Le Conseiller des femmes/04/04

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PARIS AU SIXIÈME SIÈCLE.
Fragment d’un ouvrage historique inédit.

Voici Paris naissant, sortant informe de la terre ; Paris en bouton, s’épanouissant un jour d’une église, un jour d’un rempart, un jour d’un rustique palais.

Une île sur la Seine, réunie aux rivages par deux ponts, forme seule encore l’étroite cité ; au-delà du bras de la rivière, au nord et au midi, s’étendent les faubourgs.

Les temps passés ont écrit leur histoire sur ce terrain antique, où Paris s’élève comme un jeune sauvage, sans régularité, sans lois. Au milieu de la cité est une enceinte dès long-temps consacrée aux cultes religieux. Là furent adorés jadis des dieux égyptiens, puis, à la place de ces monstres hideux, quelques empereurs romains, monstres plus hideux encore ; ensuite vinrent les dieux païens : un autel à Mercure fut élevé ; un petit temple à Jupiter se remplit d’offrandes et d’encens ; cette inscription se voyait au frontispice : À Jupiter très-bon, les bateliers de la Seine. Le temple ruiné par le temps et l’inconstance des hommes, on bâtit de ses débris une chapelle à St-Étienne ; et cette petite église est là maintenant, succédant au temple de Jupiter, et attendant celui de Notre-Dame.

Tout autour de St-Étienne se groupent de nouvelles habitations en forme de ruches, ombragées de figuiers. À l’est de la cité, on voit verdoyer deux petites îles couvertes de biches, de lapins, de sarcelles sauvages, qui font paisiblement leur retraite au bord de l’eau, à peine troublés dans leurs soins domestiques par les pêcheurs Parisiens, qui viennent, le soir, attacher leurs radeaux aux saules du rivage.

Sur le bord méridional de la Seine, une plaine agreste monte lentement, et se termine par le mont Lucotilius. Entre cette élévation et la rivière, paraît d’abord le palais des Thermes, ancien séjour des Césars ; palais aux voûtes immenses, dont l’œil ne peut suivre les longues arêtes, aux souterrains promenant leurs sombres défilés jusqu’au bord de la Seine ; palais qui restera bien long-temps debout comme une immense relique de l’immense pouvoir romain. Devant ces murs antiques, passe la voie d’Arcueil, qui sort de l’un des ponts de la cité, et s’élève sur le Lucotilius, laissant à sa droite le vaste jardin du palais des Thermes, déroulé vers l’occident, et l’emplacement désert d’un camp romain, où des vestiges de tentes, des tronçons d’armes, des petites statues de divinités, des ornemens consacrés aux guerriers, et d’autres débris des camps s’enfouissent peu à peu dans la terre, qui gardera aux siècles futurs ces souvenirs des maîtres du monde.

De l’autre côté de la voie d’Arcueil, des vignes magnifiques, coupées par des sentiers sinueux, garnissent le coteau, puis, au pied de ce verdoyant tapis, un autel à Bacchus. — Il est encore debout et couvert d’offrandes, car les Francs, ne pouvant renoncer au culte de ce Dieu, ont imaginé, par transaction, d’en faire saint Bachus et continuent à le servir avec ferveur.

Un champ de sépulture est placé au bord de la grande roule, selon l’usage des Romains, qui, dans leur amour de luxe, faisaient de la mort même un sujet d’ornement. Là reposent les premiers habitans de Paris ; là se trouvent les premiers tombeaux qui, dans cette ville, furent marqués du signe de la croix. Bientôt le flot de la population va déborder la cité, monter jusqu’à eux, et couvrir du fracas de la vie leur enceinte tranquille.

Non loin de là est le Clos des Arènes, vide, silencieux, abandonné à la ronce. Ses barbares spectacles ont été suspendus à l’approche de sainte Géneviève, douce patrone de la ville dont l’église, fondée par Clovis et Clotilde, commence à s’élever près de là. C’est avec joie que les premiers habitans de Paris, Francs et Gaulois, ont accepté le patronage d’une femme : une femme, une vierge était déjà pour eux, dans leur ancienne foi celtique, un être aimé du ciel, un intermédiaire entre les hommes et la divinité : De Velléda à Ste-Geneviève, il n’y avait pas loin.

La partie septentrionale de Paris présente un autre aspect : ce ne sont pour la plupart que des lieux déserts, des marais, des sables et des bois aussi vieux que la Gaule ; seulement, de distance en distance, quelques champs cultivés commencent à rapporter des fruits, dont les Parisiens hâtent la maturité, en poudrant les arbres où ils pendent, d’une cendre échauffée.

Mais ces champs, que ne remplit pas encore le tumulte de la vie réelle, sont pleins de souvenirs antiques, de ruines sacrées, de symbôles des cultes successifs qui ont passé par là. Sur la rive droite de la Seine, lorsqu’elle vient de baigner la cité, un autel de Cybèle tombe en ruines, au milieu de sables déserts. Au loin s’étendent des forêts séculaires, au sein desquels se trouvent encore de vieux chênes adorés des Gaulois. Dans les clairières, on voit des urnes de cristal, coloriées de mille nuances, qui contiennent les cendres des anciens druides. Vous lisez sur ces tombeaux diaphanes des inscriptions semblables à celle-ci : « Console-toi, et viens ! » qui semblent dictées par le génie chrétien… Le génie chrétien ! il parcourt aussi ces parages. Sa charité plante une croix dans les embranchemens des chemins, pour indiquer au voyageur la route de la ville, et place au bord des fontaines une coupe d’airain, pour qu’il puisse s’y désaltérer ; le tronc creux d’un arbre, consacré par l’image rustique de la Vierge, est le dépositaire des aumônes offertes par chaque passant, et recueillies pour les pauvres.

Et souvent aussi la royauté, jetée du trône au milieu des champs, parcourt ces campagnes. Tantôt un ermitage isolé reçoit le fils de Chilperic, qui vient cacher sous le chaume sa tête proscrite ; tantôt la cabane d’un pêcheur donne un asile à la reine Brunehaut ; tantôt une fontaine sauvage voit Caribert, roi de Paris, venir offrir son cœur et l’anneau nuptial à la jeune paysanne Teudegilde, qui conduisait des troupeaux vers leur rustique bassin.

Telle est au sixième siècle Paris, la ville de l’avenir.

Clémence Robert.