Le Corset : étude physiologique et pratique/03

La bibliothèque libre.

III

EFFETS GÉNÉRAUX ET RÉSULTATS


Les effets produits par ce système de contention sont de deux ordres ; ils peuvent être envisagés au point de vue physique et au point de vue physiologique.

Au point de vue physique, le fait d’appuyer le corset sur le bassin, au lieu de l’appuyer sur le thorax, et de supporter le ventre au lieu de le refouler vers le bas, modifie notablement la silhouette de la femme : le dos se cambre, les épaules sont portées en arrière, le thorax se relève et bombe, et la dépression épigastrique, c’est-à-dire la cambrure de la taille en avant, est remplacée par une ligne à peu près droite, plus souvent par une saillie plus ou moins volumineuse.

Si nous comparons les anciens dispositifs avec ceux que je préconise, il nous sera facile d’apprécier la valeur de chacun de ces procédés.

Les anciens corsets prenant leur point d’appui sur le thorax, partie supérieure du tronc, immobilisaient non seulement la cage thoracique, mais toutes les parties sous-jacentes.

En effet, l’action de la colonne vertébrale, la localisation ainsi que l’amplitude de ses mouvements démontrent que les parties de cette tige sont d’autant plus mobiles qu’elles sont plus éloignées de son point d’implantation sur le sacrum, comme cela se produit pour les tiges végétales implantées dans le sol. En tenant compte de ce fait, on peut émettre en principe que la surface immobilisée et la gêne qui en résultent seront d’autant plus grandes que le tuteur sera fixé plus haut sur le tronc ; car non seulement il annihile les mouvements propres des côtes et de l’épine dorsale sur toute la surface qu’il recouvre, mais son influence s’étend aux articulations vertébrales situées au-dessous. Si le tuteur est fixé en bas, au contraire, il n’a aucune action sur les régions supérieures du tronc, qui restent totalement indépendantes. Le corset abdominal a donc pour premier résultat de faciliter les mouvements du buste.

Fig. 11.
Femme avec un corset ordinaire.


Nous voyons, en effet (fig. 11), que lorsqu’une femme revêtue d’un corset thoracique veut exécuter des mouvements de flexion ou d’extension, le tronc se meut tout d’une pièce, le bassin suit le thorax, la colonne vertébrale ne s’infléchit pas, les mouvements se produisent par la bascule de tout le buste autour de l’articulation coxo-fémorale.

Avec le corset abdominal (fig. 12), les grands mouvements s’exécutent au niveau de toutes les articulations des os du tronc ; tandis que le bassin et les membres inférieurs peuvent rester fixes. Cette expérience facile à réaliser, à condition que le corset ne dépasse pas en hauteur les dernières fausses côtes, nous fournit la preuve du principe énoncé, à savoir : que plus l’obstacle est placé haut sur le buste, plus l’étendue immobilisée est considérable et vice versa.
Fig. 12. — Femme normale avec le corset Gaches-Sarraute.

On constate, d’autre part, que le fait de bien emboîter le bassin et de le solidariser avec les membres inférieurs au moyen de liens flexibles facilite la station debout dans une altitude régulière. Le poids du corps étant bien réparti, la femme s’appuie plus volontiers sur les deux talons, au lieu de faire porter tout le corps sur une seule jambe, ce qui provoque cette déviation du bassin qu’on observe chez presque tous les individus. J’ai pu m’assurer dans maintes circonstances, en plaçant le corset sur des fillettes se tenant mal, que le fait seul d’appuyer l’appareil également sur les crêtes iliaques a pour conséquence immédiate de redresser les omoplates et de les mettre sur un même plan horizontal.

Les effets physiologiques, qui n’apparaissent qu’au médecin et ne sont révélés que par l’examen des organes internes, se laissent cependant prévoir par l’aspect seul de la physionomie. Avec un corset abdominal qui la soutient et la repose, la femme a les traits moins tirés, les yeux moins cernés, elle est plus vivace, plus énergique. Allégée d’une partie de son poids, puisque c’est le corset qui porte son ventre, elle dispose de cette force maintenant inutilisée et peut l’employer à des exercices dont un plus grand nombre de muscles bénéficient. Bien des femmes, malades sans que la cause de leur état fût bien déterminée, condamnées à un repos presque constant, sont aujourd’hui vigoureuses, bien portantes, peuvent marcher et sans rien exagérer renaissent à la vie.

Le simple changement de corset a-t-il pu donner de tels résultats ?… Oui, parce que jusqu’aujourd’hui tous les corsets, construits sans règles, ni lois, agissaient en sens inverse des indications naturelles et contrariaient toutes les fonctions physiologiques. L’estomac était refoulé vers le bas-ventre, le rein avait quitté sa loge, l’intestin, à la suite du ralentissement de la circulation alimentaire, était distendu, et toute cette masse pesait à son tour sur les organes génitaux dont les fonctions étaient également troublées. La paroi abdominale, insuffisante pour résister à cette pression constante, se laissait distendre et quelquefois déchirer, livrant ainsi passage à l’intestin. Cela avait suffi pour rendre la femme inquiète, nerveuse, pour la mettre dans un état d’infériorité physique et la vouer à des maladies factices inconnues des personnes ne portant pas de corset.

Refoulant d’une part vers le bas-ventre les organes abdominaux, relevant les seins sous le menton, d’autre part, le corset thoracique imposait aux viscères, par le fait de cet évidement épigastrique et par la pression exercée sur le
Fig. 13. — Femme avec l’ancien corset.
haut du ventre, l’obligation de se réfugier aussi loin que possible de cette cambrure que la femme a envisagée jusqu’ici comme l’idéal de la beauté plastique et qui n’en est que la parodie. Dans cet état, la face antérieure du buste était sinueuse, il est vrai, mais disproportionnée ; trop mince au centre, trop épaisse aux extrémités, trop artificielle en un mot pour que la nutrition s’exerçât dans des conditions favorables (fig. 13).

L’emploi d’un corset méthodique, bien étudié, agit tout différemment. Par son intermédiaire, c’est la face antérieure du corps qui est bombée, et ce sont la face postérieure et les faces latérales qui deviennent sinueuses, obéissant en cela aux règles naturelles. Aussi voyons-nous tous les phénomènes anormaux disparaître dès que l’appareil qui les a provoqués est supprimé.

L’enveloppement simple du bassin, s’arrêtant au-dessous de l’épigastre, permet à l’estomac et aux organes supérieurs de rester à leur place, premier point très important. Dès lors la région hypogastrique ne contient plus que l’intestin, et celui-ci, dégagé de la compression qui pesait sur lui, fonctionne plus régulièrement ; la circulation alimentaire se fait plus vite, les fermentations anormales diminuent, la constipation disparaît. Tous les organes reprennent peu à peu leur position et leurs dimensions premières, quelque distendus qu’ils aient été auparavant.

L’action mécanique du soutien partant d’en bas se transmet directement d’un organe à l’autre ; la masse intestinale, servant de coussin à l’estomac et au rein, leur offre un point d’appui beaucoup plus sûr que les ceintures à pelotes dont la fixité et les rapports avec les organes déplacés sont souvent incertains et dont l’action est toujours contrariée par la nécessité de leur adjoindre un autre corset.

L’ascension de l’estomac sous l’influence du corset abdominal a été mise clairement en lumière à l’aide de la radiographie. Nous avons pu, par ce moyen, comparer sa forme et sa position respective chez un même sujet, et nous avons pu constater que si l’ancien corset entraîne l’estomac vers le bas, en lui donnant une forme triangulaire très allongée, le corset abdominal, au contraire, le maintient près du diaphragme, sans que la grande courbure puisse glisser vers le bas.

Mais cette preuve n’est pas la seule qui nous permette d’affirmer que l’estomac réintègre l’épigastre d’une façon définitive dès que le ventre est relevé par le corset.

J’ai remarqué, et on m’a signalé le fait, que dans les cas de dilatation gastrique, le clapotement dans les grandes inspirations ou dans la marche est, avec les corsets ordinaires ou sans corset, perçu dans le milieu du ventre ; avec le corset abdominal, on le sent sous la voûte diaphragmatique. La sensation est très nette, c’est sur la paroi supérieure de l’estomac que les liquides et les gaz qu’il contient viennent se briser.

Enfin, dans presque tous les cas de dilatation, l’application du corset abdominal provoque une série de symptômes se produisant dans les premiers jours, et qui indiquent bien le déplacement de ce viscère vers le haut. C’est, par exemple, un sentiment de malaise, de réplétion stomacale allant quelquefois jusqu’à la régurgitation des liquides et des gaz contenus dans sa cavité.

Cet ensemble de faits, joints à la constatation directe que tout médecin peut faire, ne laisse aucun doute sur le bénéfice que l’estomac retire d’un pareil procédé de contention. Je n’ai pas besoin d’insister davantage sur ce point, mais je suis obligée de répéter encore que, pour obtenir tous les effets désirés, c’est-à-dire pour amener les organes dans une position normale, car à l’époque actuelle on ne les y trouve jamais, il est absolument indispensable de soutenir le ventre de bas en haut, de laisser l’épigastre complètement dépourvu de corset, d’exagérer même la laxité des vêtements à ce niveau, dût la présence de ce viscère produire une saillie volumineuse désagréable à voir, et dussent les femmes trouver difficilement à s’habiller.

Si, au mépris de ces indications, on voulait contenir l’épigastre et serrer la région abdominale horizontalement en écrasant l’estomac et l’intestin d’avant en arrière, on n’obtiendrait ni l’ascension, ni la réduction des organes distendus.

En outre, la capacité de la cavité abdominale définitivement fixe sur toute son étendue serait amoindrie et déterminerait une pression néfaste sur le plancher du bassin.

Je considère ces stigmates caractéristiques : l’effacement de la région hypogastrique et le développement de l’épigastre, comme le criterium de mon procédé, l’indice de la valeur du corset abdominal. Je ne m’arrêterai pas à démontrer que le rein bénéficie tout naturellement de l’action du corset ; celle-ci se manifeste sur tous les viscères abdominaux, et le coussin fourni par la masse intestinale soulève tous ceux qui sont placés au-dessus de lui en dégageant ceux qui sont au-dessous.

C’est ainsi que les organes génito-urinaires, affranchis du poids du contenu abdominal et libérés à leur partie supérieure, se redressent, reprennent leur position régulière et fonctionnent plus facilement. Bon nombre de grossesses, chez des femmes considérées comme stériles, ont suivi de près l’adoption du corset abdominal. Et dans le même ordre d’idées, on peut attribuer à la même cause la disparition des douleurs menstruelles dues aux déviations utérines, ce qui corrobore l’hypothèse du dégagement de l’utérus dans le cas où il n’a pas été possible de vérifier sa position.


Amincissement. — Avant de terminer l’énumération déjà bien longue des modifications apportées par le corset abdominal, il me faut signaler un phénomène assez curieux, assez difficile à expliquer ; je veux parler de l’amincissement général de la femme et de l’amaigrissement de toute la région recouverte par l’appareil.

Ainsi par exemple, nous voyons couramment des femmes extrêmement grasses, à ventre volumineux, essayer de porter le corset abdominal. Dès que l’appareil est placé, et qu’il met en évidence, au haut de la taille, le ventre qui était dissimulé vers le bas par l’ampleur des jupes, la femme est choquée par cette protubérance disgracieuse, à tel point que plus d’une recule devant cette transformation physique aussi peu avantageuse. Mais celles qui sont assez souffrantes, et c’est le plus grand nombre, pour tenter malgré tout l’expérience, voient cette saillie abdominale, qui était au premier moment très dure et très tendue, se ramollir, devenir plus malléable, puis diminuer progressivement.

Au bout de quelques mois, cela varie avec les individus, c’est par dizaines de centimètres qu’on peut noter la diminution d’étendue de l’abdomen, autant en largeur qu’en hauteur, ainsi que nous l’avons dit plus haut. Que s’est-il donc passé pour produire un tel effet, et sur quels tissus porte l’accélération nutritive ?… Il est évident que l’amincissement de la région abdominale est dû tout d’abord à la compression exercée avec continuité tant sur les parois que sur les organes internes. Le fait est évident, mais le processus est complexe.


Peau. — La peau, que nous trouvons habituellement distendue au delà des limites normales, s’était modifiée anatomiquement sous l’effort des viscères abdominaux refoulés vers le bas par la pression des corsets. Les muscles, impuissants à maintenir la paroi, avaient fini par céder, par perdre leur tonicité. Les espaces conjonctifs de l’hypoderme, agrandis, avaient permis l’accumulation des cellules adipeuses dans leur intervalle, accumulation d’autant plus facile que déjà la graisse avait des tendances à se déposer et à séjourner dans ces régions déclives où la circulation est ralentie.
Fig. 14. — Femme obèse avec le corset Gâches-Sarraute.

L’application d’un appareil enveloppant et renforçant concentriquement toute la région supprime de ce fait la poussée viscérale, favorise l’élimination de la graisse en même temps que son retour dans la circulation générale ; et par suite restitue aux muscles leurs qualités premières. La paroi, en effet, subit une rétraction continue et diminue toujours d’étendue, aussi bien dans le sens de la largeur d’une épine iliaque à l’autre, que dans le sens de la longueur du sternum au pubis, jusqu’à ce qu’elle ait retrouvé ses dimensions normales. Le fait est mis nettement en évidence par la mensuration ; il est prouvé, en outre, par la différence d’étendue et la modification qu’on est obligé de faire subir aux corsets après quelques mois d’usage. La différence est plus ou moins accusée selon les cas, mais j’ai constaté jusqu’à 20 centimètres de diminution de la paroi dans le sens de la longueur.

Il est donc permis d’affirmer que la paroi abdominale primitivement distendue s’amincit et se rétrécit en même temps sous l’influence d’une pression agissant dans un sens favorable à la circulation, et que, en supprimant la déclivité naturelle de la région par une pression bien combinée, les éléments graisseux ne sont plus arrêtés et passent plus rapidement dans le torrent circulatoire.

Mais les viscères participent aussi à cette rétraction ; l’estomac et les intestins, soit parce qu’ils ont récupéré leur tonicité musculaire, soit en raison de l’accélération de la circulation alimentaire qui diminue la production des gaz dans leur cavité, retournent à leurs dimensions premières. Ils offrent ainsi une surface moins étendue à recouvrir et la peau débarrassée de l’excès de graisse qui l’avait envahie reprend toute son élasticité.

C’est ainsi qu’on peut expliquer, me semble-t-il, la disparition de la saillie abdominale qui est très caractéristique chez la femme habituée au port du corset abdominal et le retour aux formes normales même en l’absence du corset. C’est ce que montrent nettement les figures 4 et 5 qui représentent des femmes normales ayant porté pendant plus de deux ans le corset Gâches-Sarraute.