois le mobile et la cupidité vingt-deux fois. Quant aux autres infractions que je viens d’énumérer et que la statistique judiciaire classe sous la rubrique de crimes et délits contre les propriétés, il est curieux d’étudier comment elles se répartissent dans les différentes régions de la France. Cette répartition est à peu près analogue à celle des crimes contre les mœurs[6]. Les départemens où l’on compte le moins de crimes contre les propriétés sont généralement les départemens les plus montagneux, les plus pauvres, ceux où la population vit de la vie la plus simple : Creuse, Corrèze, Corse, Haute-Loire, Lozère, Hautes et Basses-Alpes, Savoie, etc... Au contraire, ceux où les crimes contre les propriétés sont les plus nombreux sont ceux où la richesse, le luxe, l’aisance, sont le plus répandus : Seine, Seine-Inférieure, Rhône, Gironde, Bouches-du-Rhône, Nord, Aisne, Marne, etc.. Il n’est pas douteux que dans ces départemens la diffusion et l’étalage de la richesse ne développent chez ceux qui trouvent leur part trop petite le désir de l’accroître, et ne soumettent à une tentation trop forte ceux qui en sont totalement déshérités. Mais cette diffusion de la richesse et cet étalage du luxe marchent précisément de pair avec les progrès de la civilisation. Il est donc bien difficile de rendre la civilisation complètement innocente de l’accroissement du nombre des crimes et des délits qui ont pour mobile la cupidité.

En revanche, on pourrait espérer que la conséquence de cet accroissement de la richesse publique sera de diminuer tout au moins le nombre des infractions qui ont les besoins pour cause directe ou indirecte. Il semble, en effet, que plus la richesse augmente, plus les besoins trouvent facilement satisfaction, et moindre doit être la tentation de les apaiser par des moyens illicites. Malheureusement, cette diffusion du bien-être s’opère d’une façon très lente et surtout très inégale : les premiers appelés et les plus largement favorisés dans cette distribution des nouvelles richesses sont précisément ceux qui pourraient s’en passer, et le spectacle auquel on assiste fait penser à cette parole de l’Évangile : Il sera donné à celui qui a. Ce serait cependant pousser trop loin le pessimisme (car l’économie politique a aussi ses pessimistes) que d’ériger en axiome économique la seconde partie de cette parole : quant à celui qui n’a rien, il lui sera ôté même ce qu’il a, et d’adhérer à la célèbre formule : les riches deviennent chaque jour plus riches et les pauvres chaque jour plus pauvres. Dans une série d’études antérieures[7], je crois avoir montré que cet axiome n’était pas fondé, et que les plus pauvres, dans une très faible et insuffisante mesure, il est vrai, participaient à l’amélioration générale de la condition sociale. Mais, comme la misère est après tout aussi bien un état de l’âme qu’une privation du corps, on peut se demander si cette inégalité dans la répartition des richesses n’exaspère pas chez ceux qui en sont les victimes le sentiment de la dureté de leur condition, et ne contribue pas dans une certaine mesure à les pousser vers la criminalité. Il faudrait pénétrer dans la profondeur des consciences et dans le secret des existences pour dire avec exactitude quels sont les véritables mobiles de certains méfaits qu’on peut attribuer aussi bien aux vices ou aux besoins. Certes, je ne prétends pas que les 44,000 voleurs qui ont comparu, en 1884, devant la justice aient tous agi sous l’impulsion de la faim, ni que les 10,000 mendians, les 16,000 vagabonds fussent tous victimes de la mauvaise fortune. C’est au contraire le plus petit nombre. Mais ce qu’il faut se demander, si l’on veut arriver à une appréciation équitable, c’est combien d’entre eux se seraient laissé entraîner aux mêmes méfaits s’ils étaient nés et s’ils avaient été élevés dans l’aisance. Peut-être pas un sur cent. La même question peut être posée à propos d’un grand nombre d’autres infractions qui grossissent sensiblement les chiffres de la statistique criminelle : outrages aux fonctionnaires, rébellion, ruptures de ban, outrages publics à la pudeur, et, en s’élevant plus haut dans l’échelle de la criminalité: attentats aux mœurs, infanticides. Ces délits et ces crimes sont, après tout et en dépit de toutes les déclamations contraires, infiniment rares dans les classes aisées. Cela tient-il à ce que la moralité des classes aisées est supérieure? Oui, sans doute; mais cette supériorité tient à ce qu’elles naissent, grandissent et vivent à l’abri d’une foule de tentations. Il faut donc avoir le courage de reconnaître que le plus puissant mobile de la criminalité est encore la misère. « Chez le malheureux, disait Proudhon dans son langage énergique, le paupérisme se manifeste par la faim lente dont a parlé Fourier, faim de tous les instans, de toute l’année, de toute la vie; faim qui ne tue pas en un jour, mais qui se compose de toutes les privations et de tous les regrets, qui sans cesse mine le corps, délabre l’esprit, démoralise la conscience, abâtardit les races, engendre toutes les maladies et tous les vices, l’ivrognerie entre autres et l’envie, le dégoût du travail et de l’épargne, la bassesse d’âme, l’indélicatesse des consciences, la grossièreté des mœurs, la paresse, la gueuserie, la prostitution et le vol. » Il n’est pas une seule de ces lignes amères qui ne soit d’une triste vérité, et c’est par là que ces considérations sur la criminalité ne sont qu’une des faces du problème social de la misère. L’inexorable statistique est là qui ne permet d’entretenir à ce sujet aucune illusion. L’influence de la misère sur la criminalité y est écrite en gros chiffres. Les années qui ont marqué dans l’histoire économique de notre pays comme des années de disette ont toujours été signalées par une recrudescence des délits contre les propriétés. « A diverses époques, dit M. Yvernès dans son rapport, la rareté des subsistances, compliquée d’une crise industrielle. a plongé dans la misère et conduit au vol une quantité de malheureux ouvriers. » Pour que cette recrudescence se produise, il n’est même pas nécessaire qu’il y ait, à proprement parler, disette. Il y a une trentaine d’années, alors que le prix du pain était encore sujet à de brusques variations dont on a aujourd’hui perdu le souvenir, le directeur de l’administration pénitentiaire, M. Dupuy, avait dressé un tableau comparatif où, d’une part, l’élévation et l’abaissement du prix du pain, d’autre part, l’élévation ou l’abaissement du nombre des poursuites pour vol, étaient figurés par deux courbes. Ces deux courbes offraient les mêmes inflexions et se confondaient presque l’une avec l’autre.

La même démonstration peut être faite par une considération d’une autre nature. Nous avons vu tout à l’heure que l’influence de l’instruction élémentaire sur la criminalité est nulle. Il paraît n’en être pas de même de l’instruction supérieure. Le nombre des accusés ayant reçu une instruction supérieure n’est guère en moyenne que de 4 pour 100. Faut-il attribuer ce faible nombres des accusés vraiment lettrés à ce que M. Tarde appelle « l’influence bonifiante » de la haute culture intellectuelle? Sans doute, cette haute culture contribue à élever l’esprit, à raffiner les mœurs, à entretenir le goût de l’idéal. Mais ne faut-il par tenir compte aussi de ce fait que l’instruction supérieure va généralement de pair, à de rares exceptions près, avec une certaine aisance, et n’est-ce pas cette aisance qui protège contre bon nombre de tentations vulgaires autant, sinon plus efficacement, que l’instruction elle-même? Pour aller jusqu’au bout de ma pensée, je dirai que, si on exagérait encore le nombre, déjà grand, des boursiers dans les institutions de l’état, et surtout si on réalisait cette chimère de l’éducation intégrale et gratuite qui est le rêve de certains esprits, on verrait assez rapidement se produire une classe de criminels lettrés, qui ferait bientôt parler d’elle, et qu’on ne tarderait pas à perdre quelques illusions sur l’action bonifiante de l’instruction supérieure. Je ne voudrais pas insister sur ce fait que la proportion des accusés ayant reçu une instruction supérieure n’était que de 2 pour 100 au commencement du siècle, tandis qu’elle est de 4 pour 100 aujourd’hui. Mais il y a là cependant un symptôme qui n’est pas à négliger.

Il semble qu’en proclamant l’influence de la condition sociale sur la criminalité nous soyons conduits à mettre la civilisation hors de cause et à l’exonérer de toute part de responsabilité dans les infractions si nombreuses qui ont la misère pour origine. On ne saurait cependant aller jusque-là, et il faut reconnaître que la civilisation intervient encore pour jouer un assez singulier rôle : celui d’aggraver la condition des malheureux. Au fur et à mesure, en effet, qu’une société se coordonne et se régularise, elle devient de plus en plus exigeante vis-à-vis. de ceux qui la composent, et elle s’obstine à les faire entrer, de gré ou de force, dans ses cadres, considérant, non sans raison du reste, que ceux qui se tiennent en dehors sont devenus un danger pour elle. Aussi en arrive-t-elle, par mesure de défense personnelle, à ériger en délits des faits qui par eux-mêmes ne sont pas contraires à la morale, et qui, dans un autre état social, n’auraient rien de répréhensible. N’avoir ni profession ni domicile habituel, ou demander son pain par les chemins, lorsqu’on n’a pas de quoi en acheter, ne constituent pas des actes coupables par leur essence. Mais le code en a fait les délits de vagabondage et de mendicité, et de ce chef 26,000 condamnations environ sont prononcées tous les ans contre des individus dont le plus grand nombre, assurément, ne vagabonderaient ni ne mendieraient s’ils avaient des rentes. Au point de vue de la sécurité sociale, cela est peut-être bien entendu, mais pour que la légitimité de ces condamnations ne pût être contestée, il faudrait que la répression atteignît seulement les réfractaires du travail ou les exploiteurs de la charité publique, et que nos institutions hospitalières fussent organisées de manière à recueillir tous les autres. En est-il ainsi dans notre société démocratique? Qui oserait le dire? Je me permets d’engager ceux qui nourriraient sur ce point quelques illusions à lire un ouvrage tout récemment publié par M. le pasteur Robin, sur la mendicité et le vagabondage. Ils apprendront peut-être avec surprise que l’organisation de l’ancien régime était, en théorie du moins, meilleure que la nôtre, et que des mesures, malheureusement appliquées avec trop de caprice, étaient prises pour distinguer, en matière de mendicité et de vagabondage, l’habitude de l’accident. A quel degré le besoin de pareilles mesures se fait sentir aujourd’hui, j’en ai eu parfois le sentiment en assistant aux interrogatoires sommaires que les magistrats du petit parquet de la Seine font passer aux individus arrêtés quotidiennement par la police. Là on voit défiler, dans une petite et obscure salle, non-seulement les habitués de ce joli monde que l’ancien chef de la sûreté, M. Macé, a si bien décrit dans un ouvrage récent, mais encore un grand nombre de pauvres diables, naufragés de la vie, qui sont venus échouer au poste, et qu’une main tendue à propos aurait peut-être conduits à meilleur port. Je me souviens encore d’un Marseillais, âgé d’une soixantaine d’années, manchot, mendiant, qui faisait son tour de France de prison en prison. Arrêté pour la huitième ou neuvième fois sous l’inculpation de mendicité, il n’essayait pas de se défendre et il n’avait pas envie de se plaindre. Les quelques mois qu’il passait logé, nourri et chauffé aux frais du gouvernement, étaient probablement les meilleurs de son année. Mais je me demandais si la place de ce malheureux ne serait pas plutôt dans un asile d’infirmes, et si, par ces sévérités inintelligentes, la société ne travaille pas contre elle-même, en transformant souvent les malheureux en révoltés. L’égalité et la fraternité inscrites sur tous nos monumens sont de beaux mots; mais, dans la pratique, un peu plus d’assistance vaudrait mieux.

Que faut-il conclure de cette longue analyse des différens mobiles de la criminalité et de ce réquisitoire que les faits semblent dresser contre la civilisation? Faut-il s’éprendre d’un bel enthousiasme pour l’état sauvage et concevoir, comme disait Voltaire, « une furieuse envie de marcher à quatre pattes. » Ce serait pousser la désillusion un peu loin. Mais on peut, je crois, tirer de ces considérations deux conclusions pratiques. La première, c’est qu’autre chose est la civilisation, autre chose la moralité. Il importe donc de combattre cette erreur qui associe l’idée du progrès moral à celle du progrès matériel et fait de l’un la conséquence de l’autre. Nous avons vu que, de cette conception erronée du progrès, les faits ne laissent rien subsister. Tout au contraire, la diffusion de la richesse et la facilité plus grande des relations, que l’on range au nombre des bienfaits de la civilisation, constituent un danger pour la moralité publique, puisque c’est dans les régions les plus riches et les plus peuplées, dans les grandes villes et à Paris en particulier, que la criminalité est le plus intense. Si l’on ne revenait de cette erreur, on perdrait de plus en plus de vue, ainsi qu’on est déjà disposé à le faire, la nécessité de combattre ce danger inhérent à la civilisation par tous les moyens, ou plutôt par le seul moyen qui soit au pouvoir de la société, c’est-à-dire par l’éducation morale, qu’il ne faut pas confondre avec l’instruction. Sur ce point, j’ai du moins la satisfaction de me trouver d’accord avec le docteur Létourneau, qui proclame, lui aussi, la nécessité de « doubler l’éducation intellectuelle par l’éducation morale. » Peut-être, s’il s’agissait de déterminer la base de cette éducation morale, aurions-nous plus de peine à nous entendre. Mais si ces études arides ne faisaient que fournir un argument de plus en faveur de l’éducation morale, elles ne seraient pas dépourvues de toute utilité.

La seconde conclusion à laquelle je veux arriver, c’est que, la misère demeurant, comme nous l’avons vu pour une grande part, la cause principale de la criminalité, il y a lieu de tenir compte, dans la façon dont on se comporte avec les criminels, de cette circonstance assurément très atténuante. C’est pure déclamation de dire qu’il faut traiter le criminel comme un malade, car ce n’est pas un malade. Mais ce n’est pas déclamation de dire qu’il doit encore être traité comme un semblable, car rien ne doit rejeter définitivement un être humain en dehors de la grande fraternité humaine. Il ne faut surtout pas, sous l’influence de je ne sais quel nouveau fatalisme physiologique, se laisser entraîner à croire qu’il soit un être tellement différent de nous, tellement anormal, tellement monstrueux, que, sous la croûte épaisse de sa dépravation, rien d’humain et de sensible ne vibre plus. Qu’on me permette ici une mince anecdote qui éclairera ce que je veux dire. Je sais un jeune avocat qui, au début d’une courte carrière au barreau, eut à défendre d’office devant la cour d’assises de la Seine un voleur de profession. Son client était un des plus tristes produits de l’éducation des rues de Paris. Enfant naturel, vagabond dès son plus jeune âge, il avait commencé par des petits larcins ; de là, il s’était élevé au vol simple, puis au vol avec escalade et effraction. S’il n’avait pas tué, c’est peut-être que l’occasion lui avait manqué. Il avait déjà subi plusieurs condamnations, et celle dont il était menacé entraînait pour lui la transportation à la Nouvelle-Calédonie, qu’il redoutait fort, car il aimait Paris. Notre avocat, qui en était à sa première cause, y apporta une certaine ardeur et mit tout son cœur à obtenir du jury une déclaration de circonstances atténuantes qui, heureusement peut-être, lui fut refusée. Comme, après l’arrêt de la cour, il allait faire une dernière visite à ce malheureux, auquel il n’avait pu s’empêcher de prendre un certain intérêt, au moment de le quitter et en lui disant adieu, il lui tendit la main. Cette grossière nature fut émue; les larmes lui vinrent aux yeux, et il s’écria : «Ah! monsieur, vous me donnez la main comme si j’étais un honnête homme. » Ainsi, il avait suffi d’un traitement auquel ce malfaiteur endurci n’était pas accoutumé pour réveiller en lui les deux sentimens les meilleurs qui soient dans le cœur humain : l’humilité et la reconnaissance. Qu’est-il devenu? Je l’ignore, mais je puis ajouter qu’après bien des années écoulées, de la région lointaine où il subissait sa peine, il écrivait encore à celui dont un geste, en quelque sorte machinal, avait cependant touché son cœur. Et cependant Lombroso n’eût pas hésité à le ranger dans la catégorie des criminels-nés, car il avait, autant que je puis me rappeler, l’aspect lourd, le crâne large, le front étroit et les oreilles écartées de la tête. Un directeur de prison expérimenté l’eût également classé du premier coup parmi les récidivistes incorrigibles. Mais il n’y a pas d’homme incorrigible, pas plus qu’il n’y a d’homme impeccable, et nul ne sait, jusqu’à sa dernière heure, quelle forme est capable de recevoir le mélange d’esprit et de boue (pour parler comme Pascal) dont il est pétri. Aussi tous les êtres faits de ce mélange sont-ils tenus les uns vis-à-vis des autres à la charité, et ceux-là surtout y ont droit qui, n’ayant point reçu leur part de nos lumières ni de nos plaisirs, ont respiré dès leur enfance une atmosphère morale absolument différente de la nôtre, et passent leur vie entière dans des conditions de misère et de tentations dont nous ne nous faisons aucune idée. N’est-ce pas à eux que s’adresse cette parole d’une douceur et d’une espérance infinie qu’au milieu de tant de sentences sévères l’inspiration divine a mise sur les lèvres du Psalmiste : « Le Seigneur sauvera les âmes des pauvres. » Le grand principe de la charité, que nous avons déjà rencontré comme le principal remède à la misère, doit donc intervenir aussi dans la répression, non pas pour l’affaiblir et l’énerver, mais pour y introduire ce souci des âmes. Quelle part est faite à la charité, ainsi entendue, dans la répression? C’est ce que je voudrais rechercher dans une prochaine et dernière étude.


HAUSSONVILLE.

  1. Voyez la Revue du 1er janvier.
  2. Il est regrettable que la statistique criminelle ne donne aucune indication sur la nationalité des accusés. Ces indications fourniraient d’utiles renseignemens sur le contingent apporté à la criminalité par l’immigration étrangère. D’après le dernier volume de la statistique pénitentiaire, le nombre des étrangers détenus dans les maisons centrales était de 1,431 en 1882 contre 1,246 l’année précédente, 374 détenus étaient Italiens, 202 Belges et 168 Allemands.
  3. Voici les chiffres de la statistique judiciaire de 1884 : rébellion et outrages envers les fonctionnaires, 15,941 ; coups et blessures, 21,744 ; vols, 35,445 ; escroqueries et abus de confiance, 6,827; délits contre les mœurs, 3,407; mendicité et vagabondage, 24,806. Total général de la statistique : 184,969 affaires et 217,960 prévenus.
  4. Voir, dans la Revue des 15 juin et 15 juillet 1865, l’étude sur le Cerveau et la Pensée.
  5. La Corse présente 73 prévenus pour 10,000 habitans. Mais la criminalité de ce département est d’une nature tellement particulière qu’il en faut, en quelque sorte, faire abstraction dans la statistique.
  6. La statistique ne donne ces renseignemens que pour les crimes, mais nul doute que la répartition ne soit la même pour les délits.
  7. Voir la Vie el les Salaires à Paris et le Combat contre la misère.